« Lettres de Blaise Pascal et de ses correspondants » : différence entre les versions

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{{Titre|Lettres|[[Auteur:Blaise Pascal|Blaise Pascal]]|édition Beaufreton, parue chez G. CRÈS et Cie. en 1922}}
[[catégorie:Correspondance]]
[[Category:Philosophie]]
 
== Année 1643 ==
 
=== <center>Lettre n°1 : De Blaise Pascal à Madame Périer</center> ===
 
<center> à Mademoiselle Perier la Conseillère
 
à Clermont.'''</center>
 
De Rouen, ce samedi dernier janvier 1643
 
Ma chère soeur,
 
Je ne doute pas que vous n'ayez été bien en peine du long temps qu'il y a que vous n'avez reçu de nouvelles de ces quartiers ici. Mais je crois que vous vous serez bien doutés que le voyage des élu en a été la cause, comme en effet. Sans cela, je n'aurais pas manqué de vous écrire plus souvent. J' ai à te dire que, MM. les Commissaires étant à Gisors mon père me fit aller faire un tour à Paris où je trouvai une lettre que tu m'écrivais, où tu me mandes que tu t'étonnes de ce que je te reproche que tu n'écris pas assez souvent, et où tu me dis que tu écris à Rouen toutes les semaines une fois.Il est bien assuré, si cela est, que tes lettres se perdent, car je n'en reçois pas toutes les trois semaines une. Etant retourné à Rouen, j'y ai trouvé une lettre de Monsieur Perier qui mande que tu es malade. Il ne mande point si ton mal est dangereux. ni si tu te portes mieux, et il s'est passé un ordinaire depuis sans avoir reçu de lettre, tellement que nous en sommes dans une peine dont je le prie de nous tirer au plus tôt ; mais je crois que la prière que je fais ici sera inutile, car, avant que tu aies reçu cette lettre ici, j'espère que nous aurons reçu lettres de toi ou de Monsieur Perier. Le département s'achève Dieu merci. Si je savais quelque chose de nouveau, je te le ferais savoir. Je suis,
<center>Ma chère soeur
 
Votre très humble et très affectionné
 
serviteur et frère
 
Pascal.</center>
 
'''''[ici ce post-scriptum de la main d'Etienne Pascal, le père :]'''''
 
Ma bonne fille m'excusera si je ne lui écris comme je le désirerais, n'y ayant aucun loisir Car je n'ai jamais été dans l'embarras à la dixième partie de ce que j'y suis à présent Je ne saurais l'être davantage à moins d'en avoir trop ; il y a quatre mois que je ne me suis pas couché six fois devant deux heures après minuit.
 
Je vous avais commencé dernièrement une lettre de raillerie sur le sujet de la vôtre dernière , touchant le mariage de M. Desjeux mais Je n'ai jamais eu le loisir de l'achever. Pour nouvelles, la fille de Monsieur de Paris, maître des comptes, marié à Monsieur de Neufville, aussi maître des comptes, et décédée, comme aussi la fille de Belair, mariée au petit Lambert.Votre petit a couché céans cette nuit. Il se porte Dieu grâces très bien. Je suis toujours
<center>Votre bon et excellent ami,
Pascal.</center>
 
 
== Année 1647 ==
 
=== <center>Lettre n°2 : Première lettre du P. Noël à Blaise Pascal</center>===
 
A Monsieur Pascal, à Paris.
 
Monsieur,
 
 
J'ai lu vos <i>Expériences touchant le vide</i> , que j'estime fort belles et ingénieuses, mais je n'entends pas ce vide <i>apparent</i> qui paraît dans le tube après la descente, soit de l'eau, soit du vif-argent. Je dis que c'est un corps, puisqu'il a les actions d'un corps, qu'il transmet la lumière avec réfractions et réflexions qu'il apporte du retardement au mouvement d'un autre corps, ainsi qu'on peut remarquer en la descente du vif-argent quand le tube plein de ce vide par le haut est renversé ; c'est donc un corps qui prend la place du vif-argent.
 
Il faut maintenant voir quel est ce corps.Présupposons que, comme le sang qui est dans les veines d'un corps vivant est mélangé de bile, de pituite, de mélancolie et de sang, qui, pour sa plus notable quantité, donne au mélange le nom de <i>sang</i> ; de même l'air que nous respirons est mélangé de feu, d'eau, de terre et d'air, qui, pour sa plus grande quantité; lui donne le nom d'air. C'est le sens commun des physiciens, qui enseignent que les éléments sont mélangés. Or, tout ainsi que ce mélange qui est dans nos veines est un mélange naturel au corps humain fait et entretenu par le mouvement et action du corps qui le rétablit, s'il est altéré, par exemple, de crainte ou de honte ; de même ce mélange qui est dans notre air est un mélange naturel au monde, fait et entretenu par le mouvement et action du soleil, qui le rétablit s'il est empêché par quelque violence. Donc, tout ainsi que la séparation des parties qui composent notre sang se peut faire dans les veines par quelque accident, comme elle se fait ès ébulitions qui séparent le plus subtil dans le grossier ; de même la séparation des parties qui composent notre air peut se faire dans le monde par quelque violence. J'appelle <i>violence</i> tout ce qui sépare ces corps naturellement unis et mêlés par ensemble, laquelle ôtée, les parties se rejoignent et se mêlent comme auparavant, si leur nature n'est changée par la force et longueur de cette violence.
 
