« Œuvres de La Rochefoucauld/II. » : différence entre les versions

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On commençait à se lasser de la domination du cardinal Mazarin : sa mauvaise foi, sa faiblesse et ses artifices étaient connus ; il accablait les provinces par des impôts, les villes par des taxes, et il avait réduit au désespoir les bourgeois de Paris par la suppression des rentes de l’Hôtel de Ville. Le Parlement portait impatiemment ces désordres ; il essaya d’abord d’y remédier par des remontrances à la Reine et par des voies respectueuses ; mais il se disposait à en prendre d’autres, puisque celles de la douceur étaient inutiles. Le Cardinal n’avait pas ménagé le duc d’Enghien sur la charge d’amiral vacante par la mort du duc de Brezé, son beau-frère, qui avait été tué ; le prince de Condé avait fait paraître son mécontentement, et s’était retiré à Valery. Mme de Longueville, dont j’avais alors toute la confiance, sentait aussi vivement que je le pouvais désirer la conduite du cardinal Mazarin envers le duc d’Enghien, pour les intérêts de sa maison. Ces commencements d’aigreur furent quelque temps méprisés par le Cardinal : il se fiait à ses artifices et à sa fortune, et plus encore à l’esprit de servitude de la nation. Il haïssait le Parlement, qui s’opposait aux édits par des assemblées et par des remontrances, et il attendait une occasion de l’abaisser. Il donnait cependant des espérances au duc d’Enghien pour l’adoucir ; il ménageait même un peu plus les particuliers, et, bien qu’il fût également opposé à ma fortune, je ne lui voyais pas toujours la même dureté pour moi. Il était maître absolu de l’esprit de la Reine et de Monsieur, et plus sa puissance augmentait dans le cabinet, et plus elle était odieuse dans le Royaume ; il en abusait toujours dans la prospérité, et il paraissait toujours faible et timide dans les mauvais succès. Ces défauts, joints à son manque de foi et à son avarice, le firent bientôt haïr et mépriser et disposèrent tous les corps du Royaume et la plus grande partie de la cour à désirer un changement.
{{tiret2|sé|parés}} par le duc de Guise. Coligny, accablé de douleur d’avoir si mal soutenu une si belle cause, mourut quatre ou cinq mois après, d’une maladie de langueur.
 
Je passai beaucoup de temps à la cour dans un état ennuyeux : mon père y avait des prétentions par lui-même ; on lui faisait quelquefois de petites grâces, en lui disant qu’elles lui étaient faites uniquement à sa considération, et que je n’y avais aucune part. L’amitié que j’avais pour le comte de Montrésor m’exposa encore à de nouveaux embarras. Il avait quitté Monsieur par la haine qu’il portait à l’abbé de la Rivière ; et il s’était fait un honneur à sa mode, non seulement de ne point saluer l’abbé de la Rivière, mais d’exiger de ses amis que pas un d’eux ne le saluât, quelques civilités et quelques avances qu’ils reçussent de lui. J’étais, comme plusieurs autres, dans cette ridicule servitude, et elle m’avait attiré depuis longtemps la haine de Monsieur. Il se plaignit de moi avec aigreur à mon père, et il lui déclara enfin que, puisque je lui manquais de considération dans une chose aussi indifférente que de rendre le salut à l’abbé de la Rivière, il se croyait obligé de s’opposer directement à toutes mes prétentions et à tous mes intérêts ; qu’il ne demandait point que je cessasse d’être ami de Montrésor, ni que j’eusse aucune liaison avec l’abbé de la Rivière, mais qu’il recevrait désormais comme un manque de respect à sa propre personne si je continuais à traiter si indignement un homme qu’il aimait. J’avais peu de bonnes raisons à opposer à celles de Monsieur ; je priai néanmoins mon père de lui faire approuver que je ne changeasse point de conduite jusqu’à ce que j’eusse écrit à Montrésor et qu’il m’eût fait réponse. Il reçut ma lettre, et il parut aussi blessé de la permission que je lui demandais de saluer l’abbé de la Rivière, aux conditions que Monsieur avait désirées, que si je lui eusse dû toutes choses, et qu’il ne m’eût point eu d’obligation. Je connus bientôt que sa reconnaissance serait pareille à celle de la Reine et de Mme de Chevreuse ; je demeurai toutefois dans les règles que je m’étais imposées, et je me contentai de rendre uniquement le salut à l’abbé de la Rivière, sans avoir aucune sorte de commerce avec lui.
 
