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{{AN|{{Refa|11|*11}}{{Em}}Un enfant qui s’amuse à feuilleter un in-folio, est l’image d’un homme qui promène ses avides regards sur le vaste et magnifique théâtre de l’univers qui, en commençant à observer, court d’objets en objets ; et, à force de voir, ne voit rien. D’abord, le nombre des mots lui paroît infini même dans une seule page, plus forte raison, celui des lettres. Puis il s’aperçoit que ces mots peuvent être comptés ; et, lorsqu’il vient à les analyser, il reconnoît qu’ils ne sont composés que d’un certain nombre, et même assez petit, de lettres qui, par leurs différentes combinaisons et situations, forment toute cette diversité. Il en est de même du monde réel. Les élémens de la matière, et leurs propriétés radicales qui leur sont inhérentes, sont les lettres ; les composés et leur qualités, sont les mots. Ces formes ou loix générales dont parle Bacon et qui sont le principal sujet de cet ouvrage, sont l’alphabet de la nature et la clef de son chiffre. {{br0}}{{Em}}La méthode qu’on doit suivre pour découvrir une loi de la nature, peut aussi être comparée à celle que nous avons nous-mêmes suivie pour découvrir le sens de tel ou tel mot, dans ce livre presque inintelligible que nous avions entrepris de déchiffrer. Nous avons considéré ce mot dans un grand nombre de phrases dont il faisoit partie ; et ce qu’il y avoit de commun dans les idées exprimées par cet phrases, nous a indiqué la fonction perpétuelle de ce mot dans ses différente » associations, c’est-à-dire, son véritable sens. Pour trouver plus aisément cette fonction nous avons supprimé ce mot dans toutes ces phrases ; et malgré cette suppression, le rapport des parties restantes et toutes connues, à la partie inconnue que nous avions ôtée, nous indiquait la fonction de cette dernière. Car il est peu de phrases où un mot soit tellement nécessaire pour entendre le tout, que ce mot venant à manquer, on ne puisse le suppléer l’idée qu’il doit représenter étant presque toujours indiquée par les idées toutes connues de la phrase même dont il fait partie, des précédentes et des suivantes. {{br0}}{{Em}}Voici quel est le principe commun de ces analogies. On peut envisager le sens d’une phrase ou d’un mot comme un ''effet'' dont cette phrase ou ce mot est la ''cause''. Cela posé, une phrase est une cause composée dont les différens mots qui entrent dans sa composition sont les élémens. Et la signification totale de cette phrase est l’effet également composé, dont les significations particulières de ces mots sont aussi les élémens. Le rapport qui nous a servi de guide dans cette explication, n’est donc pas une analogie simplement oratoire ou poétique, mais une analogie réelle et physique. Ainsi Bacon cherchant les formes éternelles, son interpréte déchiffrant le ''Novum Organum'', l’imprimeur corrigeant sa feuille, le musicien épelant des tons, l’enfant apprenant à lire, et Newton pesant les mondes, ne font tous, sous différent noms qu’un seul et même métier ; cet occupations, en apparence si différentes, ne sont que des application » toutes semblables des mêmes facultés à différent objets. {{br0}}{{Em}}Que le lecteur daigne fixer son attention sur ces comparaisons tirées principalement de l’objet même qu’il a en main, et il ne sera plus choqué de ce mot de ''forme'', qu’il rencontrera si souvent dans l’ouvrage ; car être choqué d’un mot qui n’est, après tout qu’une ''commode abréviation'', qu’une espèce de ''signe algébrique'', ce n’est plus être simplement comparable à l’enfant dont nous parlions ; c’est être l’enfant même ; et il n’est pas moins puéril de repousser des mots nécessaires, que d’appeler des mots inutiles.}}
{{AN|{{Refa|11|*11}}{{Em}}Un enfant qui s’amuse à feuilleter un in-folio, est l’image d’un homme qui promène ses avides regards sur le vaste et magnifique théâtre de l’univers qui, en commençant à observer, court d’objets en objets ; et, à force de voir, ne voit rien. D’abord, le nombre des mots lui paroît infini même dans une seule page, plus forte raison, celui des lettres. Puis il s’aperçoit que ces mots peuvent être comptés ; et, lorsqu’il vient à les analyser, il reconnoît qu’ils ne sont composés que d’un certain nombre, et même assez petit, de lettres qui, par leurs différentes combinaisons et situations, forment toute cette diversité. Il en est de même du monde réel. Les élémens de la matière, et leurs