Souvenirs de la Marquise de Créquy de 1710 à 1803/Tome 7/05
CHAPITRE V.
Enfin, les beaux jours de la France
Ont ranimé notre espérance
Et vont apaiser tous nos maux ;
Vivent les États-Généraux ?
Le soleil ne luit pas encore ;
Mais déjà la brillante aurore
S’apprête à dorer nos coteaux ;
Vivent les États-Généraux !
Déjà, s’embarquant sur le coche,
On peut (sans argent dans sa poche)
Suivre la liberté des eaux ;
Vivent les États-Généraux !
Et dans son jardin, le Roi même,
Se livrant au plaisir qu’il aime,
Pourra tirer quelques moineaux ;
Vivent les États-Généraux !
Plus de Clergé, plus de Noblesse,
Plus de Baron, plus de Duchesse,
Nous allons être tous égaux ;
Vivent les États-Généraux !
Chacun gardera son hommage
Pour les vertus et le courage
Des Lameth et des Mirabeaux ;
Vivent les États-Généraux !
Le vigneron chez un Ministre,
Chez Maman, comme chez un cuistre,
Viendra sans quitter ses sabots ;
Vivent les États-Généraux !
Et bientôt la poissarde, assise
À la table de la Marquise
Y reverra ses maquereaux ;
Vivent les États-Généraux !
Dans Paris, ainsi qu’à Bysance,
Nous végétions dans l’ignorance,
Portant des fers et des bandeaux ;
Vivent les États-Généraux !
Mais grâce aux lois qu’on nous prépare,
Il devient chaque jour plus rare
De voir des fripons et des sots ;
Vivent les États-Généraux !
Toutes les femmes seront belles,
Tous les époux seront fidèles,
Tous les amis francs et loyaux ;
Vivent les États-Généraux !
Les mœurs vont régner dans nos villes,
La paix dans nos districts dociles,
La vérité dans nos journaux ;
Vivent les États-Généraux !
Plus de commis ni de gabelles,
Plus de procès ni de querelles,
Plus de misère et plus d’impôts ;
Vivent les États-Généraux !
Chacun vivra dans l’abondance,
Chacun pourra faire bombance,
Ah ! que de poules dans les pots !
Vivent les États-Généraux !
Déjà nos sages du Manége,
Proscrivant l’hiver et la neige,
N’ont plus de feu dans leurs bureaux ;
Vivent les États-Généraux !
D’autres décrets non moins utiles
Vont remplir de moissons fertiles
Et nos greniers et nos tonneaux ;
Vivent les États-Généraux !
Dans Athène ou l’ancienne Rome,
Connaissait-on les droits de l’homme
Les connaît-on chez nos rivaux ?…
Vivent les États-Généraux !
Les Solons anciens et modernes
N’étaient que d’obscures lanternes
Auprès de nos mille flambeaux ;
Vivent les États-Généraux !
En tous lieux leur sagesse brille,
Elle a démoli la Bastille,
Elle éclaire encor nos châteaux ;
Vivent les États-Généraux !
Ainsi l’astre dans sa carrière,
Brûle en épanchant sa lumière,
Et ses feux n’en sont que plus beaux ;
Vivent les États-Généraux !
Détruisons nos poils et nos flottes,
Instrumens des anciens despotes !
Brûlons nos tours, nos arsenaux !
Vivent les États-Généraux !
Le drapeau blanc n’est plus de mise,
Liberté sainte est la devise
De nos guerriers nationaux ;
Vivent les États-Généraux !
Animons ces feux d’allégresse
Par tous les transports de l’ivresse ;
Inscrivons sur nos chapiteaux
Vivent les États-Généraux !
Payons des Garats, des Varvilles,
Et dans nos joyeux vaudevilles,
Faisons dire à tous les échos,
Vivent les États-Généraux !
Je ne sais pourquoi l’on a dit que cette jolie satire était de M. de Bonnay tandis qu’elle était de mon fils, et je vous dirai que plus tard, il avait, de concert avec le Vicomte de Ségur, ajusté les noms de MM. les députés à l’Assemblée nationale en forme d’appel nominal et sur l’air des Drapeaux. (La chanson sur son air du menuet d’Exaudet n’approchait pas de celle-ci.) Je vous en rapporterai seulement deux couplets qui firent beaucoup rire aux dépens de certains démocrates.
Bailly, Roy, Maître, Valet,
Beauharnais, Petit, Muguet,
Maillot, Long, Gillet, Bonnet
Trivière.
Haut-du-Cœur, Bonnefoy,
Robespierre,
Et Lafayette, Desroys,
Tonnerre !
