« Histoire du Bouddhisme » : différence entre les versions

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<center>Relation des royaumes bouddhiques, traduite du chinois et accompagnée d’un commentaire, par Abel Rémusat</center>
 
En terminant la notice que j'ai consacrée dans cette ''Revue'' (1)<ref> Voyez tome VIII de la première série, tome IV de la seconde série, ''De la Chine et des travaux d'Abel Rémusat''.</ref> aux beaux travaux d'Abel Rémusat, j'annonçais la publication d'un ouvrage important que ce savant illustre laissait inachevé : c'était la traduction d'un voyage entrepris et écrit par un Chinois du IVe siècle. L'auteur de ce livre, intitulé ''Relation des royaumes bouddhiques'', était un religieux de la secte de Foë (Foë est, comme on sait, le nom de Bouddha à la Chine); il se nommait Fa-Hian, et partit vers la fin du IVe siècle, dans l'intention de parcourir tous les pays étrangers où la religion de Bouddha était établie, de visiter les temples et les monastères, de recueillir les livres sacrés de cette religion, qui, persécutée dans l'Inde son berceau, s'était dès-lors établie à la Chine, et devait s'étendre dans toute la Haute-Asie.
 
Je fis pressentir de quel prix serait la traduction d'une relation pareille, accompagnée du savant commentaire qu'y avait joint M. Rémusat, et dans lequel il avait déposé le fruit de ses longues recherches sur l'histoire du bouddhisme, son étude de prédilection, une de celles, en effet, qui méritaient le mieux d'occuper un esprit de la valeur et de la portée du sien.
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Il interrompt son récit des merveilles religieuses de Ceylan par ces paroles : « Depuis que Fa-Hian avait quitté la terre de Han (la Chine), plusieurs années s'étaient écoulées. Les gens avec lesquels il avait des rapports étaient tous des hommes de contrées étrangères. Les montagnes, les rivières, les arbres, les herbes, tout ce qui avait frappé ses yeux était nouveau pour lui. De plus, ceux qui avaient fait route avec lui s'en étaient séparés, les uns s'étant arrêtés, les autres étant morts. En réfléchissant au passé, son cœur était toujours plein de pensées et de tristesse. Tout à coup, à côté de cette figure de Jade (une idole bouddhique), il vit un homme qui faisait hommage à la statue d'un éventail blanc du pays de Tsin (sa province natale); sans qu'on s'en aperçût, cela lui causa une émotion telle que ses larmes coulèrent et remplirent ses yeux. »
 
Ailleurs, le pèlerin bouddhiste raconte quelles furent ses transes pendant une tempête qui le surprit après son départ de Ceylan. II craignait surtout que les marchands sur le navire desquels il faisait route vers sa patrie, ne jetassent à la mer ses livres sanscrits, qu'il avait mis plusieurs années à recueillir et à copier, ainsi que les saintes images qu'il rapportait. Il priait dévotement Bouddha de faire revenir vivans dans la terre de Han tous les ''religieux''. Cet oubli des laïques dans ses vœux de délivrance sent quelque peu le moine. Une autre fois il faillit être lui-même victime de l'esprit de secte. Il se trouvait sur un vaisseau rempli de brahmanes. Ceux-ci se dirent entre eux : « C'est le séjour de ce samanéen (2)<ref> Samanéen, sectateur de Bouddha, sectateur de Foë, sont synonymes.</ref> sur notre bord qui nous a attiré ce malheur; il faut débarquer ce mendiant sur le rivage d'une île; il ne convient pas que, pour un seul homme, nous soyons exposés à de tels dangers. » Combien de fois des matelots italiens ou espagnols ont manifesté dans une tempête le même sentiment à l'égard d'un passager protestant !
 
