« Le Fils naturel ou les Épreuves de la vertu » : différence entre les versions

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{{T3|Introduction}}
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Le sixième volume de l'Encyclopédie venait de paraître, et j'étais allé chercher à la campagne du repos lorsqu'un événement, non moins intéressant par les circonstances, que par les personnes , devint l'étonnement et l'entretien du canton. On n'y parlait que de l'homme rare qui avait eu , dans un même jour, le bonheur d'exposer sa vie pour son ami , et le courage de lui sacrifier sa passion , sa fortune et sa liberté.
Je voulus connaître cet homme. Je le connus, et je le trouvai tel qu'on me l'avait dépeint, sombre et mélancolique. Le chagrin et la douleur , en sortant d'une âme où ils avoient habité trop longtemps, y avoient laissé la tristesse. Il était triste dans sa conversation et dans son maintien, à moins qu'il ne parlât de la vertu , ou qu'il n'éprouvât les transports qu'elle cause à ceux qui en font fortement épris. Alors vous eussiez dit qu'il se transfigurait. La sérénité se déployait sur son visage. Ses yeux prenaient de l'éclat et de la douceur. Sa voix avait un charme inexprimable. Son discours devenait pathétique. C'était un enchaînement d'idées austères et d'images touchantes qui tenaient l'attention suspendue et l'âme ravie. Mais, comme on voit le soir, en automne, dans un temps nébuleux et couvert , la lumière s'échapper d'un nuage, briller un moment, et se perdre en un ciel obscur; bientôt sa gaieté s'éclipsait, et il retombait tout-a-coup dans le silence et la mélancolie.
Tel était Dorval. Soit qu'on l'eût prévenu favorablement , soit qu'il y ait, comme on le dit , des hommes faits pour s'aimer sitôt qu'ils se rencontreront, il m'accueillit d'une manière ouverte
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qui surprit tout le monde, excepté moi; et dès la seconde fois que je le vis, je crus pouvoir, sans être indiscret , lui parler de sa famille, et de ce qui venait de s'y passer. Il satisfit à mes questions. Il me raconta son histoire. Je tremblai avec lui des épreuves auxquelles l'homme de bien est quelquefois exposé; et je lui dis qu'un ouvrage dramatique , dont ces épreuves seraient le sujet, ferait impression sur tous ceux qui ont de la sensibilité, de la vertu, et quel qu’idée de la faiblesse humaine.
Hélas! me répondit-il en soupirant, vous avez eu la même pensée que mon père. Quelque temps après son arrivée, lorsqu'une joie plus tranquille et plus douce commençait à succéder à nos transports , et que nous goûtions le plaisir d'être assis le uns à côté des autres , il me dit ;
Dorval , tous les jours je parle, au Ciel de Rosalie et de toi. Je lui rends grâces de vous avoir conservés jusqu'à mon retour ; mais , surtout de vous avoir considérée innocent. Ah ! mon fils, je ne jette point les yeux sur Rosalie , sans frémir du danger que tu as couru. Plus je la vois j plus je la trouve honnête et belle , plus ce danger me parait grand. Mais le Ciel, qui veille aujourd'hui sur nous , peut nous abandonner demain. Nul de nous ne connaît son fort. Tout ce que nous savons, c'est qu'à mesure que la vie s'avance, nous échappons à la méchanceté qui nous fuit. Voici les réflexions que je fais toutes les fois que je me rappelle ton histoire. Elles me consolent du peu de temps qui me reste à vivre ; et"Si tu voulais" ce serait la morale d'une Pièce dont une partie de notre vie ferait le sujet, et que nous représenterions entre nous.
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« Une Pièce, mon père »!
 
Oui-, mon enfant. Il ne s"agit point d’élever ici des tréteaux., mais de conserver la mémoire d'un, événement qui nous touche, et de le rendre comme il s'est passé. Nous le renouvellerions nous mêmes tous les ans, dans cette maison : dans ce salon. Les choses que nous avons dites nous les redirions. Tes enfants en feraient autant et les leurs , et leurs descendants. Et je me survivrais à moi-même; et j'irais converser ainsi.) d'âge en âge avec tous mes neveux. Dorval penses-tu qu'un ouvrage qui leur transmettrait nos propres idées nos vrais sentiments , les discours que nous avons tenus dans une des circonstances les plus importantes de notre vie , ne valût pas mieux que des
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portraits de famille.) qui ne montrent de nous qu'un moment de notre visage ?
 
« C'est-à-dire que vous m'ordonnez de peindre votre âme, la mienne , celles de Confiance, de Clairville et « de Rosalie. Ah ! mon père , c'est une » tâche au-dessus de mes forces, et » vous le savez bien .
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Nous nous séparâmes Dorval et moi : c'était le lundi. Il ne me fit rien dire de toute la semaine. Mais le Dimanche matin il m'écrivit Aujourd'hui à trois heures précises, à la porte du Jardin.
 
