« Orgueil et Prévention (1822, ré-édition 1966)/53 » : différence entre les versions

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{{t3|chapitre 53}}
 
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C’en fut assez pour M. Wickham, il ne chagrina plus
sa chère sœur Élisabeth, en abordant un sujet qui lui pouvait
attirer quelques mortifications ; elle s’en réjouit, et se
félicita de lui en avoir dit assez pour le réduire au silence.
 
Le jour fixé pour son départ et celui de Lydia, arriva
bientôt, et Mme Bennet se vit forcée de se soumettre à une
séparation qui pouvait bien durer au moins un an, car son
mari ne semblait pas fort approuver son projet d’aller à
Newcastle.
 
« Oh ! ma chère, ma bien-aimée Lydia, s’écria-t-elle,
quand nous reverrons-nous ?
 
— Je ne sais, vraiment : dans deux ou trois ans,
peut-être.
 
— Chère enfant ! écrivez-moi bien souvent.
 
— Aussi souvent que je le pourrai, mais les femmes
mariées n’ont jamais vous le savez, le temps de tenir de
longues correspondances. Mes sœurs peuvent m’écrire,
elles n’ont rien de mieux à faire. »
 
Les adieux de M. Wickham furent bien plus affectueux
que ceux de sa femme ; il sourit, il avait l’air gracieux, et
dit à tous un mot aimable.
 
« Il est vraiment bon garçon, dit M. Bennet, dès
qu’ils eurent quitté la maison ; il nous sourit, nous fait à
tous les yeux doux, et trouve toujours un compliment à
nous faire ; j’en suis prodigieusement fier, je défie même
sir William Lucas de montrer un gendre plus précieux. »
 
La perte de sa fille rendit Mme Bennet triste pendant
plusieurs jours.
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« Je pense souvent, disait-elle, qu’il n’y a rien d’aussi
pénible que l’éloignement de ses amis, tout vous paraît sans
eux si morne, si désert !
 
— Voilà ce que c’est, maman, que de marier
ses enfants, repartit Élisabeth ; cela doit vous faire
moins regretter, que les quatre autres ne le soient
pas encore.
 
— Je ne crois pas cela du tout. Lydia ne me quitte
pas, parce qu’elle est mariée, mais seulement parce que le
régiment de son mari se trouve cantonné au loin ; s’il avait
été plus proche de nous, elle ne m’eût pas quittée si tôt. »
 
Cependant une nouvelle qui commençait à se répandre
dans le voisinage, vint bientôt dissiper sa tristesse et lui
donner encore une fois les plus vives espérances. La femme
de charge de Netherfield avait reçu l’ordre de tout préparer
pour l’arrivée de son maître, qui devait y venir chasser
pendant quelques semaines ; Mme Bennet était sur les
épines. Elle regardait Hélen, souriait et pouvait à peine se
soutenir.
 
« Ainsi donc, ma sœur, M. Bingley revient enfin dans
Herfordshire (car ce fut Mme Philips qui lui en apporta la
première nouvelle). Allons, tant mieux ; après tout, cependant,
ce retour ne m’intéresse guère, il ne nous est rien,
vous le savez, et je me soucie fort peu de le revoir ; il fait
bien néanmoins de venir à Netherfield, si cela lui convient.
Et qui sait ce qui peut arriver ? mais cela ne doit pas nous
occuper. Vous savez, ma sœur, qu’il y a longtemps que nous
nous sommes promis de n’en plus parler. Cependant êtes-vous
bien sûre qu’il doit arriver ?
 
