« La Consolation de la philosophie » : différence entre les versions

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m coquilles
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« Est-ce là le prix de ma déférence à tes instructions ? C'est toi pourtant qui as proclamé cette maxime par la bouche de Platon : qu'heureuses seraient les répu­bliques si elles étaient gouvernées par les sages, ou si ceux qui les gouvernent s'appliquaient à l'étude de la sagesse 'c. Tu as ajouté, toujours par la bouche de ce grand homme, que la raison qui devait déterminer les sages à prendre eu main les affaires", c'est que, si la conduite des cités était abandonnée aux méchants et aux pervers, il en résulterait un grand dommage et un grand péril pour les gens de bien. C'est sur cette autorité que je m'appuyais lorsque j'ai tenté d'appli­quer à l'administration publique les principes que tu m'avais enseignés dates les loisirs de ma retraite. Tu sais, et Dieu, qui te met clansdans le eeeur des sages, m'est témoin avec toi que nul autre mobile ne m'a poussé aux charges publiques, que ma sollicitude pour tous les gens de bien.
« Voilà la cause de mon divorce irréconciliable et de mes luttes avec les méchants ; voilà pourquoi, dans l'in­dépendance de ma conscience, j'ai toujours, pour sou­tenir le bon droit, méprisé la haine des puissants. Que de fois n'ai-je pas reçu et paré le choc de Conigaste se ruant sur le patrimoine des faibles! Que de fois n'ai-je pas arrêté Triguilla", l'intendant du domaine royal, dans quelque déprédation, ou entreprise, ou déjà consommée ? Que de fois, lorsque des malheureux gémissaient sous les avanies sans nombre que leur infligeait impunément l'avidité des Barbares, ne les ai-je pas, à mes risques et périls, protégés de mon autorité ? Jamais personne n'a pu me faire déserter le bon droit au profit de la fraude. Quand les habitants des provinces voyaient leur fortune en proie aussi bien aux rapines des particuliers qu'aux exactions du fisc, je souffrais de leurs maux autant qu’ eux-mêmes.
 
