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NOTICE

et dans les malheurs qui en étaient résulté pour Athènes. Or, quelle est, au moment où se place la scène du Banquet, la situation politique d’Alcibiade ? Sa popularité est alors à son apogée : il a trente-cinq ans environ, et il est l’enfant gâté de la démocratie, flattée de compter parmi ses politiques un homme d’une naissance aussi haute, si riche, si beau, si élégant ; ses folies ou ses excentricités emplissent la foule d’une admiration amusée. Mais tout proche est le déclin de cette popularité prodigieuse. Alcibiade, en outre de ses ennemis déclarés, a des adversaires sournois. L’affaire de la mutilation des Hermès survient quelques mois après l’époque supposée du banquet d’Agathon et au moment où, péniblement, Alcibiade s’efforce de faire décider l’expédition de Sicile. Soupçonné d’avoir pris part à l’affaire et d’avoir commis encore quelques autres impiétés, il avait en vain demandé à se justifier avant le départ ; mais, à peine était-il arrivé en Sicile, qu’on le rappelait à Athènes. Tandis qu’on l’y condamne à mort, il se réfugie à Sparte, puis en Asie. On sait la suite : ses intrigues et ses trahisons, son rappel en 411, suivi quatre ans plus tard d’un nouveau bannissement, sa mort tragique enfin (404), œuvre commune du gouvernement de Sparte et des oligarques d’Athènes.

Tous ces faits, on le devine par plus d’une allusion voilée, Platon les a présents à l’esprit quand il écrit le Banquet. S’il reconnaît sans ambages la grande action que Socrate a exercée sur l’esprit d’Alcibiade, c’est pour déclarer en même temps que ce dernier n’a su voir, dans les leçons du philosophe, qu’un passe-temps, auquel un homme distingué peut se laisser aller, à la fois parce qu’il en espère un avantage pour réussir, et parce qu’il méprise le jugement de la foule (218 d déb.[1]). À ces leçons il a puisé pourtant la honte et le regret de se conduire autrement qu’il ne devrait ; mais, moins soucieux de son honneur que de ses ambitions ou de sa popularité, il est toujours impatient de se dérober à une contrainte intérieure qui le gène (215 c-216 c, e sq.). Quand il se plaint d’avoir été, comme par une vipère, mordu au cœur par les discours de la philosophie (217 e sq.), l’idée est la même : ces discours ont enivré l’ivrogne au point de lui faire voir la vie sous un

  1. Comparer Banquet 194 b (Agathon) et Gorgias 485 a-c (Calliclès), 487 c d.