— Vous pouvez y compter, reprit l’autre, car mistress
Nichols était hier soir à Meryton ; je la vis passer, et je
sortis aussitôt pour lui parler moi-même… Elle m’a assuré
que son maître serait ici jeudi prochain, au plus tard, peut-être
même mercredi ; elle allait de ce pas ordonner des provisions
pour le mercredi. »
 
Mlle Bennet n’avait pu, sans rougir, entendre parler
de ce retour. Bien des mois s’étaient écoulés, depuis que le
nom du propriétaire de Netherfield n’avait été prononcé
 
==[[Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/338]]==
par elle ; mais, maintenant, dès qu’elle fut seule avec Élisabeth,
elle lui dit :
 
« Je vous ai vue me regarder fixement ce matin, Lizzy,
quand ma tante a parlé de la nouvelle du jour… Je sais que
j’ai paru décontenancée ; mais ne vous imaginez pas qu’une
sotte faiblesse soit la cause de ce moment d’embarras ! J’ai
rougi, parce que je savais qu’on me regarderait ; je vous
assure que ce retour ne me fait ni plaisir ni peine ; je suis
aise qu’il vienne seul, parce que nous le verrons moins
souvent ; ce n’est pas cependant que j’aie aucune crainte
pour moi, mais je redoute les remarques des autres. »
 
Élisabeth ne savait trop qu’en penser. Si elle ne l’avait
point vu dans Derbyshire elle aurait pu croire qu’il venait
à Netherfield sans autre projet que celui qu’on lui supposait,
mais elle le croyait toujours fort attaché à Hélen, et
elle doutait encore, s’il était plus probable qu’il y vînt avec
la permission de son ami, ou qu’il fût assez hardi pour faire
sans le consulter une semblable démarche.
 
« Cependant, il est bien dur, pensait-elle quelquefois,
que ce pauvre jeune homme ne puisse venir à une maison
qu’il a louée, sans donner lieu à tant de conjectures. Allons !
allons ! il faut le laisser tranquille. »
 
Malgré les sentiments qu’Hélen professait et qu’elle
croyait sincèrement éprouver, Élisabeth s’aperçut facilement
qu’elle était plus pensive et beaucoup moins calme
qu’elle ne l’avait encore vue.
 
Le sujet qui un an auparavant avait été si vivement
discuté par leurs parents, le fut encore aujourd’hui, avec
non moins de chaleur.
 
« Dès que M. Bingley sera ici, dit Mme Bennet,
vous lui ferez sans doute une visite, {{Corr|ma chère ?|mon cher ?}}
 
— Non, non ! vraiment, vous m’avez forcé à y aller
l’année dernière, me promettant qu’il épouserait une de mes
filles ; mais il n’en a rien été, et on ne m’attrape pas deux
fois. »
 
Sa femme lui représenta combien il serait nécessaire,
importent même, que tous les voisins donnassent à M. Bingley
dès son retour une semblable marque d’attention.
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« C’est une étiquette que je méprise, répondit M. Bennet ;
s’il désire me voir, qu’il me cherche, il connaît ma
demeure ; je ne veux point passer mon temps à courir après
mes voisins, chaque fois qu’il leur plaît de s’en aller, et
de revenir.
 
— Eh bien, tout ce que je sais, c’est qu’en n’y allant
point, vous lui ferez une incivilité ; enfin peu importe, cela
ne m’empêchera pas de l’engager à dîner, nous devons un
de ces jours avoir Mme Long et les Goulding avec notre
famille, cela fera treize personnes, ainsi il y aura justement
à table une place pour lui. »
 
Consolée par cette résolution elle put supporter avec
plus de résignation le manque de politesse de son mari,
quoiqu’il fût très mortifiant de songer que tous ses voisins
verraient avant elle M. Bingley.
 
Comme le jour de son arrivée approchait : « Je
commence à être fâchée de son retour, dit Hélen à sa sœur ;
pour moi seule, ce ne serait rien, je puis le revoir avec une
parfaite indifférence, mais ce m’est une chose bien pénible,
d’entendre continuellement parler de lui ; ma mère a de
bonnes intentions, je n’en doute point, mais ni elle, ni personne
au monde ne peut savoir, combien ce qu’elle dit me
cause du chagrin. Oh ! que je serai heureuse, quand il aura
pour toujours abandonné Netherfield !
 
