Souvenirs de la Marquise de Créquy de 1710 à 1803/Tome 1/07
CHAPITRE IV.
Ma tante me trouvait assez instruite ; mais elle avait jugé que l’usage du couvent ne pouvait suppléer à celui du monde. Vous allez voir que Mme de Breteuil était la personne la plus savamment et la plus exactement polie, ce qui m’a toujours étonnée, car elle n’était sortie du Prieuré de Sainte-Madeleine-en-Dunois que pour épouser un mari dont le rang et la profession ne lui permettaient pas d’aller prendre le bel air et les habitudes de Versailles. Elle débuta par me faire lire la Civilité puérile et honnête : c’était l’ancienne édition de Poitiers, pleine de niaiseries ; mais l’intelligente personne avait la prudence et l’attention d’y faire ma part avec celle du temps, en rejetant le fatras et les ridiculités sur les usages et les coutumes surannées de l’époque où l’auteur avait écrit. Par exemple, on y disait qu’il fallait éviter de cracher dans la poche de son voisin et qu’il ne fallait pas se moucher à table avec sa serviette ; qu’il ne fallait jamais se peigner dans les églises, et surtout qu’il se fallait bien garder de faire le signe de la croix derrière son dos, parce que c’est incivil pour le Saint-Sacrement. — Vous voyez bien, me disait-elle, que les Muguets du temps du feu Roi Louis XIII avaient déjà pris la mode des longs cheveux, et qu’ils portaient des démêloirs dans la poche de leur habit ; ce dont les vieilles gens n’ont pas encore perdu l’habitude. On dit populairement « faire le signe de la croix derrière son dos », à propos des écoliers qui jettent leurs mains par-dessus leurs épaules en faisant avec précipitation le signe de notre salut, ce qui ne laisse pas d’être une irrévérence ; et quant à ne pas se moucher avec sa serviette, il est encore à désirer que certains gentilshommes de province, à commencer par le Comte et le Chevalier de Montesquiou, prennent le précepte en considération, car ils essuient leur nez avec la nappe, et c’est une saloperie qui fait mal au cœur. — Brisez votre pain sans le couper au couteau ; cassez toujours vos coquilles d’œufs ; et pourquoi donc cela, ma tante ? — C’est parce qu’on ne vous sert que du pain tendre, et que la croûte en est friable et légère. J’ai toujours pensé que, s’il était permis de couper son pain, on n’y saurait mettre assez de précautions, et qu’on risquerait d’en faire sauter des particules incommodes et très aiguës dans les yeux de ses voisins ou sur la gorge de ses voisines. Quand vous laissez des coquilles d’œufs sur de la vaisselle plate et qu’un valet vient les enlever, comment ne craignez-vous point qu’elles ne roulent sur vos habits ?… J’ai su depuis que ma tante en agissait de la sorte avec moi pour ne pas discréditer dans mon esprit une foule de prescriptions utiles et de sages recommandations qu’on trouve dans ce même livre. Il y a tel protocole ou telle formule d’égards qui a fait honneur à ma parfaite éducation et qui ne s’était imprimé dans mon esprit que moyennant la lecture de la Civilité puérile et honnête. Toujours est-il qu’ayant vécu jusqu’à dix-neuf ans si loin du monde, ayant épousé un homme qui ne pouvait la faire présenter à la cour, et se tenant toujours chez elle, ma tante de Breteuil avait acquis au plus souverain degré la pratique et la théorie de la politesse avec l’usage du plus grand monde ; et c’était depuis la forme d’un placet au Roi jusqu’à la différente manière de prononcer le Monseigneur pour un Évêque ou pour un Prince du sang. Elle s’attachait à me prouver que chaque lieu commun de la politesse avait toujours un motif agréable pour les autres, un but raisonnable en lui-même, ou tout au moins une origine historique et respectable. Au reste, elle avait une manière de professer tout-à-fait exempte de futilité, de prétentions pédagogiques et de pédanterie ; c’était sa façon, et voilà pourquoi je l’écoutais avec confiance et plaisir. J’ai vécu soixante et quinze ans de plus que cette excellente et sage personne, et je n’ai jamais eu rien à réformer sur tout ce qu’elle m’avait appris.