Enfin, le religieux voyageur rentra dans son pays après avoir accompli son pénible et curieux voyage. « En récapitulant ce que j'ai éprouvé, dit-il vers la fin de sa relation, mon cœur s'émeut involontairement; les sueurs qui ont coulé dans mes périls ne sont pas le sujet de cette émotion. Ce corps a été conservé par les sentimens qui m'animaient. C'est mon but qui m'a fait exposer ma vie dans des pays où l'on n'est pas sûr de sa conservation, pour parvenir jusqu'à ce qui était l'objet de mon espoir, à tout risque. »
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Les bouddhistes ne manquèrent certes pas de l'imagination nécessaire pour composer une mythologie. Cependant ils ont trouvé commode de s'emparer de la mythologie toute faite du brahmanisme, sans renoncer à y joindre leurs propres inventions : d'ailleurs c'est du brahmanisme qu'ils sont sortis; ils ont jeté d'abord une secte réformée qui, peu à peu, est devenue une religion indépendante et hostile. Aussi ils ne rejettent point Brahma, ils ne l'excluent point du panthéon bouddhique, mais ils lui assignent une place inférieure à Bouddha.
 
Cette place varie dans les divers traités mythologiques. Tantôt on lui donne à gouverner la plus grande des trois agrégations de l'univers, qui contient, avec beaucoup d'autres choses, mille millions de soleils (3)<ref> Pag. 136.</ref>; c'est ce qu'on peut appeler un pis aller assez consolant et une retraite fort honorable; tantôt il est un personnage beaucoup moins imposant, il est seulement « le premier des vingt dieux qui sont nommés comme ayant des fonctions et une protection à exercer à l'égard des autres êtres. On lui donne le titre de roi, faible dédommagement du rang de Dieu suprême; - il est strict observateur des préceptes et sait gouverner la troupe des brahmanes. » - Ici l'arrogance du culte nouveau et triomphant perce à travers les hommages un peu dérisoires qu'elle accorde à l'ancienne divinité détrônée par Bouddha. C'est comme le pacifique royaume du Latium donné au bonhomme Saturne en dédommagement de l'Olympe où s'assied Jupiter.
 
Ailleurs le bouddhisme a pactisé moins arrogamment avec le brahmanisme. Il a conservé à la trinité brahmanique son triple rôle de création, de conservation et de destruction; seulement il a fait émaner les trois grands dieux, Brahma, Vichnou et Siva, ainsi que les dieux inférieurs, du suprême Bouddha. Tels sont les arrangemens, et, pour ainsi dire, les traités qu'ont faits ensemble les deux religions. Telles sont les conditions qu'a imposées et les indemnités qu'a octroyées le dieu vainqueur aux dieux vaincus.
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Mais arrivons aux légendes sur Bouddha.
 
L'histoire réelle du personnage qui a fondé le bouddhisme et lui a donné son nom, est impossible à retrouver sous l'amas de fables dont trente siècles et trente peuples l'ont surchargée. Jamais la biographie ne fut plus complètement ensevelie sous la légende. La science, en rapprochant les traditions indiennes, chinoises, cingalaises, birmanes, japonaises, thibétaines, tartares, sur l'o¬rigine du bouddhisme, a pu seulement déterminer avec une grande vraisemblance l'époque de l'apparition de Bouddha, et la fixer vers le milieu du Xe siècle avant Jésus-Christ. Le voyage de Fa-Hian confirme cette date, à laquelle d'autres recherches avaient conduit M. Rémusat. Ce voyage change un peu les idées qu'on pouvait se faire sur le lieu d'où le bouddhisme a commencé à se propager. Il place le berceau de cette religion dans l'Inde centrale, au bord du Gange, tandis qu'on l'avait à tort transporté dans le Behar méridional (4)<ref> Introduction, pag. L.</ref> .
 
Il paraît que Bouddha est né aux environs d'Aoude, et, au sud, sa prédication n'a pas passé le Gange.
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Voilà à peu près tout ce que l'on peut dire historiquement de ce grand réformateur, dans lequel ses sectateurs ont vu une incarnation divine, incarnation qui a été précédée et sera suivie d'une infinité d'incarnations du même genre, de milliers d'autres Bouddhas.
 
