« Chez les heureux du monde/29 » : différence entre les versions
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| [[Auteur:Edith Wharton|Edith Warthon]]
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d’absorption, il fut surpris de voir la porte s’ouvrir si promptement.
Il fut encore plus surpris de voir, en entrant, qu’elle
avait été ouverte par Gerty Farish, et que, derrière elle,
dans une confusion agitée, se profilaient plusieurs autres
visages de mauvais augure.
— Lawrence ! — cria Gerty d’une voix étrange. — Comment
avez-vous pu arriver si vite ?
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Que ce fût vraiment elle, tout son être, à lui, le niait ardemment.
La vraie Lily s’était appuyée, toute chaude, contre son
cœur, quelques heures auparavant : qu’avait-il à faire avec
cette face étrangère et paisible qui, pour la première fois, ne
Gerty, singulièrement paisible, elle aussi, avec le sang-froid
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un message suprême.
— Le docteur a trouvé un flacon de
mal depuis longtemps, et elle aura pris une dose trop forte,
par erreur… Il n’y a aucun doute là-dessus… aucun doute…
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posée comme un masque délicat et subtil sur les traits vivants
qu’il avait connus. Il sentait que la Lily véritable était encore
là, toute proche de lui, invisible pourtant et inaccessible ; et la
ténuité même de l’obstacle tendu entre eux le convainquait
d’une impuissance dérisoire. Il n’y avait jamais eu rien de plus
entre eux qu’un léger, un impalpable obstacle — et pourtant
il avait permis que cet obstacle les séparât ! Et maintenant,
bien qu’il semblât plus mince et plus fragile que jamais, il
était devenu soudain aussi dur que le diamant, et lui, Selden,
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Il était tombé à genoux près du lit, mais Gerty le toucha du
doigt et il revint à lui. Il se leva, et comme leurs yeux se
le visage de sa cousine.
Vous comprenez ce que le médecin est allé faire ? Il a
promis qu’il n’y aurait pas
faut que les formalités suivent leur cours. Et je l’ai prié de nous
donner le temps de vérifier ses affaires
Il acquiesça de la tête, et elle jeta un coup
chambre nue.
— Ce ne sera pas long, conclut-elle.
Elle retint la main de Lawrence dans la sienne, encore un
moment ; puis, avec un dernier regard du côté du lit, elle se
dirigea en silence vers la porte. Sur le seuil, elle s’arrêta pour
ajouter :
Vous me trouverez en bas, si vous avez besoin de moi.
Selden se réveilla pour la retenir▼
▲Selden se réveilla pour la retenir :
Mais pourquoi vous en allez-vous? Elle aurait désiré.▼
Gerty secoua la tête avec un sourire.
Et, tandis qu’elle parlait, une lumière se fit jour à travers
la dure misère de
choses cachées de l’amour.
La porte se referma sur Gerty, et il resta seul avec la
retourner auprès d’elle, de s’agenouiller, de reposer sa tête
palpitante contre la joue paisible, sur l’oreiller. Ils n’avaient
jamais été en paix l’un avec l’autre, eux deux ; et maintenant
il se sentait attiré par elle dans les étranges et mystérieuses
profondeurs de sa tranquillité.
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Mais il se rappela l’avertissement de Gerty bien que le
temps se fut arrêté dans cette chambre, il reprenait déjà sa
marche impitoyablement.
demi-heure suprême : il devait l’employer selon ses
Il se retourna et regarda autour de lui, se contraignant
sévèrement à reprendre connaissance du monde extérieur. Il
y avait très peu de meubles dans la pièce. Sur la pauvre
rose, un plateau de verre
écaille : il recula devant
et devant la surface blême du miroir qui les dominait.
C’était là les seules traces de luxe, de cet attachement à
l’observance minutieuse des bienséances personnelles, et ces
traces montraient combien les autres renoncements avaient
lui coûter. Nul autre témoignage de sa personnalité dans cette
chambre, sinon la scrupuleuse propreté des quelques meubles :
un lavabo, deux fauteuils, un petit bureau à pupitre et la petite
table au chevet du lit. Sur cette table, la fiole vide et le verre ;
et de ces objets encore il détourna les yeux.
Le pupitre était fermé, mais sur le couvercle en pente
posées deux lettres dont il s’empara. L’une portait l’adresse
d’une banque, et, comme elle était affranchie et cachetée,
Selden, après un moment d’hésitation, la mit de côté. Sur
l’autre, il lut le nom de Gus Trenor ; et l’enveloppe était
encore
La tentation l’assaillit comme un coup de couteau. Il
à Trenor ? veille au soir ? Cette pensée profanait le souvenir de la dernière
heure qu’ils avaient passée ensemble, tournait en dérision
le mot qu’il était venu prononcer, et souillait même le silence
de réconciliation où ce mot tombait. Selden se sentit rejeté
toutes les vilaines incertitudes dont il avait cru se délivrer
pour toujours. Après tout, que savait-il de sa vie, à elle ?
