« Les Frères Karamazov (trad. Henri Mongault)/II/07 » : différence entre les versions

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récite une prière, sache, mon fils (le starets aimait à l’appeler ainsi), qu’à l’avenir ta place ne sera pas ici. Rappelle-toi cela, jeune homme. Dès que Dieu m’aura jugé digne de paraître devant lui, quitte le monastère. Pars tout à fait. »
 
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« Qu’as-tu de nouveau ? sourit doucement le starets. Que les mondains pleurent leurs morts ; ici nous nous réjouissons quand un Père agonise. Nous nous réjouissons et nous prions pour lui. Laisse-moi. Je dois prier. Va et dépêche-toi. Demeure auprès de tes frères, et non pas seulement auprès de l’un, mais de tous les deux. »
 
Le starets leva la main pour le bénir. Bien qu’il eût grande envie de rester, Aliocha n’osa faire aucune objection, ni demander ce que signifiait ce prosternement devant son frère Dmitri. Il savait que s’il l’avait pu, le starets le lui eût expliqué de lui-même ; s’il se taisait, c’est qu’il ne voulait rien dire. Or, ce salut jusqu’à terre avait stupéfié Aliocha ; il y voyait un sens mystérieux. Mystérieux et peut-être terrible. Une fois hors de l’enceinte de l’ermitage, son cœur se serra et il dut s’arrêter : il lui semblait entendre de nouveau les paroles du starets prédisant sa fin prochaine. Ce qu’avait prédit le starets avec une telle exactitude devait certainement s’accomplir, Aliocha le croyait aveuglément. Mais comment demeurerait-il sans lui, sans le voir ni l’entendre ? Et où irait-il ? On lui ordonnait de ne pas pleurer et de quitter le monastère. Seigneur ! Depuis longtemps Aliocha n’avait ressenti une pareille angoisse. Il traversa rapidement le bois qui séparait l’ermitage du monastère et, incapable de supporter les pensées qui l’accablaient, il se mit à contempler les pins séculaires qui bordaient le sentier. Le trajet n’était pas long, cinq cents pas au plus ; on ne pouvait rencontrer personne à
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cette heure, mais au premier tournant il aperçut Rakitine. Celui-ci attendait quelqu’un.
 
« Serait-ce moi que tu attends ? demanda Aliocha quand il l’eut rejoint.
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Aliocha resta comme cloué sur place, Rakitine s’arrêta également.
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« Lequel ? Comme si tu ne savais pas ! Je parie que tu y as déjà pensé. À propos, c’est curieux ; écoute, Aliocha, tu dis toujours la vérité bien que tu t’assoies toujours entre deux chaises ; y as-tu pensé ou non ? réponds.
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— Tu te trompes au sujet de cette femme. Dmitri la… méprise, proféra Aliocha frémissant.
 
— Grouchegnka<ref>Diminutif très familier d’Agraféna (Agrippine).</ref>? Non, mon cher, il ne la méprise pas. Puisqu’il a abandonné publiquement sa fiancée pour elle,
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c’est donc qu’il ne la méprise pas. Il y a là, mon cher, quelque chose que tu ne comprends pas encore. Qu’un homme s’éprenne du corps d’une femme, même seulement d’une partie de ce corps (un voluptueux me comprendrait tout de suite), il livrera pour elle ses propres enfants, il vendra son père, sa mère et sa patrie ; honnête, il ira voler ; doux, il assassinera ; fidèle, il trahira. Le chantre des pieds féminins, Pouchkine, les a célébrés en vers ; d’autres ne les chantent pas, mais ne peuvent les regarder de sang-froid. Mais il n’y a pas que les pieds… En pareil cas, le mépris est impuissant. Ton frère méprise Grouchegnka, mais il ne peut s’en détacher.
 
— Je comprends cela, lança soudain Aliocha.
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— Tu lui diras que je n’irai pas, jure-le-moi, dit Aliocha avec un sourire contraint. Achève ton propos, Micha, je te dirai ensuite mon idée.
 