— Je voudrais pouvoir vous donner quelque consolation,
répondit Élisabeth, mais cela m’est impossible,
vous devez le sentir, et la ressource ordinaire de prêcher
la patience à ceux qui souffrent, m’est ici refusée, car vous
en avez toujours plus que tout autre. »
 
M. Bingley arriva ; Mme Bennet par l’entremise des
domestiques en fut des premières instruite ; elle comptait
les jours qui devaient s’écouler, avant qu’elle pût envoyer
son invitation, désespérant de le voir avant ; mais le troisième
jour après son arrivée dans Herfordshire, comme elle
travaillait dans le salon avec ses enfants, elle le vit entrer à la
grille et s’avancer vers la maison.
 
Ses filles furent aussitôt appelées à partager sa joie ;
Hélen resta à sa place, mais Élisabeth pour contenter sa
 
==[[Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/340]]==
mère s’approcha de la fenêtre ; elle regarda, elle vit M. Darcy
avec lui, et se rassit sur-le-champ près de sa sœur.
 
« Il y a un monsieur avec lui, maman, dit Kitty.
Qui peut-il être ?
 
— Quelqu’un de ses amis, je suppose, ma chère ;
en vérité, je ne le connais pas.
 
— Là ! là ! reprit Kitty, il ressemble à celui qui était avec
lui l’an passé. M… quel est son nom, à ce bel homme si fier ?
 
— M. Darcy ? c’est bien lui ! Vous avez raison, tous
les amis de M. Bingley seront toujours reçus par moi avec
plaisir ; j’avoue, cependant, qu’il en est peu que je ne préfère
à celui-ci. »
 
Hélen regarda Élisabeth avec étonnement. Elle ne
savait que fort peu de choses de leur entrevue dans Derbyshire,
et pensait combien sa sœur devait se trouver embarrassée,
en le voyant presque pour la première fois, depuis
qu’elle avait reçu la fameuse lettre justificative. Les deux
sœurs n’étaient, il est vrai, nullement à leur aise, chacune
d’elle souffrait pour l’autre, et naturellement pour elles-mêmes ;
et leur mère continua à discourir sur M. Darcy,
à parler de son antipathie pour lui et de son intention de ne
le recevoir poliment, que par égard pour M. Bingley, sans
être entendue de ses deux filles aînées. Mais Élisabeth avait
une cause d’inquiétude qui ne pouvait être soupçonnée
par Hélen, à qui elle n’avait point encore eu le courage de
montrer la lettre de Mme Gardener, ou de confier le changement
qui s’était opéré dans ses sentiments envers lui.
Pour Hélen, il n’était que l’homme dont elle avait rejeté les
vœux, et déprécié le mérite, mais pour elle, que n’était-il
point ? Elle voyait en lui une personne à qui toute sa famille
devait un service des plus importants, et pour lequel elle
sentait elle-même un intérêt, sinon aussi tendre, du moins
aussi juste et aussi raisonnable, que celui qu’Hélen éprouvait
pour Bingley ; sa surprise de le savoir à Netherfield,
à Longbourn, de ce qu’il la recherchait encore, était au
moins égale à celle qu’elle avait éprouvée dans Derbyshire,
en remarquant pour la première fois le changement de son
ton et de ses manières.
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L’éclat de son teint, qu’avait terni le premier moment
d’émotion, se ranima un instant, et un sourire de bonheur
vint ajouter encore à l’expression de ses yeux, en pensant
que les sentiments, les désirs de Darcy, pouvaient bien n’être
point altérés ; toutefois elle ne voulut pas s’abandonner
entièrement à cet espoir.
 
« Voyons d’abord comment il se conduira, se dit-elle,
je pourrai alors plus sûrement former des conjectures. »
 
Elle reprit donc son ouvrage, s’efforçant de se calmer,
et n’osant lever les yeux, jusqu’au moment, où une tendre
curiosité les porta sur sa sœur ; comme le domestique approchait
de la porte, Hélen était un peu plus pâle que de coutume,
mais bien moins encore qu’Élisabeth ne l’aurait
présumé. À l’approche de ces messieurs son front se colora
davantage. Cependant, elle les reçut d’un air assez aisé,
et ses manières polies, sans être trop prévenantes, ne laissèrent
cependant apercevoir aucune marque de ressentiment.
 
