Souvenirs de la Basse Cornouaille/Livraison 1/Cap-Sizun. — d’Audierne au Bec du Raz

Cap Sizun. — D’Audierne au bec du Raz

Audierne est la clef du Cap Sizun ; station forcée pour le touriste qui doit s’y rendre… Il est bien un autre chemin, mais praticable seulement aux touristes désirant faire partie du club alpin… C’est Beuzec et ses côtes, certainement présentant plus de précipices que la pointe du Raz… Il n’est pas donné à tous de le suivre en amateurs, j’en connais cependant qui ont accompli ce tour de force et qui en sont revenus émerveillés ; mais aussi harassés, ils ne recommenceront plus disent-ils.

Audierne visitée, il faut se remettre en route pour visiter la pointe du Raz, il est peu de touristes qui ne viennent dans ce but.

Le bec de Raz surplombe le niveau des hautes marées de près de 100 mètres. Il est encore en déclivité d’un plateau plus élevé ; quelques côtes seront donc à gravir, car les quais que l’on quitte, sont le niveau même des hautes marées, on a même vu en plusieurs circonstances, mais rarement et par suite de marées extraordinaires, les quais recouverts par la mer.

Et d’abord que veut dire Pointe du Ras… quelques-uns ont prétendu que ce nom était donné à ce promontoire, parce que sa configuration était une tête de Rat, et j’ai même vu bien des naïfs s’étudier à trouver une ressemblance quelconque, ils parlaient étonnés de ne rien voir… peut-être on trouverait quelqu’un assez artiste pour en avoir trouvé… ne leur ôtons pas leurs illusions.

Raz ou ras, est un courant de mer très violent, dans un passage étroit… ras, ou raz de Sein ou de sa chaussée.

Si la pointe du raz est encore, l’ai-je dit, en déclivité d’un plateau plus élevé, d’une altitude d’une centaine de mètres, c'est donc que vous aurez plusieurs côtes à franchir. Dix-huit à vingt kilomètres à parcourir, c’est peu pour les bons postiers bretons que vous allez prendre.

Vous allez au bec d’un cap, à gauche, vous aurez l’Océan, à droite, la baie de Douarnenez. Aucun abri ne vous préservera du vent d’où qu’il vienne : mais les voyages se font l’été, et la brise de la mer est salutaire pour tous.

All rigt… good nigt… bon voyage, tout va bien. Remarquez que si je parle anglais, c’est avec intention.

Mon but étant de guider à travers le pays, je dois commencer par vous dire, que surtout à ce côté gauche, l’anglais, cet ami de la Bretagne, a laissé de nombreux souvenirs.

C’était vraiment une manie qui hantait les hommes du nord, ils venaient sur nos côtes, mais leur préférence était pour le pays de Léon.

Ce n’est plus de la basse Cornouaille : prenons cependant quelques exemples à divers âges. C’est toujours la Bretagne, bretonnante.

Des pirates, pilleurs d’églises, vinrent à Guic-Seni (Guisseny), sur les côtes du Léon… Un enfant regardant vers la mer s’écrie : Douè, Douè, gueld a ran mil guernDieu, je vois mille mâts. Il va le dire à Guénolé qui demeurait alors à Lesguern, près de son père, Fragan, neveu de Conan Mériadec…… Guénolé avertit son père et le pria de s’opposer à la descente.

Celui-ci vainquit les pirates signalés par l’enfant, au lieu dit Izel-vès, en la paroisse de Plounévez : une croix élevée à Lanvengatt, en Guisseny, à l’endroit où se trouvait l’enfant, est le témoin de ce fait historique.

Ces invasions furent fréquentes, et se multiplièrent au moyen-âge ; en 1522, une escadrille de 60 voiles anglaises remonta la nuit, la rivière de Morlaix, où plus tard on construisit, le château du Taureau, Castel an Taro.

Il y avait trahison, probablement, car la ville fut surprise au moment où toute la noblesse avec ses hommes d’armes figurait à Guingamp dans une de ces revues du ban de la province, appelés monstres… on ne comptait dans la ville que des vieillards et des femmes… L’ennemi s’attarda au pillage dans la grand-rue, une jeune servante, seule au logis, confié à sa garde, bonne patriote, réunit quelques voisines… elle enlève avec elles, la trappe d’une cave, ouvre la vanne par laquelle les eaux de la rivière font irruption dans le sous-sol. L’ennemi aviné se présente dans le corridor par deux, par trois, par quatre, à plusieurs reprises, il culbute et l’on n’entend qu’un cri d’agonie… Il y périt bien une centaine… trop tôt le stratagème est connu. La fureur de l’anglais n’a plus de bornes. La jeune fille poursuivie d’étages en étages est rejointe sous les combles, et cette fille du peuple est projetée de la lucarne sur la rue, où elle s’écrase… mort à l’anglais, ce fut son dernier mot. Que ne vinrent-ils encore l’accuser de magie et de sortilège comme Jeanne d’Arc ?

Dévouement sublime, voilà-tout !