De plus, les nombreuses nations qui ont adopté le bouddhisme ont prêté à son fondateur des aventures plus extraordinaires les unes que les autres. L'imagination avait un champ presque illimité .pour les produire ; car Bouddha a parcouru une série incalculable d'existences. « Le nombre de mes naissances et de mes morts, dit-il, ne peut se comparer qu'à celui des arbres et des plantes de l'univers entier. On ne pourrait compter les corps que j'ai eus. Moi-même je ne puis énoncer les renouvellemens et destructions du ciel et de la terre que j'ai vus (5)<ref> Pag. 68.</ref>. » Ainsi, on n'eut pas à rêver seulement une vie, mais des vies innombrables de Bouddha. Et la légende put se multiplier à l'infini comme le dieu lui-même.
 
Bouddha a une biographie antérieure à sa naissance. Il a commencé par être un homme ordinaire cherchant la sagesse. Puis, de degrés en degrés, à travers des millions d'existences, il s'est élevé au rang de boddhisattva (uni à l'intelligence) ; il a été roi de l'univers; il est monté au ciel de Brahma; il a été Brahma; la durée de la vie d'un Brahma est de deux régénérations du monde, ou deux mille six cent quatre-vingt-huit millions d'années. Il était à la fois un dieu dans le ciel, et sur la terre un saint roi. Mais dans cet état de béatitude, Bouddha est saisi du désir de sauver les hommes... Il veut témoigner sa commisération pour toutes les douleurs, et ''faire tourner la roue'' pour tous les êtres vivans (6)<ref> Pag.71.</ref>. Pour cela, il résout de se faire homme; il choisit la mère qui doit l'enfanter. C'est une vierge (7)<ref> Klaproth, Vie de Bouddha, ''Journal asiatique'', tom. IV, pag. 15.</ref> qui concevra en songe d'un saint esprit.
 
La légende a diversifié de plusieurs manières le sentiment de mélancolie sublime qui saisit Bouddha à la vue de la misère humaine, et lui fait prendre la résolution de sauver, d'affranchir l'homme de la douleur, c'est-à-dire, dans le point de vue du quiétisme bouddhique, de le tirer de la sujétion des existences changeantes et périssables, soumises aux troubles et à la souffrance, pour l'élever à l'état de repos immuable qui résulte de l'union de l'intelligence avec la substance infinie d'où elle émane.
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Bouddha dit, dans une légende citée par M. Rémusat :
 
« Les maux qui affligent tous les êtres, les erreurs auxquelles ils sont en proie et qui les écartent de la droite voie, leur chute dans le séjour des grandes ténèbres, les douleurs sans fin qui les tourmentent sans qu'ils aient un libérateur ou un protecteur, leur font invoquer ma puissance et mon nom. Mais leurs souffrances que mon oeil céleste me fait voir, que mon oreille céleste me fait entendre, et auxquelles je ne puis porter remède, me troublent au point de m'empêcher d'atteindre à l'état de pure intelligence (8)<ref> Le Bouddha, qui se plaint avec tant de grandeur de la tristesse que lui causent les souffrances des êtres, a eu, dans les superstitions populaires de la Chine, une destinée misérable. Elles ont fait de lui une divinité femelle d'un ordre subalterne; et il a fini par donner son nom de Pousa à ces figures arrondies par la base, dont le balancement grotesque a eu parmi nous un succès de vogue, les années précédentes, à l’époque des étrennes</ref>
 