Seulement ce qu’elle avait bien voulu lui en montrer, et,
mesuré selon la règle du monde, comme c’était peu de chose !
De quel droit — la lettre qu’il tenait à la main semblait le lui
demander — de quel droit aujourd’hui entrait-il dans sa
criait que c’était du droit de la dernière heure qu’ils avaient
vécue ensemble, cette heure où elle-même lui avait mis la clef
en main.
après ?
Il l’écarta, cette lettre, avec une soudaine horreur, et, serrant
les lèvres, il aborda résolument le reste de sa tâche. Après tout,
cette tâche serait plus facile, maintenant que son enjeu
Il souleva le couvercle du pupitre, et vit à l’intérieur un
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pénible de sa besogne. Elles étaient peu nombreuses et sans
importance, mais parmi elles il trouva, avec une étrange
palpitation de
la fête des Bry.
« Quand puis-je venir vous voir ?
sous le sentiment de la lâcheté qui l’avait éloigné d’elle au
moment même où il était tout près de
toujours eu peur de son destin, et il était trop loyal pour nier
sa lâcheté maintenant : tous ses anciens doutes
ressuscités à la seule vue du nom de Trenor
Il mit le mot dans son porte-cartes, après l’avoir plié
tenu pour tel ; puis, l’idée lui revenant que le temps passait, il
continua l’examen des papiers.
À sa grande surprise, il découvrit sur toutes les factures cette annotation, de la main de Lily
livre de comptes et il vit que, la veille au soir, un chèque
de dix mille dollars, provenant des exécuteurs testamentaires
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Mais, tournant quelques pages, il découvrit avec étonnement
que, malgré cette récente rentrée de fonds, la balance était déjà
réduite à quelques dollars. Un coup
des derniers chèques, qui tous portaient la date de la veille,
lui apprit qu’environ quatre ou cinq cents dollars du legs
avaient été employés à régler ces factures, tandis que tout le
reste était compris en un seul chèque, daté du même jour,
au nom de Charles-Augustus
Selden mit de
fauteuil. Il appuya ses coudes sur le bureau, et cacha sa figure
dans ses mains. Les eaux amères de la vie montaient autour
de lui, leur saveur stérile était sur ses lèvres. Le chèque au
nom de Trenor expliquait-il le mystère ou ne faisait-il que
l’approfondir ? Tout d’abord l’esprit de Selden refusait de
fonctionner : il ne faisait, que sentir la souillure d’une
comme Lily Bart. Puis, graduellement, sa vision troublée
s’éclaircit ; d’anciennes allusions et rumeurs lui revinrent, et,
avec les insinuations mêmes qu’il avait craint de contrôler, il
réussit à construire une explication du mystère. C’était donc
vrai, alors, qu’elle avait accepté de l’argent de Trenor ; mais
vrai aussi, comme le déclarait le contenu de ce pupitre, que
occasion elle s’en était libérée, bien qu’en agissant de la sorte
elle demeurât face à face avec la pauvreté absolue.
C’était tout ce qu’il savait, tout ce qu’il pouvait espérer
débrouiller de l’histoire ; les lèvres muettes qu’il voyait là, sur
l’oreiller, refusaient d’en livrer davantage, — à moins en vérité
qu’elles ne lui eussent dit le reste dans le baiser qu’elles
posé sur son front. Oui, il pouvait maintenant lire dans cet
adieu tout ce que son
même y puiser le courage nécessaire pour ne pas s’accuser de
n’avoir pas été à la hauteur de l’occasion qui s’était offerte.
Il voyait que toutes les conditions de la vie avaient conspiré
à les tenir séparés, puisque son propre détachement des
accru ses exigences morales et lui avaient rendu plus
l’avait aimée, il avait été disposé à risquer son avenir sur la
foi qu’il avait en elle, et, si le destin avait voulu que l’heure
favorable passât sans qu’ils pussent la saisir, il voyait
ruine de leurs existences.
C’était cet amour d’une heure, ce triomphe fugitif sur eux-mêmes,
chez elle, s’était tourné vers lui dans toutes ses luttes contre
l’influence du milieu, et, chez lui, avait maintenu vivante la
foi qui le ramenait pénitent et réconcilié à son chevet.
Il s’agenouilla et se pencha sur elle, épuisant jusqu’à la lie
ce dernier instant de tête à tête ; et, dans le silence, passa entre
eux le mot qui éclaircissait tout.
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