Je m'y rendis. J'entrai dans le salon par la fenêtre; et Dorval, qui avait écarté tout le monde , me plaça dans un coin, d'où, sans être vu , je vis et j'entendis ce qu'on va lire, excepté la dernière scène. Une autre fois je dirai pourquoi je n'entendis pas la dernière scène Voici
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les Noms des Personnages réels de la Pièce , avec ceux des Acteurs qui pourraient les remplacer.
 
 
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== LE FILS NATUREL, ou LES ÉPREUVES DE LA VERTU, COMÉDIE. ==
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==== scène II ====
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II ====
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'''Dorval :''' J'ai tout entendu. Tu as raison. Mais je pars.
 
'''LysimondCharles :'''
'''Charles :''' Que dira Clairville votre ami? Constance sa sœur, qui n'a rien négligé pour vous faire aimer ce séjour ? (d'un ton plus bas. ) Et Rosalie? Vous ne les verrez point ?
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'''Charles :''' Que dira Clairville votre ami? Constance sa sœur, qui n'a rien négligé pour vous faire aimer ce séjour ? (d'un ton plus bas. ) Et Rosalie? Vous ne les verrez point ?
 
''Dorval soupire profondément, laisse tomber sa tête sur ses mains, et Charles continue. ''
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Partir sans dire adieu! Il a raison; cela serait d'une bizarrerie, d'une inconséquence!..
Et qu'est-ce que ces mots signifient ? Est-il question de ce qu'on croira, ou de ce qu'il est honnête de faire? Mais, après tout, pourquoi ne verrais-je pas Clairville et sa sœur ? ne puis-je les quitter, et leur
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en taire le motif? Et Rosalie ? je ne la verrai point? Non. l'amour et l'amitié n'imposent point ici les mêmes devoirs, sur-tout un amour insensé qu'on ignore et qu'il faut étouffer. Mais que dira-t-elle ? que pensera-t-elle? sera-t-elle ? Amour sophiste dangereux, je t'entends.
 
 
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Oui, je rêve mais j'ai tort. la vie que l'on mène ici vous ennuie. Ce n'est: pas d'aujourd'hui que je m'en aperçois.
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'''Dorval :''' Elle m'ennuie ! Non, Madame , ce n'est pas cela.
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Rosalie !
 
'''Con
'''Constance :''' Je m’aperçus du goût que Clairville prenait pour elle, je m'occupais à former l'esprit, et surtout le caractère de cet enfant, qui devait un jour faire la destinée de mon frère. Il est étourdi et je la rendais prudente. Il est violent , je cultivais sa douceur naturelle. Je me complaisais à penser que je préparais de concert avec vous , l'union la plus heureuse qu'il y eût peut-être au monde: vous arrivâtes. Hélas ! ( La voix de Constance prend ici l'accent de la tendresse , et s'affaiblit un peu) Votre présence, qui devait m'éclairer et m'encourager , n'eut point ces effets que j'en attendais. Peu à-peu mes soins se détournèrent de Rosalie. Je ne lui enseignais plus à plaire et je n'en ignorais pas longtemps la raison
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'''Constancestance :''' Je m’aperçus du goût que Clairville prenait pour elle, je m'occupais à former l'esprit, et surtout le caractère de cet enfant, qui devait un jour faire la destinée de mon frère. Il est étourdi et je la rendais prudente. Il est violent , je cultivais sa douceur naturelle. Je me complaisais à penser que je préparais de concert avec vous , l'union la plus heureuse qu'il y eût peut-être au monde: vous arrivâtes. Hélas ! ( La voix de Constance prend ici l'accent de la tendresse , et s'affaiblit un peu) Votre présence, qui devait m'éclairer et m'encourager , n'eut point ces effets que j'en attendais. Peu à-peu mes soins se détournèrent de Rosalie. Je ne lui enseignais plus à plaire et je n'en ignorais pas longtemps la raison
Dorval, je connus tout l'empire que la vertu avait sur vous et il me parut que je l'en aimais encore davantage. Je me proposais d'entrer dans votre âme avec elle et je crus n'avoir jamais formé de dessein qui fût si bien selon mon cœur. Qu'une femme est heureuse me disais-je, lorsque le seul moyen qu'elle ait d'attacher celui qu'elle a distingué , c'est d'ajouter de plus en plus à l'estime qu'elle se doit ; c'est de s’élever sans cesse à ses propres yeux.
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Vous avouerai-je ce qui m'a coûté le plus ?
C'était de vous dérober ces mouvements si tendres et si peu libres , qui trahissent presque toujours une femme qui aime. La raison se fait entendre par intervalles. Le cœur importun parle sans cesse. Dorval , cent fois le mot fatal à mon projet s'est présenté sur mes lèvres. Il m'est échappé quelquefois; mais vous ne l'avez point entendu et je m'en suis toujours félicitée.
Telle est Constance. Si vous la fuyez, du moins elle n'aura point à rougir d'elle. Éloignée de vous , je me retrouverai dans le sein de la vertu. Et tandis que tant de femmes détesteront l'instant où l'objet d'une criminelle tendresse arracha de leur cœur un premier soupir Constance ne se rappellera Dorval que pour s'applaudir de l'avoir connu ou , s'il se mêle quelque
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amertume à son souvenir, il lui restera toujours une consolation douce et solide dans les sentiments mêmes que vous lui aurez inspirés.
 