Ailleurs, la légende raconte comment Sakya-Mouni, le dernier apparu des Bouddhas, le fondateur du bouddhisme actuel, a été amené à sa résolution d'affranchir l'homme et de sauver le monde.
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Enfin la mort de Bouddha, c'est-à-dire son absorption dans l'essence absolue ou le vide infini, est une circonstance dont le souvenir revient plusieurs fois dans le récit de Fa-Hian, dont la légende s'est emparée, qu'elle a entouré de merveilleux et de poésie, enfin que l'art a reçu de ses mains, et a traité à son tour avec un certain grandiose peu ordinaire en ces contrées. J'ai vu à Leyde le tableau japonais de la mort de Bouddha, dont M. Siebold a donné la gravure dans son ouvrage sur le Japon, et j'ai été frappé du caractère de majestueuse tristesse, de recueillement douloureux, empreint sur toute cette composition, dans laquelle les dieux, les hommes, les animaux, la nature entière, entourent d'un deuil universel le cadavre du sauveur des mondes.
 
Tous les pays où le bouddhisme s'est établi, offrent des traces de la présence de son divin fondateur et des merveilles qu'il a opérées. L'on montre l'empreinte de son pied dans une foule de lieux; la plus célèbre est celle de Ceylan, où des chrétiens peu éclairés ont cru voir un vestige de la présence d'Adam. Souvent ces traditions locales sont extrêmement puériles (9)<ref> Telle est celle de l'ermite du grand arbre, qui maudit quatre-vingt-dix neuf femmes, lesquelles au même moment devinrent toutes bossues.</ref>; mais il en est aussi de touchantes, il en est qui expriment d'une manière naïve le sentiment d'humanité, qui est le plus beau trait de la morale bouddhique et de la vie légendaire de Bouddha.
 
Ainsi, sans être un pèlerin croyant comme Fa-Hian, on pourrait être ému en voyant le lieu où Bouddha, fuyant ses ennemis et abandonnant son royaume, trouva un pauvre brahmane qui demandait l'aumône. Ayant perdu son royaume et son rang, n'ayant plus rien, il commanda qu'on le liât lui-même et qu'on le livrât au roi son ennemi, afin que l'argent qu'on donnerait pour lui servît d'aumône.
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Et remarquez que le mendiant pour qui Bouddha se dévoue ainsi, est un brahmane, c'est-à-dire appartient à la caste des persécuteurs et des persécuteurs quelquefois atroces du bouddhisme. Le bouddhisme, dans une pareille légende, se montre supérieur à la division des castes, et aux représailles de la vengeance. Il dit à sa manière : Faites du bien à ceux qui vous persécutent.
 
Une foule d'actes que la légende attribue à Bouddha, expriment, sous une forme souvent bizarre, son dévouement universel, son inépuisable amour pour tous les êtres. Il fait l'aumône de ses yeux, l'aumône de sa tête, il livre son corps à un tigre qui mourait de faim pour lui sauver la vie (10)<ref> Pag. 75.</ref>.
 
L'histoire du pot d'or de Foë, que « de pauvres gens parviennent à remplir avec quelques fleurs, tandis que des gens riches qui apporteraient des fleurs en offrandes, pourraient en mettre mille ou dix mille grandes mesures, sans jamais parvenir à la remplir; » cette histoire gracieuse est presque aussi touchante que notre vieille légende française du ''Barizel'', ce baquet merveilleux que n'avaient pu remplir tous les fleuves, toutes les fontaines, toutes les mers, mais qu'une larme de repentir comble et fait déborder.
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Si les lignes qui précèdent n'étaient textuellement traduites du chinois, on croirait entendre un chroniqueur du moyen-âge vantant l'humilité respectueuse des princes dévots en présence des religieux et leur libéralité envers les monastères. Le monachisme a, dans le principe d'association et de perpétuité qui le constitue, une force d'absorption qui, au sein des circonstances les plus diverses, a dû produire les mêmes résultats.
 