Croix, de Pardieu, Geoffroy, Lasnier,
Leblanc, Meusnier,
Blin, Tavernier (de la Palisse),
Et Barnave, Le Boucher,
Périsse !
Chou, Sallé, Pain, Fricaut,
Perdrix, Merlezay, Vaneau,
(De Guisnes),
Prudhomme, Endurant Grillon,
Le Bandi, Péthion, Griffon,
Le Noir et Le Gros, Cochon
De Luynes.
De Périgord, Le Payen,
Castellane, Barbotin,
Lasnon, Cher, Fils, de Martin,
Le Mulet, Cousin, Germain,
De Broglie…
Les chansonniers en étaient restés là parce que ce nom savoyard a toujours été sans rime ni raison.
Au milieu de cette petite guerre en épigrammes dont les démocrates et notamment le ci-devant Prince de Broglie, se sont cruellement vengés, comme chacun sait, je ne manquerai pas de vous rapporter une belle chanson que M. votre père avait composée sur l’air de la Marche de Prusse ; vous verrez qu’elle porte principalement sur la Noblesse du parti démocratique, car il ne s’y trouve que cinq à six noms du tiers-état ou du bas clergé : et voici la teneur de ce fameux couplet
Guillotin, l’incisif,
Cordon, le suspensif,
Menou, poussif,
Lameth, expéditif,
Barnave, récriminatif,
Et Bailly, justificatif,
Marnézia, végétatif,
Et Lusignan, l’imitatif,
La Rochefoucauld, l’élocutif,
Target, régénératif.
D’Orléans, fugitif, craintif, supuratif,
Montesquiou, productif, fictif,
Broglie, fautif et chétif,
Custine, oisif,
Et Robespierre, accusatif.
De Bourges, le contemplatif
Et Sillery, le lucratif,
La Blache, vif et processif,
Lafayette, l’impératif,
De Luynes, massif, passif,
Et de Lasnier, portatif.
Clermont, rétif,
Biencourt, plaintif,
Talleyrand, juif,
D’Aiguillon, tous les maux en if,
Et Mirabeau, superlatif.
Mme de Montrond avait laissé tomber de sa bonne plume un portrait de M. de Talleyrand, qui fut trouvé d’une vérité parfaite et d’une ressemblance affreuse[1].
Sans cœur et sans talent beaucoup de suffisance
À la Banque, à la Bourse escroquant dix pour un ;
Dans ses propos rompus outrageant la décence,
Tel était autrefois le pontife d’Autun.
Plus heureux aujourd’hui, sa honte est moins obscure ;
Froidement, du mépris il affronte les traits ;
Il enseigne le vol et prêche le parjure,
Et semant la discorde il annonce la paix.
Sans cesse on nous redit qu’il ne peut rien produire,
Et que de ses discours il n’est que le lecteur,
Mais ce qu’un autre écrit, c’est d’Autun qui l’inspire, etc.
Je ne saurais m’empêcher d’adjoindre encore à ces trois ou quatre mémorations satiriques, une épigramme de Rivarol à l’occasion d’une ordonnance de M. Bailly pour interdire les masques et relativement à ce que Mme de Staël avait osé s’apposter et se tenir debout pendant la messe à la chapelle des Tuileries, précisément en face de la Reine (laquelle avait eu comme on sait, l’extrême bonté de négocier le mariage de Mlle Necker avec un Ambassadeur). Ceci fut trouvé d’une insolence intolérable, à raison des hostilités perfides et des cruautés dont la malheureuse Princesse était devenue l’objet de la part de cette protestante qui ne s’agenouilla seulement pas au moment de l’élévation.
Malgré l’avis salutaire
Émané du tribunal
De Monseigneur notre maire,
Que nul en ce carnaval,
Ne soit assez téméraire
Pour se masquer bien ou mal,
J’ai vu dans le sanctuaire
Du domicile royal
Le masque d’une mégère
Monté sur deux pieds d’estal.
- ↑ Angélique-Marie d’Arlus, Comtesse de Montrond. Elle a
composé pendant la révolution française un grand nombre d’opuscules
aussi judicieux que remarquables, et notamment la
fameuse romance du Troubadour Béarnais. Elle est morte en
1827, âgée de 82 ans. M. le Cte Casimir de Montrond est le
second fils de cette vénérable et spirituelle personne ; il a sans
aucun doute hérité de l’esprit de Mme sa mère ; mais il ne paraît
pas qu’il ait hérité de son aversion pour M. de Talleyrand.
(Note de l’Éditeur)