Stendhal - Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, 1928, éd. Martineau/Dédicace

Texte établi par Henri MartineauLe Divan (p. 413-414).

DÉDICACE


À MADAME D’OLIGNY
Londres, 13 octobre 1814.


Il est bien naturel, madame, que je vous présente ce petit ouvrage, le premier que j’aie jamais écrit. Il fut fait dans un moment où le malheur aurait pu m’atteindre, si je ne m’étais pas donné une distraction. Vous daigniez me demander quelquefois ce que je faisais, et comment je n’étais pas plus affecté de ce qui m’arrivait. Voici mon secret : je vivais dans un autre monde ; je n’aurais jamais quitté celui dont vous faites l’ornement, si j’avais connu dans ce pays-là quelques âmes comme la vôtre, ou s’il eût été possible que celle que j’admirais sentît pour moi autre chose que de l’amitié.

Je pars avec le regret d’avoir vu un nuage s’élever entre vous et moi dans ces derniers jours ; et comme, entre amis, c’est le moment de la séparation qui décide de l’intimité future, je crains que, par la suite, nous ne vivions en étrangers. J’ai trouvé de la douceur à déposer dans ce petit endroit caché l’expression simple des sentiments qui m’animent, et dont je ne prétends point de reconnaissance ; j’aime parce que j’y trouve du plaisir.

Je sais d’ailleurs ce que vous avez voulu faire pour moi. Vous l’avez voulu, j’en suis certain ; et cette volonté, quoique privée de succès, me donne le plaisir d’être reconnaissant à jamais.

Adieu, madame. La vaine fierté que le monde impose me fera peut-être vous parler en indifférent ; mais il est impossible que je le sois jamais pour vous, dans quelque pays éloigné que le sort me conduise.

Je suis avec un profond respect,

The Author.