Plusieurs des pratiques de dévotion usitées dans les couvens bouddhiques rappellent des pratiques monacales ou ecclésiastiques de l'Europe. Le chapelet y est fort en vogue; les cloches y retentissent jour et nuit. Chaque monastère a des reliques de Bouddha. Ici c'est une de ses dents, là un os de son crâne; c'est son bâton, son manteau, sa marmite; la plus étrange des reliques de Bouddha, c'est son ombre (11)<ref> Pag. 86-87</ref> ; il y a même quelque trace de la confession (12)<ref> Pag. 112.</ref>. Aucune des observances machinales qu'on a pu reprocher à l'ascétisme matériel de l'Espagne et de l'Italie n'approche de l'usage singulier des roues de prière. On colle sur ces roues ou cylindres des morceaux de papier sur lesquels sont écrites diverses oraisons. Au lieu de réciter les oraisons, on tourne la roue, et cette opération compte aux assistans comme s'ils eussent récité la prière. C'est prier à tour de bras. Ce que ne dit pas Fa-Hian, c'est que, dans certains endroits, on a tellement simplifié le travail, que les roues en question tournent par l'effet d'un poids suspendu comme un tourne-broche, ou du vent, comme les moulins. Ces dévots sont pour la prière comme était pour la danse cet envoyé persan qui, dans un bal, s'émerveillait de ces gens qui dansaient ''eux-mêmes''... Eux aussi ont trop de la superbe apathie orientale pour prier eux-mêmes. Les chanoines du ''Lutrin'', qui faisaient louer Dieu par des chantres gagés, n'y entendaient rien en comparaison. On n'a pas besoin de gager une roue; il ne faut qu'un poids de dix livres ou un souffle de vent pour édifier tout le peuple. Certes les bons pères des ''Provinciales'', malgré leur grande science, n'ont jamais porté à cette perfection l'art de la ''dévotion aisée''. Il ne manque à cette sublime invention bouddhique que l'application de la machine à vapeur : mais les Anglais sont dans l'Inde, et il ne faut désespérer de rien.
 
Tous ces rapprochemens, les uns tenant à la nature des idées, les autres accidentels et fortuits, se présentent d'eux-mêmes à ceux qui passent de l'étude du christianisme à l'étude de la religion de Bouddha. En signalant quelques-uns des plus frappans, mon intention était surtout de faire sentir aux lecteurs l'importance de cette publication, et, en général, de tout ce qui peut, comme elle, éclairer l'histoire du bouddhisme. Il faut qu'on s'accoutume à donner une grande place dans l'histoire de la civilisation à cette doctrine, dont le nom était ignoré il y a un siècle; et il faut qu'elle prenne son rang à côté des grandes religions qui ont si puissamment influé sur les destinées humaines. Traditions vénérables par leur antiquité, et puissance réformatrice, action morale et politique, théâtre immense et varié, profondeur de doctrine et richesse de fiction, église organisée, monachisme innombrable, pratiques touchantes et superstitions bizarres, rien ne lui manque de tout ce qui peut solliciter cette curiosité qui se plaît à étudier les grands et compliqués phénomènes de l'esprit humain. On ne peut nier que son histoire n'offre un certain parallélisme avec l'histoire de la religion chrétienne. Comme celle-ci, le bouddhisme s'est détaché d'une religion antérieure, par rapport à laquelle il a été un immense progrès. Il a proclamé aussi que tous étaient appelés; il a foulé aux pieds dans l'Inde, à la face du brahmanisme, les divisions de castes, de races, de pays; il a adouci les mœurs des nations barbares, et il a prêché la charité pour les hommes et la pitié pour les animaux ; il a prescrit et pratiqué la tempérance, la chasteté, l'humilité, la pauvreté, comme le christianisme primitif. Il a fondé une multitude de couvens pour les deux sexes; il a reçu des donations, il a propagé le culte des reliques et des images, il a multiplié à l'infini les pratiques dévotes et les légendes, comme le christianisme du moyen-âge. Enfin, pour compléter la ressemblance extérieure des deux religions, le bouddhisme a eu son pape. Le lama du Thibet a été un chef spirituel, ayant des possessions temporelles, et reconnu par une grande portion des nations bouddhiques; et tout cela dure encore, et à l'heure qu'il est, en Chine, au Japon, au Thibet, dans les steppes de la Tartane, plus de quatre cents millions de nos semblables croient à la doctrine, et pratiquent le culte de Bouddha.
 
