« De la croyance » : différence entre les versions

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Mais cet effet que l’évidence produit en nous, ce contre-coup qu’elle a dans notre âme, c’est précisément ce qu’on appelle la certitude. C’est par la certitude que nous jugeons de l’évidence : une chose est évidente parce que nous sommes certains ; l’évidence est moins le critérium de la certitude que la certitude celui de l’évidence. Cela est si vrai que nous disons indifféremment d’une chose qu’elle est évidente, ou qu’elle est certaine.
 
Tous les philosophes qui ont étudié attentivement la question conviennent de ce que nous venons de dire. Ne déclarent-ils pas, avec [[Auteur:Baruch Spinoza|Spinoza]], celui de tous peut-être qui s’est exprimé sur ce point avec le plus de netteté, que la vérité est à elle-même sa propre marque (''veritas norma sui et falsi est'', [[L'Éthique|Eth.]], pr. XLIII, Schol), ou encore que l’évidence est comme un trait de lumière qui éblouit, et entraîne l’assentiment ? Comme nous reconnaissons la lumière à ce fait que nous sommes éclairés, nous reconnaissons l’évidence ou la vérité à ce signe que nous sommes certains.
 
Évidence et certitude sont donc deux expressions absolument synonymes : elles désignent la même chose, l’une à un point de vue objectif, l’autre à un point de vue subjectif. Ou plutôt ces mots de subjectif et d’objectif doivent être écartés de toute philosophie dogmatique : ils ne servent qu’à amener des équivoques. La certitude est bien un état du sujet, l’évidence est conçue com�me une propriété de l’objet : mais la certitude, état du sujet, ne peut se définir que comme la possession de l’objet. Il n’est pas d’expression plus impropre et plus incorrecte que celle de certitude subjective qu’on a vue quelquefois paraître de nos jours : c’est une contradiction dans les termes : la certitude n’a plus rien de la certitude si elle n’est que subjective. De même si l’évidence est une propriété de l’objet, l’objet ne possède cette qualité qu’à la condition d’être représenté dans le sujet : le mot même d’évidence implique présence d’un être qui voit. Au vrai, quand on parle de certitude ou d’évidence, le sujet et l’objet se confondent et ne font qu’un.
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C’est ce qu’ont expressément reconnu les philosophes qui ont le plus profondément étudié la question. La vérité, disent les stoïciens, grave son em�preinte dans l’esprit (''signat in animo suam speciem''), d’une manière si nette, si caractéristique, si unique, qu’une pareille empreinte ne saurait provenir d’un objets sans réalité. C’est la définition même de la représentation compré�hensive.
 
Les stoïciens sont sensualistes et parlent un langage matérialiste : Spinoza, placé à un tout autre point de vue, ne s’exprime pas autrement. Ce ne sont pas les objets sensibles qui, selon lui, font sur l’âme une impression matérielle. Mais l’idée claire et distincte s’offre à l’esprit de telle manière qu’elle diffère spécifiquement de toute autre, et elle est toujours accompagnée de certitude : la certitude est un état sui generis, que seule la vérité peut produire, et qui l’accompagne toujours. On n’est jamais certain du faux. « Jamais, dit-il éner�giquement, nous ne dirons qu’un homme qui se trompe puisse être certain, si forte que soit son adhésion à l’erreur. » (Spinoza, [[L'Éthique|Eth.]], prop. XLIX, Schol. ; pr. XLIII). L’impossibilité d’être certain du faux, l’impossibilité pour une chose qui n’est pas réelle de faire sur l’âme une impression égale à celle qui est produite par un objet réel, voilà où conduit forcément la thèse dogmatique. Il faut abso�lument renoncer à cette thèse, ou souscrire à cette conséquence.
 