Il y a pour les enfans bien nés, et surtout pour les garçons, des habitudes de famille que rien ne saurait remplacer. — Donnez votre place à Monsieur. — Allez baiser la main de votre tante. — Une autre fois, mon enfant, disait-elle à son fils aîné, vous ne vous asseyerez pas sur un fauteuil, en cercle comme un Seigneur, et plus près de la cheminée que M. le Curé de Saint-Sulpice. Je n’aime pas non plus que vous alliez porter des tasses ou des verres de liqueur à la compagnie. C’est un empressement qui tient du bourgeois, et les habitudes bourgeoises ne valent pas mieux que les habitudes populaires ; c’est une variété dans l’espèce, et c’est seulement une autre manière d’être gauche avec de la prétention de plus. Lorsque vous allez vous trouver tout seul à votre ménage de garnison, où votre père a décidé que vous auriez un maître-d’hôtel, ainsi qu’un cuisinier avec une maison montée, n’oubliez pas d’en faire les premiers honneurs aux ecclésiastiques : d’abord, c’est un hommage à rendre à la religion, mais c’est aussi parce que le clergé est chez nous le premier ordre de l’État. La règle des parlementaires, qui brouillent toute chose en voulant tout compasser, ce serait que les Cardinaux fussent assimilables aux Maréchaux de France, les Archevêques aux colonels-Généraux, les Évêques aux Brigadiers des camps et armées ; et ce serait aussi que les Abbés crossés et mitres n’eussent que le rang de colonel ou de capitaine de vaisseau, tandis que ces MM. de la robe établissent leurs Présidens de cours souveraines au niveau des Ducs et Pairs. Laissez dire la Magistrature, et ne contestez jamais la prééminence du clergé de France sur la noblesse. C’est à cause de cela que j’ai fait servir aujourd’hui M. le Vicaire de Saint-Roch avant le Comte de Froulay, quoique cet abbé fût allé s’asseoir au bas de la table et malgré que votre oncle ait le cordon bleu. Il est bon d’ajouter à l’expression de ces théories que ma tante savait très-bien s’en relâcher dans la pratique, et par après, elle m’a dit souvent qu’il ne fallait jamais présenter aux enfans que des idées simples et générales, en laissant aux difficultés qu’ils auront à tourner et à l’expérience de la vie, le choix des exceptions. Le Roi vous aura fait ministre, ou la finance vous aura fait millionnaire, grand bien vous fasse, et dînez deux fois ! Mais si, dans votre enfance, on n’a pas appliqué votre attention sur le choix des formules, vous ne saurez jamais prendre garde à rien. Vous appellerez le Roi Très-Chrétien Votre Majesté ; vous direz Votre Altesse Royale à des fils de France, et vous montrerez par là ce que vous dissimulez inutilement, c’est à savoir que vous n’avez pas été bien appris.
La société intime de l’hôtel de Breteuil se composait tout au plus d’une vingtaine d’habitués dont le couvert était mis journellement pour le souper suivant l’usage du temps et l’hospitalité de cette opulente et généreuse maison. Pour vous en donner une idée sommaire, il est suffisant de vous dire que mon oncle et ma tante avaient, seulement à Paris, quarante-quatre domestiques. M. de Fontenelle y venait souper régulièrement tous les jeudis[1]. Il était alors âgé d’environ 45 ans, mais on n’aurait jamais supposé qu’il en eût plus de 36. C’était un grand et bel homme de cinq pieds huit pouces, de la plus régulière et la plus agréable figure, avec l’air doux et fin. Il avait une physionomie candide et gaie surtout. Il avait été l’homme du monde le mieux fait, et bien qu’il eût pris l’habitude de marcher voûté, il y avait encore dans sa démarche et tous ses mouvemens une grâce noble et décente ; enfin toute sa personne était d’une aménité courtoise et tout-à-fait particulière. Je vous puis assurer que Fontenelle était la bienfaisance et la charité même ; il donnait tous les ans pour les pauvres, au curé de sa paroisse, environ le quart de son revenu, et je n’ai jamais compris qu’on ait pu l’accuser d’égoïsme et d’insensibilité. Il a conté devant moi cette ridicule histoire des asperges à l’huile ; mais c’était comme venant d’arriver à je ne sais quel docteur de Sorbonne, et c’est quarante ou cinquante ans après que Voltaire a eu la perfidie de la reproduire comme si Fontenelle en avait été le héros. — Comment peut-on vous accuser de manquer de sensibilité, mon cher et bon Fontenelle ? lui disait un jour ma tante. — C’est parce que je n’en suis pas mort encore, répondait-il en souriant. Il avait la plus grande confiance et la plus tendre estime pour les fraises. Il avait eu régulièrement toute sa vie la fièvre au printemps. — Si je puis arriver jusqu’à la saison des fraises… Il a eu le bonheur d’y parvenir 99 fois, et c’est à l’usage des fraises qu’il a toujours rendu grâces de sa longévité. Je pourrais vous citer une foule de choses charmantes à propos de Fontenelle ; mais on les a déjà recueillies, et je tâcherai toujours de ne vous rapporter rien de ce que vous pourrez avoir appris par ailleurs. Je vous dirai seulement une anecdote que Voltaire répétait souvent, et que Fontenelle racontait aussi, ce qui est d’une autre autorité pour moi que celle de Voltaire. La Fontaine étant bien malade et venant de recevoir ses derniers sacremens, demandait à sa bonne amie, Mme Coruel (c’est la même dont parle Mme de Sévigné), s’il ne serait pas convenable et bien à propos qu’il se fit porter sur un tombereau, en chemise et les pieds nus, avec la corde au cou, jusque devant le portail de Notre-Dame, où il serait censé faire amende honorable pour ses contes ? — Il faudra seulement me trouver quelqu’un pour porter ma torche, car je n’aurai pas la force de la soutenir, et j’aimerais assez que ce fût un des grands laquais de notre voisin le Président Nicolay ? — Tenez-vous tranquille et mourez tranquille, mon bon homme, lui répondait la vieille Cornuel. Vous avez toujours été bête comme une oie. — C’est bien vrai, reprenait La Fontaine, et c’est bien heureux pour moi ! J’espère que le bon Dieu va me faire miséricorde à cause de cela. Ne manquez pas de dire à tout le monde que j’ai péché par bêtise et non par malice ; ce sera toujours moins scandaleux, n’est-il pas vrai ? — Veux-tu bien me laisser tranquille et mourir en paix ! s’écriait l’autre… Le Chevalier de la Beslière avait dit à Fontenelle que le confesseur de La Fontaine et tous les assistans avaient fini par en rire aux éclats, et que les dernières paroles du bon homme avaient été ceci : « Je vois bien que je suis devenu plus bête que le bon Dieu n’est saint, » et c’est beaucoup dire ! »
Le Marquis de Dangeau venait quelquefois souper à l’hôtel de Breteuil, mais il était ligaturé dans une telle discrétion que je ne saurais véritablement que vous en rapporter, sinon qu’il était pour moi le plus inquiétant personnage de la terre, et que j’avais toujours la frayeur de faire ou dire en présence de lui quelque chose qu’il aurait désapprouvé. On disait alors qu’il écrivait ses mémoires, et quand je les ai vu paraître, ils ne m’ont semblé ni plus intéressans ni moins insignifians que leur auteur. Le Marquis de Dangeau n’avait pas moins de vanité que d’ambition ; mais comme sa vanité n’avait rien d’offensif et son ambition rien d’hostile, on s’en moquait un peu, si vous voulez, mais c’était sans intention dénigrante, et d’ailleurs on estimait en lui la véracité, la bienveillance et la parfaite sûreté du caractère. Quand il reçut le collier du Saint-Esprit, il en pleurait de joie pendant la cérémonie ; et quand le Roi, qui s’en divertissait, lui délégua sa grande-maîtrise de l’Ordre de Saint-Lazare, il en prit une grosse fièvre de nerfs, en résultat de son émotion.