Le cardinal de Mazarin jouissait tranquillement de sa puissance et du plaisir de voir tous ses ennemis abattus ; ma fortune était désagréable, et je portais impatiemment la perte de tant d’espérances ; j’avais voulu m’attacher à la guerre, et la Reine m’y avait refusé les mêmes emplois que, trois ou quatre ans auparavant, elle m’avait empêché de recevoir du cardinal de Richelieu. Tant d’inutilité et tant de dégoûts me donnèrent enfin d’autres pensées, et me firent chercher des voies périlleuses pour témoigner mon ressentiment à la Reine et au cardinal Mazarin.
 
La beauté de Mme de Longueville, son esprit, et tous les charmes de sa personne attachèrent à elle tout ce qui pouvait espérer d’en être souffert. Beaucoup d’hommes et de femmes de qualité essayèrent de lui plaire, et, par-dessus les agréments de cette cour, Mme de Longueville était alors si unie avec toute sa maison et si tendrement aimée du duc d’Enghien son frère, qu’on pouvait se répondre de l’estime et de l’amitié de ce prince quand on était approuvé de Madame sa sœur. Beaucoup de gens tentèrent inutilement cette voie, et mêlèrent d’autres sentiments à ceux de l’ambition. Miossens, qui depuis a été maréchal de France, s’y opiniâtra le plus longtemps, et il eut un pareil succès. J’étais de ses amis particuliers, et il me disait ses desseins ; ils se détruisirent bientôt d’eux-mêmes ; il le connut, et il me dit plusieurs fois qu’il était résolu d’y renoncer ; mais la vanité, qui était la plus forte de ses passions, l’empêchait souvent de me dire vrai, et il feignait des espérances qu’il n’avait pas et que je savais bien qu’il ne devait pas avoir. Quelque temps se passa de la sorte, et j’eus enfin sujet de croire que je pourrais faire un usage plus considérable que Miossens de l’amitié et de la confiance de Mme de Longueville. Je l’en fis convenir lui-même ; il savait l’état où j’étais à la cour ; je lui dis mes vues, mais que sa considération me retiendrait toujours, et que je n’essayerais point de prendre des liaisons avec Mme de Longueville, s’il ne m’en laissait la liberté. J’avoue même que je l’aigris exprès contre elle, pour l’obtenir, sans lui rien dire toutefois qui ne fût vrai. Il me la donna toute entière ; mais il se repentit de me l’avoir donnée, quand il vit les suites de cette liaison. Il essaya inutilement de la traverser bientôt après par beaucoup de bruit et par beaucoup d’éclat, qui ne changèrent rien à mon dessein. Mme de Longueville partit peu de temps après, pour aller à Munster, où le duc de Longueville, son mari, était allé traiter la paix.
 
Mon père obtint alors pour moi la permission d’acheter le gouvernement de Poitou. Je suivis M. le duc d’Enghien à l’armée, qu’il commandait sous Monsieur. On attaqua Courtray. Piccolomini et le marquis de Caracène se présentèrent aux lignes avec trente mille hommes ; mais, au lieu d’entreprendre de les forcer, ils se retranchèrent de leur côté, et les deux camps ne furent éloignés que de la portée du mousquet. Les ennemis tentèrent inutilement de jeter quelques secours dans la ville, et ils se retirèrent enfin, trois ou quatre jours avant qu’elle se rendît, pour n’être pas témoins de sa prise. On alla ensuite à Mardic. Ce siège fut difficile et périlleux, par le grand nombre d’hommes qui défendaient la place, et qui étaient relevés tous les jours par des troupes fraîches qui y arrivaient de Dunkerque ; leur défense fut célèbre encore par cette grande sortie dont on a tant parlé, où le duc d’Enghien, suivi de ce que le hasard avait fait trouver auprès de lui d’officiers et de volontaires, arrêta, sous tout le feu de la place, l’effort de deux mille hommes qui venaient attaquer un logement sur la contrescarpe et nettoyer la tranchée. On perdit beaucoup de gens de qualité : le comte de Fleix, le comte de La Roche-Guyon et le chevalier de Fiesque y furent tués ; le duc de Nemours et plusieurs autres y furent blessés ; j’y reçus trois coups de mousquet, et je revins ensuite à Paris. Monsieur finit sa campagne par la prise de Mardic, et laissa le commandement de l’armée au duc d’Enghien, qui prit Dunkerque.
 