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« Dans une année d'affreuse disette, par une cruelle et inexplicable mesure, un édit de coemption avait été rendu qui devait ruiner la Campanie clansdans l'intérêt du bien public, je ne reculai pas devant un conflit avec le Préfet du prétoire; je plaidai au tribunal du Roi, j'ob­tins gain de cause, et l'édit ne fut pas exécuté.
« Paulin , homme consulaire, allait devenir la proie des chiens du palais; déjà ils sollicitaient ses biens et les dévoraient en espérance ; je l'arrachai dle leurs gueules béantes.
« Albinus, un autre consulaire, avait été décrété d'ac­cusation; il était condamné d'avance; pour le soustraire au supplice, le bravai la haine de Cyprien`, son délateur. Te semble-t-il que j'aie amassé contre moi assez de co­lères ? A la vérité, je devais me croire d'autant plus en sûreté auprès des autres, que, du côté des courtisans,ma passion pour la justice ne m'avait ménagé aucune chance de salut.
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Quant aux bruits qui courent maintenant dans le publïc, quant aux opinions multiples et contradictoires dont je fournis le sujet, je dédaigne de m'en occuper. Je dirai seulement que le plus lourd fardeau dont la Fortune puisse accabler les malheureux, c'est la pensée qu'il suf­fit qu’on leur impute quelque crime, pour que leur châ­timent paraisse juste. Mais moi pourtant, chassé de tous mes biens, dépouillé de mes dignités, flétri dans mon honneur, ce sont les services que j'ai rendus qui m'ont valu un arrêt de mort. Aussi je crois voir déjà les im­mondes officines des scélérats déborder de joie et d'allé­gresse ; les monstres les plus pervers se préparer clansdans l'ombre à de nouvelles dénonciations ; les gens de bien consternés, terrassés par la peur d'une disgrâce sem­blable à la mienne; le rebut de l'espèce humaine excité à la pensée du crime par l'impunité, à l'exécution par la récompense, tandis que les innocents, privés de toute garantie, n'ont pas même le droit de se défendre. Aussi m'écrié je sans scrupule
IX
Créateur du monde aux clartés splendides Du haut de ton trône éternel ta voix Fait rouler les cieux, tourbillons rapides; Les astres domptés subissent tes lois.
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« il allait périr dans les flammes d'un bûcher, quand, par la faveur du Ciel, un orage lui sauva la vie. Est-ce que tu as oublié Paul-Émile, payant à l'infortune du roi Persée, son prisonnier, le pieux tribut de ses larmes. Et les lamentations des tragédies ! déplorent-elles autre chose que les coups aveugles portés par la Fortune à la félicité des rois? N'as-tu pas appris, clansdans ton enfance, l'histoire des deux tonneaux remplis, l'un de maux, l'autre de biens, et placés à l'entrée du séjour de Jupi terJupiter Qu'as-tu à dire si c'est clansdans le tonneau des biens que tu as puisé le plus largement ? si je ne t'ai pas en tiëretnent abandonné? si mon inconstance même peut te faire espérer un meilleur sort ?Quoi qu'il en soit, ne« te laisse pas consumer par le chagrin, et puisque tu vis u dans un royaume où la loi est la même pour tous, ne ré clame pas de privilége.
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Du bon l'lutus la main inépuisable Leur versât-elle autant de biens Que l'Océan roule de grains de sable, butant qu'aux champs aériens, Lorsque la nuit a déployé ses voiles, Sur le fond obscurci des cieux
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Regorgeant d'or voyez l'âpre avarice Sa gueule encor s'ouvre et rugit ? Quel frein pourrait de cet ignoble vice dompter le féroce appétit ? Enseveli clansdans ta vaste opulence, Portes-tu plus loin tes souhaits
Va, tu mourras, riche, dans l'indigence Si tu te crois pauvre, tu l'es.
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riche, vit dans le célibat et s'en afflige. Celui-là a fait un heureux mariage; mais, privé d'héritiers de son rang, il nourrit sa fortune pour un étranger. Cet autre a le bonheur d'être père, mais les désordres de son fils ou de sa fille le plongent clansdans le deuil et les larmes. De là provient que personne ne s'accommode sans peine des con­ditions de sa fortune. Chacune a son inconvénient : avant l'épreuve on l'ignore; après, on s'en irrite. Ajoute à cela que la délicatesse s'accroît en proportion du bonheur, et que si tout ne lui réussit pas à souhait, l'homme que l'adversité n'a jamais éprouvé s'affaisse au moindre choc tant il faut peu de chose pour enlever aux plus heureux toute leur félicité.
« Combien de gens, à ton avis, se croiraient ravis au ciel s'il leur échéait une part , si mince qu'elle fût, des débris de ton opulence? Ce pays même que tu ap­pelles un lieu d'exil, pour ceux qui l'habitent est une patrie. Tant il est vrai qu'il n'y a de misérable que ce que l'on croit tel ; et qu'au contraire tout est bonheur pour qui sait se résigner. Mais est-il un homme si heureux qui, pour peu que l'impatience le gagne, ne veuille changer son état? Combien de sortes d'amertumes pour altérer la douceur de la félicité humaine, puisque, de quelques jouissances qu'elle soit la source, dès qu'elle veut partir, aucun effort rie la petit fixer !
« 1l est donc clair que les choses humaines ne peuvent procurer qu'un bonheur bien misérable, puisque les Mmes résignées s'en dégoûtent à la longue, et que les esprits inquiets ne s'en accommodent jamais de tout point. Pourquoi donc, ô mortels, cherchez-vous le bonheur au dehors, quand c'est en vous-mêmes qu'il réside?L’,'erreur et l'ignorance vous aveuglent. Je te ferai voir en peu de mots en quoi consiste la souveraine béatitude. Connais-tu rien qui te soit plus précieux que toi-même? Rien, diras-tu. Donc, si tu arrives à te
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la terre l'homme tînt le premier rang parmi tous les êtres, et vous, vous ravalez votre dignité au-dessous des créatures les plus infimes. Car s'il est vrai qu'un bien ait plus de prix que celui qui le possède, comme vous faites consister les vôtres dans les plus vils objets, d'après votre estimation même, ces objets vous priment en valeur. Et, par le fait, l'estimation est exacte. Car telle est la condition de l'homme , que s'il est supérieur au reste des créatures lorsqu'il a conscience de lui-même, il tombe plus bas que la brute lorsqu'il cesse (le se con­naître. Chez les animaux, cette ignorance de soi-même est une conséquence de leur nature; chez l'homme, c'est un effet de sa dégradation.
« Que votre erreur est donc grande, vous qui pensez que l'on peut s'embellir au moyen d'une parure étrangère ! C'est tout simplement impossible. En effet, quand un objet doit son éclat à des ornements d'emprunt, ce sont ces orne­ments qu'on admire. Quant à l'objet qu'ils recouvrent et' dérobent aux regards, il n'en conserve pas moins toute sa laideur. De plus, je ne puis accorder que ce qui peut nuire à qui le possède soit un bien. Est-ce due je mens? Non, diras-tu. Or, les richesses ont souvent nui à ceux qui les possédaient, par cette raison que les scélérats les plus per­vers, et conséquemment les plus avides du bien d'autrui, se croient seuls dignes de posséder tout ce qu'il y a au monde d'or et de pierres précieuses. Toi donc, qui trem­bles et redoutes aujourd'hui l'épieu et le glaive", si tu étais entré sans bagages clansdans ce sentier de la vie, tu chanterais au nez du voleur. Étrange félicité que celle qui vient des richesses de la terre, si on ne peut l'ac­quérir qu'aux dépens de sa sécurité!
 