Je dis donc que dans le mélange naturel du corps que nous respirons, il y a du feu, qui est de sa nature plus subtil et plus rare que l'air ; et de l'air, lequel étant séparé de l'eau et de la terre, est plus subtil et plus rare que mélangé avec l'un et l'autre, et partant peut pénétrer des corps et passer à travers les pores, étant séparé, qu'ils ne pourrait pas étant mélangé. Si donc il se trouve une cause de cette séparation, la même pourra faire passer l'air séparé par des pores trop petits pour son passage, étant mélangé. Présupposons une chose vraie, que le verre a grande quantité de pores que nous colligeons non seulement de la lumière qui pénètre le verre plus que dans d'autres corps moins solides dont les pores sont mois fréquents, quoique plus grands, mais aussi d'une infinité de petits corps différents du verre que vous remarquez dans ces triangles qui font paraître les iris, et de ce qu'une bouteille de verre bouchée hermétiquement ne se casse point en un feu lent sur des cendres chaudes.
 
Or, ces pores du verre si fréquents sont si petits que l'air mélangé ne saurait passer à travers ; mais étant séparé et plus épuré de la terre et de l'eau, il pourra pénétrer le verre, comme le fil de fer, tandis qu'il est un peu trop gros ne peut passer à travers le petit trou de filière, mais étant par force et violence menuisé, il passe facilement : l'eau boueuse ne passera pas à travers un linge bien tissu, où elle passe facilement étant séparée. La chausse d'Hippocrate et la filtration nous font toucher au doigt cette séparation des corps mélangés. Or, voici la force et la violence qui tire l'air de son mélange naturel et le fait pénétrer le verre : le vif-argent qui remplit le tube et toute l'air subtil et igné que la fournaise a mis dans le verre, et dont les pores sont remplis, descendant par sa gravité, tire après soi quelques corps ; autrement il ne descend pas, comme il appert au vif-argent, qui est retenu jusques à deux pieds, et à l'eau qui ne descend pas même au trentième, leur gravité n'étant pas suffisante pour tirer l'air hors de son mélange naturel. Si donc le vif-argent descend, il tire après soi un autre corps, selon votre première maxime page 19, que tous les corps ont répugnance à se séparer l'un de l'autre. Ce corps tiré et suivant n'est pas le verre, puisqu'il demeure à sa place et ne casse point ; l'air qui est dans ces pores, contigu au vif-argent peut suivre, mais il ne suit pas qu'il n'en tire un autre qui passe par les pores du verre et les remplit : pour y passer, il faut qu'il soit épuré ; c'est l'ouvrage de cet air subtil qui remplissait les petits pores du verre, lequel étant tiré par une force majeure et suivant le vif-argent, tire après soi par continuité et connexité son voisin, l'épurant du plus grossier qui reste dehors dans une même constitution, constitution violentée par la séparation du plus subtil, et demeure autour du verre attaché à celui qui est entré, lequel étant dans une dilatation violente à l'état naturel qui lui est dû dans ce monde, est toujours poussée par le mouvement et dépendance du soleil, à se rejoindre à l'autre et reprendre son mélange naturel, se joignant à cet autre qui le hérisse, poussé du même principe ; et portant l'un et l'autre, sitôt que la violence est ôtée, reprend son mélange et sa place : ainsi, quand on bande un arc, on en fait sortir des esprits qui lui sont naturels par sa partie concave qui est pressée, et en fait-on enter d'autres qui ne lui sont pas naturels par sa partie convexe qui est dilatée ; les uns et les autres, demeurant à l'air, cherchent leur place naturelle ; et aussitôt que la violence qui tient l'arc tendu est ôtée, les naturels rentrent, les étrangers sortent, et l'arc se redresse.
 
Nous avons une séparation et réunion sensible en une éponge pleine d'eau dans le fond de quelque bassin qui n'ait de l'eau que ce qui est dans l'éponge. Si vous pressez cette éponge avec violence, vous en faites sortir de l'eau qui demeure auprès d'elle séparée ; sitôt que vous ôtez cette compression, le mélange se fait de l'éponge avec l'eau par la dilatation naturelle à l'éponge même par sa nature et se remplit de l'eau qui lui est présentée.
 
Si donc on me demande quel corps entre, le tube descendant, je dirai que c'est un air épuré qui entre par les petits pores du verre, contraint à cette séparation du grossier par la pesanteur du vif-argent descendant et tirant après soi l'air subtil qui remplissait les pores du verre, et celui-ci tiré par violence, traînant après soi le lui est joint et congénère, jusques à remplir la partie abandonnée par le vif-argent.
 
