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[[Catégorie:Poèmes d'Anna de Noailles]]
 
<poem>
<center>RÊVERIE PERSANE<br /></center>
 
 
O Mort, s’il faut qu’un jour ta flèche me transperce,
 
Si je dois m’endormir entre tes bras pesans,
 
Laisse-moi m’éveiller dans l’empire de Perse,
 
Radieuse, éblouie, et n’ayant que quinze ans.<br />
 
Alors je connaîtrai, moi qui rêvais tant d’elle,
 
Ispahan, feu d’azur, fruit d’or, charme des yeux !
 
Les jardins de Chiraz et la tombe immortelle
 
Où Saadi refleurit en pétales joyeux.<br />
 
Les bras levés, le cœur divinement sensible,
 
Je percevrai, dans l’air si limpide, si mol,
 
O musique d’amour frémissante et visible,
 
Les soupirs de la rose et du chaud rossignol !<br />
 
Au travers des pavots, des lis, de la verdure,
 
Je verrai s’avancer, curieux, familiers,
 
De beaux garçons persans en bonnet de fourrure,
 
Aux profils aussi ronds que des jeunes béliers.<br />
 
Ils me diront avec des gestes et des poses,
 
Des accens étonnés et des regards d’enfans :
 
« C’est vous, sœur de nos cœurs, vous, l’amante des roses,
 
Le souffle du matin et des soirs étouffans !<br />
 
« Venez, nous vous ferons reine de Trébizonde,
 
Princesse de l’aurore et des nuits sans sommeil,
 
Les royaumes détruits se lèveront de l’onde
 
Au milieu d’un parterre odorant et vermeil.<br />
 
« Petite fille avec des âmes anciennes,
 
Amoureuse des dieux et du monde enflammé,
 
Vous direz chaque soir vos prières païennes
 
Dans la mosquée ardente où dort sainte Fatmé.<br />
 
À l’heure du couchant quand vos forces déciment,
 
Nous déplierons pour vous un merveilleux tapis,
 
Où l’on voit s’enfoncer sous des arcs d’églantines
 
Des lions langoureux et des cerfs assoupis<br />
 
« Vous boirez lentement d’enivrantes tisanes
 
Au creux d’un bol d’émail orné de bleus vergers,
 
Et l’énervant plaisir des musiques persanes
 
Fera briller votre âme et vos yeux allongés ;<br />
 
Sur les portes d’argent, la lune au doux visage
 
Luira comme une enfant qui baise son miroir,
 
Et tous les rossignols éveillés dans leur cage
 
Aux roses de ton cœur diront leur désespoir… »<br />
 
Alors, dans leur charmant palais de porcelaine
 
Je suivrai, confiante, heureuse, le cœur pur,
 
Ces beaux petits garçons dont le bonnet de laine
 
Est comme un noir hiver sous un immense azur.<br />
 
Je verrai scintiller, dans la nuit sans égale,
 
Sur ce terrain d’amour aux rosiers si clément,
 
La rose du Calife et celle du Bengale,
 
Et mes tendres rosiers dos soirs du Lac Léman.<br />
 
Un paon bien nonchalant, bien dédaigneux, bien grave,
 
Passant auprès de moi son temps inoccupé
 
Enfoncera parfois dans les roses suaves
 
Son petit front étroit de beau serpent huppe.<br />
 
Et, pensive, j’aurai la paix douce et narquoise
 
Des dames que l’on voit ouvrir un si bel œil
 
Sur une vieille boite en pâte de turquoise
 
Qui parfume et verdit comme un divin tilleul…
 
</poem>