On est fâché que ce soit à lui que Boileau Despréaux se soit adressé pour afficher une si belle découverte. Mme de Montespan racontait que ce même Dangeau lui avait dit une fois, en signe de noblesse, — je veux être décapité, si…, au lieu de — je veux être pendu ! ce qui dit pourtant beaucoup plus et vaut beaucoup mieux en fait d’imprécation gentilhommière ! Philippe de Courcillon, Marquis de Dangeau, Comte de Merle et de Civray, Vicomte deSaintré, Baron de Sainte-Hermine, Saint-Arnaud, Bressuire et autres lieux, Chevalier des Ordres du Roi, Chevalier d’honneur de Madame la Dauphine, Grand-Maître des Ordres Militaires et Hospitaliers de Notre-Dame du Mont-Carmel et Saint-Lazare de Jérusalem, Gouverneur de Touraine et Conseiller d’état d’épée, l’un des quarante de l’Académie française, etc., est mort à Paris en 1720, âgé de 86 à 87 ans, car c’était encore un de mes contemporains qui n’avait jamais eu d’acte de naissance et qui ne savait pas trop bien son âge ? Poursuivons ma biographie des contemporains, comme on dit aujourd’hui.
Le vieux Duc de Saint-Simon, qui nous venait seulement en visites et qui ne soupait jamais hors de chez lui, afin de ne jamais rendre à souper, fabriquait aussi des mémoires, et comme il a protesté, moi présente, et plus de cent fois, qu’il n’en était rien du tout, vous pouvez juger l’estime que je fais de sa véracité ! C’était un vilain corbeau malade, desséché par l’envie, dévoré d’ambition vaniteuse, et toujours perché sur sa couronne de Duc. Jean-Baptiste Rousseau comparait ses yeux à deux charbons éteints dans une omelette, et la trivialité de cette comparaison n’ôte rien à sa vérité. Je me souviens que deux jours après mon mariage, il attacha sur moi ses deux petits yeux sataniques, en me disant de ses lèvres serrées et de sa bouche plate comme un coup de sabre, qu’il me complimentait avec justice et sincérité, parce que M. de Créquy était un homme de bonne maison. Je trouvai la formule impertinente, et je me rappelai fort à propos qu’il avait mal parlé de la naissance de MM. de Breteuil, que je faisais profession d’honorer. Je lui répondis qu’il avait acquis bien de l’indulgence, attendu que MM. de Créquy n’étaient plus titrés comme Ducs, et ceci, grâce à Dieu ! On n’a jamais vu d’agitation corporelle et de contraction faciale à l’égal de ce que ceci lui fit éprouver. On aurait dit qu’il allait tomber en convulsion ! …
Le véritable nom de M. le Duc était Louis Le Borgne, dit de Rouvroy et même de Vermandois, ce qui en aurait fait une manière de Prince. C’était son père qui avait été créé Duc par une inconcevable imagination du Roi Louis XIII, et c’est à cela que leur famille a dû son illustration. Il appert de l’Histoire des grands-Officiers du Père Anselme, qui est le livre des livres, qu’en tendant leur corde généalogique autant que possible, ils n’ont jamais pu se guinder au-delà d’un Mathieu le Borgne, dit de Rouvroy (à ce qu’ils supposent, et bien qu’il ne soit pas qualifié seigneur de ce fief), lequel Mathieu le Borgne vivait à la fin du quatorzième siècle. On voit qu’il n’y a pas là de quoi faire les superbes, mais l’orgueil est comme un général prudent qui renforce la garde aux postes faibles. Après avoir affiché la plus grande austérité de principes, l’auteur des mémoires de Saint-Simon a fini par devenir un des conseillers les plus intimes de M. le Régent, ce qui dénote au moins une grande souplesse de caractère. Mme de Bassompierre, sa petite-fille et son unique héritière, a vendu au Roi Louis XV le manuscrit de ses mémoires. Ils appartiennent aux archives des affaires étrangères, et l’on dit qu’ils sont écrits dans un esprit si déloyal et si outrageant qu’il ne sera jamais possible de les publier en entier. Ce Duc de Saint-Simon, dont la postérité se trouve éteinte, était né, je crois bien, sous le règne de Louis XIII ou peu s’en fallait ; et comme il n’est mort qu’en 1755, il a eu le temps de forger bien des calomnies et d’écrire bien des mensonges.