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Qui s'avisa d'arracher à l'abîme
La perle et l'or, ces complices du crime, Dans les enfers relégués par le Ciel:
« Que dirai-je des dignités et de la puissance, que, clansdans vôtrevotre ignorance de la véritable dignité et de la véri­table puissance, vous élevez jusqu'au ciel ? Si elles échoient à un scélérat, duels incendies, quelles éruptions de l'Etna, quels déluges peuvent égaler leurs ravages? Tu t'en sou­viens sans cloute, à cause de l'arrogance des consuls, vos ancêtres voulurent abolir le pouvoir consulaire, qui avait inauguré leur liberté ". Déjà, à cause de l'arrogance des rois, ils avaient supprimé dans Rome jusqu'au nom de roi. Et si par aventure, bien rarement, il faut le dire, les dignités sont conférées à des gens de bien, quel titre peut les recommander, sinon la moralité de ceux qui en sont revêtus? D'où il faut conclure que ce n'est pas la vertu qui tire son éclat des dignités, mais que ce sont les dignités qui empruntent le leur à la vertu.
« Après tout, en quoi consiste cette puissance humaine,
 
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des jouissances à l'âme. Pour en revenir aux préoccupa­tions de l’homme, tout obscurcis que soient ses souvenirs, il veut pourtant rentrer clansdans le souverain bonheur ; mais comme un passant aviné, il ne reconnaît plus le chemin de sa maison. Et par le fait, crois-tu qu'ils soient dans l'erreur, ceux qui travaillent à ne manquer de rien? Assurément la meilleure condition pour jouir de la béa­titude serait un état où l'on posséderait tous les biens en abondance, où l'on ne manquerait de rien, où, par conséquent, on se suffirait à soi-même. Se trompent-ils encore ceux qui considèrent ce qui est excellent comme l'objet le plus digne de vénération et de respect ? Non, sans doute. Car ce ne peut être une chose vile et mépri­sable que ce souverain bonheur auquel presque tous les mortels s'efforcent d'atteindre. Est-ce qu'au nombre des biens il ne faut pas compter la puissance? Quoi donc! la faiblesse et l'impuissance seraient-elles le partage de ce qui prime incontestablement toutes choses? Ne faut-il faire nulle estime de la gloire? Mais ces deux qualités sont inséparables : ce qui est excellent est nécessairement aussi très-glorieux. Après cela, que la béatitude soit exempte de soucis, de tristesse, de peines et d'afflictions, à quoi bon le dire, puisque dans les choses mêmes les moins importantes, ce que nous voulons, c'est le plaisir de les posséder et d'en jouir? Or ce sont là les avantages que les hommes veulent s'assurer; et s'ils désirent les richesses, les honneurs, 1a domination, la gloire et les plaisirs, c'est qu'ils croient se procurer par là la satisfac­tion de leurs besoins, la considération, la puissance, la célébrité et la joie. C'est le bonheur évidemment que les hommes recherchent par des voies si différentes; en quoi se manifeste clairement l'énergie invincible de la nature, puisque, si diverses, si contradictoires due soient leurs idées, ils s'accordent néanmoins à poursuivre un même but : le bonheur.
 
