Le Bhâgavata Purâna/Livre III/Chapitre 3

Traduction par Eugène Burnouf.
Imprimerie royale (tome 1p. 164-167).
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CHAPITRE III.

DIALOGUE ENTRE VIDURA ET UDDHAVA.


1. Uddhava dit : Ensuite, accompagné de Baladêva, il se rendit à la capitale pour faire le bonheur de ses parents, et renversant de son trône le chef des armées ennemies, il traîna violemment par terre le tyran privé de sentiment.

2. Ayant lu, en une seule fois, la totalité des Vêdas et des livres qui en dépendent, que lui enseignait Sâm̃dîpani, Krǐchṇa, pour le récompenser, lui rendit son fils qui était mort, et qu’il arracha des entrailles de Pañtchadjana.

3. Lorsque les princes étaient réunis, attirés par la beauté de la fille de Bhîchmaka, qui était semblable à Çrî, le héros dont le vol est rapide, désirant s’unir à elle suivant le mode Gândharva, posa son pied sur la tête des princes ses rivaux, et s’empara de celle qui était une portion de lui-même.

5. Domptant les taureaux dont les narines n’étaient pas percées, il obtint, dans un Svayam̃vara, la fille de Nagnadjit ; et humiliant ainsi l’orgueil des rois avides de la posséder, il les frappa avant qu’ils s’en fussent aperçus, et sans être blessé lui-même par leurs armes.

5. Le souverain Seigneur, qui semblait être esclave des femmes comme un homme ordinaire, désireux de satisfaire sa bien-aimée, s’était emparé de l’arbre céleste ; avenue par la colère, le Dieu qui porte la foudre se précipita contre lui avec sa suite ; mais ce Dieu n’était que la gazelle qui sert de jouet à des femmes.

6. À la vue de son fils déchiré par le Tchakra et tué dans la lutte, de son fils dont le corps touchait au ciel, Bhûmî sa mère obtint de Krǐchṇa qu’il laissât le reste de l’héritage au fils de Bhâuma ; puis le vainqueur entra dans l’appartement intérieur du prince.

7. À la vue de Hari, qui avait laissé ses parents dans l’inquiétude, les filles des rois, qu’avait ravies le fils de la Terre, se levèrent tout à coup ; et leurs regards animés par la joie, par la pudeur et par l’amour s’emparèrent du héros.

8. Dans le même instant il eut pris la main, conformément au rite du mariage, à chacune de ces femmes, reproduisant, par sa Mâyâ, son image dans chacune de leurs habitations.

9. Désireux de se multiplier à l’aide de la Nature, il les rendit toutes mères d’enfants entièrement semblables à lui, et eut cent fils de chacune d’elles.

10. Lorsque Kâla (Kâlayavana), le roi du Magadha, Çâlva et d’autres princes assiégeaient sa capitale avec leurs armées, ce fut lui qui les détruisit [par la main de ses guerriers], accordant ainsi aux siens une gloire divine.

11. Il causa la mort de Çambara, de Dvivida, de Vâṇa, de Mura, de Valkala et de beaucoup d’autres encore ; et lui-même en tua de sa main plusieurs comme Dantavaktra,

12. Anéantissant tous les princes réunis dans les deux camps de tes neveux, ces princes dont les armées, en se rassemblant dans la plaine de Kurukchêtra, faisaient trembler la terre.

13. En voyant étendu par terre, au milieu de ses défenseurs, et la cuisse brisée, Suyôdhana dont la fortune et la vie venaient d’être détruites par les mauvais conseils de Karṇa, de Duḥçâsana et du fils de Subala, Krǐchṇa n’éprouva aucun mouvement de joie.

14. Combien est-ce peu de chose que ce lourd fardeau formé de dix-huit grandes armées, dont Drôṇa, Bhîchma, Ardjuna et Bhîma ont délivré la terre ! c’est que, grâce aux héros, portions de ma substance, la force des Yadus est irrésistible.

15. Si, dans la querelle qui s’élèvera entre eux, les Yadus, les yeux enflammés par les vapeurs d’un breuvage enivrant, doivent se massacrer les uns les autres, c’est qu’il n’y a pas d’autre moyen de les détruire ; c’est par mes efforts qu’ils se seront anéantis eux-mêmes.

16. Ayant fait ces réflexions, Bhagavat rétablit sur son trône le fils de Dharma, et fit le bonheur de ses amis en leur montrant la voie des hommes justes.

17. La race de Puru fut perpétuée par Ahhimanyu et par Uttarâ ; et le fruit de leur union, détruit par le javelot du fils de Drôṇa, fut rappelé à la vie par Bhagavat.

18. Le Souverain de l’univers fit célébrer trois fois au fils de Dharma le sacrifice du cheval ; et ce prince dévoué à Krĭchṇa, gouvernant le monde avec ses jeunes frères, menait une vie heureuse.

19. Et Bhagavat, l’âme de l’univers, suivant la voie du monde et des Vêdas, se livra au plaisir dans Dvâravatî, mais sans être réellement enchaîné au monde, et restant fidèle à la doctrine Sâm̃khya.

20. Son regard animé par le sourire de la bienveillance, sa parole semblable à l’ambroisie, sa conduite irréprochable, son corps qui était l’asile de la beauté,

21. Tout en lui charmait les deux mondes, et surtout les Yadus, pendant qu’il s’abandonnait au plaisir, livré à chaque instant à l’amour de ses femmes, que la nuit voyait célébrer leurs fêtes.

22. Après qu’il eut ainsi passé au sein des plaisirs un grand nombre d’années, livré aux soins d’un maître de maison, il sentit naître en lui l’indifférence.

23. Quand on voit l’Esprit lui-même se soumettre à la destinée, quel est l’homme qui, suivant dans la voie du Yoga celui qui en est le maître, pourrait mettre sa confiance dans des plaisirs qui dépendent du Destin ?

24. Un jour que des jeunes gens de la race de Yadu et de Bhôdja jouaient dans la ville, des solitaires qui connaissaient les intentions de Bhagavat, irrités contre eux, les frappèrent de leur malédiction.

25. À quelques mois de là, les Vrĭchṇis, les Bhôdjas, les Andhakas et les autres familles se rendirent à Prabhâsa, sur des chars, pleins de joie, mais fascinés par le Dieu.

26. Après s’être baignés dans l’eau de ce lieu, et avoir fait des libations en l’honneur des Pitrĭs, des Dêvas et des Rĭchis, ils donnèrent aux Brâhmanes des vaches excellentes,

27. De l’or, de l’argent, des lits, des vêtements, des peaux et des couvertures de laine, des chevaux, des chars, des éléphants, des jeunes filles, et de la terre pour soutenir leur existence.

28. Après leur avoir en outre donné des aliments pleins de saveur, en dirigeant leur intention vers Bhagavat, ces hommes courageux qui ne vivaient que pour les Brâhmanes, les vaches et les richesses, les adorèrent en touchant la terre de leur front.


FIN DU TROISIÈME CHAPITRE, AYANT POUR TITRE :
DIALOGUE ENTRE VIDURA ET UDDHAYA,
DANS LE TROISIÈME LIVRE DU GRAND PURÂṆA,
LE BIENHEUREUX BHÂGAVATA,
RECUEIL INSPIRÉ PAR BRAHMÂ ET COMPOSÉ PAR VYÂSA.