Jean-Baptiste Rousseau, qui avait la figure d’un Silène et la tournure d’un vigneron, venait aussi quelquefois dîner à l’hôtel de Breteuil, et non pas souper, ce qui n’aurait pas été de convenance. On était transporté de ses odes, et mon oncle l’avait pensionné de 600 livres que nos cousins lui faisaient payer en Flandres, après son exil et son procès, dans lequel Saurin s’était conduit avec la dernière indignité. Voltaire a dit, je ne sais pourquoi, dans son épitre à Mme du Châtelet :
« Ce vil Rufus, que votre illustre père
» Avait tiré du sein de la misère,
» Et que j’ai vu, serpent envenimé,
» Mordre le sein qui l’avait ranimé. »
Si Voltaire a pu voir ceci, c’est à lui tout seul, car ce malheureux poète lyrique, que j’ai toujours cru fort injustement condamné, écrivit encore de Bruxelles aux enfans de mon oncle, son bienfaiteur, environ huit jours avant sa mort (celle du poète), en leur exprimant sa reconnaissance et ses derniers vœux, de la manière la plus respectueuse et la plus attendrissante. En fait de supercheries de la part de M. de Voltaire, j’en aurai bien d’autres à vous citer !
Milord-Maréchal, pourquoi ne vous dirais-je rien de Milord-Maréchal, puisque toutes les personnes qui vous parleront de l’affection qu’il m’avait inspirée, seront obligées de convenir que nous avons toujours été parfaitement respectables aux yeux l’un de l’autre ? Milord-Maréchal, je n’écrirai jamais ce nom-là sans émotion, était, lorsque je le vis chez mon oncle, un bel Écossais de 24 ans, sensé, sensible et sérieux. Il arrivait d’Angleterre avec une mission des jacobites anglais près des réfugiés, et c’était à l’hôtel de Breteuil qu’il avait des entrevues politiques et qu’il donnait ses rendez-vous aux Ducs de Perth et de Melfort, ses oncles. Si vous voulez avoir une idée de sa figure, vous pouvez regarder ce charmant portrait du beau Gaylus, favori de Henri III, dont vous avez hérité du Connétable de Lesdiguières et qui se trouve encore parmi nos tableaux dans son cadre de vermeil incrusté d’améthystes. (Soit dit en parlant de ce portrait, que Henri III l’avait oublié dans son oratoire à Chenonceaux, et que ce fut |a Reine Louise de Vaudémont, sa veuve, qui en fit présent au Connétable). Le jeune Lord devint amoureux de votre grand’mère, qui était alors une jeune fille, et qui n’était pas non plus dépourvue d’agrémens, à ce qu’on disait autour d’elle. Nous commençâmes par nous regarder avec une surprise inquiète, avec intérêt, ensuite avec émotion. Nous nous écoutâmes ensuite parler sans pouvoir prendre sur nous de nous adresser la parole, et puis nous n’osions plus parler du tout en présence l’un de l’autre parce que la voix nous tremblait d’abord, et finissait bientôt par nous manquer. En définitive, il me dit un jour à propos de rien : — Si j’osais vous aimer, me le pardonneriez-vous ? — J’en serais charmée ! lui répondis-je… Nous retombâmes tout aussitôt dans un profond silence, en nous regardant le plus souvent possible, avec un air de félicité parfaite, et nous continuâmes à nous regarder sans nous parler pendant six semaines ou deux mois, avec un ravissement toujours nouveau.
Ma tante avait trouvé bon qu’il me donnât quelques leçons de langue espagnole, et non pas anglaise, en vérité ! car personne ne se serait avisé d’apprendre l’anglais dans ce temps-là, non plus qu’aucune autre langue au nord de soi. Les gens du nord apprenaient le français, mais les Français n’apprenaient jamais que la langue italienne ou le castillan. On se tournait tout naturellement du côté du midi, du bon vin, du beau soleil et des climats prospères, ainsi que les barbares et les conquérans. C’est un penchant naturel et raisonnable, à mon avis. Le Maréchal de Tessé disait souvent que l’étude ou la science des langues vivantes doit être réglée d’après la mappemonde, et que ce doit être une affaire de latitude. Comme les nations qui tendent ou prétendent à la parfaite civilisation sont bien aises de connaître l’histoire et la littérature des pays qui leur sont méridionaux, et qui ont été civilisés les premiers, ils ne manquent jamais d’en apprendre les langues, tandis qu’ils n’estiment et n’apprennent point les dialectes qui se trouvent derrière eux. Ainsi l’on voit que la plupart des nobles russes savent parler toutes les langues de l’Europe, y compris la polonaise, tandis que les gentilshommes polonais parlent tous les dialectes européens, à l’exception du moscovite qui est à leur septentrion. En Allemagne, on n’apprend pas plus le polonais que le russe, mais il n’est pas un Allemand bien né qui ne sache le français, l’italien, l’espagnol et quelquefois même l’anglais, tandis qu’il n’est rien de si rare que de trouver un Espagnol ou un Italien qui se soit donné la peine d’apprendre la langue française et surtout l’anglaise. Mesdames de Maintenon, de Lafayette, de Sévigné, de Montausier, de Villars et de Caylus, peuvent être considérées comme les modèles de la parfaite éducation suivant l’ancienne méthode : elles ne savaient assurément pas un mot d’allemand ni d’anglais, mais elles n’avaient pas manqué d’apprendre l’espagnol et l’italien, et même de les bien apprendre, ainsi qu’il appert de leurs œuvres[2].