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vous aussi, mortels dégénérés, vous conservez, bien faible il est vrai et pareil à un rêve, le souvenir de votre origine; et votre pensée, si peu clairvoyance qu'elle soit, entrevoit confusément la béatitude, cette véritable fin de l'homme; de là vient due tout à la fois un instinct naturel vous guide vers le souverain bien, et que nombre d'erreurs vous en écartent. Examine, en effet, si les moyens par les­quels les hommes se flattent d'arriver à la béatitude sont capables de les conduire au but. Si l'argent, les honneurs et le reste peuvent procurer un bonheur qui ne laisse rien it désirer, je l'avouerai moi-même, il est des hommes que la possession de ces biens peut rendre heureux. Mais si ces avantages ne peuvent tenir ce qu'ils promettent, s'il y manque plusieurs conditions essentielles, n'est-il pas évident qu'ils ne présentent qu'une fausse image de la béatitude? Je le demande à toi tout le premier, à toi qui naguère regorgeais de richesses. Au milieu de tous ces trésors, est-ce que ton âme n'a jamais été troublée par le ressentiment de quelque injure'? - Certes, ré­pondis-je, je n'ai jamais joui d'une telle sérénité que j'aie été un seul jour exempt de tout chagrin; du moins, je ne m'en souviens pas. -- Ta peine ne venait-elle pas de l'absence de quelque chose due tu aurais voulu voir près de toi, ou de la présence de quelque autre chose dont tu eusses voulu être débarrassé? – C’est cela ,dis-je ;
-Donc tu désirais la présence de l'une de ces choses et l'absence de l'autre. - J'en conviens. -- Mais, reprit-elle, un désir, c'est un besoin. -
 
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Il jetait anneaux d'or, consulats et licteurs; Qui bourrait sans rougir se parer des honneurs Que décernent des misérables ?
« La royauté du moins et la faveur des rois peuvent-elles donner 1a puissance?-Je ne dis pas non, quand leur bon­heur dure jusqu'à la fin de leur vie; mais l'antiquité et notre siècle même fournissent cent exemples de rois dont la féli­cité s'est changée en catastrophes. O la rare puissance qui n'est pas assez puissante pour se conserver elle-même!
« Que si l'autorité royale donne le bonheur, ne faut-il pas admettre que, dès qu'elle s'affaiblit, ce bonheur di­minue, et que l'infortune commence ? Mais si loin que s'étende la domination de chaque roi, la plus grande partie des nations se trouve nécessairement en dehors de son empire. Or, là où s'arrête la puissance qui donne le bonheur, se glisse l'impuissance qui fait le malheur par conséquent, clansdans la part faite aux rois, c'est fatale­ment la misère qui domine. Un tyran qui avait fait l'épreuve des dangers de sa condition, représentait les terreurs de la royauté par l'image effrayante d'un glaive suspendu au-dessus de sa tête. Qu'est-ce donc qu'un pou­voir qui ne peut se soustraire aux morsures des soucis, ni éviter les dards acérés de la crainte? Certes, les rois eux-mêmes voudraient vivre sans inquiétude, mais ils ne le peuvent pas; et ils sont fiers de leur pouvoir! Le crois-tu puissant l'homme qui veut au delà de ce qu'il peut; qui ne marche qu'entouré de satellites; qui craint
 