 
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J'avais un ami et cet ami m'abandonne.
J'étais aimé de Rosalie, et Rosalie ne m'aime plus. Je fuis désespéré Dorval, m'abandonnerez-vous ?
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'''Dorval :'''
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'''Clairville :'''
Je vous l'ai dit d'abord. Rosalie ne m'aime plus. A mesure que les obstacles qui s'opposaient à mon bonheur ont disparu, elle est devenue réservée froide, indifférente. Ces sentiments tendres , qui sortaient de sa bouche avec une naïveté qui me ravissait ont fait place à une politesse qui me tue. Tout lui est insipide. Rien ne l'occupe. Rien ne l'amuse. M'aperçoit-elle : son premier mouvement est de s'éloigner. Son père arrive ; et l'on dirait qu'un événement si désiré, si longtemps attendu
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n'a plus rien qui la touche. Un goût sombre pour la solitude est en tout ce qui lui reste. Constance n'est pas mieux traitée que moi. Si Rosalie nous cherche encore , c'est pour nous éviter l'un par l'autre ; et pour comble de malheur, ma sœur même ne parait plus s'intéresser à moi.
 
'''Dorval :'''
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'''Clairville :'''
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Vous pouvez tout ,et vous ne me ferez point. Rosalie vous révère. Votre présence la saisit de respect ; c'est elle qui l'a dit. Elle n'osera jamais être injuste inconstante, ingrate à vos yeux. Tel est l'auguste privilège de la vertu ; elle en impose à tout ce qui l'approche. Dorval, paraissez devant Rosalie, et bientôt elle redeviendra pour moi ce qu'elle doit être, ce qu'elle était.
 
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=== ACTE II ===
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II ===
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'''Rosalie :'''
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Non, Justine.
 
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==== scène II ====
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II ====
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'''Rosalie :'''
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Je ne sais plus ce que je suis. Je ne m'estime plus.
 
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'''Rosalie :'''
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Si c'est un bonheur, il doit le connaître.
 
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==== scène IV ====
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IV ====
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Vous me l'aviez bien dit. elle ne me parait plus avoir cet empressement qui vous promettait un bonheur si prochain.
 
'''Clairville : '''
==[[Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/49]]==
''
Elle a changé! Que me reproche t-elle ?
 
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'''Clairville : '''
C'est à regret que je vous entends. Allez mon ami. Puisque vous m'abandonnez dans la triste situation où je fuis je peux tout croire des motifs qui vous rappellent. Il ne me reste plus
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qu'à vous demander un moment. Ma sœur , alarmée de quelques bruits fâcheux qui se sont répandus ici sur la fortune de Rosalie et sur le retour de son père, est sortie malgré elle. Je lui ai promis que vous ne partiriez point qu'elle ne fût rentrée.
Vous ne me refuserez pas de l'attendre.
 
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'''Dorval, ''' ''seul. : ''
Suis-je assez malheureux ?.J'inspire une passion secrète à la sœur de mon ami. J'en prends une insensée pour sa maîtresse ; elle pour moi. Que fais-je encore dans une maison que je remplis de désordre ? Où est l'honnêteté? Y en a-t-il dans ma conduite? (Il appelle comme un forcené : ) Charles , Charles On ne vient point. Tout m'abandonne. ( Il se renverse dans un fauteuil. Il s'abîme dans la rêverie. Il jette ces mots par intervalles. ) Encore, si c'étaient là les premiers malheurs que je fais ! Mais non je traîne partout l'infortune. Tristes mortels, misérables jouets des événements ! Soyez bien fiers de votre bonheur, de votre vertu!. Je viens ici, j'y porte une âme pure Oui ; car elle l'est encore. J'y trouve trois êtres favorisés du Ciel ; une femme vertueuse et tranquille, un amant passionné et payé de retour, une jeune amante raisonnable et sensible. La femme vertueuse a perdu sa tranquillité; elle nourrit dans son cœur une passion qui la tourmente. L'amant est désespéré. Sa maîtresse devient inconstante, et n'en est que plus malheureuse. Quel plus grand mal eût fait un scélérat?
Toi qui conduis tout , qui m'as conduit ici, te chargeras-tu de
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te justifier ?Je ne sais où j'en suis. ( Il crie encore ) Je ne sais où est Charles , Charles ?
 
 
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'''Dorval''' ''seul, il lit. : ''
 
« La honte et le remords me poursuivent. Dorval vous connaissez les lois de l'innocence Suis-je criminelle ? Sauvez-moi. Hélas ! en est-il temps encore ? Que je plains mon père. Et Clairville ? je donnerais ma vie pour lui. Adieu, Dorval; je donnerais pour vous mille vies.
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Adieu ! vous vous éloignez et je vais mourir de douleur».
 