Milord Georges parlait l’espagnol et l’italien tout aussi bien que le français, c’est-à-dire en perfection. Il venait s’asseoir sur un pliant derrière le mien, car une demoiselle de mon temps ne s’installait jamais sur une chaise à dossier, et sur un fauteuil encore moins. Comme les leçons qu’il me donnait ne se prenaient jamais que dans le grand salon de l’hôtel de Breteuil, sous les yeux de ma tante et en présence de vingt personnes, il ne fut pas raisonnable à ma cousine Émilie d’en paraître offusquée, et ceci ne manqua pourtant pas d’arriver.
Milord Georges m’avait traduit en français, et suivant la méthode anglaise, en vers blancs, c’est-à-dire sans rimes et non pas sans raison, comme vous allez voir, un charmant quatrain que son père avait fait pour lui, et que je vous applique souvent dans ma pensée :
» Quand vos yeux, en naissant, s’ouvraient à la lumière,
» Chacun vous souriait, mon fils, et vous pleuriez.
» Vivez si bien, qu’un jour, à votre dernière heure,
» Chacun verse des pleurs et qu’on vous voie sourire. »
Il me racontait un soir avec assez d’enjoûment l’aventure d’une riche héritière hollandaise qui s’était enfuie avec un Anglais orangiste, et dont les pareils venaient de faire mettre dans les journaux de Londres, que, si elle ne voulait pas revenir auprès de sa famille désolée, ils la priaient au moins de leur renvoyer la clé de leur boîte à thé qu’elle avait emportée ; ce qui me fit rire, et ce qui fit supposer à Mlle de Preuilly que nous nous moquions d’elle, à qui nous ne pensions pas. Émilie en fit ses remarques d’envieuse, et ceci décida le jeune Lord à faire sa proposition de mariage, qui fut sur-le-champ soumise à mon père, à ma grand’mère (dont je vous parlerai tout à l’heure) et à ma tante de Breteuil-Charmeaux, la poltronne, qui se mit à jeter les hauts cris parce que le Maréchal d’Écosse devait être protestant ! Je n’en avais pas eu l’idée ! Ce fut une révélation subite et si poignante pour moi que je n’y saurais penser, encore aujourd’hui, sans frémissement et sans compassion pour la souffrance qu’elle me fit éprouver. On apprit qu’il était calviniste : il le dit lui-même, et le ciel est témoin que je n’éprouvai pas alors une minute d’hésitation. Je refusai la main de Milord-Maréchal, et deux jours après, il était reparti pour son pays, où sa douleur et ses entreprises inspirées par le désespoir, écrivait-il à ma bonne tante, avaient eu pour effet de le faire condamner à l’échafaud. Voilà, mon cher enfant, la seule inclination de ma vie qui n’ait pas été pour M. de Créquy, avec qui, du reste, j’ai eu la bonne foi d’en causer en toute sincérité.
Lorsque nous nous sommes revus, le Maréchal et moi, après tant d’années de séparation et d’apparent oubli, nous fîmes une découverte dont nous fûmes tous deux également surpris et touchés. Nous n’avions jamais cessé de penser l’un à l’autre ; nos cœurs avaient été si profondément pénétrés, qu’ils en étaient restés remplis d’un sentiment douloureux d’abord, et puis infiniment doux. Il paraît que, pour aimer à tout jamais, il n’est rien de tel que de s’être aimé véritablement et d’en être restés là. On n’avait pas eu le temps de montrer ses défauts, on n’a pas souffert des imperfections l’un de l’autre ; on est resté réciproquement dans une illusion que l’expérience n’a pu détruire ; on s’est complu dans une idée de perfection qui vous sourit toujours avec une douceur ineffable ; et quand on vient à se retrouver ensemble à l’autre extrémité de la vie, quand on se revoit sous des cheveux blanchis avec sagesse et dignité, on éprouve alors une émotion si tendre, si pure et si solennelle, qu’on n’y saurait certainement comparer aucun autre sentiment, aucune autre impression de l’humanité. Cette visite que me fit le Maréchal d’Écosse eut lieu en présence de Mme de Nevers, qui en fut émue jusqu’au fond des entrailles. Vous étiez né, mon cher petit-fils, et le Maréchal était devenu septuagénaire. — Écoutez, me dit-il, écoutez les seuls vers français que j’aie jamais faits, et peut-être les seuls vers de reproche qu’on ait jamais faits pour vous.
» Un trait lancé par caprice
» M’atteignit dans mon printemps.
» J’en porte la cicatrice
» Encor sous mes cheveux blancs.
» Craignez les maux qu’amour cause,
» Et plaignez, un insensé
» Qui n’a point cueilli la rose,
» Et que l’épine a blessé. »
Il était tombé sur sa joue vénérable, et de ses yeux si fiers, une ou deux larmes…
— Allez-vous déjà retourner auprès du Roi de Prusse ? lui dis-je ; serons-nous séparés pour toujours, et ne vous convertirez-vous point ? — Je suis et serai des vôtres après comme avant ma mort, me dit-il avec une simplesse admirable. Je vous ai trop aimée pour n’avoir pas embrassé votre religion, cette religion à qui vous avez eu la force de sacrifier ?… Mais, poursuivit-il en souriant, je suis devenu catholique ; et bon catholique, en esprit et en vérité !… Cette affirmation d’un si noble vieillard a fait la douceur et la joie du reste de ma vie.