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mats, les saisons, les effets à produire, leur durée et leurs modes, s'il n'y avait quelqu'un qui, immuable lui-­même au milieu de ces changements continuels, fait mouvoir tout ce qui existe. Or, quel que soit cet être à qui la création doit la durée et le mouvement, je lui donne le nom qu'ont adopté tous les peuples : je le nomme Dieu. - Puisque tel est ton sentiment, re­prit-elle, il me semble qu'il te reste peu de chose à faire pour conquérir la suprême félicité, et retourner sain et sauf clansdans ta patrie : mais revenons à notre propos. Dans la béatitude, n'avons-nous pas compris la suffisance, et ne sommes-nous pas tombés d'accord que la béati­tude est la même chose que Dieu ? -- C'est vrai. - Donc, pour gouverner le monde, Dieu n'a besoin d'au­cun secours étranger; car, s'il en avait besoin, il ne se suffirait pas pleinement à lui-même. - La conséquence est nécessaire, dis-je. -II dirige donc tout par lui seul. - On ne peut le nier. - Or, il a été démontré que Dieu n'est autre chose que le bien. - Je ne l'ai pas oublié. - C'est donc par le bien qu'il dirige tout, puisqu'il dirige tout par lui-même, et que nous avons reconnu qu'il est lui-même le bien; il est comme le timon et le gouvernail qui préserve la machine du monde de tout ébranlement et de toute cause de destruction. - Je suis complètement de ton avis, répondis-je, et tout à l'heure, sans en avoir la certitude, je prévoyais que c'était là que tu voulais en venir. - Je te crois, reprit-elle, car je trouve tes yeux déjà plus prompts à discerner la vérité; mais ce que je vais ajouter te la fera voir avec moi tout aussi clairement. - Qu'est-ce donc? demandai-je. -- Dieu, dit-elle, ainsi que nous avons raison de le croire, se ser­vant du bien comme d'un gouvernail pour diriger toutes choses, et toutes choses, comme je te l'ai enseigné, tendant naturellement au bien, peut-on douter qu'elles ne se laissent volontairement gouverner, et qu'elles n'o-
 
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doit être solide. Mais pour donner plus de poids à ma démonstration, je me servirai tour à tour des deux pro­positions, demandant mes preuves tantôt à l'une, tantôt à l'autre. Deux choses sont nécessaires à l'homme pour la réalisation d'un acte quelconque, savoir la volonté et la puissance; que l'une des deux lui fasse défaut, il est inca­pable de rien exécuter. La volonté absente, on n'entre­prendra pas ce qu'on ne pense même pas à vouloir, et sans le pouvoir d'exécuter, la volonté ne sert de rien. Aussi, quand tu vois un homme former un projet qui n'aboutit pas, tu peux être assuré que la force lui a manqué pour atteindre son but. - C'est évident, dis je, et il n'y a rien à répondre à cela. -Mais si tu en vois un autre réaliser le projet qu'il avait conçu, pourras-tu douter de sa puissance? - En aucune façon. - Il faut donc l'admettre un homme est fort clansdans les choses qu'il peut, et faible dans celles qu'il ne peut pas. - J'en conviens, dis-je. - Fort bien, reprit-elle; mais tu t'en souviens, nous avons conclu des propositions pré­cédentes que tous les efforts de la volonté humaine, si va­riés que soient ses désirs, tendent vers le bonheur .-Je me souviens, dis-je, que ce point a été aussi démontré - Te rappelles-tu encore que le bonheur c'est le bien pro­prement dit, et que, par suite, désirer le bonheur, c'est désirer le bien ?--Je n'ai pas besoin de me rappeler cette véritë, dis je, elle est toujours présente à mon esprit. - Donc, tous les hommes indistinctement, méchants ou bons, s'efforcent avec une égale énergie de parvenir au bien ? - Sans cloute, dis-je, cela va de soi. - Mais il est certain que par l'acquisition du bien, on devient bon.- Cela est certain. - Les bons obtien­nent donc ce qu'ils désirent?- Il me semble ainsi .-Et si les méchants atteignaient le bien qu'ils poursuivent, ils ne pourraient plus être méchants? - Assurément. - Donc, comme les bons et les méchants aspirent an bien ,
 