 
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Que veut dire cette fuite ? Il a dû m'attendre. J'arrive, il disparaît. Dorval, vous me connaissez mal. J'en peux guérir. ( Elle approche de la table , et aperçoit la lettre à demi écrite. ) Une lettre !
( Elle prend la lettre, et la lit. ) « Je vous aime et je fuis. Hélas beaucoup trop tard! Je suis l'ami de Clairville. Les devoirs de l'amitié , les lois sacrées de l'hospitalité!.»
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Ciel ! quel mon bonheur il m'aime ! Dorval , vous m'aimez ! ( Elle se promène agitée. ) Non vous ne partirez point. Vos craintes sont frivoles, votre délicatesse est vaine. Vous avez ma tendresse. Vous ne connaissez ni Constance , ni votre ami. Non, vous ne les connaissez pas. mais peut-être qu'il s'éloigne, qu'il fuit au moment où je parle.
 
 
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=== Acte III ===
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III ===
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'''Dorval : '''
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Je n'en veux croire que vous.
 
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Clairville, épargnez-moi.
 
'''Clairv
'''Clairville : '''
==[[Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/56]]==
ille : '''
Je vous rends justice. Aussi tournant vers eux des regards d'indignation et de mépris, (Clairville regardant Dorval avec ces yeux. Dorval ne peut les soutenir. Il détourne la tête, et se couvre le visage avec les mains. ) je leur fis entendre qu'on portait en soi le germe des bassesses ( Dorval est tourmenté. ) dont on était si prompt à soupçonner autrui; et que partout où j'étais, je prétendais qu'on respectât ma maîtresse, ma sœur et mon ami..
Vous m'approuvez, je pense ?
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==== scène II ====
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Ciel ! qu'allais-je dire ?
 
'''Cl
'''Clairville'''
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airville'''
Qu'ai-je lu ? Mon ami, mon libérateur va devenir mon frère ! Quel surcroît de bonheur et de reconnaissance.
 
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Clairville, vous m'offensez, Je porte une âme trop haute, pour concevoir de pareilles craintes. Si Constance était capable de ce préjugé, j'ose le dire, elle ne ferait pas digne de moi.
 
'''C
'''Clairville :'''
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lairville :'''
Pardonnez, mon cher Dorval. La tristesse opiniâtre où je vous vois plongé, quand tout parait seconder vos vœux.
 
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'''Rosalie : '''
Arrêtez, Monsieur. Je sens toute l'obligation que nous avons à Dorval. Mais je n'ignore pas, que de quelque manière que se
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terminent ces événements pour un homme, les suites en font toujours fâcheuses pour une femme.
 
'''Dorval : '''
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==== Scène V ====
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Qu'il attende.
 
'''Charles''' ''Toujours en tremblant, et fort bas : ''
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en tremblant, et fort bas : ''
C'est un malheureux, et il y a longtemps qu'il attend.
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'''André : '''
Nous sommes partis , mon maître et moi sur le vaisseau l'Apparent , de la Rade du Fort Royal, le six du mois de Juillet. Jamais mon maître n'avait eu plus de santé , ni montré tant de joie. Tantôt le visage tourné où les vents semblaient nous porter, il élevait ses mains au Ciel , et lui demandaitdema
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ndait un prompt retour. Tantôt me regardant avec des yeux remplis d'espérance : il me disait : «  Andréa encore quinze jours, et je verrai mes enfants, et je les embrasserai , et je serai heureux une fois du moins avant que de mourir ».
 
'''Clairville ''' ''touché à Dorval : ''
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'''André :'''
On me dépouille. On charge mon maître de liens. Ce fut alors que je ne pus retenir mes cris. Je l’appelai plusieurs fois : « Mon maître , mon cher maître !» Il m'entendit, me regarda et laissa tomber ses bras tristement, se retourna ,
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et suivit sans parler ceux qui l'environnaient. Cependant on me jette à moitié nu , dans le lieu le plus profond d'un bâtiment, pêle-mêle , avec une foule de malheureux, abandonnés impitoyablement dans la fange, aux extrémités terribles de la faim , de la fois et des maladies. Et pour vous peindre en un mot toute l'horreur du lieu, je vous dirai qu'en un instant j'y entendis tous les accents de la douleur , toutes les voix du désespoir; et que, de quelque côté que je regardasse, je voyais mourir.
 
'''Clairville : '''
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'''André : '''
J'allais à lui ; c'était le premier des offices d'un ancien Correspondant qu'il avait informé de notre malheur. J'arrivai à une des prisons de la ville. On ouvrit les portes d'un cachot obscur où je descendis. Il y avait déjà quelque temps que j'étais
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immobile dans ces ténèbres , lorsque je fus frappé d'une voix mourante qui se faisait à peine entendre et qui disait en s'éteignant : « André, est-ce toi ? Il y a longtemps que je t'attends ». Je courus à l'endroit d'où venait cette voix, je rencontrai des bras nus qui cherchaient dans l'obscurité. Je les saisis. Je les baisai. Je les baignai de larmes. C'étaient ceux de mon maître. ( Une petite pause..) Il était nu. Il était étendu sur la terre humide « Les malheureux qui sont ici , me dit-il à voix basse, ont abusé de mon âge et de ma faiblesse pour m'arracher le pain , et pour m'ôter ma paille »
 
