Émile-Paul frères (p. 110-113).


La rose du néant


Plus rouge que le jeune sang, la rose de la pitié fleurit ce tertre. Comme la bouche d’un saint virginal a poussé un lis, la rose monte du cœur ardent de celui qu’on a couché, ici, dans cette terre. Je viens la respirer, haleine de tendresse, souffle de peine et d’amour. Et je la vivifie de la cueillir.

La douleur, maternelle institutrice de la pitié, me parle à l’oreille. Ha, je n’avais pas besoin de ces leçons. Si humble fût-elle, je n’ai point connu de vie sans l’aimer, et sans la plaindre. Plus d’une fois, voyant dans la forêt un bel arbre rompu par la foudre, ou une fleur brisée, foulée sur le sol, j’ai eu les yeux pleins de larmes. Ma tendresse a suivi, de tout temps, les marins dans leurs aventures mortelles. Celui, dont la rose fleurit sur ce tertre, a consolé la fin de plus d’un, outre mer. Avec lui, j’ai été voir ceux qui restent, quand il fallait leur dire : « Bonnes gens, votre fils ou votre frère n’a pas fermé les yeux sous une main étrangère… » La maladie semblait moins mortelle, l’accident moins terrible, la catastrophe moins soudaine qui laissait une place à l’adieu. Combien de fois celui, dont je cherche ici le parfum innocent, m’a conté, au retour de ses campagnes, la mort lointaine des marins ? Avec une terreur vraiment fraternelle, hélas, j’écoutais ces récits. Toujours je pensais au père, à la femme, au pauvre frère, là-bas au pays, recevant la nouvelle, coup de couteau brutal dans le cœur : — Un matin sans péché, pareil, croit-on, à tous les autres, et où toute la vie s’arrête. Toujours, je frémissais pour eux à l’horreur de ce grand déchirement. Voilà pourtant le sort qui l’attendait au port, et où j’étais réservé moi-même : pour nous conduire tous les deux à ce tertre. Un coup plus brusque n’a frappé personne, ni plus mortel, ni plus déchirant. Ici, penché sur cette terre brune, je sens en vous des frères et je vous aime. Pour vous aussi, la rose sanglante fleurit, haute et belle. Dans la pitié d’un seul, j’ai pitié de tous. Comme il est avec Lui, mon cœur est avec vous. Le sien vous était ouvert ; nul plus que lui, n’a pris à soi les destinées des autres : c’est des deux mains qu’il les ralliait à lui et se les rendait plus proches. Cette fleur ardente qu’il a nourrie vous le dit : Son cœur était plein de la bonté humaine.