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d’éliminer largement les plus faibles, la lutte ne va-t-elle pas perdre ici sa valeur sélective ?

Il est vrai, nous l’avons rappelé[1], que la pauvreté met les faibles sur la pente de la mort. Elle leur interdit nombre de moyens de consommation ou de moyens de protection. Celui qui ne touche qu’un « salaire de famine », défendra malaisément sa santé. Sa vie, plus précaire et plus incertaine, risquera d’être raccourcie d’autant. C’est ce qu’on exprime en disant que quiconque naît dans les basses classes naît avec un moindre crédit sur l’existence. Ainsi les moins aptes seraient éliminés, plus lentement si l’on veut, mais non moins sûrement dans la société que dans la nature.

Mais il importe de remarquer que cette élimination lente produira difficilement, sur la race, les bons effets qu’on escompte. La mort du faible est sans profil pour l’espèce, si, avant de mourir, il s’est multiplié. En vain la misère abrège sa vie : la société ne retire aucun avantage de ses souffrances, s’il revit dans des descendants aussi mal armés. Or, on sait qu’en effet la misère est rarement un frein pour la reproduction. Il semble au contraire que les plus dénués, qui sont le plus souvent aussi les plus imprévoyants, se montrent facilement les plus prolifiques, et qu’ainsi les races se renouvellent surtout par en bas, par les classes dites inférieures — au risque de descendre d’un degré à chaque génération[2].

Par où l’on voit combien la lutte pour l’existence est loin, dans le monde humain, d’entraîner sûrement, et quasi mécaniquement les améliorations qu’elle entraîne, nous dit-on, dans le monde animal. Spencer s’écriait : « La pauvreté des incapables, la détresse des imprudents, l’élimination des paresseux et cette poussée des forts qui met de côté les faibles et en réduit un si grand nombre à la misère, sont

  1. V. plus haut, p. 104.
  2. V. Woltmann, op. cit., p. 78, 342.