Souvenirs poétiques de l’école romantique/Barthélemy (Auguste-Marseille)

Souvenirs poétiques de l’école romantique 1825 à 1840Laplace, Sanchez et Cie, libraires-éditeurs (p. 36-37).

BARTHÉLEMY (Auguste-Marseille)



Son second prénom nous dit sa ville natale, qui fut ainsi tout à la fois, en 1796, sa mère et sa marraine. Ses premiers vers imprimés, Épitre à M. de Chalabre, administrateur des Jeux à Paris, nous font une autre confidence. Ils nous disent la malheureuse passion qui dévora sa vie, et par ses insatiables exigences fit continuellement échec à ce que le poète aurait pu mériter d’honorabilité et de gloire. Le caractère chez Barthélémy fut l’éclipse du talent.

Après ses vers au directeur des Jeux, en 1825, il en écrivit d’autres tout aussitôt sur le Sacre de Charles X. Cent écus en furent le salaire. Il le trouva médiocre, et passa sans évolution préalable du dithyrambe à la satire. Elle fut d’un meilleur produit. Son compatriote Méry, avec lequel il s’était lié à la suite d’un échange de vers qui aurait pu les brouiller, fut son second pour cette campagne.

Tous les ministres y furent tour k tour attaqués : M. de Peyronnet dans la Peyronéide, M. de Corbière dans la Corbièréide, etc. ; mais c’est à M. de Villèle que furent portés les coups les plus rudes et les plus retentissants. La Villéliade ou la prise du château Rivoli — c’est-à-dire le ministère des finances, — poème en quatre, puis en six chants, acclamé par tous les journaux de l’Opposition, n’eut pas moins de quinze éditions consécutives.

Les vingt-quatre mille francs, qui en furent le produit net pour les deux poètes, leur permirent de se reposer un peu de la satire par l’héroïsme, du pamphlet par l’épopée : ils firent Napoléon en Égypte, dont Barthélémy courut, dès que le dernier vers fut imprimé, porter un exemplaire au duc de Reichstadt, à Vienne. On faisait bonne garde, il ne fut pas admis, et dut revenir son poème en poche. Au retour, un autre était déjà fait. De Vienne, Barthélémy avait collaboré avec Méry qui était à Marseille.

Ce poème, le Fils de l’homme, où de trop vives espérances se mêlaient aux regrets, fut saisi. Barthélémy, qui l’avait signé seul, dut comparaître devant la police correctionnelle, et se vit condamner à 1,000 francs d’amende et trois mois de prison. C’était en juillet 1829. Juste un an après, la révolution, que ses attaques avalent préparée, donnait à la France un souverain nouveau, qui n’était pas celui qu’il avait espéré, mais dont il pourrait s’accommoder, s’il reconnaissait suffisamment ses services. Il n’obtint qu’une pension de 1,200 francs ; ce n’était pas assez. Par une évolution pareille à celle qu’il avait faite après son ode du Sacre, il revint à la Satire.

Pendant cinquante-deux semaines, à partir du 1er mars 1831, Némésis fut sa muse, et ses serpents, son fouet. On sait avec quelle vigueur et quelle fertilité d’infatigable verve il le mania.

On on jugera du reste par la satire en strophes qui se trouve plus loin. Lamartine, dont la double candidature à Dunkerque et à Toulon y était attaquée, répondit par une ode admirable, qui mit dans la politique plus de lyrisme qu’elle n’en comporta jamais. Barthélémy répliqua de très haut, et ces deux grands talents furent quittes l’un envers l’autre.

Cette lutte fut l'apogée de celle de Némésis. Barthélémy qui la soutenait s’en lassa, bien qu’il n’y eût jamais été complètement seul, et que Méry le plus souvent y fût de moitié. De séduisantes avances de la part du pouvoir attaqué l’encourageaient dans ces idées de fatigue, qui laissaient entrevoir une prochaine retraite.

Quand la séduction fut arrivée au point qu'il désirait, et lui eut assuré ce qu’il voulait de gages, il se retira en effet. L’impression du public fut d’abord de l’étonnement, puis devint de la colère, lorsqu’il apprit que si le poète ne faisait plus parler Némésis, c’est qu’il travaillait à une traduction de l’Enéide, pour laquelle le ministère lui avait donné un encouragement de quatre-vingt mille francs. Il voulut se justifier, sa Justification se perdit au milieu du bruit des protestations. Plus tard, lorsqu’ayant dévoré le gâteau de miel qui l’avait fait taire, il essaya de mordre encore, ce ne fut plus le bruit, mais le silence plus implacable encore qui lui répondit. La Nouvelle Némésis, le Zodiaque — ainsi s’appelait ce renouveau de satires hebdomadaires — était condamné d’avance, comme le poète lui-même, qui ne se releva jamais. Un moment vint où l’on ne parla plus de lui, où l’on ignora même ce qu’il était devenu Où vivait-il ? Charles Monselet va nous l’apprendre : « J’ai, dit-il dans une note manuscrite, vu souvent Barthélémy à Bordeaux, alors que sa fille, mademoiselle Elian, était première chanteuse légère au Grand Théâtre. Toujours seul, sombre, drapé dans un manteau, il avait l’air d’un général espagnol. »

Il mourut tout à fait oublié le 23 août 1867.