Milord Georges Keith d’Athry était Maréchal héréditaire et premier Comte et Pair du royaume d’Écosse. IL était Chevalier de la Jarretière et Grand’Croix de l’Aigle-Noir. On voit imprimé partout, d’après Dalembert, qu’il était né en 1685 ; mais il m’a dit souvent qu’il était né le 5 décembre 1686. Il a fini sa vie à la cour et dans l’intimité du Roi de Prusse en 1778. La mémoire de Milord-Maréchal me sera toujours honorable et chère. Mais voilà que je néglige étrangement la chronologie dans mon récit, car il y a bien loin de 1714 à 1756, autant qu’il m’en souvient. C’est ici l’occasion de vous prévenir que je ne me refuserai jamais la liberté de faire une excursion sur le temps futur, non plus que la commodité d’employer la parenthèse. Excusez-moi pour les divagations, et surtout passez-moi l’usage de la parenthèse ; je vous demande grâce pour mes parenthèses.
Il est temps d’en venir à ma grand’mère de Froulay qui postillonnait et courait perpétuellement de Paris à Versailles et de Versailles à Paris, parce que l’Abbé de Sainte-Geneviève était malade à Paris, et parce que la Chancelière était malade à Versailles de sorte que, huit ou dix jours après mon arrivée, on n’avait pas encore pu la rencontrer chez elle afin d’y procéder à ma présentation. — Mademoiselle de Froulay ! s’écria-t-elle en m’apercevant, est-il possible que je ne l’aye pas encore vue ? J’en suis honteuse et malheureuse !… Ensuite elle me vint embrasser et me fit une révérence infiniment polie, sans me faire asseoir, attendu que la Duchesse d’Uzès l’attendait au bas de l’escalier pour aller savoir des nouvelles de leur Génovéfain. Il en guérit, et la Chancelière de Ponchartrain en mourut, ce qui fut pour ma grand’mère un fameux débarras, comme dit le peuple. Elle était costumée comme au temps de la Fronde, avec cinq rangs de cornettes empoissées. Elle avait un habit ouvert ajusté de millerets sur un bas de robe en toile d’argent où l’on voyait toutes les bêtes de l’arche en broderies de relief. On aurait dit la Duchesse de Longueville, et je n’en pouvais détacher mes yeux[3].
Ma grand’mère ne manqua pas d’arriver deux jours après à l’hôtel de Breteuil pour me rendre ma visite, et pour se concerter afin de me mener à Versailles, où l’on trouvait indispensable que j’allasse rendre mes devoirs au Maréchal de Tessé. Il ne venait presque jamais à Paris, et il avait déjà témoigné le désir de me voir en s’étonnant de ce qu’on ne m’avait pas encore présentée à lui, notre chef salique. Il fut convenu que nous irions à Versailles aussitôt qu’on aurait pu rejoindre mon père, à qui ma tante de Breteuil en voulait parler préliminairement comme de raison, mais de son côté, mon père habitait Versailles et ne revenait à Paris que pour y toucher barre et s’en retourner en courant : enfin ce projet-là ne put être effectué que sept à huit jours plus tard.
Le Maréchal de Tessé me parut très affligé de la mort de sa femme, dont il nous parla les larmes aux yeux[4]. L’appartement de mon oncle faisait partie de celui de Madame la Dauphine (Duchesse de Bourgogne), dont il avait été le Grand-Écuyer. C’était un beau logement de sept à huit grandes pièces sur le parterre de la Roseraye qui mène aux grands escaliers de l’Orangerie. Je ne crois pas que les courtisans de ce temps-là se fussent accommodés des nids-à-rats et des galetas où nous voyons établis ceux d’aujourd’hui ; mais c’est à votre père à vous parler de son logement dans les combles de Versailles, à titre de grand-officier de Madame, je vous avouerai que je n’ai jamais compris sa résignation.
La défunte Maréchale était proche parente de Mme de Maintenon, attendu que leurs grand’mères, à toutes les deux, étaient des Demoiselles de Vivonne, et de plus, ma grand’mère était la filleule de Louis XIV et de Marie Mancini, ce dont il résultait que mon grand-oncle et ma grand’mère étaient traités par ce prince et par Mme de Maintenon, avec une familiarité particulière. Le Maréchal nous dit que celle-ci ne désapprouverait sûrement pas la liberté qu’il allait prendre de me conduire à Saint-Cyr où Mme de Maintenon s’était rendue le matin pour y passer la journée, et où, du reste, Mme de Froulay avait toujours eu ses entrées personnelles. Nous dînons, nous allons faire une courte prière à la chapelle, à dessein de me montrer l’édifice. Je n’ose pas espérer qu’on me fasse voir le reste du château, parce qu’il n’aurait pas été bienséant, et je le sentis dée moi-même, que je débutasse en ce lieu-là comme une sorte de bayeuse ou de provinciale étonnée ; enfin nous descendons par les degrés de l’Orangerie, où nous attendait le carrosse du Maréchal, et nous voilà sur la route de Saint-Cyr.
