« L’Illustre Piégelé » : différence entre les versions

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{{PersonnageD|L’homme|c|même jeu}}
Ta gueule, que je te dis !… C’est bon !…
({{di|Hauthaut}})
… sans compter not’propriétaire qui menace de nous mettre à la porte. Vous voyez, Mesdames et Messieurs.
({{di|Il attache sur la femme le regard chargé de haine d’un homme injustement outragé et que les circonstances mettent dans l’impossibilité de venger son honneur flétri}})
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{{Personnage|La femme|c}}
Mi, mi, mi ! ({{di|Basbas.}}) Gueule d’empeigne.
 
{{PersonnageD|L’homme|c|bas}}
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Planche à repasser ! Non, mais regardez-moi un peu ça. Mince d’épaisseur !
 
({{di|S’accordants’accordant :}}) Do, mi, sol.
 
({{di|Basbas.}}) Sole, Sole.
 
{{PersonnageD|La femme|c|furieuse}}
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{{TextQuality|75%}}<div class="text" >
==LE PRINCIPAL TEMOINTÉMOIN.==
{{di|Tragédie en vers mêlée de prose.}}
 
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{{di|Comme horizon : une ceinture d’immobiles futaies qu’a dorées l’automne de tons de rouille.
Comme plafond : un lourd ciel pommelé où rampent des chaos de montagnes aux crêtes argentées de blanc pur.
AÀ une centaine de pas l’un de l’autre, affectant de ne se pas voir, deux messieurs aux visages graves arpentent fiévreusement le terrain. Ils sont vêtus de noir des pieds à la tête, et, des collets dressés de leurs redingotes, ils dissimulent leurs faux-cols dont la blancheur risquerait de s’offrir, comme une cible au visé de l’adversaire.
AÀ égaieégale distance de chacun d’eux : le groupe des témoins. Le directeur du combat — un grand monsieur à longue barbe, de qui les mouvements de tête balancent la colonne lumineuse d’un irréprochable chapeau de soie — bourre méthodiquement un pistolet en tenant à ses assesseurs des discours fort intéressants sans, doute, mais qui s’évaporent dans le vent et dont les deux adversaires tâcheraient en vain de pénétrer le sens.}}
 
{{Personnage|Le combattant grenouillotGrenouillot.}}
 
{{di|qui cause tout seul, en attendant le moment de passer à de plus périlleux exercices.}}
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{{di|Longue et mélancolique rêverie}}
 
Échanger six balles !… AÀ vingt pas ! ! !
 
{{di|Brusque agacement.}}
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{{di|Et le fait est qu’il n’en finit pas, ce témoin. Terriblement lent au gré du combattant Grenouillot, lequel, les nerfs sous pression, donnerait gros pour que l’honneur fût enfin proclamé satisfait, il s’obstine, depuis dix minutes, à bourrer, d’une même baguette, le canon d’un même pistolet. Pourquoi ? On n’en sait rien.}}
 
{{Personnage|Le combattant grenouillotGrenouillot.}}
 
C’est exaspérant !
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Soudain :}}
 
{{Personnage|Le combattant grenouillotGrenouillot.}}
 
{{di|en proie au déchaînement des tardifs repentirs :}}
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{{di|Cependant, à vingt pas de là, le principal témoin bourre toujours son même pistolet, en sorte que c’est vraiment à en devenir enragé. De temps en temps seulement, le poing droit immobilisé sur le canon de l’arme où la baguette demeure plongée, il interrompt l’allée et venue automatique de sa dextre pour questionner les autres témoins, tournant tour à tour vers chacun de ces messieurs son visage ruisselant du désir de convaincre ; puis, visiblement satisfait d’avoir en effet convaincu, il reprend le cours de son petit exercice.}}
 
{{Personnage|Le combattant grenouillotGrenouillot.}}
 
{{di|les dents serrées sur des fureurs qui se contiennent :}}
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{{di|Nouveau temps. Le principal témoin continue à bourrer son arme.}}
 
{{Personnage|Le combattant grenouillotGrenouillot.}}
 
{{di|qui reprend le fil de son discours.}}
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— Tenez le guidon sans raideur ; veillez bien à ce que vos pieds ne quittent jamais la pédale, et allez carrément de l’avant !… De la confiance !… Toute l’affaire est là ! — Allez ! Je vous tiens.
Ainsi me parlait dans le dos l’auteur charmant du Mari Pacifique, mon ami Tristan Bernard, maître en l’art d’écrire le français et agrégé de vélocipède, si j’ose m’exprimer ainsi. En même temps, joignant le geste à la parole, il avait, de sa dextre robuste, empoigné, au ras de mon fond de culotte, la selle de la bicyclette, théâtre de mes premiers essais, et il en maintenait le fragile équilibre.
 
