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Savoie, de Chiavari, de Parme, qui, pauvres et dénués, poussaient vers la France ces petits émigrans. Cela s’était fait de tout temps, et l’histoire de Fanchon la Vielleuse est du siècle dernier. Ils venaient chez nous, ils faisaient le pénible métier de ramoneurs, jouaient de la vielle, montraient « la marmotte en vie, » dansaient une informe bourrée, et chantaient ''Dica, Zanetta'', ou la ''Catarina''. Aujourd’hui le lieu de recrutement est en grande partie déplacé. L’expédition menée en 1860 par Garibaldi a eu pour résultat de faire entrer le royaume des Deux-Siciles dans les habitudes des peuples civilisés. Autrefois, du temps des Bourbons, comme il était admis que tout individu qui demandait un passeport pour l’étranger ne pouvait être qu’un jacobin, on ne délivrait guère de permis de voyage. Il n’en est plus ainsi, et chacun peut circuler à sa guise. Les habitans des provinces méridionales ont bien vite profité de ce droit nouveau pour se débarrasser de leurs enfans et pour les répandre sur le monde entier. C’est la Basilicate qui fournit les neuf dixièmes de ces petits malheureux<ref> La majeure partie de ces pauvres virtuoses viennent de Marsicovetere, Corleto, Laurenzano, Calvetto, Piccinisco, Viggiano. »</ref>. C’est une sorte de commerce monstrueux dont ceux qui s’en rendent coupables ne comprennent probablement pas l’immoralité ; les choses se passent régulièrement et le plus souvent par-devant notaire ; c’est la traite des blancs. Un entrepreneur parcourt les villages, recueille les enfans qu’on veut bien lui remettre et les prend à bail, ordinairement pour trois ans. Tout ce que ces enfans gagneront, n’importe où, pendant ce laps de temps, lui appartient, et en échange il donne à la famille une somme définitive ou une somme annuelle. On signe des actes en forme, stipulant dédit en cas de non-exécution des clauses du traité. J’ai plusieurs de ces contrats sous les yeux. Il est impossible d’y mettre plus de naïveté et de bonne foi. Un père loue son fils comme il louerait un champ. L’enfant est un capital dont le produit appartient légitimement au père. C’est là le principe ; il est fort simple, comme on voit. Très immoral chez nous et absolument contraire à nos usages, il n’a rien qui choque les populations de la Basilicate, pour lesquelles il devient une ressource parfois fructueuse. Les entrepreneurs se croient si bien dans leur droit que souvent, à l’étranger et notamment à Paris, ils ont eu recours à leurs consuls pour faire respecter la lettre de sous-seing par les exploités lorsque ceux-ci s’y montraient récalcitrans.
Savoie, de Chiavari, de Parme, qui, pauvres et dénués, poussaient
vers la France ces petits émigrans. Cela s’était fait de tout temps,
et l’histoire de Fanchon la Vielleuse est du siècle dernier. Ils venaient chez nous, ils faisaient le pénible métier de ramoneurs,
jouaient de la vielle, montraient «la marmotte en vie, » dansaient
une informe bourrée, et chantaient ''Dica, Zanetta'', ou la ''Catarina''.
Aujourd’hui le lieu de recrutement est en grande partie déplacé.
L’expédition menée en 1860 par Garibaldi a eu pour résultat de
faire entrer le royaume des Deux-Siciles dans les habitudes des
peuples civilisés. Autrefois, du temps des Bourbons, comme il était
admis que tout individu qui demandait un passeport pour l’étranger ne pouvait être qu’un jacobin, on ne délivrait guère de permis
de voyage. Il n’en est plus ainsi, et chacun peut circuler à sa guise.
Les habitans des provinces méridionales ont bien vite profité de ce
droit nouveau pour se débarrasser de leurs enfans et pour les répandre sur le monde entier. C’est la Basilicate qui fournit les neuf
dixièmes de ces petits malheureux <ref> La majeure partie de ces pauvres virtuoses viennent de Marsicovetere, Corleto, Laurenzano, Calvetto, Piccinisco, Viggiano. » </ref>. C’est une sorte de commerce
monstrueux dont ceux qui s’en rendent coupables ne comprennent
probablement pas l’immoralité; les choses se passent régulièrement
et le plus souvent par-devant notaire; c’est la traite des blancs. Un
entrepreneur parcourt les villages, recueille les enfans qu’on veut
bien lui remettre et les prend à bail, ordinairement pour trois ans.
Tout ce que ces enfans gagneront, n’importe où, pendant ce laps
de temps, lui appartient, et en échange il donne à la famille une
somme définitive ou une somme annuelle. On signe des actes en
forme, stipulant dédit en cas de non-exécution des clauses du
traité. J’ai plusieurs de ces contrats sous les yeux. Il est impossible
d’y mettre plus de naïveté et de bonne foi. Un père loue son fils
comme il louerait un champ. L’enfant est un capital dont le produit appartient légitimement au père. C’est là le principe; il est fort
simple, comme on voit. Très immoral chez nous et absolument
contraire à nos usages, il n’a rien qui choque les populations de la
Basilicate, pour lesquelles il devient une ressource parfois fructueuse. Les entrepreneurs se croient si bien dans leur droit que souvent, à l’étranger et notamment à Paris, ils ont eu recours à leurs
consuls pour faire respecter la lettre de sous-seing par les exploités
lorsque ceux-ci s’y montraient récalcitrans.


Cette industrie a ses commis voyageurs, ses recruteurs, ses placiers. Les uns vont chercher les enfans, et les conduisent à Paris
Cette industrie a ses commis voyageurs, ses recruteurs, ses placiers. Les uns vont chercher les enfans, et les conduisent à Paris entre les mains d’un patron qui les attend et les paie tant par tête ;
entre les mains d’un patron qui les attend et les paie tant par tête ;