Au bout de sept à huit minutes, l’équipage est arrêté subito, et voici des laquais à nos livrées qui se mettent à ouvrir les deux portières, et à en abattre les marche-pieds avec précipitation. — C’est le Roi, nous dit mon oncle ; et il nous fit descendre sans nous presser, parce que ses gens étaient assez bien dressés pour que le temps n’y manquât pas.
Le carrosse du Roi n’était escorté que par trois mousquetaires en soubreveste et par autant de Chevau-légers. Il était, suivant l’ordinaire, attelé de huit chevaux ; il y avait deux Pages aux coquilles du devant, quatre derrière, et le fond des livrées de France était encore en velours d’un bleu d’azur, au lieu d’être en drap d’un vilain bleu foncé comme aujourd’hui. (C’est Louis XV auquel on doit rapporter celle triste innovation, laquelle est d’autant moins facile à s’expliquer que ce Prince-là n’a jamais fait rien par économie.) Le Roi Louis XIV était tout seul au fond de son carrosse, et dès qu’il nous aperçut, le carrosse et le cortège s’arrêtant aussitôt comme par enchantement, S. M. baissa la glace de sa gauche, duquel côté nous étions ; ensuite elle se découvrit pour nous saluer avec une aménité remplie de considération. — Voilà donc le Roi ? ce grand Roi ! m’écriai-je, les larmes aux yeux. — Ajoutez ce bon Roi, ce Roi malheureux, reprit le Maréchal, avec un accent douloureux et sombre.
En arrivant à Saint-Cyr, nous traversâmes d’abord une grande pièce où se trouvaient le service d’honneur et les pages de S. M., qui s’était allée promener dans les jardins du couvent avec M. l’Évêque de Chartres et quelques autres seigneurs que je n’aperçus point. Madame de Maintenon se tenait dans une chambre haute, lambrissée de chêne, sans peinture, et meublée tout uniment en point de Bergame. Devant chacun des sièges, il y avait un carreau de tapisserie pour mettre sous les pieds, parce qu’il n’y avait pas même un grand tapis sur le parquet, tant l’ameublement était simple. Mme de Maintenon me fit approcher pour me baiser au front ; elle me regarda de l’œil le plus intelligent et le plus doux ; ensuite elle se remit à causer avec sa voisine, et j’allai m’asseoir à côté de ma grand’mère, qui me dit que c’était Mme la Duchesse du Maine. — La belle-fille de Mme de Montespan ? lui dis-je entre haut et bas, mais pas assez bas pour que mon oncle de Tessé ne l’entendît point — Mon Dieu ! comment se fait-il que vous parliez ici de semblable chose ? me dit le Maréchal, au plus près possible de mon oreille, et tout frémissant d’appréhension. Ma grand’mère en était restée confondue !… — Allons, me dis-je, il n’y faut plus songer ; la naissance de ce Duc du Maine est un mystère que je n’éclaircirai jamais, n’y pensons plus.
Mme la Duchesse du Maine n’était pas précisément folle et n’était pas complètement bossue, mais elle avait dans la taille ainsi que dans le jugement ce qu’on pourrait appeler un tour d’épaule. Elle était ce jour-là mal ajustée pour son âge, au moyen d’un habit treillissé de feuilles de vigne en velours noir sur un fond d’or, avec des profusions de perles d’or, en collier, en bracelets, en ceinture, en agrafes et sur ses cheveux.
Le reste de la compagnie n’était composé que du vieux Dangeau et de Mmes de Noailles, de Montchevreuil et de Caylus, qui ne paraissaient pas jeunes et joyeuses, il s’en fallait de beaucoup. On entendit sonner une cloche ; Mme de Maintenon se leva, elle nous fit une profonde révérence et nous la suivîmes à l’église où l’on allait donner le salut. Je remarquai, chemin faisant, qu’elle était noblement et modestement vêtue d’une belle étoffe à dessins nattés de couleur feuille morte et d’argent. Elle était coiffée de cornettes, et sa mantille était d’une seule barbe en point, doublée de violet. Madame la Duchesse du Maine et Mme de Maintenon se faisaient une politesse à toutes les portes, où celle-ci passait toujours la première, après un léger simulacre de refus ou d’hésitation qui n’excédait jamais un quart de seconde. Il était impossible de se tirer d’affaire avec plus d’exactitude et moins d’embarras qu’on n’en mettait de part et d’autre à cette petite manœuvre.
À peine étions-nous entrés dans la tribune dite des Évêques, que nous vîmes paraître le Roi dans la tribune royale qui se trouvait en face de l’autel. Il était entré son chapeau sur la tête ; c’était un petit tricorne richement galonné, qu’il ôta pour saluer d’abord l’autel, ensuite une lanterne à grillages dorés où était Mme de Maintenon, et finalement pour saluer Mme la Duchesse du Maine avec nous autres, car nous nous trouvions dans la même tribune et sur la même ligne que S. A. S. sans aucun égard à la différence de son rang. Toute la suite de S. M., ainsi que les Dames et les Gentilshommes de la Princesse sa belle-fille, n’entrèrent pas dans la chapelle de Saint-Cyr, ou du moins ils y furent placés de manière à ce que je ne les aperçus point.
