« Dialogue entre Descartes et Christine de Suède aux Champs Élysées » : différence entre les versions

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Descartes
 
Des nouvelles qui m’intéresseront ! Cela sera difficile. Depuis que je suis ici, j’ai souvent entendu les morts converser entre eux ; ils débitoient ce qui s’est passé sur la terre depuis que je l’ai quitté ; j’ai tant appris de sottises que je suis dégoûté de nouvelles. D’ailleurs comment voulez-vous que je me soucie de ce qui se passe là haut depuis que je n’y suis plus ? J’yJ
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’y prenois bien peu de part quand j’y étois. C’étoit pourtant une grande époque, celle de la fameuse guerre de trente ans, & des célebres négociations qui l’ont suivie ; on faisoit alors les plus grandes & les plus belles actions ; on s’égorgeoit & on se trompoit d’un bout de l’Europe à l’autre ; c’étoit, à ce qu’on dit, le temps des grands Princes, des grands Généraux & des grands Ministres ; je ne prenois part ni à leurs illustres massacres, ni à leurs augustes secrets, & je méditois paisiblement dans ma solitude.
 
Christine
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Christine
 
Les Peuples cheminent lentement, il est vrai ; mais
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enfin. ils cheminent, & ils arrivent tôt ou tard. La raison peut se comparer à une montre ; on ne voit point marcher l’aiguille, elle marche cependant, & ce n’est qu’au bout de quelque temps qu’on s’apperçoit du chemin qu’elle a fait ; elle s’arrête à la vérité quelquefois, mais il y a toujours au dedans de la montre un ressort qu’il suffit de mettre en action pour donner du mouvement à l’aiguille.
 
Descartes
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Descartes
 
Cela est vrai ; mais savez-vous ce que j’apprends de mon coté ? On dit qu’il se trouve en même temps des hommes qui voudraient bien décrire cet acte de patriotisme, par une raison qu’ils n’osent à la vérité dire tout haut ; c’est que l’homme de génie qui est l’objet de ce monument, aura la satisfaction de le voir & d’en jouir. Ces dispensateurs équitables de la gloire demandent pourquoi on n’érige pas plutôt des Statues à Corneille, à Racine & à MoliereM
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oliere ; & ils le demandent, parce que Corneille, Racine & Moliere sont morts ; ils n’auraient eu garde de faire la question du vivant de ces Grands Hommes, dont le premier est mort pauvre, le second dans la disgrace, & le troisieme presque sans sépulture.
 
Christine
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Christine
 
Vous faites vous-même bien l’honneur de la France, mon cher Philosophe, en croyant que c’est elle qui pense à vous élever Un monument. Elle y songera bientôt fans doute, & il s’en offre une belle occasion car on reconstruit actuellement avec la plus grande magnificence l’Église où vos cendres ont été apportées ( I ), & il me semble qu’un monument à l’honneur de Descartes décorerait bien autant cette Église, que de belles orgues ou une belle sonnerie (1). Mais en attendant, on vous érige un Mausolée à Stockolm, dans le pays où vous avez été mourir. C’est à un jeune Prince, qui regne aujourd’hui sur la Suede, que vous avez cette obligation. Je n’ai point eu, comme vous savez, l’ambition de me donner un héritier ; mais que j’aurais été empressé d’en avoir, si j’avais pu espérer que le Ciel m’accordât un tel Prince pour fils ! Je m’interesse vivement à lui par tout ce que j’entends dire de ses lumieres, de ses connoissancesconnois
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sances, de sa modestie, ou plutôt, & ce qui vaut bien mieux encore, de sa simplicité ; car la modestie est quelquefois hypocrite. & la simplicité ne l’est jamais.
 
Descartes
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Descartes
 
Et pourquoi l’avez-vous abdiquée ? Il me semble que vous auriez beaucoup mieux fait de rester sur le Trone de Suede, d’y travailler au bonheur de vos Peuples, d’y protéger les Sciences & la Philosophie, que d’aller traîner une vie inutile au milieu de ces italiens qui vous traitaient assez mal. Avouez que
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l’envie de paraître singulière, & pour tout dire, un peu de vanité, vous a porté à cette abdication ; vous auriez pensé autrement, si vous eussiez été plus pénétrée du sentiment & de l’amour de la véritable gloire, qui est si différent de la vanité.
 
Christine
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Christine
 
J’avoue qu’on ne m’en fait aucun gré, & à parler franchement on n’est pas injuste. Ce Traité étoit plus l’ouvrage de mes Ministres que le mien. Il n’en est pas de même de la
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protection que j’ai eu le bonheur d’accorder aux Lettres & à la Philosophie ; c’est une gloire que je ne partage avec personne ; & la reconnoissance de tant d’Ecrivains célebres m’en ont témoignée, m’a fait pardonner plus d’un écart que je me reproche.
 
Descartes
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Descartes
 
C’est une grande question, & qui demanderait une discussion aussi longue qu’inutile pour nous ; car qu’importe-t-il aux morts de savoir s’il est bon de tromper les vivans ? Pour moi je ne sais s’il peut y avoir des erreurs utiles ; mais s’il y en avait, je crois qu’elles tiendroient la place de vérités plus utile encore. Il est vrai cependant, que pour combattre utilement & sûrement l’erreur & l`ignorance, il faut rarement les
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heurter de front. Un Philosophe, apparemment mecontent de ses contemporains, disait l’autre jour ici, que s’il revenait sur la terre, & qu’il eût la main pleine de vérité, il ne l’ouvriroit pas pour les en laisser sortir. Mon confrere, lui dis-je, vous avez tort & raison ; il ne faut ni tenir la main fermée, ni l’ouvrir tout à la fois ; il faut ouvrir les doigts l’un après l’autre ; la vérité s’en échappe peu à peu, sans faire courir aucun risque à ceux qui la tiennent, & qui la laissent échapper.