propriétés radicales qui leur sont inhérentes, sont les lettres ; les composés et leur qualités, sont les mots. Ces formes ou loix générales dont parle Bacon et qui sont le principal sujet de cet ouvrage, sont l’alphabet de la nature et la clef de son chiffre. {{br0}}{{Em}}La méthode qu’on doit suivre pour découvrir une loi de la nature, peut aussi être comparée à celle que nous avons nous-mêmes suivie pour découvrir le sens de tel ou tel mot, dans ce livre presque inintelligible que nous avions entrepris de déchiffrer. Nous avons considéré ce mot dans un grand nombre de phrases dont il faisoit partie ; et ce qu’il y avoit de commun dans les idées exprimées par cet phrases, nous a indiqué la fonction perpétuelle de ce mot dans ses différente » associations, c’est-à-dire, son véritable sens. Pour trouver plus aisément cette fonction nous avons supprimé ce mot dans toutes ces phrases ; et malgré cette suppression, le rapport des parties restantes et toutes connues, à la partie inconnue que nous avions ôtée, nous indiquait la fonction de cette dernière. Car il est peu de phrases où un mot soit tellement nécessaire pour entendre le tout, que ce mot venant à manquer, on ne puisse le suppléer l’idée qu’il doit représenter étant presque toujours indiquée par les idées toutes connues de la phrase même dont il fait partie, des précédentes et des suivantes. {{br0}}{{Em}}Voici quel est le principe commun de ces analogies. On peut envisager le sens d’une phrase ou d’un mot comme un ''effet'' dont cette phrase ou ce mot est la ''cause''. Cela posé, une phrase est une cause composée dont les différens mots qui entrent dans sa composition sont les élémens. Et la signification totale de cette phrase est l’effet également composé, dont les significations particulières de ces mots sont aussi les élémens. Le rapport qui nous a servi de guide dans cette explication, n’est donc pas une analogie simplement oratoire ou poétique, mais une analogie réelle et physique. Ainsi Bacon cherchant les formes éternelles, son interpréte déchiffrant le ''Novum Organum'', l’imprimeur corrigeant sa feuille, le musicien épelant des tons, l’enfant apprenant à lire, et Newton pesant les mondes, ne font tous, sous différent noms qu’un seul et même métier ; cet occupations, en apparence si différentes, ne sont que des application » toutes semblables des mêmes facultés à différent objets. {{br0}}{{Em}}Que le lecteur daigne fixer son attention sur ces comparaisons tirées principalement de l’objet même qu’il a en main, et il ne sera plus choqué de ce mot de ''forme'', qu’il rencontrera si souvent dans l’ouvrage ; car être choqué d’un mot qui n’est, après tout qu’une ''commode abréviation'', qu’une espèce de ''signe algébrique'', ce n’est plus être simplement comparable à l’enfant dont nous parlions ; c’est être l’enfant même ; et il n’est pas moins puéril de repousser des mots nécessaires, que d’appeler des mots inutiles.}}


{{AN|{{Refa|12|*12}}{{Em}}Quand un principe, ou, ce qui est la même chose, une règle est trop générale, comme alors son énoncé embrasse les cas mêmes où elle n’a pas lieu et qu’elle auroit dû laisser hors de ses limites, chacun de ces cas fait exception à la règle et force à la limiter après coup en excluant ces cas. Mais si la règle en se limitant d’avance elle-même annonce ses exceptions, alors ces exceptions ne l’attaquent plus et ne font que prouver ce qu’elle avoit dit. Ainsi, le moyen le plus sûr pour ne jamais donner prise, soit dans la conversation, soit dans les livres même en avançant des opinions positives, c’est de particulariser beaucoup, et de joindre à la plupart des principes qu’on pose, des règles qu’on énonce, ces expressions modificatives et restrictives : ''souvent, presque toujours, communément, rarement, toutes choses égales, entre certaines limites, etc''. et d’adoucir ses affirmations, en proportion qu’on renforce ses preuves ; de joindre à des prémisses évidentes ou très probables de modestes conclusions. {{br0}}{{Em}}Mais dira-t-on, si la règle (ou le principe) a des exceptions, chaque cas qui se présente peut en être une. On n’est donc jamais certain dans la théorie de saisir la vérité en se conformant aux principes, ni d’atteindre au but, dans la pratique en suivant la règle. Je réponds que cela n’est pas certain, mais du moins très probable, quand la règle est un peu générale. Et alors la probabilité de réussir, en observant la règle est