D’un courage inspiré, la brûlante énergie,
L’amour du nom Français, le mépris du danger,
Voilà sa magie et ses charmes,
Ne faut-il que des armes,
Pour combattre, pour vaincre et punir l’étranger ?

Nous n’avons pas dans notre pays de pareils traits d’héroïsme, et cependant les ennemis se maintinrent longtemps chez nous, « trop longtemps ».

Sur votre gauche vous apercevez la chapelle, magnifique mais encore inachevée de Saint Tugen : comme tant d’autres belles églises, on l’attribue faussement aux anglais. Dans un autre chapitre je traite cette question avec preuves à l’appui… restituant des noms aux maistres-tailleurs de pierre qui honorèrent la Bretagne, n’en avons-nous pas la preuve, dans la cathédrale de Saint Corentin, à Locronan, à N.-D. de Roscudon à Pont-Croix… Les Anglais ont fait assez de mal à la Bretagne, n’allons pas leur attribuer quelque bien.

Je ne voudrais pas ici, déflorer la belle légende de Saint Tugen, si brillamment narrée par M. Le Carguet. Sa brochure a eu un succès mérité, et tout touriste devra la lire.

Disons cependant en passant, que ce bon saint était bien imprudent, quand il vouait à Dieu la virginité de sa sœur. On lui accorde de vouer la sienne, et encore, et encore, fallait-il veiller et prier ferme… Mais à cette époque les miracles foisonnaient, plus tard on l’eût taxé de folie. François Ier au moyen-âge, écrivait déjà, à l’aide du diamant de sa bague, sur les vitraux du château de Chambord : Souvent femme varie, bien fol est qui s’y fie… La légende terrestre est bien donnée par M. Le Carguet, mais il ne fait qu’effleurer la légende au ciel, alors que saint Tugen se présenta au paradis, avec sa brillante auréole de vertus.

La voici… Le père éternel, comme tout chef d’État, a le droit de choisir ses ministres, nul ne le conteste, je pense.

Bon et fidèle serviteur, dit-il au saint breton, je te constitue gardien des filles, folles ou sages, qui me voueront leur virginité.

— Dieu le père, dit le Breton en tendant des bras suppliants, Je n’aurai aucune autorité sur elles, qui riront de mon manque de vigilance près de ma sœur… Je serais désolé de vous désobéir, et non recuso laborem, mais !… La bonté infinie sourit à ces paroles… sois sans crainte, bon serviteur, mais ne parle pas latin, je ne le sais pas, parle-moi breton de la basse Cornouaille, c’est le langage que nous parlons ici, et que l’on parlait au paradis terrestre… Choisis toi-même un emploi à ma cour.

Saint Tugen qui déjà avait fait son choix, répondit :

Père céleste, à qui seul, toute gloire est due, vous aviez créé la femme pour être la compagne de l’homme, mais Ève notre première mère, a légué à ses filles un triste héritage… Ne sont-elles pas toutes volages, fourbes, menteuses, médisantes, astucieuses, et l’homme est toujours leur dupe. (Le saint on le voit, avait conservé rancune de sa mésaventure, ce qui fit sourire les anges et les archanges eux-mêmes ; en un mot toute la cour céleste).

Saint Tugen sans s’émouvoir, continua :

En voyant l’homme si faible, vous lui avez donné dans votre compatissante miséricorde, le chien, cet ami du pauvre et du riche. Et le bon saint, vrai philosophe, ajouta… ce qu’il y a de meilleur dans l’homme, c’est le chien… il doit obéissance au roi de la création, comme aussi la femme… mais par le mauvais exemple que donnent les filles d’Ève, il devient souvent indocile comme ces perverses.

Alors il abandonne son maître, devient aphone, est malade, et sa maladie le porte à mordre tout ce qu’il rencontre, sa bave et ses morsures produisent des plaies incurables, terribles ; ce n’est pas ce que je vous souhaite.

La femme elle-même est malade quand elle ne peut japper. (C’était toujours par rancune qu’il parlait de la sorte).

Satan s’incarne dans le chien qui ne reconnaît plus son maître lui-même… Mais le chien ignore ma mésaventure, il ne saurait donc me reprocher mon manque de vigilance près de ma sœur. Je pourrais commander en maître, préserver les hommes mes frères de morsures incurables, et les guérir même, quand ce sera votre volonté… Aussitôt cette charge lui fut octroyée. On lui adjoignit plus tard saint Hubert, le grand saint du Luxembourg… mais c’était par patriotisme, il répugnait au saint breton de commander à des chiens allemands.

Sainte Catherine fut l’intendante des filles sages et folles qui l’invoquent avec ardeur, tant elles redoutent de se voir contraintes d’en porter la coiffe, ne se souciant pas de mourir vierges et martyres.

Le dimanche qui précède la Saint Jean, on célèbre la fête du grand saint breton dans la chapelle que vous apercevez à gauche, et il y a un grand afflux de fidèles de toutes les parties de la Bretagne.