— Je vous tiens, répétait-il ; allez !… Nom d’un pétard ! ne lâchez donc pas la pédale !… Ne lâchez donc pas la pédale !… Mais ne lâchez donc pas la pédale !…
 
— C’est à elle que vous devriez dire de ne pas me lâcher, répondis-je un peu agacé, inquiet, aussi,
flairant la minute — prochaine — qui allait me voir couché, les quatre fers en l’air, dans les poussières du chemin.
 
Et le fait est qu’elle semblait le faire exprès, la pédale, tant était manifeste son obstination à se dérober à ma semelle pour tourbillonner ensuite dans le vide, avec la rotation précipitée d’une bobine qui se déroule. Mais, aveuglé par la passion, Tristan Bernard ne voulait rien entendre. Il apportait dans les débats une e partialité révoltante, disant que j’étais dans mon tort, que je me servais de mes pieds comme un cochon de sa queue, et que tout cela, ça venait de ce que j’avais la vesse.
 
La vesse…
 
Rouge d’humiliation, je résolus d’infliger sans retard le plus éclatant démenti à cette assertion mensongère, et, ayant roidi mes mollets dont la tension élargit, aussitôt les mailles de mes bas de laine à côtes, je mis ma bicyclette en mouvement.
La machine fit trois tours de roues.
 
Derrière moi :
 
—Très bien ! Vous y êtes ! fit l’invisible Tristan Bernard.
 
Puis, comme il répétait encore une fois : « Je vous tiens ! " ajoutant:« Vous ne tomberez pas ; c’est impossible ! »
 
— Oui, déclarai-je avec humilité bien feinte du monsieur qui a craint de mourir et qui sent se développer en soi d’héroïques témérités à mesure que son cœur se rouvre à l’espérance, je crois que ça ira tout de même.
 
Et, en somme, mon Dieu, ça allait. Ça allait mal, mais ça allait. Ma roue de devant se conduisait bien un peu à la manière d’une femme saoule, hésitante de la route à suivre, opérant de brusques conversions tantôt à droite, tantôt à gauche, qui m’eussent inévitablement précipité à bas de ma selle, n’eût été la main tutélaire de l’excellent Tristan Bernard; n’importe ! la conscience où j’étais des progrès, déjà accomplis décuplait mon énergie, et ma confiance puisait des forces toujours nouvelles en ma certitude désormais absolue de ne plus courir aucun péril.
 
De temps en temps, avide d’être encouragé, de recueillir de justes éloges :
 
— Ça va, hein ? demandais-je à Bernard toujours arc-bouté sur ma selle.
 
Lui, immédiatement :
 
—Très bien ! Vous avez des dispositions.
 
— Sans blague ?
 
— Ma parole d’honneur.
 
— Tristan Bernard, vous vous moquez !
 
Alors, comme Alceste à Philanthe :
 
— Je ne moque point ! assurait-il. Que ma figure se couvre de pustules, si vous n’allez seul dans deux jours !
 
Ces paroles me donnaient de l’espoir.
 
Cependant, il arrivait cette chose extraordinaire que plus je gagnais en vitesse, plus la voix de Tristan Bernard perdait en sonorité !… Il semblait qu’elle s’évaporât !… à croire que la mince couche d’air interposée entre moi et mon interlocuteur s’élargissait petit à petit, comme un soumet d’accordéon, et je me réjouissais in petto mille fois plus que je ne saurais dire, car je ne doutais point que l’auteur du Mari Pacifique s’époumonât à courir sur mes traces, préposé qu’il était au maintien et à la sauvegarde de mon centre de gravité.
 
