« Lettre à Ferragus, dans le Figaro du 31 janvier 1868 » : différence entre les versions

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Donc, monsieur, je n’ai pu vous reconnaître. J’essaie de répondre posément et sagement à un inconnu déguisé en Matamore qui, en se rendant un samedi à l’Opéra, a rencontré un groupe de littérateurs, et qui a voulu les effrayer en faisant la grosse voix.
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Vous avez émis, monsieur, une étrange théorie qui inaugure une esthétique toute nouvelle. Vous prétendez que si un personnage de roman ne peut être mis au théâtre, ce personnage est monstrueux, impossible, en dehors du vrai. Je prends note de cette incroyable façon de juger deux genres de littérature si différents : le roman, cadre souple, s’élargissant pour toutes les vérités et toutes les audaces, et la pièce de théâtre qui vit surtout de conventions et de restrictions.
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Et pourtant je jurerais qu’un faiseur se chargerait de la lui imposer. Il s’agirait simplement de transformer Germinie en une cuisinière délaissée par son sapeur, qui se lamente et va se faire périr. Au dénouement, pour ne pas troubler la digestion du public, le sapeur viendrait rendre la vie à sa payse. Thérésa serait superbe dans un pareil rôle, et l’on irait à la centième représentation, n’est-ce pas ?
 
Sans plaisanter davantage, monsieur, comment n’avez-vous pas compris que notre théâtre se meurt, que la scène française tend à devenir un tremplin pour les paillasses et les sauteuses ? Et vous voulez, avant d’accepter et d’admirer les personnages d’un roman, les faire rebondir sur ce tremplin et savoir s’ils exécutent la cabriole des poupées applaudies ! Mais ne voyez-vous pas qu’en France on ne va au théâtre que pour digérer en paix. Demandez aux auteurs dramatiques de quelque talent les rages qu’ils ont parfois contre ce public pudibond et borné, qui ne veut absolument que des pantins, qui refuse les vérités âpres de la vie. Nos foules demandent de beaux mensonges, des sentiments
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tout faits, des situations clichées ; elles descendent souvent jusqu’aux indécences, mais elles ne montent jamais jusqu’aux réalités.
 
Lisez l’Histoire de la littérature anglaise de M. Taine, et vous verrez ce qu’on peut oser sur la scène chez un peuple auquel son tempérament permet d’assister au spectacle réel de nos passions. Vycherley et Swift n’auraient pas hésité à mettre Germinie au théâtre. Nous autres, nous préférons les vaudevillistes gais ou funèbres : Scribe sera toujours le maître de la scène française.
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Le malheur est que Germinie n’est pas en maillot, la pauvre femme ; il n’est même pas certain qu’elle ait les jambes bien faites. Puis elle sent le graillon ; elle ne vaut pas mademoiselle***, en un mot. C’est une misérable proie pour le plaisir, tel que vous paraissez l’entendre. Elle a encore un défaut immense : c’est qu’elle ne s’est pas vendue dès l’âge de seize ans ; elle a grandi dans des pensées d’honneur, dans des répugnances invincibles pour le vice, et elle n’a roulé au fond de l’égout que poussée par les faits, poussée par ses nerfs et son sang. Que voulez-vous ? Germinie n’est pas une courtisane ; Germinie est une malheureuse que les fatalités de son tempérament ont jetée à la honte. Toutes les femmes ne sont pas « plastiques ».
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Vous restez à fleur de peau, monsieur, tandis que les romanciers analystes ne craignent pas de pénétrer dans les chairs. C’est moins voluptueux, et moins agréable, je le sais ; les tableaux vivants, les apothéoses de féerie sont excellents pour procurer des rêves amoureux : la vue d’une salle d’amphithéâtre est au contraire écœurante pour ceux qui n’ont pas l’amour austère de la vérité. Je crains bien que nous ne nous entendions pas. Je trouve fort indécente l’exhibition de certaines actrices, et je n’éprouve qu’une douleur émue en face des plaies intérieures du corps humain.
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Je vous avertis que je suis de l’avis de Stendhal. Je crois qu’un romancier doit d’abord écrire ses œuvres pour lui : le souci du public vient ensuite.
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Le roman n’est pas comme l’auteur dramatique, il ne dépend pas de la foule. Si vous voulez, nous appellerons Germinie Lacerteux un traité de physiologie, nous le mettrons dans une bibliothèque médicale, nous recommanderons aux jeunes filles et aux gens délicats de ne jamais le lire. Tout cela n’empêchera pas que Germinie Lacerteux ne soit un livre des plus remarquables.
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Croyez-moi, monsieur, laissez en paix les romanciers consciencieux. S’il vous faut dévorer quelqu’un, dévorez nos petits musiciens, nos petits faiseurs de parades, ceux qui font vivre le public de platitudes.
 
Un dernier mot. J’ai évité de parler de moi. Permettez-moi pourtant de vous dire que, si j’ai été parfois intolérant, comme vous me le reprochez, jamais je n’ai écrit un article qui pût écœurer et faire rougir mes lectrices. Je vous défie de trouver dans la collection de L’Événement, une seule phrase signée de mon nom que vous ne
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puissiez mettre sous les yeux d’une jeune fille.
 
Quand j’écris un livre, j’écris pour moi comme je l’entends ; mais, quand j’écris dans un journal, je le fais de façon à pouvoir être lu de tout le monde.