à la probabilité de ne pas réussir, en la suivant, ou de réussir en ne la suivant pas, comme le nombre des cas qui rentrent dans la règle est au nombre des cas qui n’y rentrent pas. Or, l’expérience même prouve qu’en se fiant aux raisonnemens nécessaires pour distinguer les cas qui font exception de ceux qui rentrent dans la règle, on tombe dans une infinité d’erreurs, soit pour n’avoir pas fait entrer dans ces raisonnement toutes les considérations nécessaires, soit pour avoir posé quelque principe faux, soit enfin pour avoir tiré de principes vrais, des conséquences fausses et les méprises auxquelles on s’expose en voulant faire toutes ces distinctions, sont en beaucoup plus grand nombre que les erreurs qu’on peut commettre en observant constamment la règle, et méprisant courageusement toutes les exceptions : ainsi la prudence veut que l’on se tienne constamment attaché aux règles (ou aux principes) sinon dans les cas où l’exception est bien marquée et sensible pour les plus foibles vues, c’est-à-dire, dans ceux où la cause énoncée par le principe, ou, ce qui est la même chose le moyen indiqué par la règle est visiblement à son minimum, tandis que la cause contraire est à son maximum. Aussi l’expérience, parfaite-
{{AN|{{Refa|12|*12}}{{Em}}Quand un principe, ou, ce qui est la même chose, une règle est trop générale, comme alors son énoncé embrasse les cas mêmes où elle n’a pas lieu et qu’elle auroit dû laisser hors de ses limites, chacun de ces cas fait exception à la règle et force à la limiter après coup en excluant ces cas. Mais si la règle en se limitant d’avance elle-même annonce ses exceptions, alors ces exceptions ne l’attaquent plus et ne font que prouver ce qu’elle avoit dit. Ainsi, le moyen le plus sûr pour ne jamais donner prise, soit dans la conversation, soit dans les livres même en avançant des opinions positives, c’est de particulariser beaucoup, et de joindre à la plupart des principes qu’on pose, des règles qu’on énonce, ces expressions modificatives et restrictives : ''souvent, presque toujours, communément, rarement, toutes choses égales, entre certaines limites, etc''. et d’adoucir ses affirmations, en proportion qu’on renforce ses preuves ; de joindre à des prémisses évidentes ou très probables de modestes conclusions. {{br0}}{{Em}}Mais dira-t-on, si la règle (ou le principe) a des exceptions, chaque cas qui se présente peut en être une. On n’est donc jamais certain dans la théorie de saisir la vérité en se conformant aux principes, ni d’atteindre au but, dans la pratique en suivant la règle. Je réponds que cela n’est pas certain, mais du moins très probable, quand la règle est un peu générale. Et alors la probabilité de réussir, en observant la règle est à la probabilité de ne pas réussir, en la suivant, ou de réussir en ne la suivant pas, comme le nombre des cas qui rentrent dans la règle est au nombre des cas qui n’y rentrent pas. Or, l’expérience même prouve qu’en se fiant aux raisonnemens nécessaires pour distinguer les cas qui font exception de ceux qui rentrent dans la règle, on tombe dans une infinité d’erreurs, soit pour n’avoir pas fait entrer dans ces raisonnement toutes les considérations nécessaires, soit pour avoir posé quelque principe faux, soit enfin pour avoir tiré de principes vrais, des conséquences fausses et les méprises auxquelles on s’expose en voulant faire toutes ces distinctions, sont en beaucoup plus grand nombre que les erreurs qu’on peut commettre en observant constamment la règle, et méprisant courageusement toutes les exceptions : ainsi la prudence veut que l’on se tienne constamment attaché aux règles (ou aux principes) sinon dans les cas où l’exception est bien marquée et sensible pour les plus foibles vues, c’est-à-dire, dans ceux où la cause énoncée par le principe, ou, ce qui est la même chose le moyen indiqué par la règle est visiblement à son minimum, tandis que la cause contraire est à son maximum. Aussi l’expérience, parfaitement d’accord avec le raisonnement, prouve-t-elle que ceux qui demeurent constamment attachés à des principes, a des règles, à des systèmes, à des plans, même d’une bonté médiocre, sont ordinairement plus heureux dans leurs entreprises que ceux qui, ne sachant pas négliger les petites erreurs et les petite doutes, flottent perpétuellement entre les principes, les règles, les systèmes, ou les plans opposés.
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