L’homme est naturellement bon ; il aime à faire payer les services qu’on lui rend. L’idée que mon obligeant ami pouvait payer ses bons offices d’un commencement d’apoplexie n’avait rien qui me déplût ; loin de là ! En sorte que, me représentant par la pensée ses yeux injectés d’épuisement et son épaisse barbe brune ruisselante d’une humidité de mauvais aloi, je sentais pousser à mes pieds les ailes du divin Mercure, et que ma bicyclette, à cette heure, filait sur ses pneus, comme le vent.
 
Quelques minutes s’écoulèrent. Soudain :
 
— Vous avez chaud, mon vieux ? demandai-je à Tristan Bernard, d’une voix doucement ironique.
 
L’interpellé ne répondit pas.
 
— Plus un mot ! pensai-je, pouffant de rire ; il ne peut plus placer un mot !…
 
Puis, haut :
 
— Ne vous gênez pas pour moi. Voulez-vous vous reposer un peu ?
 
Silence.
 
Ça devenait surprenant.
 
— Vous m’entendez, Tristan Bernard ? Rien encore.
 
Du coup, l’inquiétude me prit. Que signifiait un tel mutisme ? Les pieds rivés à la pédale, les doigts crispés sur le guidon, je. jetai un coup d’œil derrière moi… Miséricorde ! J’étais seul ! ! ! A droite, à gauche, à perte de vue, fuyait l’immense tapis des champs, hérissés de bluets et de coquelicots, tandis que là-bas, tout là-bas, silhouette que détachait en noir d’ombre chinoise le fond clair de l’horizon, Tristan Bernard, assis sur la crête d’un talus, me faisait signe de continuer.
 
Quoi donc !… je tenais sur ma machine sans le concours de qui que ce soit ?… Depuis peut-être cinq
Quoi donc !… je tenais sur ma machine sans le concours de qui que ce soit ?… Depuis peut-être cinq minutes, je devais à mes seuls talents de fouler le sol poudreux de la route ?… Ah ! ça ne traîna pas, je vous le jure ! Le sursaut des charmes rompus me frappa, à l’instant même, d’un coup de pied dans l’estomac. Je culbutai. Ma bicyclette tomba sur le flanc comme une masse, et je tombai, moi, sur la figure, empourprant du sang de mon nez les mille arêtes d’un tas de cailloux que la main de la Providence toujours généreuse en ses vues, avait mis là, fort a propos, pour me recevoir.</div>
 
 
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====I.====
{{di|Marthe Passoire à O. Courbouillou, député de Sarthe-et-Loiret.}}
{{di|Paris, 10 mars.}}
 
Monsieur le Député,
 
Pardonnez à une pauvre désespérée la liberté qu’elle prend de venir vous importuner au milieu de vos nombreux travaux. Pour que j’ose en user aussi indiscrètement avec un homme que ses mérites signalent au respect public depuis déjà tant d’années, il faut que j’y sois poussée par l’immensité du malheur qui me frappe, le plus grand, peut-être, qui ait jamais accablé une femme !… J’ajoute que Mme de T…, votre amie, Monsieur, et la mienne, m’a vivement engagée à m’adresser à vous, m’assurant que votre bonté est sans limites, votre complaisance sans bornes, et que vous vous ferez une fête de tendre à ma détresse une main secourable.
 
Veuille le ciel qu’elle ait dit vrai !
 
Monsieur le Député, je vais tout vous dire. C’est par la sincérité seule que je réussirai, je l’espère, à trouver le chemin de votre cœur. J’ai commis une faute, Monsieur le Député, une faute grave, si grave, tellement grave, qu’à la pensée d’en faire l’aveu, je sens, le rouge me monter au front. J’ai été… — mon Dieu, quelle humiliation ! —…en un mot, j’ai été surprise en flagrant délit de ce que vous savez, avec. mon neveu le petit collégien, un gamin de dix-sept ans et demi !…
 
Vous allez dire : « Mais c’est honteux ! " »
 
Je le sais, Monsieur le Député, et si je pouvais racheter mes torts d’une pinte de mon sang ou d’une livré de ma chair !…
 
Pourtant, vous ne sauriez me condamner sans m’entendre.
 
Il faut être juste, n’est-ce pas ? Il faut savoir faire la part des fatalités de la vie.
 