Élisabeth leur dit à l’un et l’autre aussi peu que la
politesse le permît, et se remit à son ouvrage avec une assiduité
que rarement elle y mettait. Une seule fois elle avait
osé jeter les yeux sur Darcy ; il paraissait aussi sérieux que de
coutume, et cet air aimable qu’elle lui avait vu à Pemberley
semblait l’avoir abandonné, mais peut-être qu’en présence
de Mme Bennet, il ne pouvait se montrer avec autant d’avantages
qu’il l’avait fait devant M. et Mme Gardener ; cette
conjecture quoique pénible était cependant assez probable.
 
Elle avait aussi observé Bingley pendant un instant,
et dans ce court espace elle le vit content et embarrassé.
Il fut reçu par Mme Bennet avec un degré de civilité, qui
rendit ses filles toutes confuses, surtout lorsqu’elles le comparait
au froid et cérémonieux accueil que M. Darcy reçut
d’elle.
 
Élisabeth, particulièrement, qui savait que sa mère
devait à ce dernier la réputation de sa fille bien-aimée,
souffrait extrêmement d’une si maladroite distinction.
 
Darcy, après avoir demandé des nouvelles de M. et
 
==[[Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/342]]==
Mme Gardener, question à laquelle Élisabeth ne put répondre
sans rougir, ne parla presque plus. Il ne se trouvait pas,
il est vrai, placé près d’elle ; peut-être était-ce là la cause de
son silence, mais dans Derbyshire il n’en avait point été
ainsi : là, il parlait à ses parents, lorsqu’il ne lui pouvait
parler à elle-même ; mais ici plusieurs minutes se passèrent
avant qu’on entendît le son de sa voix ; et si parfois, ne
pouvant vaincre sa curiosité, elle se hasardait à lever les
yeux sur lui, elle se trouvait aussi souvent regardant Hélen
qu’elle-même, et plus fréquemment encore ses regards
semblaient ne s’arrêter sur rien. Plus de réserve et moins
d’empressement à plaire que lors de leur dernière rencontre,
cela était évident ! Elle en était contrariée, et se reprochait
de l’être.
 
« Comment pouvais-je m’attendre à le trouver autrement ?
se disait-elle ; et cependant pourquoi vient-il ici ? »
 
Elle n’était en humeur de causer avec nul autre que
lui, et n’avait pourtant pas le courage de parler ; elle lui
demanda néanmoins des nouvelles de sa sœur, mais ne
put en dire davantage.
 
« Vous avez été bien longtemps absent, monsieur
Bingley, dit Mme Bennet.
 
— Il est vrai, madame !
 
— Je commençais à craindre que vous ne revinssiez
plus ; on disait même qu’à la Saint-Michel vous abandonneriez
entièrement le pays : j’espère que cela est faux ?
Bien des choses se sont passées dans le voisinage depuis
votre départ : Mlle Lucas est mariée, une de mes filles
l’est aussi ; vous en avez, je présume, entendu parler ? Vous
avez dû le voir, il est vrai, dans les journaux. C’était dans
<i>le Times</i> et <i>le Courrier</i><ref>On n’a point l’usage, en Angleterre, d’envoyer des
<i>lettres de faire-part</i> ; on fait annoncer son mariage dans les journaux.</ref> ?
 
— Je le sais, mais l’article était mal rédigé, il n’y
 
==[[Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/343]]==
avait que ces mots : Dernièrement Georges Wickham Ew.
et miss Lydia Bennet, sans même mentionner son père ou le
lieu de sa résidence.
 
— C’est cependant mon frère Gardener qui a envoyé
la note au rédacteur, et je m’étonne vraiment qu’il s’en
soit si mal acquitté : l’avez-vous remarqué ? »
 
Bingley répondit que oui, et il fit son compliment.
Élisabeth n’osa lever les yeux, elle ne put donc savoir
quelle contenance avait M. Darcy.
 