Au premier abord cette conséquence peut paraître acceptable. Le sens commun lui-même semble l’admettre : si l’homme qui se trompe dit, au mo�ment où il se trompe : je suis certain ; quand il a reconnu son erreur, il dit : je me croyais certain. Et il n’y a là rien de choquant, si, comme le fait le sens commun, d’accord en cela avec le dogmatisme, on définit la certitude l’adhé�sion à la vérité. Mais le sens commun n’y regarde pas de très près : des philo�sophes ont le devoir d’être plus vigilants. Or, ils n’ont pas le droit de faire entrer cet élément, l’adhésion à la vérité, dans la définition de la certitude. On vient de voir en effet que la vérité n’est connue que par l’intermédiaire de la certitude ; on ne sait qu’une chose est vraie que parce qu’on en est certain ; on va de la certitude à la vérité, non de la vérité à la certitude. En d’autres termes, si on veut éviter un pitoyable cercle vicieux, il faut définir la certitude en elle-même, telle qu’elle apparaît dans le sujet, et ne faire entrer dans cette défini�tion que les données de la conscience ; elle doit être exprimée en termes purement psychologiques, et il faut en exclure tout élément métaphysique. On pourra dire qu’elle est une adhésion, ou un consentement entier, irrésistible, inébranlable, sans aucun mélange de doute. Et ainsi définie en termes pure�ment subjectifs, la certitude doit toujours différer spécifiquement de la croyance.
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En supposant même achevée et parfaite cette séparation de l’esprit et de la sensibilité, il resterait des difficultés. S’il y a des synthèses réellement néces�saires pour toute pensée humaine, il est incontestable que certaines synthèses, contingentes en elles-mêmes, revêtent en certains cas pour l’esprit un carac�tère de nécessité apparente et trompeuse : il y a des synthèses qu’à un moment donné nous ne pouvons rompre, quoique absolument parlant, elles puissent être rompues par une pensée plus exercée ou plus affranchie que la nôtre : on cite mille exemples de ces nécessités temporaires et en quelque sorte provi�soires qui se sont imposées à la pensée de quelques individus, et non à celle de tous. Il faut bien convenir qu’il est pour chacun de nous fort malaisé de savoir si nous ne sommes pas, en telle ou telle circonstance, dupes d’une illusion de ce genre. C’est pourquoi, même dans la science, il ne faut pas être trop abso�lu : la tolérance et la défiance de soi-même sont dans tous les cas, et à tous les degrés, choses recommandables : il n’y a point d’individus infaillibles. Mais si chacun de nous peut et doit toujours garder quelque réserve à l’égard de ses liaisons d’idées même les plus éprouvées, sa confiance peut être entière quand il voit les autres esprits également cultivés et exercés, tomber d’accord avec lui. L’entente des hommes qui ont fait les mêmes efforts, et soumis leurs pensées aux mêmes épreuves, est l’approximation et la garantie la plus haute que nous puissions avoir de cette nécessité qui s’impose à toute pensée humai�ne. Le vrai critérium de la vérité dans la science, c’est l’accord des savants, ce qui, bien entendu, est tout autre chose que le consentement universel. On dira peut-être que, même quand ils sont d’accord, les savants peuvent se tromper : il y en a des exemples. Il semble que la vérité définitive recule chaque fois qu’on croit la saisir. Mais quand on accorderait que ni un individu, ni même un groupe considérable de personnes compétentes, ne sont jamais absolument sûrs de posséder sur un point donné, la vérité, il suffit que cette nécessité, égale pour toute pensée humaine, que nous avons prise pour critérium, soit conçue comme un idéal qu’on poursuit toujours, et dont on peut se rapprocher sans cesse. Au surplus, les difficultés de ce genre sont purement théoriques. Dans la pratique on croit, et, dans le sens vulgaire du mot, on est certain, sans faire tant de façons : et on a bien raison. Mais rien peut-être ne montre plus clairement le véritable caractère de l’adhésion que nous accordons, même à celles de nos idées qui semblent s’imposer à nous avec le plus de nécessité : elle est d’ordre essentiellement pratique et subjectif : il faut toujours y mettre un peu de bonne volonté.
 
 
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