Oui, c’est honteux ! Oui, vous avez raison ! Oui, je suis la plus vile des femmes ! Mais le repentir efface tout, et puis, je ne dois pas vous le taire davantage, je n’ai péché que par imprudence. Oh ! pour ce qui est de ça, je puis vous le jurer sur ce que j’ai de plus sacré au monde:si je me suis rendue au rendez-vous de l’Hôtel Terminus, si j’ai accepté l’entrevue d’où je. devais revenir déshonorée, hélas ! flétrie, souillée à tout jamais, je l’ai fait dans un but excellent. Je voulais sermonner ce bambin, qui me persécutait de lettres et de pièces de vers extravagantes ; j’espérais le mettre à la raison, grâce à quelques paroles sévères. Malheureusement, les choses ont mal tourné. Seul avec moi, mon galopin a commencé à faire le fou, criant, pleurant, se frappant la tête contre le mur, jurant que j’étais toute sa vie, toute son âme et toute sa pensée, et me menaçant, si je ne cédais, de se brûler la cervelle à mes pieds. A la fin, j’ai perdu la tête… je ne sais plus ce qui s’est passé !… Bref, mon mari (qui, sans doute, avait eu vent de quelque chose) est survenu, accompagné du commissaire de police. Procès-verbal a été dressé, et j’ai été condamnée, hier, à un mois d’emprisonnement pour détournement de mineur. Un mois de prison, oh ! mon Dieu !… Etre enfermée pendant un mois à Saint-Lazare, avec les voleuses et les prostituées !… Jamais ! Oh ! cela, non, jamais !… Tout ce qu’on voudra, mais pas cela !… Plutôt cent fois, plutôt mille fois la mort !
 
Monsieur le Député, je n’ai plus d’espoir qu’en vous. Mme de T… à laquelle je me suis confessée, me dit que vous êtes l’ami intime du ministre de la justice et qu’il vous suffirait de lui glisser un mot pour me faire obtenir la remise de ma peine à la commission des grâces. Ce mot. Monsieur, vous le direz, car vous voudrez, j’en suis sûre, m’empêcher de faire un malheur !… Ai-je besoin d’ajouter que toute une vie de gratitude, d’abnégation et de dévouement, ne suffira pas à payer un si éclatant service ?
Dans la conviction où je suis que vous entendrez ma prière, que je n’aurai pas frappée en vain à la porte du plus noble et du plus généreux des hommes, je vous prie d’agréer, Monsieur le Député, l’expression du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être
 
Votre très humble, très obéissante et bien affligée servante,
 
MARTHE PASSOIRE.
 
P. S. — Le petit collégien a été embarqué à bord de la Belle-Junon.
 
====II.====
{{di|O. Courbouillon à Marthe Passoire}}
{{di|11 mars.}}
 
Madame, en réponse à votre lettre, je m’empresse de vous informer que je reçois tous les matins, de dix heures et demie à midi, et que je serai heureux de causer un instant avec vous.
Recevez, Madame, mes salutations.
 
O. COURBOUILLON.
 
====III.====
{{di|Marthe Passoire à O. Courbouillon}}
{{di|17 mars }}

Monsieur et très cher ami,
 
Depuis que vous avez bien voulu m’accorder une audience, cinq jours se sont écoulés, cinq mortels jours, qui m’ont paru plus interminables que des siècles, et au cours desquels j’ai cru pouvoir me permettre de vous écrire quatre fois.
 
Mes lettres sont demeurées sans réponse.
 
Ne sachant que penser ; cherchant, sans la trouver, l’explication d’un silence aussi prolongé que mystérieux, je me demande avec terreur ce que j’en dois augurer pour mon recours en grâce !… Auriez-vous recueilli sur mon compte des renseignements défavorables ? En ce cas, je n’aurais plus qu’à me détruire, car jamais une femme sans défense, abandonnée de tout et de tous, ne se serait plus injustement butée à l’iniquité d’ennemis acharnés à vouloir sa ruine !… Heureusement, Monsieur et très cher ami, mon passé répond pour moi. Il est pur de toute souillure ; ça, je peux vous le jurer sur la tombe de mon père ! (Je ne parle pas de l’affaire du petit collégien; plus j’y pense, plus je suis convaincue que j’ai agi sous le coup d’un accès de folie.)
 
Alors, quoi ?
 