 
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'''André : '''
Il m'avait dit pendant la traversée , qu'il était né Français , qu'il ne s'appelait point Mérian; qu'en s'éloignant de sa patrie, il avait quitté son nom de famille pour des raisons que je saurais un jour. Hélas ! il ne croyait pas ce jour si prochain ! Il soupirait, et j'en allais apprendre davantage lorsque nous entendîmes notre cachot s'ouvrir. On nous appela, c'était cet ancien
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correspondant qui nous avait réunis, et qui venait nous délivrer. Quelle fut sa douleur lorsqu'il jeta ses regards sur un vieillard qui ne lui paraissait plus qu'un cadavre palpitant. Des larmes tombèrent de ses yeux. Il se dépouilla. Il le couvrit de ses vêtements; et nous allâmes nous établir chez cet hôte , et y recevoir toutes les marques possibles de l'humanité.'On eût dit que cette honnête famille rougissait en secret de la cruauté et de l'injustice de la nation.
 
'''Dorval : '''
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'''Clairville : '''
==[[Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/67]]==
André, allez, vous reposer. Sylvestre, je vous le recommande. Qu'il ne lui manque rien.
Tous les Domestiques s'emparent d'André, et l’emmènent.
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'''Dorval : '''
Cet André a jeté le trouble dans mon âme. Si vous saviez les idées qui me sont venues pendant son récit. Ce vieillard,
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ses discours. son caractère. ce changement de nom. Mais laissez-moi dissiper un soupçon qui m’obsède et penses à votre affaire.
 
'''Clairville : '''
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Non, je n'enlèverai point à mon ami sa maîtresse. Je ne me dégraderai point jusques-là. Mon cœur m'en répond. Malheur à celui qui n'écoute point la voix de son cœur ! Mais Clairville n'a point de fortune. Rosalie n'en a plus. Il faut écarter ces obstacles. Je le puis. Je le veux. Y a-t-il quelque peine dont un acte généreux ne console ? Ah ! je commence à respirer ! Si je n'épouse point Rosalie , qu'ai-je besoin de fortune? Quel plus digne usage que d'en disposer en faveur de deux êtres
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qui me sont chers ? Hélas ! à bien juger ce sacrifice si peu commun n'est rien. Clairville me devra son bonheur ! Rosalie me devra son bonheur ! Le père de Rosalie me devra bonheur ! Et Constance ? Elle entendra de moi la vérité. Elle me connaîtra. Elle tremblera pour la femme qui oserait s'attacher à ma destinée en rendant le calme à tout ce qui m'environne, je trouverai sans doute un repos qui me fuit.
 
 
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=== Acte IV ===
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IV ===
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'''Rosalie''' ''Assise et pleurant : ''
 
Amant,qui m'étais alors si cher! Clairville, que j'estime et que je désespère! Toi, à qui un bien moins digne a ravi toute
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ma tendresse, te voilà bien vengé! Je pleure, et l'on se rit de mes larmes. Justine, que penses-tu de ce Dorval? Le voilà donc, cet ami si tendre, cet homme si vrai, ce mortel si vertueux! Il n'est, comme les autres, qu'un méchant qui se joue de ce qu'il y a de plus sacré, l'amour, l'amitié, la vertu , la vérité! Que je plains Constance! Il m'a trompée. Il peut bien la tromper aussi (En se levant. ) Mais j'entends quelqu'un Justine si c'était lui !
 
'''Justine : '''
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'''Constance : '''
==[[Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/72]]==
Constance vous reste. et Clairville..
 
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'''Rosalie : '''
Hélas! si Constance eût été seule , reti
Hélas! si Constance eût été seule , retirée comme autrefois; peut-être encore, n'est ce qu'une idée vaine qui nous aurait trompées toutes deux. Notre amie devient malheureuse. On craint de se manquer à soi, même. Un premier mouvement de générosité nous emporte. Mais le temps! le temps! Madame les malheureux sont si importuns, ombrageux. On s'accoutume peu-à-peu au spectacle de leur douleur, bientôt on s'en lasse. Épargnons nous des torts réciproques. J'ai tout perdu, sauvons du moins notre amitié du naufrage. Il me semble que je dois déjà quelque chose, à l'infortune Toujours soutenue de vos conseils, Rosalie n'a rien fait encore dont elle puisse s'honorer à ses propres yeux. Il est temps qu'elle apprenne ce dont elle sera capable, instruite par Constance et par les malheurs. Lui envieriez-vous le seul bien qui lui reste, celui de se connaître elle-même?
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Hélas! si Constance eût été seule , retiréerée comme autrefois; peut-être encore, n'est ce qu'une idée vaine qui nous aurait trompées toutes deux. Notre amie devient malheureuse. On craint de se manquer à soi, même. Un premier mouvement de générosité nous emporte. Mais le temps! le temps! Madame les malheureux sont si importuns, ombrageux. On s'accoutume peu-à-peu au spectacle de leur douleur, bientôt on s'en lasse. Épargnons nous des torts réciproques. J'ai tout perdu, sauvons du moins notre amitié du naufrage. Il me semble que je dois déjà quelque chose, à l'infortune Toujours soutenue de vos conseils, Rosalie n'a rien fait encore dont elle puisse s'honorer à ses propres yeux. Il est temps qu'elle apprenne ce dont elle sera capable, instruite par Constance et par les malheurs. Lui envieriez-vous le seul bien qui lui reste, celui de se connaître elle-même?
 
