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très bien, — et Nicolaïa riait. Une fois je m’éveille la nuit et regarde ma chambre, qui n’était éclairée que par une veilleuse; j’aperçois Nicolaïa qui priait à genoux... Mais laissons cela : c’est
très bien, — et Nicolaïa riait. Une fois je m’éveille la nuit et regarde ma chambre, qui n’était éclairée que par une veilleuse ; j’aperçois Nicolaïa qui priait à genoux… Mais laissons cela : c’est
passé, de loin en loin seulement je le revois en rêve. N’en parlons
passé, de loin en loin seulement je le revois en rêve. N’en parlons
plus... Vous voyez que j’en suis revenu. Depuis lors, la britchka du
plus… Vous voyez que j’en suis revenu. Depuis lors, la britchka du
père Senkov stationnait souvent dans notre cour, et celle de mon
père Senkov stationnait souvent dans notre cour, et celle de mon
père chez eux; parfois les femmes étaient de la partie. Les vieux
père chez eux ; parfois les femmes étaient de la partie. Les vieux
parens chuchotaient ensemble, et quand je m’approchais, Senkov
parens chuchotaient ensemble, et quand je m’approchais, Senkov
souriait, clignait des yeux et m’offrait une prise.
souriait, clignait des yeux et m’offrait une prise.


Nicolaïa m’aimait, ah! de tout son cœur, croyez-le bien. Moi
Nicolaïa m’aimait, ah ! de tout son cœur, croyez-le bien. Moi
du moins, je le croyais, et les vieilles gens aussi. Elle devint donc
du moins, je le croyais, et les vieilles gens aussi. Elle devint donc
ma femme. Mon père me remit la gestion de notre bien; Nicolaïa
ma femme. Mon père me remit la gestion de notre bien ; Nicolaïa
eut en dot un village entier. La noce eut lieu à Czerneliça. Tout le
eut en dot un village entier. La noce eut lieu à Czerneliça. Tout le
monde s’y grisa de son mieux; mon père y dansa la cosaque avec
monde s’y grisa de son mieux ; mon père y dansa la cosaque avec
Mme Senkov. Dans la soirée du lendemain, — ils étaient encore tous,
{{Mme|Senkov}}. Dans la soirée du lendemain, — ils étaient encore tous,
comme les morts le jour du jugement dernier, à chercher leurs
comme les morts le jour du jugement dernier, à chercher leurs
membres, et ne les trouvaient pas, — j’attelai moi-même à ma voiture six chevaux blancs comme des colombes. La peau de mon ours,
membres, et ne les trouvaient pas, — j’attelai moi-même à ma voiture six chevaux blancs comme des colombes. La peau de mon ours,
une fourrure magnifique, était étendue sur le siège, les pattes aux
une fourrure magnifique, était étendue sur le siège, les pattes aux
griffes dorées pendaient sur les deux côtés jusqu’au marche-pied,
griffes dorées pendaient sur les deux côtés jusqu’au marche-pied,
la grosse tête avec ses yeux flamboyans vous regardait encore menaçante. Tous mes gens, paysans et cosaques, sont à cheval avec
la grosse tête avec ses yeux flamboyans vous regardait encore menaçante. Tous mes gens, paysans et cosaques, sont à cheval avec
des torches allumées; ma femme, en pelisse rouge fourrée d’hermine, je la soulève dans mes bras et la porte dans la voiture. Mes gens poussent des cris de joie; elle avait l’air d’une princesse sur sa peau d’ours, ses pieds mignons appuyés sur la grosse tête velue. Toute la troupe nous faisait cortège. C’est ainsi que je la conduisis dans sa maison.
des torches allumées ; ma femme, en pelisse rouge fourrée d’hermine, je la soulève dans mes bras et la porte dans la voiture. Mes gens poussent des cris de joie ; elle avait l’air d’une princesse sur sa peau d’ours, ses pieds mignons appuyés sur la grosse tête velue. Toute la troupe nous faisait cortège. C’est ainsi que je la conduisis dans sa maison.


Quelles absurdités, ce qu’on lit dans les livres allemands, a l’amour céleste, » puis cette idolâtrie des vierges! Allez! l’illusion
Quelles absurdités, ce qu’on lit dans les livres allemands, « l’amour céleste, » puis cette idolâtrie des vierges ! Allez ! l’illusion
n’est pas longue. Est-ce l’amour, cette niaise langueur qui vous
n’est pas longue. Est-ce l’amour, cette niaise langueur qui vous
attache aux pas d’une jeune fille?.. Lorsqu’elle fut ma femme, j’eus
attache aux pas d’une jeune fille ?.. Lorsqu’elle fut ma femme, j’eus
enfin le courage de l’aimer, et elle de même. Nos deux amours
enfin le courage de l’aimer, et elle de même. Nos deux amours
grandirent comme deux jumeaux. A la ''pana'' Nicolaïa, je baisais les
grandirent comme deux jumeaux. A la ''pana'' Nicolaïa, je baisais les
mains, à ma femme les pieds, et les mordais souvent, et elle criait
mains, à ma femme les pieds, et les mordais souvent, et elle criait
et me repoussait d’une ruade. — Ah! l’amour, c’est l’union, c’est le
et me repoussait d’une ruade. — Ah ! l’amour, c’est l’union, c’est le
mariage. — Au demeurant, n’est-ce pas tout ce qu’on a? Voyez, s’il
mariage. — Au demeurant, n’est-ce pas tout ce qu’on a ? Voyez, s’il
vous plaît, cette vie : les paroles sont étranges, et, — il écoutait le
vous plaît, cette vie : les paroles sont étranges, et, — il écoutait le
chant mélancolique de la garde, — et voilà l’air. Les Allemands ont
chant mélancolique de la garde, — et voilà l’air. Les Allemands ont
leur Faust, les Anglais aussi ont un livre de ce genre; chez nous, chaque paysan sait ces choses-là. C’est un instinct secret qui lui ce qu’est la vie.
leur Faust, les Anglais aussi ont un livre de ce genre ; chez nous, chaque paysan sait ces choses-là. C’est un instinct secret qui lui ce qu’est la vie.


Qu’est-ce qui donne à ce peuple ce fonds de tristesse? C’est la
Qu’est-ce qui donne à ce peuple ce fonds de tristesse ? C’est la
plaine. Elle s’étend sans bornes comme la mer, le vent l’agite,
plaine. Elle s’étend sans bornes comme la mer, le vent l’agite,