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car le prêtre catholique pouvait s’écrier, comme le Genevois
car le prêtre catholique pouvait s’écrier, comme le Genevois :


« {{lang|la|Barbarus his ego sum, quia non intelligor illis. }} »
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Barbarus his ego sum, quia non intelligor illis.
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Au moment d’apprécier l’auteur du ''Contrat Social'', je dois au lecteur un aveu. Uniquement livré à l’étude de Montesquieu, de Vico, de Grotius, de l’école historique, sous le charme exclusif de cette vaste impartialité qui épuise toutes ses forces à juger le passé, et n’en a plus pour aller à l’avenir, quand je rencontrai un philosophe qui écrivait dans la patrie et la langue de Descartes : ''L’homme qui pense est un animal dépravé'' ; qui disait encore : ''Tout est bien sortant des mains de l’auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme'' ; qui mettait l’état normal du genre humain dans la vie sauvage, et le mal dans la sociabilité ; je l’avouerai, ne comprenant pas comment Rousseau avait été amené à parler ainsi, comment et pourquoi il l’avait dû, j’eus le malheur de dédaigner et de condamner son génie. Cependant, entre lui et moi, ce n’était pas lui qui pouvait avoir tort. Il fallait bien qu’en m’acharnant à l’étude de cet homme, je lui trouvasse un sens, une signification. Effectivement, j’ai pu dissiper l’erreur de ce premier jugement, arriver à comprendre le génie de Rousseau, à le chérir et à bénir son influence.
Au moment d’apprécier l’auteur du ''[[Du contrat social|Contrat Social]]'', je dois au lecteur un aveu. Uniquement livré à l’étude de Montesquieu, de Vico, de Grotius, de l’école historique, sous le charme exclusif de cette vaste impartialité qui épuise toutes ses forces à juger le passé, et n’en a plus pour aller à l’avenir, quand je rencontrai un philosophe qui écrivait dans la patrie et la langue de Descartes : ''L’homme qui pense est un animal dépravé'' ; qui disait encore : ''Tout est bien sortant des mains de l’auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme'' ; qui mettait l’état normal du genre humain dans la vie sauvage, et le mal dans la sociabilité ; je l’avouerai, ne comprenant pas comment Rousseau avait été amené à parler ainsi, comment et pourquoi il l’avait dû, j’eus le malheur de dédaigner et de condamner son génie. Cependant, entre lui et moi, ce n’était pas lui qui pouvait avoir tort. Il fallait bien qu’en m’acharnant à l’étude de cet homme, je lui trouvasse un sens, une signification. Effectivement, j’ai pu dissiper l’erreur de ce premier jugement, arriver à comprendre le génie de Rousseau, à le chérir et à bénir son influence.


Quand Montesquieu disparut, en 1754, il laissa son siècle entre les mains de Voltaire ; l’esprit national devenait de plus en plus libre, orné, gracieux, juste et enjoué ; mais les mœurs étaient molles, et les âmes sans consistance. Le sentiment religieux, confondu avec les superstitions qu’il fallait abolir, se perdait tous les jours. Si Voltaire régnait en maître et à bon droit sur le présent, si Montesquieu avait contemplé le passé, qui donc s’emparera de l’avenir? Quel homme, animé d’une inspiration à la fois vague et prophétique, s’opposera à son siècle comme Diogène à la foule ? Qui donc revendiquera Dieu, la nature et la liberté? C’est Rousseau que
Quand Montesquieu disparut, en 1754, il laissa son siècle entre les mains de Voltaire ; l’esprit national devenait de plus en plus libre, orné, gracieux, juste et enjoué ; mais les mœurs étaient molles, et les âmes sans consistance. Le sentiment religieux, confondu avec les superstitions qu’il fallait abolir, se perdait tous les jours. Si Voltaire régnait en maître et à bon droit sur le présent, si Montesquieu avait contemplé le passé, qui donc s’emparera de l’avenir? Quel homme, animé d’une inspiration à la fois vague et prophétique, s’opposera à son siècle comme Diogène à la foule ? Qui donc revendiquera Dieu, la nature et la liberté ? C’est Rousseau que {{tiret|tour|mente}}