Une de mes impressions les plus ineffaçables est celle de toutes ces belles voix de jeunes filles qui partirent avec un éclat imprévu pour moi, lorsque le Roi parut dans sa tribune, et qui chantèrent à l’unisson une sorte de motet, ou plutôt de cantique national et glorieux, dont les paroles étaient de Mme de Brinon et la musique du fameux Lully. En voici les paroles que je me suis procurées long-temps après :
Grand Dieu, sauvez le Roi !
Grand Dieu, vengez le Roi !
Vive le Roi !
Qu’à jamais glorieux,
Louis victorieux
Voye ses ennemis
Toujours soumis !
Grand Dieu, sauvez le Roi !
Grand Dieu, vengez le Roi !
Vive le Roi !
Pour peu que vous en eussiez de curiosité, vous n’auriez pas de peine à vous en procurer la musique, attendu qu’un Allemand, nommé Handel, s’en est emparé pendant son voyage à Paris, qu’il en a fait hommage au Roi Georges de Hanovre moyennant finance, et que MM. les Anglais ont fini par l’adopter et le produire ouvertement comme un de leurs airs nationaux[5]. En revenant de Saint-Cyr, on me mena faire une longue visite à Mme la Chancelière qui se mourait, et qui n’en avait pas moins toute la cour autour de son lit et dans sa ruelle, où elle nous fit la galanterie de nous faire placer, ma grand’mère et moi[6].
- ↑ Bernard le Bovier, Ecuyer, Sieur de Fontenelle, secrétaire perpétuel de l’Académie royale des sciences, né à Rouen en 1657, mort à Paris en 1757, Agé de cent ans moins trois mois. Il était neveu de Pierre Corneille et le parent éloigné de Mademoiselle de Scudéry. (Note de l’Auteur.)
- ↑ Je voudrais qu’il en fût ainsi de mes nièces du Châtelet et de Lauzun, qui mâchent de l’allemand et qui sifflent de l’anglais que personne ne saurait comprendre. (Note de l’Aut.)
- ↑ Je vous avais déjà dit que mes grands parens étaient morts avant l’époque de mon entrée dans le monde : ainsi, toutes les fois que je vais parler de ma grand’mère, il est question de Julie-Thérèse Grimaldi des princes de Salerne et de Monaco, Marquise douairière de Froulay. Je crois vous avoir déjà prévenu que j’avais pris l’habitude de l’appeler ma grand’mère, quoiqu’elle ne fût que la deuxième femme de mon aïeul, Philippe-Charles, Marquis de Froulay, Gouverneur du Maine, etc. En outre, elle aurait toujours été notre proche parente, car elle était nièce du maréchal de Tessé, aîné de notre famille. (Note de l’Aut.)
- ↑ Marie-Françoise-Athénaïs-Angélique d’Aubert d’Aulnay de Ville-Hardouin. Plusieurs dictionnaires la font mourir en 1709 et le 30 mars, afin qu’il n’y manque aucun détail. Elle a vécu trois ans plus tard et n’est morte que le 30 mai 1714. Les généalogistes n’en font jamais d’autres. (Note de l’Auteur.)
- ↑ Ce n’est pas seulement de la part de Mme de Créquy que la critique s’est exercée sur l’origine du God save the King, et sur cette insigne effronterie du compositeur allemand. Deux journaux anglais en avaient déjà parlé dans les mêmes termes. La Gazette de France a déjà indiqué plusieurs documens qui s’y rapportent ; enfin, le journal français la Mode, numéro du 25 juillet 1851, contient un article dont il ne sera pas inutile de reproduire un extrait.
« On écrit d’Édimbourg que les mémoires manuscrits de la Duchesse de Perth doivent être vendus à Londres pour la somme de trois mille livres sterling. On y trouve une foule de détails intéressans sur la cour de Louis XIV, ainsi que sur celle du Roi Jacques pendant le séjour de LL. MM. BB. au château de Saint-GErmain-en-Laye. En rendant compte de l’établissement de Saint-Cyr, elle y témoigne d’un fait qui n’était pas inconnu en France, mais dont la révélation n’était appuyée que sur le témoignage des anciennes religieuses de cette maison, et c’est à savoir que l’air et les paroles du God save the King sont d’origine française. « Lorsque le Roy Très-Chrétien entrait dans la chapelle, tout le chœur desdites Demoiselles nobles y chantoist à chaque fois les parolles suyvantes, et sur un très-bel ayr du sieur de Lully :
Grand Dieu, sauvez le Roy !
Grand Dieu, vengez le Roy !
Vive le Roy !
Qu’à jamais glorieux,
Louis victorieux
Voye ses ennemis
Toujours soumis !
Grand Dieu, sauvez le Roy !
Grand Dieu, vengez le Roy !
Vive le Roy !» La tradition de Saint-Cyr portait que le compositeur Handel, pendant sa visite à la supérieure de cette maison royale, avait demandé et obtenu la permission de copier l’air et les paroles de cette invocation gallicane, qu’il aurait ensuite offerte au Roi Georges 1er comme étant de sa composition, etc. »
Indépendamment d’une dissertation plus régulière et plus étendue que nous publierons à ce même sujet, on trouvera dans les pièces justificatives qui feront suite aux Souvenirs de la Marquise de Créquy, une déclaration signée par trois religieuses de Saint-Cyr, qui confirme pleinement cette révélation de l’auteur. (Note de l’Éditeur.)
- ↑ Marie de Maupeou, femme de Louis Phélippeaux IIIe du nom, Comte de Pontchartrain et de Maurepas, Chancelier de France, etc. ; morte en 1744. (Note de l’Auteur.)