« C’est vraiment un grand bonheur d’avoir une fille
bien mariée, continua la mère, mais en même temps,
monsieur Bingley, il est bien pénible de s’en séparer ! Ils sont
allés à Newcastle, qui, dit-on, est tout à fait au nord, et là
ils doivent rester bien longtemps : le régiment de mon gendre
est en garnison dans cette ville ; car vous avez sans doute
appris qu’il a quitté la milice pour entrer dans la troupe de
ligne ? Grâce au ciel, il a encore quelques amis, cependant
pas autant qu’il le mérite. »
 
Élisabeth qui savait que tout cela s’adressait à M. Darcy,
souffrait le martyre ; à peine pouvait-elle cacher son
impatience, mais faisant un nouvel effort sur elle-même,
elle chercha à rompre cette conversation, en demandant à
Bingley s’il comptait rester quelque temps dans le pays.
 
« Quinze jours ou trois semaines, ce fut sa réponse.
 
— Quand vous aurez tué tout votre gibier, monsieur
Bingley, lui dit Mme Bennet, j’espère que vous viendrez
chasser tant qu’il vous plaira sur les terres de M. Bennet ;
je suis sûre qu’il en sera très flatté. »
 
Une attention aussi inutile, aussi officieuse, accrut encore
le tourment d’Élisabeth, et la persuada que si même les
espérances flatteuses qui l’an passé les avaient tant séduits
renaissaient de nouveau, elle aurait encore le chagrin de les
voir se terminer de la même manière ; et en ce moment, elle
pensait que des années de félicité ne pourraient dédommager
ni Hélen, ni elle-même, de tant d’instants pénibles, et d’une
si mortifiante confusion.
 
« Mon désir le plus sincère, se dit-elle, est de ne les
jamais revoir : j’achète trop chèrement le faible plaisir que
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m’offre leur société ; puissé-je leur parler aujourd’hui à l’un
et à l’autre pour la dernière fois. »
 
Cependant cet ennui si cruel, pour lequel des années
de bonheur ne devaient offrir nulle compensation, reçut
bientôt après un grand soulagement, lorsqu’elle remarqua
combien la beauté de sa sœur avait ranimé l’admiration
de Bingley. D’abord, il lui parla peu, mais chaque instant
semblait l’attirer davantage vers elle : il la trouva aussi
belle que le premier jour qu’il l’avait vue, aussi naturelle,
aussi aimable, mais un peu moins parlante. Hélen s’efforçait
de ne laisser apercevoir en elle aucun changement ;
elle croyait même discourir tout autant qu’autrefois ; mais
avec un esprit si préoccupé, le moyen qu’elle s’aperçut
toujours de son silence ?
 
Quand ces messieurs se levèrent pour prendre congé,
Mme Bennet n’oublia pas son projet d’invitation ; ils furent
donc conviés à dîner pour le jeudi de la semaine suivante.
 
« Vous me devez en effet une visite, monsieur Bingley,
ajouta-t-elle ; car l’hiver dernier, avant votre départ pour
Londres, vous me promîtes qu’aussitôt après votre retour
vous viendriez me demander le dîner de famille ; je ne l’ai
point oublié, et je vous assure même que j’étais fort contrariée
que vous ne vinssiez pas remplir vos engagements. »
 
Bingley parut un peu déconcerté à cette dernière
réflexion, et dit quelque chose de son regret d’avoir été
retenu par des affaires.
 
Mme Bennet avait été fort tentée de les engager ce
jour même à dîner, mais encore qu’elle tînt habituellement
une très bonne table, elle ne pensa pas cependant
qu’un repas d’un seul service pût satisfaire la vanité
et l’appétit d’un homme qui possédait dix mille livres
sterling de rente, et encore bien moins être offert à celui
sur lequel elle fondait de si grandes espérances.