Émile-Paul frères (p. 63-65).


Jamais plus


La mer avant l’orage.


Au large, où le flot est plus vert, la notion de l’espace se confond dans la pensée de l’heure. Au large de la mort, les idées de la vie et celles de l’amour n’en font plus qu’une. De celui qui n’est plus, le cœur ne sait rien, sinon qu’il se dit : « Il était », et : « Il n’est plus. » Je l’aime davantage ; je l’aime avec douleur ; je l’aime sans espoir, enfin.

Jamais plus ! Plus jamais !… C’est le rythme infini de la vague, qui vient et qui s’en va. Plus jamais ! jamais plus !… Le flot monte ; le flot descend ; et monte encore, et redescend. C’est la plainte de l’adieu qui roule, l’éternelle marée du solstice irrévocable, où l’astre de la peine fait station pour toujours. Plus jamais ! Jamais plus ! La libration de la lune autour de son axe n’est pas plus fatale que le balancement d’une vie suspendue à un tel regret. Ils sont dans le même berceau, ceux qui ne sont plus et ceux que berce l’éternel : Plus jamais ! Jamais plus !

La nuit, le fiévreux, qui se tourne et se retourne sur son lit, aspire de toutes ses forces au bienfait de l’aube : il ne se rappelle plus les souffrances du jour. Ainsi nous regrettons la vie pour ceux qui ne l’ont plus ; aussi sombre soit-elle pour nous, pour eux nous rêvons qu’elle eût été lumineuse : c’est qu’ils étaient notre lumière. Dans ma pitié, dans ma cruauté peut-être, le désir de celui que le berceau du temps tantôt approche de mon cœur et tantôt en éloigne, fait maintenant que je regrette de ne l’avoir pas eu malade. Blessé, meurtri et même mutilé, je l’aurais pourtant défendu, et j’aurais lutté pour lui. J’aurais baisé sa main, que je n’ai jamais pressée des lèvres. J’aurais eu pour lui la douceur que mérite et que goûte seule une fière, une immense amertume. Le rythme de notre vie eût été : « Tu es là », et : « J’y suis. » Je n’aurais pas vécu, du moins, sur les bords désespérés que hantent la plainte de la vague, et le murmure éternel : « Plus jamais ! Jamais plus ! »