'''Constance : '''
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==== Scène III ====
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III ====
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'''Constance : '''
Dorval, rassurez-vous. Lorsque mon cœur céda aux impressions de vos vertus, je vous vis tel que vous vous peignez. Je
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reconnus le malheur et ses effets terribles. Je vous plaignis et ma tendresse commença peut-être par ce sentiment.
 
'''Dorval : '''
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'''Constance : '''
Dorval vous vous trompez. Pour être tranquille, il faut avoir l'approbation de son cœur et peut-être celle des hommes. Vous n'obtiendrez point celle-ci , et vous n'emporterez point la première , si vous quittez, le poste qui vous est marqué. Vous avez reçu les talents les plus rares, et vous en devez compte à la société. Que cette foule d'êtres inutiles qui s'y meuvent sans objet , et qui l'embarrassent sans la servir, s'en éloignent, s'ils peuvent. Mais vous, j'ose vous le dire, vous ne le pouvez sans crime.
==[[Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/76]]==
C'est à une femme qui vous aime à vous arrêter parmi les hommes. C'est à Constance à conserver à la vertu opprimée un appui; au vice arrogant. Un fléau ; un frère à tous les gens de bien, à tant de malheureux un père qu'ils attendent; au genre-humain son ami; à mille projets honnêtes, utiles et grands, cet esprit libre de préjugés, et cette âme forte qu'ils exigent, et que vous avez. Vous, renoncer à la société ! J'en appelle à votre cœur, interrogez-le,et il vous dira que l'homme de bien est dans la société et qu'il n'y a que le méchant qui soit seul.
 
'''Dorval : '''
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'''Dorval : '''
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Trop tard pour mon malheur. Il a effarouché une âme simple , qui aurait été heureuse de les moindres faveurs. Il l'a remplie de craintes de terreurs, d'une horreur secrète. Dorval oserait se charger du bonheur d'une femme! Il serait père! Il aurait des enfants! Des enfants! Quand je pense que nous sommes jetés tout en naissant, dans un chaos de préjugés, d'extravagances , de vices et de misère, l'idée m'en fait frémir.
 
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'''Constance ''' ''D'un ton pathétique et d'un air pénétré : ''
 
Mais auriez-vous cette crainte si vous pensiez que l'effet de la vertu sur notre âme n'est ni moins nécessaire, ni moins puissant que celui de la beauté sur nos sens. Qu'il est dans dans le cœur de l'homme un goût d'ordre, plus ancien qu'aucun ressentiment réfléchi; que c'est ce goût qui nous rend sensible à la honte; la honte qui nous fait redouter le mépris au-delà même du trépas; que l'imitation nous est naturelle, et qu'il n'y a point
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d'exemple qui captive plus fortement que celui de la vertu , pas même l'exemple du vice. Ah ! Dorval, combien de moyens de rendre les hommes bons!
 
'''Dorval : '''
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'''Constance : '''
Je connais les maux que le fanatisme a causés, et ceux qu'il en faut craindre. Mais s'il paraissait aujourd'hui parmi nous un monstre, tel qu'il en a produit dans les temps de ténèbres, où sa fureur, ses illusions arrosaient de sang cette terre. Qu'on vît ce montre s'avancer au plus grand des crimes en invoquant le secours du Ciel. Tenant la loi de son Dieu d'une main, et de l'autre un poignard , préparer aux peuples de longs regrets croyez, Dorval qu'on en aurait autant d'étonnement que d'horreur. Il y a sans doute encore des barbares; et quand n'y en aura-t-il plus ? Mais les temps de barbarie sont passés. Le siècle s'est éclairé. La raison s'est épurée. Ses préceptes remplissent les ouvrages de la nation. Ceux où l'on inspire aux hommes la bienveillance générale, sont presque les seuls qui soient lus. Voilà les leçons dont nos théâtres retentissent, et dont ils ne peuvent retentir trop souvent. Et le Philosophe, dont vous m'avez rappelé les vers, doit principalement ses succès aux sentiments d'humanité répandus dans ses poèmes, et au pouvoir qu'ils ont sur nos âmes. Non, Dorval, un peuple qui vient
==[[Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/79]]==
s'attendrir tous les jours sur la vertu malheureuse, ne peut être ni méchant , ni farouche. C'est vous-même; ce sont les hommes qui vous ressemblent, que la Nation honore, que le Gouvernement doit protéger plus que jamais, qui affranchiront vos enfants de cette chaîne terrible dont votre mélancolie vous montre leurs mains innocentes chargées. Et quel sera mon devoir et le vôtre; sinon de les accoutumer à n'admirer même dans l' Auteur de toutes choses que les qualités qu'ils chériront en nous? Nous leur présenterons sans cesse que les lois de l'humanité sont immuables, que rien n'en peut dispenser , et nous verrons germer dans leurs âmes ce sentiment de bienfaisance universelle qui embrasse toute la nature. Vous m'avez dit cent fois qu'une âme tendre n'envisageait point le système général des êtres sensibles sans en désirer fortement le bonheur, sans y participer; et je ne crains pas qu'une âme cruelle soit jamais formée dans mon sein de votre sang.
 