On commençait à se lasser de la domination du cardinal Mazarin : sa mauvaise foi, sa faiblesse et ses artifices étaient connus ; il accablait les provinces par des impôts, les villes par des taxes, et il avait réduit au désespoir les bourgeois de Paris par la suppression des rentes de l’Hôtel de Ville. Le Parlement portait impatiemment ces désordres ; il essaya d’abord d’y remédier par des remontrances à la Reine et par des voies respectueuses ; mais il se disposait à en prendre d’autres, puisque celles de la douceur étaient inutiles. Le Cardinal n’avait pas ménagé le duc d’Enghien sur la charge d’amiral vacante par la mort du duc de Brezé, son beau-frère, qui avait été tué ; le prince de Condé avait fait paraître son mécontentement, et s’était retiré à Valery. Mme de Longueville, dont j’avais alors toute la confiance, sentait aussi vivement que je le pouvais désirer la conduite du cardinal Mazarin envers le duc d’Enghien, pour les intérêts de sa maison. Ces commencements d’aigreur furent quelque temps méprisés par le Cardinal : il se fiait à ses artifices et à sa fortune, et plus encore à l’esprit de servitude de la nation. Il haïssait le Parlement, qui s’opposait aux édits par des assemblées et par des remontrances, et il attendait une occasion de l’abaisser. Il donnait cependant des espérances au duc d’Enghien pour l’adoucir ; il ménageait même un peu plus les particuliers, et, bien qu’il fût également opposé à ma fortune, je ne lui voyais pas toujours la même dureté pour moi. Il était maître absolu de l’esprit de la Reine et de Monsieur, et plus sa puissance augmentait dans le cabinet, et plus elle était odieuse dans le Royaume ; il en abusait toujours dans la prospérité, et il paraissait toujours faible et timide dans les mauvais succès. Ces défauts, joints à son manque de foi et à son avarice, le firent bientôt haïr et mépriser et disposèrent tous les corps du Royaume et la plus grande partie de la cour à désirer un changement.
 
Le duc d’Enghien, que je nommerai désormais le prince de Condé par la mort de son père, commandait l’armée de Flandres et venait de gagner la bataille de Lens. Le Cardinal. ébloui d’un si grand événement, songea moins à s’en servir contre les ennemis de l’État que contre l’État même, et, au lieu de profiter en Flandres de cette victoire, il tourna toutes ses pensées à se venger du Parlement. Il crut devoir autoriser de la présence du Roi la violence qu’il avait préméditée, et que la prospérité de ses armes retiendrait le peuple et le Parlement dans la soumission et dans la crainte. Il choisit le jour que tous les corps étaient assemblés à Notre-Dame pour assister au Te Deum ; et après que le Roi et la Reine en furent sortis, il fit arrêter le président Blancmesnil, Broussel et quelques autres, qui s’étaient opposés avec plus de chaleur aux nouveaux édits et à la misère publique. Cette entreprise du Cardinal n’eut pas le succès qu’il en attendait : le peuple prit les armes ; le Chancelier, pour éviter sa fureur, se sauva dans l’hôtel de Luynes ; on le chercha dans la maison pour le mettre en pièces, et le maréchal de la Meilleraye y alla en diligence, avec quelques compagnies du régiment des Gardes, pour le sauver. Il fut en péril lui-même ; on tendit les chaînes des rues ; on fit partout des barricades ; et le Roi et la Reine se virent investis dans le Palais-Royal, et forcés de rendre les prisonniers, que le Parlement leur envoya demander. Dans ce trouble, le coadjuteur de Paris, qui jusqu’alors n’avait point encore paru dans les affaires et qui voulait s’y donner part, prit cette occasion pour offrir son service à la Reine et pour s’entremettre d’apaiser la sédition ; mais son zèle fut mal reçu, et on fit même des railleries de son empressement.