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homme-tigre, ombre pensive. Indigné que le sort jaloux
Osat frapper de tant de coups Un héros, l'orgueil de la Grèce, Mercure sut avec adresse
I:e préserver des noirs complots Et des piéges de son hôtesse; Mais ses malheureux matelots Déjà, clansdans la coupe traîtresse, Avaient bu l'ivresse à longs flots. Transformés en pourceaux obscènes, Ils laissent pour le gland des chênes Les divins présents de Cérès.
Dans ce changement déplorable Et de leur voix et de leurs traits, Leur âme seule invulnérable Gémit d'un prodige exécrable, Et s'affirme par ses regrets.
Oh ! la magie ! oh! l'art futile Oh! les impuissantes liqueurs! D'une Circé la main habile
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Où sont de vos fureurs les motifs suffisants? Pourquoi ce grand courroux et ce zèle hypocrite? Voulez-vous à chacun rendre ce qu'il mérite? Sachez aimer les bons et plaindre les méchants. »
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Je pris alors la parole : « Je comprends, dis-je, le genre de félicité ou de malheur qui, selon qu'ils le méri­tent, est le partage des bons et des méchants. Mais dans les hasards de la fortune, telle qu'on l'entend d'ordinaire, je vois la part du mal comme du bien. Certes, il n'y pas un sage qui, à l'exil, à la pauvreté, à l'ignominie, ne préférât la richesse, la considération, la puissance et le ­bonheur de vieillir en paix dans sa patrie. La sagesse, en effet, remplit sa tâche avec plus d'éclat et d'autorité, quand elle peut communiquer en quelque sorte sa propre félicité aux peuples qui ont le bonheur d'être gouvernés par elle. Ajoute à cela que la prison, les fers et les au­tres châtiments inscrits clansdans les lois ne doivent revenir qu'aux méchants, puisque c'est contre eux qu'ils ont été décrétés. Aussi, quand je vois que, par un renversement étrange, les gens de bien sont traînés au supplice à la place des scélérats, et que les méchants s'emparent des récompenses dues à la vertu, ma surprise est extrême, et je désire savoir de toi les raisons d'une si déplorable
 
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contenue clansdans la forme, et cela de la même manière qu'elle distingue !'absolu, auquel les autres facultés n'avaient pu atteindre. Comme la raison, en effet, elle connaît les idées générales ; comme l'imagination, la forme abstraite; comme les sens, la matière; et néanmoins elle n'em­prunte le secours ni de la raison, ni de l'imagination, ni des sens; mais, si je puis m'exprimer ainsi, elle saisit tout d'une manière absolue par un seul regard de l'es­prit, De même, la raison, lorsqu'elle conçoit une idée gé­nérale, n'a besoin ni de l'imagination ni de la sensation pour comprendre les faits qui sont du ressort de ces deux facultés. C'est elle qui, conformément à l'idée qu'elle se fait du genre, a donné cette définition : « L'homme est un animal à deux pieds raisonnable. » Or, cette idée, précisément parce qu'elle est générale, renferme, comme personne ne l'ignore, des notions qui sont du ressort de l'imagination et des sens; et cependant ce n'est ni par les sens ni par l'imagination que la raison les a acquises, mais par une conception qui lui est propre. Enfin l'ima­gination, bien que, dans le principe, elle ait appris (les sens à voir et à se représenter des formes, peut, au défaut des sens, passer en revue tous les objets sensibles, et cela, non par les moyens à l'usage des sens, mais par ceux qui lui appartiennent en propre. Vois-tu main­tenant comment toutes les connaissances des hommes dépendent de leurs facultés, et non pas de la nature même des choses ? Et ce n'est pas sans raison. Car tout jugement étant un acte de celui qui le prononce, il faut bien que chacun agisse en vertu de ses propres facultés, et non par l'influence d'une cause étrangère.
 