'''Dorval : '''
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'''Dorval : '''
Quelle femme ! ( Il est étonné. Il garde le silence un moment. Il dit ensuite : ) Femme adorable, cruelle , à quoi me réduisez-vous ? Vous m'arrachez le mystère de ma naissance, Sachez donc qu'à
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peine ai-je connu ma mère. Une jeune infortunée, trop tendre, trop sensible, me donna la vie et mourut peu de temps après. Ses parents , irrités et puissants, avoient forcé mon père de passer aux îles. Il y apprit la mort de ma mère, au moment où il pouvait se flatter de devenir son époux. Privé de cet espoir, il s'y fixa ; mais il n'oublia point l'enfant qu'il avait eu d'une femme chérie. Constance, je suis cet enfant. Mon père a fait plusieurs voyages en France. Je l'ai vu. J'espérais le revoir encore, mais je ne l'espère plus. Vous voyez; ma naissance est abjecte aux yeux des hommes et ma fortune a disparu.
 
'''Constance : '''
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==== Scène V ====
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V ====
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'''Clairville : '''
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Qu'appelez-vous courage? Je n'en trouve point à cela. Avec une âme sincère, un caractère inflexible, il est trop incertain que j'obtienne de la faveur , la fortune dont j'ai besoin. Celle qu'on fait par l'intrigue prompte, mais vile ; par les armes, glorieuse mais lente ; par les talents , toujours difficiles et médiocres. Il est d'autres états qui mènent rapidement à la richesse; mais le Commerce est presque le seul où les grandes fortunes soient proportionnées au travail, à l'industrie et aux dangers qui les rendent honnêtes. Je commercerai, vous dis-je ; il ne me manque que des lumières et des expédients, et j'espère les trouver en vous.
 
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==== scène VII ====
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VII ====
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=== ACTE V ===
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V ===
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'''Clairville : '''
Il arrive précipitamment; et tout en approchant de Rosalie, il se jette à ses genoux, lui dit :
Eh bien! cruelle, ôtez-moi donc la vie ! Je sais tout. André m'a tout dit. Vous éloignez d'ici votre père. Et de qui l'éloignez
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vous ? D'un homme qui vous adore, qui quittait sans regret son pays, sa famille, ses amis, pour traverser les mers, pour aller se jeter aux genoux de vos inflexibles parents y mourir ou vous obtenir. Alors Rosalie, tendre, sensible, fidèle, partageait mes ennuis; aujourd'hui, c'est-elle qui les cause.
 
'''Rosalie''' ''émue et un peu déconcertée : ''
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'''Clairville : '''
Et pourquoi donc ne sont-ils plus, ni ces instant si doux, où je lisais mes sentiments dans vos yeux? Où ces mains ( il ene
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n prend une. ) daignaient essuyer mes larmes, ces larmes, tantôt amères, tantôt délicieuses, que la crainte et la tendresse faisaient couler tour-a-tour. Rosalie ! Ne me désespérez pas par pitié pour vous-même, Vous ne connaissez pas votre cœur. Non, vous ne le connaissez pas. Vous ne savez pas tout le chagrin que vous vous préparez.
 
'''Rosalie : '''
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==== Scène III ====
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III ====
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'''Dorval : '''
Je vais donc vous parler du seul moyen de tous réconcilier avec vous, d'être digne de la société dans laquelle vous vivez,
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d'être appelée l'élève et l'amie de Constance, et d'être l'objet du respect et de la tendresse de Clairville.
 
'''Rosalie : '''
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Songez, Mademoiselle, qu'une seule idée fâcheuse qui nous fuit, suffit pour anéantir le bonheur; et que la conscience d'une mauvaise action est la plus fâcheuse de toutes les idées. ( Vivement et rapidement.) Quand nous avons commis le mal, il ne nous quitte plus; il s'établit au fond de notre âme avec la honte et le remords; nous le portons avec nous, et il nous tourmente. Si vous suivez un penchant injuste, il y a des regards qu'il faut éviter pour jamais, et ces regards sont ceux des deux personnes que nous révérons le plus sur la terre. Il faut s'éloigner , fuir devant eux, et marcher dans le monde la tête baissée. ( Rosalie soupire. ) Et loin de Clairville et de Constance, où irions-nous? que deviendrions-nous? quelle serait notre société? Être méchant c'est se condamner à vivre, à se plaire avec les méchants ; c'est vouloir demeurer confondu dans une foule d'êtres sans principes, sans mœurs et sans caractère, vivre dans un mensonge continuel d'une vie incertaine et troublée; louer, en rougissant, la vertu qu'on a abandonnée; entendre dans la bouche des autres le blâme des actions qu'on a faites; chercher le repos dans des systèmes que le souffle d'un homme de bien renverse ; se fermer pour toujours la source des véritables joies, des seules qui soient honnêtes, austères et sublimes; et se livrer, pour fuir à l'ennui de tous ces amusements frivoles ou le jour s'écoule dans l'oubli de soi-même et où la vie s'échappe et se perd. Rosalie, je n’exagère point. Lorsque le fil du labyrinthe se rompt, on n'est plus maître de son sort; on ne fait jusqu'où l'on peut s'égarer.
 