— À quoi bon achever, c’est bien clair ! Vieille chanson que tout cela, mon cher ; si tu as un tempérament sensuel, que sera-ce de ton frère Ivan, fils de la même mère ? Car lui aussi est un Karamazov. Or, tous les Karamazov sont de nature sensuels, âpres au gain et déments ! Ton frère Ivan s’amuse maintenant à écrire des articles de théologie, calcul stupide, puisqu’il est athée, et il avoue cette bassesse. En outre, il est en train de conquérir la fiancée de son frère Mitia et paraît près du but. Comment cela ? Avec le consentement de Mitia lui-même, parce que celui-ci lui cède sa fiancée à seule fin de se débarrasser d’elle pour rejoindre Grouchegnka. Et tout cela,
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note-le, nonobstant sa noblesse et son désintéressement. Ces individus-là sont les plus fatals. Allez-vous y reconnaître après cela : tout en ayant conscience de sa bassesse, il se conduit bassement ! Mais écoute la suite : un vieillard barre la route à Mitia, son propre père. Car celui-ci est follement épris de Grouchegnka, l’eau lui vient à la bouche rien qu’à la regarder. C’est uniquement à cause d’elle, parce que Mioussov avait osé la traiter de créature dépravée, qu’il vient de faire tout ce scandale. Il est plus amoureux qu’un chat. Auparavant, elle était seulement à son service pour certaines affaires louches ; maintenant, après l’avoir bien examinée, il s’est aperçu qu’elle lui plaisait, il s’acharne après elle et lui fait des propositions, déshonnêtes s’entend. Eh bien, c’est ici que le père et le fils se heurtent. Mais Grouchegnka se réserve, elle hésite encore et taquine les deux, examine lequel est le plus avantageux, car si on peut soutirer beaucoup d’argent au père, en revanche, il n’épousera pas et finira peut-être par fermer sa bourse, tandis que ce gueux de Mitia peut lui offrir sa main. Oui, il en est capable ! Il abandonnera sa fiancée, une beauté incomparable, Catherine Ivanovna riche, noble et fille de colonel, pour se marier avec Grouchegnka, naguère entretenue par Samsonov, un vieux marchand, moujik dépravé et maire de la ville. De tout ceci, il peut vraiment résulter un conflit et un crime. C’est ce qu’attend ton frère Ivan ; il fait ainsi coup double : il prend possession de Catherine Ivanovna, pour laquelle il se consume, et empoche une dot de soixante mille roubles. Pour un pauvre hère comme lui, ce n’est pas à dédaigner. Et remarque bien ! Non seulement, ce faisant, il n’offensera pas Mitia, mais celui-ci lui en saura gré jusqu’à sa mort. Car je sais de bonne source que la semaine dernière Mitia, se trouvant ivre dans un restaurant avec des tziganes, s’est écrié qu’il était indigne de Katineka<ref>Diminutif très familier de Iékatérina (Catherine).</ref>, sa fiancée, mais que son frère Ivan en était digne. Catherine Ivanovna elle-même finira par ne pas repousser un charmeur comme Ivan Fiodorovitch ; elle hésite déjà entre eux. Mais par quoi diantre cet Ivan a-t-il pu vous séduire, pour que vous soyez tous en extase devant lui ? Il se rit de vous. « Je suis aux anges, prétend-il, et je festoie à vos dépens. »
 
— D’où sais-tu tout cela ? Pourquoi parles-tu avec une telle assurance ? demanda soudain Aliocha en fronçant le sourcil.
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— Et pourquoi m’interroges-tu tout en craignant à l’avance ma réponse ? Cela signifie que tu reconnais que j’ai dit la vérité.
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« Eh bien, en voilà assez ! fit-il avec un sourire encore plus contraint. Pourquoi ris-tu ? Tu penses que je suis un pied plat ?
 
— Non, je n’y songeais même pas. Tu es intelligent, mais… Laissons cela, j’ai souri par bêtise. Je comprends que tu t’échauffes, Micha. J’ai deviné à ton emballement que Catherine Ivanovna te plaisait. D’ailleurs, il y a longtemps que je
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m’en doutais. Voilà pourquoi tu n’aimes pas Ivan. Tu es jaloux de lui ?
 
— Et aussi de son argent, à elle ? Va jusqu’au bout.
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— Ah ! oui, j’oubliais, c’est ta parente.
 
— Ma parente ? Cette Grouchegnka serait ma parente ?
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s’écria Rakitine tout rouge. As-tu perdu l’esprit ? Tu as le cerveau dérangé.
 
— Comment ? Ce n’est pas ta parente ? Je l’ai entendu dire.