Mais sous ces analogies, qu'on ne m'accusera pas de déguiser, que peut-être on me reprochera tout aussi injustement de faire trop ressortir, se cache une différence profonde, radicale, dont les conséquences se retrouvent partout dans les deux religions, la différence du théisme au panthéisme. Le Christ est le fils de Jéhovah. Le christianisme a reçu du judaïsme la notion du Dieu auquel nous croyons, du Dieu vivant, du Dieu fort, du Dieu bon, c'est-à-dire du Dieu libre, du Dieu créateur, du Dieu aimant; et le christianisme a été une religion de liberté d'action et d'amour. Le bouddhisme au contraire, qui n'a pu se dégager du vieux panthéisme indien, au sein duquel il a pris naissance, le bouddhisme n'a jamais connu d'autre dieu qu'un dieu mort; car il est sans individualité, sans conscience de son être ; un dieu soumis à la fatalité, car le monde émane nécessairement de son sein ; un dieu qui n'aime point, car il n'y a pour lui ni mauvais ni bon; lui-même ne peut être dit bon ou mauvais, chaque distinction se perdant au sein de sa ténébreuse et indiscernable unité. Aussi toute la tendance morale du bouddhisme s'en est ressentie. Les vertus actives qu'il prescrit, n'ont été considérées que comme des degrés inférieurs conduisant à une perfection plus haute; et cette perfection a été l'anéantissement de l'activité humaine. La fin suprême de l'homme a été de perdre le sentiment de son moi, de renoncer à sa liberté, de s'élever au-dessus des affections les plus pures, au-dessus de la distinction du bien et du mal, d'arriver à un état où la différence de l'être et du non-être elle-même disparût, où il ne restât plus, comme le disent les bouddhistes, que le ''vide''. Et ainsi cette religion, qui, à son point de départ, s'adressait aux meilleures tendances de la nature humaine, et se rencontrait avec le christianisme, entraînée par l'idée panthéistique qui la domine, n'a pas plus échappé que les autres religions de l'Inde aux conséquences de cette idée, aux extravagances du quiétisme oriental; s'élevant de sphère en sphère par tous les degrés de la contemplation, elle s'est précipitée à travers les cieux dans un abîme. Le bouddhisme a tenté ce que saint Irénée reprochait aux gnostiques, quand il leur disait : « Vous avez voulu dépasser Dieu ! »
 
 
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<small>(1) Voyez tome VIII de la première série, tome IV de la seconde série, ''De la Chine et des travaux d'Abel Rémusat''.</small>
 
<small>(2) Samanéen, sectateur de Bouddha, sectateur de Foë, sont synonymes.</small>
 
<small>(3) Pag. 136.</small>
 
<small>(4) Introduction, pag. L.</small>
 
<small>(5) Pag. 68.</small>
 
<small>(6) Pag.71.</small>
 
<small>(7) Klaproth, Vie de Bouddha, ''Journal asiatique'', tom. IV, pag. 15.</small>
 
<small>(8) Le Bouddha, qui se plaint avec tant de grandeur de la tristesse que lui causent les souffrances des êtres, a eu, dans les superstitions populaires de la Chine, une destinée misérable. Elles ont fait de lui une divinité femelle d'un ordre subalterne; et il a fini par donner son nom de Pousa à ces figures arrondies par la base, dont le balancement grotesque a eu parmi nous un succès de vogue, les années précédentes, à l’époque des étrennes</small>
 
<small>(9) Telle est celle de l'ermite du grand arbre, qui maudit quatre-vingt-dix neuf femmes, lesquelles au même moment devinrent toutes bossues.</small>
 
<small>(10) Pag. 75.</small>
 
<small>(11) Pag. 86-87</small>
 
<small>(12) Pag. 112.</small>
 
 
 
J.-J. AMPÈRE.
<references/>
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