« Œuvres de La Rochefoucauld/II. » : différence entre les versions
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▲On commençait à se lasser de la domination du cardinal Mazarin : sa mauvaise foi, sa faiblesse et ses artifices étaient connus ; il accablait les provinces par des impôts, les villes par des taxes, et il avait réduit au désespoir les bourgeois de Paris par la suppression des rentes de l’Hôtel de Ville. Le Parlement portait impatiemment ces désordres ; il essaya d’abord d’y remédier par des remontrances à la Reine et par des voies respectueuses ; mais il se disposait à en prendre d’autres, puisque celles de la douceur étaient inutiles. Le Cardinal n’avait pas ménagé le duc d’Enghien sur la charge d’amiral vacante par la mort du duc de Brezé, son beau-frère, qui avait été tué ; le prince de Condé avait fait paraître son mécontentement, et s’était retiré à Valery. Mme de Longueville, dont j’avais alors toute la confiance, sentait aussi vivement que je le pouvais désirer la conduite du cardinal Mazarin envers le duc d’Enghien, pour les intérêts de sa maison. Ces commencements d’aigreur furent quelque temps méprisés par le Cardinal : il se fiait à ses artifices et à sa fortune, et plus encore à l’esprit de servitude de la nation. Il haïssait le Parlement, qui s’opposait aux édits par des assemblées et par des remontrances, et il attendait une occasion de l’abaisser. Il donnait cependant des espérances au duc d’Enghien pour l’adoucir ; il ménageait même un peu plus les particuliers, et, bien qu’il fût également opposé à ma fortune, je ne lui voyais pas toujours la même dureté pour moi. Il était maître absolu de l’esprit de la Reine et de Monsieur, et plus sa puissance augmentait dans le cabinet, et plus elle était odieuse dans le Royaume ; il en abusait toujours dans la prospérité, et il paraissait toujours faible et timide dans les mauvais succès. Ces défauts, joints à son manque de foi et à son avarice, le firent bientôt haïr et mépriser et disposèrent tous les corps du Royaume et la plus grande partie de la cour à désirer un changement.
Le duc d’Enghien, que je nommerai désormais le prince de Condé par la mort de son père, commandait l’armée de Flandres et venait de gagner la bataille de Lens. Le Cardinal. ébloui d’un si grand événement, songea moins à s’en servir contre les ennemis de l’État que contre l’État même, et, au lieu de profiter en Flandres de cette victoire, il tourna toutes ses pensées à se venger du Parlement. Il crut devoir autoriser de la présence du Roi la violence qu’il avait préméditée, et que la prospérité de ses armes retiendrait le peuple et le Parlement dans la soumission et dans la crainte. Il choisit le jour que tous les corps étaient assemblés à Notre-Dame pour assister au Te Deum ; et après que le Roi et la Reine en furent sortis, il fit arrêter le président Blancmesnil, Broussel et quelques autres, qui s’étaient opposés avec plus de chaleur aux nouveaux édits et à la misère publique. Cette entreprise du Cardinal n’eut pas le succès qu’il en attendait : le peuple prit les armes ; le Chancelier, pour éviter sa fureur, se sauva dans l’hôtel de Luynes ; on le chercha dans la maison pour le mettre en pièces, et le maréchal de la Meilleraye y alla en diligence, avec quelques compagnies du régiment des Gardes, pour le sauver. Il fut en péril lui-même ; on tendit les chaînes des rues ; on fit partout des barricades ; et le Roi et la Reine se virent investis dans le Palais-Royal, et forcés de rendre les prisonniers, que le Parlement leur envoya demander. Dans ce trouble, le coadjuteur de Paris, qui jusqu’alors n’avait point encore paru dans les affaires et qui voulait s’y donner part, prit cette occasion pour offrir son service à la Reine et pour s’entremettre d’apaiser la sédition ; mais son zèle fut mal reçu, et on fit même des railleries de son empressement.
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