Mathilde Kindt, Impressions d’une femme au salon de 1859
IMPRESSIONS D’UNE FEMME
AU SALON DE 1859
Les personnages de Molière se définissent dès leur entrée en scène ; un mot, un geste et l’on sent tout de suite à qui l’on va avoir affaire. En France, plus qu’ailleurs, l’attention se prête peu à la surprise : on aime à être prévenu.
Pareillement je dois me définir en entrant dans le steeple-critique ouvert pour le Salon.
Les lecteurs ne manqueront pas de s’écrier avec le plus profond désappointement : « Dieu ! une plume de femme ! »
Un peu d’indulgence, cher lecteur, et laissez-moi avec mon sentiment, mon cœur, et aussi avec mon imagination ; laissez-moi vous raconter ce que j’éprouve, ce que je comprends, ce qui me fait souffrir. Puissent mes impressions sincères écrites sans aucun parti pris, sous aucune influence de famille ou d’affection, me faire pardonner mon inexpérience comme critique et comme écrivain et vous arracher un sourire de bienveillance, à vous qui lisez tous les jours des critiques, des meilleures et signées des plus illustres noms. Pas n’est besoin de vous en dire davantage, et maintenant que votre indulgence m’est acquise, que vous m’avez presque applaudie pour me donner du courage, je vais commencer et tâcher d’en arriver promptement aux artistes, pour ne pas vous ennuyer trop fortement pendant les quelques lignes d’avant-propos que je suis forcée de vous adresser pour suivre la ligne méthodique et raisonnable tracée par tous les critiques de tous les temps et de toutes les époques.
L’article Salon est un morceau affriolant, toujours recherché par la gent littéraire, et pourtant il ne suffit pas d’être écrivain, romancier ou poëte pour parler de l’art de la peinture.
Outre le goût et le jugement, il faut avoir la connaissance de ce qui constitue les arts, je veux dire le côté pratique, la partie manuelle. En littérature vous dictez, et votre œuvre se fait ; autre chose en peinture. Le peintre exécute, concrète sa pensée ; il est homme double, artiste et ouvrier, tête et main, imagination et labeur. Nos critiques oublient trop cette dualité, en faisant de grandes phrases sur la part intellectuelle, si inséparable ici de la part matérielle, ils font voir combien peu ils connaissent cet ordre d’étude. L’artiste est fort et complet, si ces deux choses, tête et main, sont puissantes en lui, l’une élevée, l’autre habile. Ah ! si l’exécution chez Delacroix était à la hauteur de sa pensée, de son imagination fulgurante, toute primesautière, quel peintre ! Il égalerait assurément les étoiles de première grandeur, si radieuses dans le beau ciel de l’art depuis Phidias jusqu’à Géricault.
Si donc le littérateur veut raisonner de l’art, il lui faut une éducation particulière. Pour lui, un tableau ou une statue est un livre ; il sépare ce qui est inséparable, saisit le sujet ou l’idée, et va brodant des variations sur le thème proposé par l’artiste.
Pourtant, la littérature a aussi ses dessinateurs et ses coloristes, ses idéalistes, ses réalistes et aussi ses barbouilleurs. Chez Gustave Planche, le dessin, la raideur du style et des idées dominaient ; dans les salons de Thoré, au contraire, on voyait l’allure véhémente unie au sentiment de la couleur ; mais le maître à tous, c’est toujours Diderot, le créateur du genre.
Il semble que ce qu’il a écrit soit fait d’hier. Si un médium pouvait évoquer au Salon ce grand esprit, cela donnerait une terrible sensation aux artistes et à ceux qui les régentent. Il apporterait d’excellents avis.
« Artistes, dirait-il, si vous êtes jaloux de la durée de vos ouvrages, je vous conseille de vous en tenir aux sujets honnêtes. »
Dans les arts, comme dans les lettres, chacun a le droit d’exprimer son sentiment ; mais heureux, mille fois heureux les amateurs qui