Émile-Paul frères (p. 107-109).


Murmures de la mer


Je t’appelle ma Douleur, toi qui étais ma joie. Et toi, en qui j’étais sûr de toujours trouver toute compassion, je t’appelle ma très Chère Pitié.

D’autres douleurs, je les ai connues, que j’estimais les plus grandes. Mais toutes ne furent que du présent, et par là promises au repos : car le sommeil suit la journée la plus rude. Ta douleur est la douleur de tous les temps. Tout est passé pour moi, et l’avenir même. Je ne compatis plus à moi, mais uniquement à ton destin.

Je cherche sur la mer Celui qui y a vécu, et qui est tombé sur le bord. La terre manque sous mes pas. Tout ce que je tenais pour bon, jusqu’ici, me fait mal : la peine au fond de tout ce que je désire ; et plus vive encore, si je l’obtiens. Quel sentiment est-ce là ?


La maladie du profond chagrin, l'extrême ennui qui considère le néant : sur les ruines de l’illusion, je pleure le plus beau des cadavres. Amour anéanti. Y eût-il quelque réalité au rêve du monde, que m’importe ? — Je ne sais plus ce que c’est, un monde où mon amour n’est pas, où ma Chère Pitié n’a pas obtenu sa grâce.


Il n’est qu’un seul bonheur : de ne pas être né.


Dors, mon Bien Aimé. Je serai là, demain.

Et tout sera oublié, peut-être : puisque, dans l’horreur de son cours impitoyable, la nature est sans mémoire, et qu’elle ne veut pas que l’amour ait un seul souvenir, qu’elle ne déchire et foule aux pieds.

Dors, mon Bien Aimé. Je serai là, demain.

Et tout sera comme s’il n’avait jamais été.


— Pourquoi dis-tu le bonheur informe de ne pas être né ? Celui que tu aimes, et qui t’a tant aimé, en eût souffert dans ce cœur tout à toi.

— Il ne m’avait pas perdu, pour souhaiter de ne plus être.