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flatte de concevoir ?' En effet, pourraient-ils dire, les notions qui proviennent des sens ou de l'imagination ne peuvent être générales; dès lors, ou les prétentions de la raison sont fondées, et, clansdans ce cas, la matière n'existe pas'; ou bien, si elle reconnaît due la plupart de ses no­tions dépendent des sens et de l'imagination, ses concep­tions ne sont plus que des chimères, puisqu'elle prend pour générales des notions particulières et qui dépendent des sens. A ces objections la raison ne pourrait-elle pas répondre que dans l'idée générale elle ne perd pas de vue ce qui appartient aux sens et à l'imagination, tandis que ces facultés sont incapables de s'élever à l'idée gé­nérale, parce que leurs notions ne peuvent dépasser la sphère des corps sensibles; et qu'en fait de connaissances, il convient de s'en rapporter au jugement de la faculté !a plus sûre et la mieux partagée? Or, dans un tel débat, nous qui possédons la faculté de raisonner, aussi bien que celles d'imaginer et de sentir, ne donnerions-nous pas gain de cause à la raison Eh bien ! la raison hu­maine n'est pas mieux fondée à dénier à l'intelligence divine la connaissance de l'avenir, par le motif que cette connaissance lui a été refusée à elle-même. Voici, en effet, ton raisonnement : « Si des événements ne doivent pas arriver d'une manière certaine et nécessaire, on ne peut prévoir qu'ils arriveront nécessairement. Ils ne sont. donc pas l'objet de la prescience divine , ou si nous croyons qu'ils le sont, il faudra convenir que tout arrive fatalement. » Si donc, comme nous avons la raison, nous avions aussi en partage l'intelligence divine, nous penserions que, de même que l'imagination et les sens doivent, selon nous, céder le pas à la raison, il est juste aussi que la raison reconnaisse la supériorité de l'intelligence divine. C'est pourquoi, élevons-nous, s'il est possible, jusqu'à cette suprême intelligence ; à ces hauteurs, notre raison découvrira ce, qu'elle ne peut
 
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le présent. L'être, au contraire, qui embrasse et pos­sède dans toute sa plénitude une vie qu'aucun terme ne borne, à qui l'avenir est présent, et qui retient tout son passé, doit seul à juste titre être considéré comme éternel; car un tel être n'a pas seulement et nécessairement la possession pleine et présente de lui-même ; il possède aussi dans le présent la somme des diverses phases du temps. C'est donc mal à propos que quelques philoso­phes, pour avoir entendu dire que dans la pensée de Platon le monde n'a jamais eu de commencement et ne doit pas avoir de fin, concluent de là que le monde créé est coéternel à son créateur. Autre chose est, en effet, de parcourir successivement toutes les phases d'une exis­tence sans limite, ce que Platon attribue au monde, ou d'embrasser clansdans le présent tout l'ensemble d'une exis­tence nie, ce qui manifestement est le propre de la divinité. Par conséquent la préexistence de Dieu relati­vement à la création ne tient pas à telle ou telle quantité de temps écoulé, mais à un état qui n'appartient qu'à une nature simple. -En effet, cet état d’immobilité parfaite qui est la conséquence d'un présent éternel, le temps, dans son cours sans fin, en donne quelque idée; mais comme il ne peut réaliser intégralement cette immobilité, bientôt elle dégénère pour lui en mouvement, et le pré­sent absolu perd en quantité tout ce dont s'accroissent indéfiniment le passé et l'avenir. Et encore, bien que le temps ne puisse embrasser à la fois toute la plénitude de sa durée, par la raison que, sous une forme ou sous l'autre, il ne cesse jamais de durer, il semble imiter jusqu'à un certain point ce qu'il ne peut égaler ni représenter exac­tement, en se retenant à cette ombre de présent pour lui si court, si insaisissable; et comme ce présent fugitif re­produit dans une certaine mesure l'image du présent éternel, il paraît donner un semblant de permanence à chacun des instants par lesquels il passe. Mais le temps
 
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