Vous êtes effrayée! et vous ne connaissez encore qu'une partie de votre péril. Rosalie, vous avez été sur le point de perdre le plus grand bien qu'une femme puisse posséder sur la terre ; un bien qu'elle doit incessamment demander au Ciel qui en avare : un
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époux vertueux. Vous alliez marquer par une injustice le jour le plus plus solennel de votre vie et vous condamner à rougir au souvenir d'un instant qu'on ne doit se rappeler qu'avec un sentiment délicieux Songez qu'au pied de ces autels où vous auriez reçu mes serments, où j'aurais exigé les vôtres, l'idée de Clairville trahi et désespéré vous aurait suivie. Vous eussiez vu le regard sévère de Constance attaché sur vous. Quels auraient été les témoins effrayants de notre union. Et ce mot si doux à prononcer et à entendre, lorsqu'il assure et qu'il comble le bonheur de deux êtres dont l'innocence et la vertu consacraient les désirs ce mot fatal eût scellé pour jamais notre injustice et notre malheur. Oui, Mademoiselle, pour jamais. L'ivresse passe. On se voit tels qu'on est. On se méprise. On s'accuse, et la misère commence. ( Il échappe ici à Rosalie quelques larmes qu'elle essuie furtivement. ) En effet, quelle confiance avoir en une femme, lorsqu'elle a pu trahir son amant ? En un homme, lorsqu'il a pu tromper son ami? Mademoiselle, il faut que celui qui ose s'engager en des liens indissolubles , voie dans sa compagne la première des femmes ; et malgré elle, Rosalie ne verrait en moi que le dernier des hommes. Cela ne peut être. Je ne saurais trop respecter la mère de mes enfants; et je ne saurais en être trop considéré. Vous rougissez. Vous baissez les yeux.
 
Quoi donc? Seriez-vous offensée qu'il y eût dans la nature quelque chose pour moi de plus sacré que vous? Voudriez-vous me revoir encore dans ces instants humiliants et cruels, où vous me méprisiez sans doute, où je me haïssais, où je craignais de vous rencontrer, où vous trembliez de m'entendre, et où nos âmes flottantes entre le vice et la vertu, étaient déchirées ? Que nous avons été malheureux, Mademoiselle! Mais mon malheur a cessé au moment où j'ai commencé d'être juste. J'ai remporté sur moi la victoire la plus difficile, mais la plus entière. Je sais rentré dans mon caractère. Rosalie ne m'est plus redoutable; et je pourrais sans crainte lui avouer tout le désordre qu'elle avait jeté dans mon âme, lorsque, dans le plus grand trouble de sentiments et d'idées qu'aucun mortel ait jamais éprouvé, je répondais. Mais un événement imprévu, l'erreur de Constance,la vôtre, mes efforts m'ont affranchi. Je suis libre.
 
==[[Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/90]]==
 
'' A ces mots, Rosalie parait accablée. Dorval, qui s'en aperçoit , se tourne vers elle et regardant d'un air plus doux, il continue: ''
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==== scène IV ====
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'''Ly
'''Lysimond :'''
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simond :'''
Oui, mes enfants; vous saurez tout. Approchez, que je vous embrasse encore. (Il lève ses mains au Ciel.) Que le Ciel, qui me rend a vous, qui vous rend à moi, vous bénisse, qu'il nous bénisse tous. ( à Clairville.) ( à Constance.) Madame, pardonnez à un père qui retrouve ses enfants. Je les croyais perdus pour moi. Je me suis dit cent fois: Je ne les reverrai jamais. Ils ne me reverront plus. Peut-être, hélas ! ils s'ignoreront toujours! Quand je partis, ma chère Rosalie, mon espérance la plus douce était de te montrer un fils digne de moi, un frère digne de toute ta tendresse , qui te servît d'appui quand je ne serai plus et, mon enfant, ce sera, bientôt. Mais, mes enfants, pourquoi ne vois-je point encore sur vos visages ces transports que je m'étais promis? Mon âge, mes infirmités , ma mort prochaine vous affligent. Ah ! mes enfants, j'ai tant travaillé, tant souffert! Dorval, Rosalie !
En disant ces mots, le vieillard tient ses bras étendus vers ses enfants, qu'il regarde alternativement, et qu'il invite à se reconnaître.
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''Constance et Dorval s'approchent gravement de Lysimond. Le
==[[Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/93]]==
bon vieillard prend la main de Constance, la baise et lui rend celle de son fils que Constance reçoit. ''
 
 
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'''Rosalie''' ''à Clairville. : ''
==[[Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/94]]==
 
Sa passion!