Pourquoi ce silence ? Aurais-je fait sur vous une mauvaise impression ? Votre accueil si bienveillant, vos compliments si flatteurs, les paroles de consolation et d’espérance, si douces à mon inquiétude, que vous m’avez prodiguées, m’autorisent à n’en rien croire. Est-ce parce qu’à un moment je vous ai dit : « Otez vos mains, ne faites pas l’enfant, soyez sage ! " Si c’est pour ça, si c’est parce que je vous ai parlé d’une façon aussi impolie, eh bien, je vous en fais mes excuses. Je ne savais pas ce que vous vouliez ; puis, je vous l’avoue, j’ai eu peur !… Vous aviez l’air d’un gros lion.
 
Par pitié, Monsieur et très cher ami, mettez un terme à mon supplice, en me faisant savoir si, comme vous deviez le faire, vous avez parlé pour mei à M. le garde des sceaux, et si, dans tous les cas, je puis toujours compter sur votre précieuse protection. Moi, c’est bien simple, je ne sais pas comment je vis ! Je ne mange plus ; je ne dors plus ; on ne sonne plus à ma porte que je ne saute au plafond.. ! Je crois toujours que c’est les gendarmes ! J’ai les nerfs dans un état ! ! !…
 
Votre dévouée et bien à plaindre,
 
MARTHE PASSOIRE
 
====IV.====
{{di|O. Courbouillon à Marthe Passoire}}
{{di|17 mars.}}
17 mars. Chère Madame, Vous êtes une enfant, de vous désoler ainsi. Un mois de prison, qu’est-ce que c’est, comparé à l’éternité ? Tout cela, d’ailleurs, peut s’arranger ; seulement, je vous en préviens, ça dépend de vous. Passez donc chez moi demain matin, autant que possible vers neuf heures. Nous causerons, touchant votre affaire.
 
Chère Madame,
 
17 mars. Chère Madame, Vous êtes une enfant, de vous désoler ainsi. Un mois de prison, qu’est-ce que c’est, comparé à l’éternité ? Tout cela, d’ailleurs, peut s’arranger ; seulement, je vous en préviens, ça dépend de vous. Passez donc chez moi demain matin, autant que possible vers neuf heures. Nous causerons, touchant votre affaire.
 
Votre tout dévoué,
 
O. COURBOUILLON.
 
====V.====
{{di|O. Courbouillon à Marthe Passoire}}
{{di|10 mars.}}
 
Je quitte le ministre. C’est fait.
 
Je n’ai pu obtenir que la commutation de la peine, au lieu de la remise pleine et entière : la condamnation de prison à un mois est remplacée par une amende de 2000 francs. Comme vous êtes mariés sous le régime de la communauté, c’est ton mari qui la paiera.
 
Ma bouche sur le bec à Coco.
 
O.
 
====VI.====
{{di|Marthe Passoire à O. Courbouillon}}
{{di|20 mars.}}
 
Ô mon Coco !… Ô mon Coco !… Alors, c’est vrai, hein ? c’est vrai, dis ? On ne me mettra pas en prison ?… Ô jour de joie ! jour d’ivresse !… Depuis ma première communion, je n’ai jamais été si heureuse !… — Et puis, tu sais, pour un député, tu es joliment polisson !…
 
MARTHE.
 
P. S. — Est-ce que tu es aussi l’ami du ministre de la marine ? En ce cas, tu serais bien mignon de lui glisser un mot à l’oreille pour qu’il fasse revenir mon petit neveu. M. </div>
 
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Équilibre sur ses béquilles, sa jambe coupée, que prolonge la culotte posée au coussinet de la jambe de bois en angle de 45 degrés, le tortillard se rend à ses occupations par la rue de La Rochefoucauld.
 
C’est en effet un tortillard très bien, comme vous et moi autant dire, qui— n’implore pas la charité publique sous des auvents de portes-cochères, mais qui a, au contraire, de la fierté plein le cœur et conquiert noblement son pain. — Il a une belle main, s’il a une foutue jambe, en sorte que Me Lebourru, huissier près le tribunal de première instance à Paris, lui fait faire des écritures à raison de vingt centimes la page.
 
Quatre francs par jour, environ.
 
Vous me direz :
 
— Ce n’est pas le Pérou.
 
