« Paradoxe sur le Citoyen » : différence entre les versions

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==__MATCH__:[[Page:Mercure de France - 1897 - Tome 23.djvu/327]]==
Le Citoyen est une variété de l’Homme ; variété dégénérée ou primitive, il est à l’homme ce que le chat de gouttière est au chat sauvage. C’est d’ailleurs un animal estimé et bien connu : les savants qui l’ont choisi pour sujet de leurs patientes recherches se nomment Sociologues.
 
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Car tout mot collectif, et d’abord ceux du vocabulaire sociologique, sont l’objet d’un culte. A la Famille, à la Patrie, à l’État, à la Société on sacrifie des citoyens mâles et des citoyens femelles ; les mâles en plus grand nombre ; ce n’est que par intermède, en temps de grève ou d’émeute, pour essayer un nouveau fusil, que l’on perfore des femelles ; elles offrent au coup une cible moins défiante et plus plaisante ; ce sont la d’inévitables petits incidents de la vie politique. Le mâle est l’hostie ordinaire, — et c’est un vrai sacrifice, puisque la victime marche volontiers à l’autel, contente si les grands Citoyens, du fond de leurs caves, lui témoignent téléphoniquement leur satisfaction pour sa belle tenue et son courage patriotique.
==[[Page:Mercure de France - 1897 - Tome 23.djvu/328]]==
 
Le citoyen est un être admirable. Tous les traités vantent ses vertus et son abnégation, en ajoutant : « D’ailleurs, il ne fait que son devoir. » Avec ce mot, Devoir, on fait danser le citoyen comme un ours avec une musette. Il danse, il crève d’avoir dansé le ventre vide et il clame, en expirant : «J’ai fait mon devoir ! » Ce pauvre animal, qui ne reçoit jamais rien que des coups de bâton quand il ne saute pas en mesure, est un débiteur éternel ; il doit toujours et il donne toujours, sans s’acquitter jamais. Sa dette est infinie ; la mort même ne l’éteint pas ; le fils la retrouve dans l’héritage de son père. Il vit sans espoir : il sait qu’il ne deviendra jamais un homme.
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Malheureusement le citoyen se reproduit mal. L’homme lui a chuchoté à l’oreille de mauvais conseils. Déjà il ne fait plus volontairement qu’un enfant ; le second est une assurance contre la mort du premier ; le troisième, une erreur dont il se repentirait toute sa vie, s’il n’avait la joie de pouvoir l’offrir en holocauste à l’État. La fabrication du citoyen serait donc compromise si cet animal était moins docile et moins affectueux. Mais il aime ses maîtres, quels qu’ils soient, et l’autorité, d’où qu’elle vienne. Quand il le faudra, une bonne loi sur la reproduction mettra ordre au déficit, et le citoyen, qui ne fait plus d’enfants, en fera pour éviter l’amende et la honte.
==[[Page:Mercure de France - 1897 - Tome 23.djvu/329]]==
 
(''Note''. — On vient précisément d’imaginer ceci : tout conscrit marié ne ferait qu’un an de service. C’est montrer le service militaire sous son vrai jour, — un jour de souffrance, sinon de prison. Voilà une loi qui serait vraiment délicieuse. Qui aurait annoncé son intention de bien procréer ne serait passible que d’un an de détention ; mais si les enfants ne venaient pas, le libéré provisoire reprendrait la casaque. En cas d’enfants préalables, on appliquerait même aux conscrits la loi Béranger : ils seraient acquittés.)
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Cependant, il faut nourrir les Lois, payer ces impérieuses servantes : à ce moment l’animal électoral se transforme en animal contribuable. Du fond de sa grange ou de son atelier, il entretient volontiers ceux qui le protègent contre lui-même. A peine si son geste est plus lent à ouvrir sa bourse qu à tendre la main vers la chaîne ou vers la férule. Cet argent qu’il aime par-dessus tout, il le déverse presque volontiers dans le grand coffre, fier, tout au fond de son âme obscure, de savoir que, s’il paie neuf sous une livre de sucre, il y a six sous pour l’État : six sous, en somme, c’est le blanchissage d’une paire de guêtres ; pourvu que le Maître soit content et bien chaussé, le contribuable marche ingénument et sans se plaindre, les pieds nus dans des sabots. Oh ! que cet animal est vertueux !
 
Doux animal, animal respectueux, stupide et résigné, travaille,
=== no match ===
obéis, paie, afin que l’on sourie lorsque tu viens, innocent, voir passer les landaus. Et puis songe : si tu te révoltais, il n’y aurait plus de lois, et quand tu voudrais mourir, comment ferais-tu, si le registre n’était plus là pour accueillir ton nom ?
 
Voilà les vacances : tu vas revoir tes maîtres. Baise leurs mains charitables : ce sont celles qui font les Lois.