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mieux se tromper en étant trop indulgent que par trop de sévérité, surtout dans un cas aussi douteux. Certes la femme se croit coupable ; elle a avoué son crime aussitôt après l’avoir commis : elle a renouvelé ses aveux six mois plus tard ; elle ira peut-être en Sibérie en se croyant justement châtiée, mourra sans doute en se repentant d’avoir essayé de commettre un meurtre. Elle ignorera probablement toujours qu’elle n’a agi que poussée par une surexcitation morbide occasionnée par la grossesse.
mieux se tromper en étant trop indulgent que par trop de sévérité, surtout dans un cas aussi douteux. Certes la femme se croit coupable ; elle a avoué son crime aussitôt après l’avoir commis ; elle a renouvelé ses aveux six mois plus tard ; elle ira peut-être en Sibérie en se croyant justement châtiée, mourra sans doute en se repentant d’avoir essayé de commettre un meurtre. Elle ignorera probablement toujours qu’elle n’a agi que poussée par une surexcitation morbide occasionnée par la grossesse.


Remarquez encore une chose : l’accouchement de la Kornilova était imminent, puisque la sage femme était dans la salle des séances. En condamnant la coupable on a condamné aussi l’enfant qui n’était pas encore né. Voilà un enfant qui avant sa naissance, est condamné à la déportation avec sa mère. Il grandira la-bas, il saura tout sur cette mère et que deviendra-t-il ? Et je vais trop loin : Regardons simplement l’affaire telle qu’elle est aujourd’hui. Voici Kornilov, le mari, devenu veuf une seconde fois. Il est libre : son mariage est cassé par la déportation même de sa femme en Sibérie. Mais la femme n’est pas partie. Elle accouchera avant son départ. Kernilov, sans doute, viendra la voir, peut-être avec la fillette victime de l’attentat. Qui sait s’ils ne se réconcilieront pas de la façon la plus sincère ? On peut admettre qu’ils ne se disent pas un mot de reproche, qu’ils ne s’en prennent qu’à leur sort. La fillette jetée par la fenêtre viendra faire des commissions pour son père : «Tenez, petite maman, voici des petits pains, voici du thé et du sucre que papa vous envoie ; demain il viendra lui-même. » Ils sangloteront, qui sait ? quand ils se diront adieu, le jour où le chemin de fer emportera la Kornilova en Sibérie ; et la fillette victime de la marâtre sanglotera aussi. Et le nourrisson criera, — que la femme l’emmène avec elle ou qu’il reste chez le père.
Remarquez encore une chose : l’accouchement de la Kornilova était imminent, puisque la sage-femme était dans la salle des séances. En condamnant la coupable on a condamné aussi l’enfant qui n’était pas encore né. Voilà un enfant qui, avant sa naissance, est condamné à la déportation avec sa mère… Il grandira -bas, il saura tout sur cette mère et que deviendra-t-il ? Et je vais trop loin : Regardons simplement l’affaire telle qu’elle est aujourd’hui. Voici Kornilov, le mari, devenu veuf une seconde fois. Il est libre : son mariage est cassé par la déportation même de sa femme en Sibérie. Mais la femme n’est pas partie. Elle accouchera avant son départ. Kornilov, sans doute, viendra la voir, peut-être avec la fillette victime de l’attentat. Qui sait s’ils ne se réconcilieront pas de la façon la plus sincère ? On peut admettre qu’ils ne se disent pas un mot de reproche, qu’ils ne s’en prennent qu’à leur sort. La fillette jetée par la fenêtre viendra faire des commissions pour son père : « Tenez, petite maman, voici des petits pains, voici du thé et du sucre que papa vous envoie ; demain il viendra lui-même. » Ils sangloteront, qui sait ? quand ils se diront adieu, le jour où le chemin de fer emportera la Kornilova en Sibérie ; et la fillette victime de la marâtre sanglotera aussi. Et le nourrisson criera, — que la femme l’emmène avec elle ou qu’il reste chez le père.


Qu’attendent-ils, nos romanciers ? Voici un sujet vraiment réaliste, où il n’y a qu’a suivre la vérité pas a pas !
Qu’attendent-ils, nos romanciers ? Voici un sujet vraiment réaliste, où il n’y a qu’à suivre la vérité pas à pas !


Est-il vraiment impossible d’adoucir un peu le verdict qui a frappé la Kornilova ? Ce verdict est une erreur. Je vois, troublement comme dans un songe, que c’est une erreur !
Est-il vraiment impossible d’adoucir un peu le verdict qui a frappé la Kornilova ? Ce verdict est une erreur. Je vois, troublement comme dans un songe, que c’est une erreur !