Ce n’est pas le Pérou, bien entendu. Mais outre que MM. les bancroches sont réputés pour l’excellence de leurs mœurs (par opposition à MM. les bossus qui sont des personnes débauchées), le tortillard dont il s’agit a reçu du ciel un cœur pur, un fonds de philosophie sereine et le goût de la médiocrité. Comme l’étude Lebourru est chauffée de novembre à mars, qu’il peut deux ou trois fois par jour aller fumer aux cabinets, que ses collègues, avides de ne point l’humilier, feignent de ne pas remarquer sa jambe et lui témoignent beaucoup de considération, il serait un tortillard heureux, sans un cheveu, qu’il a dans sa vie.
 
Car ce pauvre homme a un ennemi : un chien de boucher de la rue Pigalle, qui, ne pouvant le voir en peinture à cause de son infirmité, le lui fait cruellement sentir.
Tous les matins c’est la même comédie : le derrière d’ans la sciure de bois, du seuil de sa boucherie qu’il garde, le chien espionne à l’horizon l’apparition du boiteux. Et dès que point, en les éloignements de la rue, la silhouette bizarrement balancée de ce dernier, l’exaspération s’empare de lui, la rage écumante et farouche d’une Pythie en mal d’oracle. Il s’élance, il traverse la rue comme un obus, et ayant joint celui qu’il hait, tour à tour il le suit, le flanque, le précède, avec des aboiements furieux qui insulte la jambe de bois, lui reprochent d’être en bois et dès lors criminelle, et en signalent l’infamie à la vindicte publique :
 
et en signalent l’infamie à la vindicte publique :
— Tortillard ! Sale tortillard !… Tu me dégoûtes avec ta saleté de guibolle !… Ouah ! ouah !… Il a une quille en bois !… Si ce n’est pas une abomination de promener une quille pareille ! Tortillard ! Sale tortillard !
 
Cependant, les lèvres pincées :
 
— Ah ! pense en soi le pauvre tortillard. Comme tu aurais un coup de ma béquille par le nez, si je n’avais pas peur, vilaine bête, de me flanquer les quatre fers en l’air !
 
Oui, mais voilà ; il se les flanquerait en l’air, les quatre fers, inévitablement ; et le chien, qui n’en ignore pas, abuse de la circonstance. A la grande joie des gamins qui lui donnent bruyamment raison, il redouble de malédictions, saute, danse, rebondit, injurie, vocifère, tandis que l’impuissant tortillard, rouge de honte, se hâte vers l’étude Lebourru, — pareil, entre ses deux béquilles, au battant agité d’une cloche, son derrière démantibulé tendu sous le pan de sa redingote comme un paquet qui lui pendrait des épaules.
 
Or le tortillard, ce jour-là, a eu une idée lumineuse : partir plutôt qu’à l’ordinaire et passer par la rue de La Rochefoucauld.
 
C’est un détour de deux minutes (autant de pris sur les douces paresses matinales goûtées en les tiédeurs du lit) ; mais le mal n’est pas considérable, compensé et au-delà, d’ailleurs, par la joie que goûte l’employé à jouer au méchant chien, son ennemi, un tour.
 
La bonne farce ! Il s’en réjouit, se louant, d’en avoir eu l’idée, s’étonnant de ne l’avoir pas eue un peu plus tôt.
 
Par la pensée il remercie le ciel qui l’a créé, ingénieux ; l’évocation lui met un rire sous la moustache, du chien qui l’attend côté cour, cependant que lui, pas bête, s’échappe par le côté jardin. Soudain, à son oreille : — Tortillard ! fait une voix. Il se retourne, éperdu.
 
Sur le seuil de sa pâtisserie qu’illumine le soleil radieux de la matinée, une belle pâtissière ricane du tortillard et s’égaye aux dépens de sa jambe. Il la dégoûte, elle aussi, avec sa saleté de guibolle ; et si, précisément, elle ne le lui aboie pas, elle le lui hurle aux yeux, de ces yeux où les femmes, si bien, savent mettre le coup de couteau de leur écrasante pitié. Et le triste tortillard, déserté de toute espérance, se demande avec anxiété par quelle rue il gagnera désormais son étude, puisque l’implacable providence semble se faire un jeu de le vouer à la férocité de bêtes malfaisantes, qui sont tantôt les chiens de bouchers, et tantôt les belles personnes. </div>