Or cette séparation étant violente à l'autre air, à celui qui demeure dehors, tiré et attaché au verre et à celui qui est entré dans le tube, l'un et l'autre reprend son mélange aussitôt que cette pesanteur est ôtée ; mais, tandis que cette pesanteur du vif-argent continue, son effet, qui est cette attraction et épuration de l'air, continue aussi, comme le poids d'une balance, élevé par un autre plus pesant, ne descend pas que cet autre poids qui l'empêche de descendre ne soit ôté.
 
Ce discours combat votre proposition 6, page 25, où vous dites que l'espace vide en apparence n'est pas plein d'un air pur, subtil, mêlé parmi l'air extérieur, qui " étant détaché, et entré par les pores du verre, tendrait toujours à y retourner, ou y serait sans cesse attiré " ; et votre 8, " que l'espace vide en apparence n'est rempli d'aucune des matières qui sont connues dans la nature et qui tombent sous aucun des sens ". Si mon discours, que je vous laisse à considérer, est vrai, ces deux propositions ne le sont pas. L'air épuré est une matière connue dans la ,ature ; et cet air, prend la place du vif-argent.
 
Venons aux objections que vous avez mises en la page 30 et 31, contre vos sentiments. Je dis que la première est très considérable. En effet, cette proposition, qu'un espace est vide, prenant le vide pour une privation de tout corps, non seulement répugne au sens commun, mais de plus se contredit manifestement elle dit que ce vide est espace, et ne l'est pas. On présuppose qu'il est espace ; or s'il est espace, il n'est pas ce vide qui est privation de tout corps, puisque tout espace est nécessairement corps : qui entend ce qui est corps, entend comme corps un composé de parties les unes hors les autres, les unes hautes, les autres basses, les unes à droite, les autres à gauche, un composé long, large, profond, figuré, grand ou petit ; et qui entend ce qui est espace comme espace, entend, quoi qu'on dise, un composé de parties, les unes hors les autres, basses, hautes, à gauche, à droite, d'une telle longueur, largeur, profondeur, figuré, entre les extrémités dont il est intervalle : de sorte que l'espace ou intervalle n'est pas seulement corps, mais corps entre deux ou plusieurs corps. Si donc, par ce mot vide, nous entendons une privation de tout corps, ce qui est le sens de l'objection, cette présupposition qu'un espace est vide, ce détruit soi-même et se contredit ; mais ce mot de vide, comme il se prend communément, est un espace invisible tel qu'est l'air : ainsi disons-nous d'une bourse, d'un tonneau, d'une cave, d'une chambre et autres semblables, que tout cela est vide quand il n'y a que l'air ; tellement que l'air, à cause qu'il est invisible, se prend pour espace vide ; mais d'autant qu'il est espace, nous concluons qu'il est corps, grand, petit, rond, carré, et ces différences qui ne s'attachent point au vide, pris pour une privation de tout corps, et par conséquent pour un néant dont Aristote parle, .quandil dit : <i>Non entis non sunt differentiae.</i>
 
Votre deuxième objection ne vous donnera pas grand'peine : vous avouerez facilement que la nature, non pas en son total, mais en ses parties, souffre violence par le mouvement des unes qui surmontent la résistance des autres ; c'est de quoi Dieu se sert pour l'ornement et la variété du monde.
 
Le troisième , que les expériences journalières font paraître que la nature ne souffre point de vide, est forte. Je ne crois pas que la quatrième soit d'aucun physicien.
 
La cinquième est une preuve péremptoire du plein, puisque la lumière, ou plutôt l'illumination, est un mouvement luminaire des rayons, composés des corps lucides qui remplissent les corps transparents, et ne sont mus luminairement que par d'autres corps lucides, comme la poudre d'acier n'est remuée magnétiquement que par l'aimant : or cette illumination se trouve dans l'intervalle abandonné du vif-argent ; il est donc nécessaire que ces intervalles soient un corps transparent. En effet c'en est un, puisqu'il est air.
 
Voilà, Monsieur, ce que j'ai cru devoir à votre curiosité si obligeante, qui semble demander quel corps est ce vide apparent, plutôt qu'assurer qu'il n'est pas corps : ce que j'ai dit de la violence faite par la pesanteur du vif-argent ou de l'eau se doit entendre de toutes les autres violences qui se rencontrent dans toutes vos autres expériences, où l'entrée subtile de ces petits corps d'air et de feu qui sont partout, paraissant moins aux sens qu'à la raison, fait conjecturer un vide qui soit une privation de tout corps. Quoi qu'il en soit, vous avez examiné une vérité très importante à ceux qui font la recherche des choses naturelles, et par cet examen, obligé le public, et moi particulièrement qui suis,
 
<center>Monsieur,
 
Votre très humble et obéissant serviteur
 
selon Dieu,
Estienne Noël,
 
de la Compagnie de Jésus</center>