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assez vives et nullement affectées, comme on le croyait, de l’impératrice, quand elle apprend qu’on va publier les œuvres de Voltaire. Elle essaie d’abord de ravoir ses lettres : par malheur, elle s’y prend trop tard ; {{Mme}} Denis vient de traiter avec Panckoucke, et Panckoucke a cédé ses droits à Beaumarchais. Il n’est plus temps de négocier, comme elle dit, ''un arrangement panckouckien.'' Grimm est alors chargé d’entraver la publication. Car l’impératrice refuse d’avoir aucun rapport avec Figaro, « qu’elle aime beaucoup à voir représenter, mais dont il est bon d’esquiver la connaissance le plus longtemps que possible. » Grimm s’y prit-il maladroitement ou bien Figaro demanda-t-il trop cher ? On ne sait encore, on le saura sans doute quand les réponses de Grimm seront venues compléter les lettres de Catherine : toujours est-il que Figaro publia. Grand mécontentement de l’impératrice : « Écoutez, il est impertinent que Beaumarchais, — elle ne l’appelle plus Figaro, c’est qu’elle est vraiment en colère, — ait publié mes lettres, à moi, sans ma permission... il mérite d’être puni pour m’avoir manqué. » M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères, dut intervenir. L’impératrice indiqua de sa propre main, sur un exemplaire en feuilles que Grimm lui fit parvenir, les retranchemens et corrections qu’elle exigeait. Beaumarchais se soumit : on cartonna le soixante-septième volume de l’édition de Kehl, ou plutôt on en réimprima les feuilles qui contenaient les passages à supprimer ou à corriger<ref>Il n’est donc plus tout à fait exact de dire avec M. de Loménie (''Beaumarchais et son Temps,'' II, p. 224) que Beaumarchais consentit à cartonner, ''pour plaire à Catherine II,'' la correspondance de Voltaire avec l’impératrice, et ''à s’imposer pour cela un supplément de dépenses.'' On voit qu’il ne s’agissait pas pour Beaumarchais de plaire à Catherine, mais de vendre son ''Voltaire.'' S’il eût refusé de plaire à Saint-Pétersbourg, on lui refusait à Paris toute complaisance, son ''Voltaire'' ne passait pas la frontière, et il y allait de plusieurs millions.</ref>. Mais comme l’impératrice faisait des brouillons de ses lettres à Voltaire et qu’on les a retrouvés, un autre volume de la collection de la ''Société de l’histoire de Russie'' permettra de rétablir dans sa teneur authentique le texte de Catherine. En comparant ces deux volumes on remarquera que l’impératrice, quand elle écrit à Voltaire, y met bien autrement de soin et de coquetterie de style que quand elle écrit au ''baron de Thunder-Ten-Tronck :'' c’est un des petits noms d’amitié qu’elle donne à Grimm. Les lettres à Voltaire sont incomparablement mieux écrites que les lettres à Grimm. M. A. Rambaud, ici même, il y a trois ans<ref>Voyez, dans la ''Revue'' du 15 janvier et du 1{{er}} février 1877, le travail de M. [[Alfred Rambaud]] sur les [[Catherine II et ses correspondans français|''Correspondans français de Catherine II.'']]</ref>, a signalé ce que cette correspondance contenait de parties inédites et de variantes essentielles, il nous suffit de renvoyer à ce qu’il en a dit. Ajoutons un mot cependant : une lettre de Catherine à Grimm donne le chiffre de quatre-vingt-douze lettres déjà retrouvées de Voltaire ; une autre lettre en déclare plus d’une centaine ; l’impératrice
assez vives et nullement affectées, comme on le croyait, de l’impératrice, quand elle apprend qu’on va publier les œuvres de Voltaire. Elle
essaie d’abord de ravoir ses lettres : par malheur, elle s’y prend trop
lard; M"’^ Denis vient fie traiter avec Panckoucke, et Panckoucke a cédé
ses droits à Beaumarchais. Il n’est plus temps de négocier, comme elle
dit, un arrangement panckouckien. Grimra est alors chargé d’entraver
la publication. Car l’impératrice refuse d’avoir aucun rapport avec Figaro, « qu’elle aime beaucoup à voir représenter, mais dont il est bon d’esquiver la connaissance le plus longtemps que possible. » Grimm s’y prit-il maladroitement ou bitn Figaro demanda-t-il trop cher? On ne sait encore, on le saura sans doute quand les réponses de Grimm seront venues compléter les lettres de Catherine : toujours est-il que Figaro publia. Grand mécontentement de l’impératrice: «Écoutez, il est impertinent que
Beaumarchais, — elle ne l’appelle plus Figaro, c’est qu’elle est vraiment
en colère, — ait publié mes lettres, à moi, sans ma permission... il mérite d’être puni pour m’avoir manqué. » M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères, dut intervenir. L’impératrice indiqua de sa propre main, sur un exemplaire en feuilles que Grimm lui fit parvenir, les retranchemens et corrections qu’elle exigeait. Beaumarchais se souinit : on cartonna le soixante-septième volume de l’édition de Kehl, ou plutôt on
en réimprima les feuilles qui contenaient les passages à supprimer ou à
corriger (1). Mais comme l’impératrice faisait des brouillons de ses let-
tres à Voltaire et qu’on les a retrouvés, un autre volume de la collection
de la Société de Vhîstoire de Russie permettra de rétablir dans sa teneur
authentique le texte de Catherine. En comp;;rant ces deux volumes on
remarquera que l’impératrice, quand elle écrit à Voltaire, y met bien
autrement de soin et de coquetterie de style que quand elle écrit au
baron de Thunder-Ten-Tronck : c’est un des petits noms d’amitié qu’elle
donne à Grimm. Les lettres à Voltaire sont incomparablement mieux
écrites que les lettres à Grimm. M. A. Rambaud, ici même, il y a trois
ans (2), a signalé ce que cette correspondance contenait de parties iné-
dites et de variantes essentielles, il nous suffît de renvoyer à ce qu’il en a dit. Ajoutons un mot cependant : une lettre de Catherine à Grimm
donne le chiffre de quatre-vingt-douze lettres déjà retrouvées de Vol-
taire; une autre lettre en déclare plus d’une centaine; l’impératrice

(1) Il n’est donc plus tout à fait exact de dire avec M. de Loménie (''Beaumarchais et son Temps,'' II, p. 224) que Beaumarchais consentit à cartonner, ''pour plaire à Catherine II,'' la correspondance de Voltaire avec l’impératrice, et ''à s’imposer pour cela un supplément de dépenses.'' On voit qu’il ne s’agissait pas pour Beaumarchais de plaire à Catherine, mais de vendre son ''Voltaire.'' S’il eût refusé de plaire à Saint-Pétersbourg, on lui refusait à Paris toute complaisance, son ''Voltaire'' ne passait pas la frontière, et il y allait de plusieurs millions.

(2) Voyez, dans la ''Revue'' du 15 janvier et du 1{{er}} février 1877, le travail de M. Alfred Rambaud sur les ''Correspondans français de Catherine II.''