Un jour l’ennemi des bretons enlève la clef de l’oratoire, et ce fut par jalousie ; par cela il savait causer une grande désolation. Mais voici venir la main de Dieu… Quelques jours après, un pêcheur du pays ramena du large un poisson monstrueux : triomphant il le porte, mais une force invincible le pousse près de l’oratoire, et arrivé là, il ne peut plus avancer… Le poisson est dépouillé, et que trouva-t-on ? La clef, la seule qui pouvait dire Sésame ouvre-toi… La joie fut universelle… C’est cette clef que l’on conserve depuis plusieurs siècles dans une cassette capitonnée, elle est mangée par la rouille, mais c’est elle… allez au presbytère de Primelin et on vous la montrera.

Le jour même du pardon, les brocanteurs apportent des caisses de clefs, en plomb fondu. Celles-ci reçoivent une bénédiction spéciale et chacune de ces clefs a une vertu sur les chiens enragés, elles préservent des blessures, et les pèlerins les achètent à la douzaine.

Il en est de même d’un petit pain sans levain, nommé bara an alve (le pain de la clef), celui-ci ne se corrompt pas et préserve de la rage.

Autrefois à cet oratoire célèbre, on amenait des malades, qui s’ils ne guérissaient pas, étaient destinés à y mourir. On voit encore la cellule où l’on renfermait les malades… Le dernier exemple date d’une soixantaine d’années, et c’était un homme de la paroisse de Goulien.

Par dessus ce monument et les rivages, vous voyez toujours la mer… tout le long de ce littoral on incinère des goëmons, les varechs… Les terrains sablonneux qui bordent la côte ont une grande valeur, car ils sont utilisés pour sécher ces rubans blancs, violets et roses (les varechs), qu’un travail pénible arrache aux vagues, aussitôt qu’une tourmente est venue faucher les prairies sous-marines, hommes, femmes, à mi-corps dans l’eau, ramènent de la lame qui souvent peut les enlever eux-mêmes, au moyen d’énormes crocs en fer, toute la récolte fauchée par l’agitation des flots. Ces amas ramenés sur le rivage sont ensuite étendus au soleil… quand ils sont bien secs, à point amulonnés, on les incinère petit à petit dans des fours à découvert… De là cette fumée en spirale que vous pouvez apercevoir… Une odeur âcre s’en exhale quand le vent porte à terre… Vous ne retirerez pas de la tête du cultivateur qui ne profite pas de cette manne, que cette fumée répandue au loin est la cause de toutes les maladies des céréales et des pommes de terre. Le professeur aura beau lui démontrer dans ses conférences et le savant dans ses livres, que c’est un cryptogame, un champignon, cause de tout le mal, et qu’il y a des moyens de s’en garder : il haussera les épaules… et rira du savant et du professeur.

Ces varechs ainsi incinérés produisent les cristaux qui, transportés aux usines voisines, donnent l’iode, les bromes, les sels de potasse, etc., etc.

Le bon Dieu, pour beaucoup de fatigue, c’est vrai, et au prix de dangers réels, prodigue pour rien ces richesses utiles pour tant d’industries à ces travailleurs de la mer… Allez donc chez le droguiste et vous verrez l’effet du monopole ! — Une industrie moderne. — Depuis Audierne jusqu’au Loch, ce métier se pratique, arrivé à cet endroit vous vous retrouvez encore au niveau de la mer.

Le Loch est ce vallon du premier plateau, et ici je puis répéter ce que j’ai déjà dit dans le Raz-de-Sein, sur l’affaissement progressif du littoral… La mer corrode ici le littoral d’une manière menaçante.

En 1886 on s’est trouvé forcé d’éloigner le chemin qui mène à la pointe, permettant d’atteindre le plateau voisin plus élevé que celui que vous venez de descendre… L’entrepreneur m’affirmait qu’avant 40 ans il faudrait l’éloigner encore. Un nouveau cataclysme viendra-t-il séparer du continent cette partie extrême du cap Sizun ?

Jersey, du temps de saint Lo, était assez rapprochée de la France, puisque les habitants avaient une redevance annuelle de planches, à verser à l’archidiacre, pour traverser le canal qui la séparait du continent… maintenant cinquante pieds d’eau recouvrent des prairies, des bois que l’on retrouve au cadastre du 13e siècle… Près des glenans, il y avait des bois qui sont submergés et l’on en retrouve des traces et des vestiges… que d’exemples ai-je cité dans le chapitre traitant l’affaissement progressif du littoral… Ces exemples ont frappé tout le monde, et c’est par milliers que je pourrais en énumérer.

Une idée originale qui me vient d’un marin ! Le passage du Ras est la terreur de toutes les nations, vous connaissez le proverbe… Biscoas den na tremenas ar Ras, na deveze aon pe glas… jamais personne n’a traversé le ras sans peur ni mal.

Que coûterait la suppression de cet objet de terreur ? Presque rien, et la main de Dieu vous l’indique.

Faites un canal, ou sans cela, malgré vous, les flots le creuseront. Ils mettront, un demi siècle, un siècle peut-être, et le coût des travaux que vous mettrez à vous y opposer, sera plus élevé qu’une petite émission de quelques cent mille francs… Peste ! mon ami, n’y va pas de main morte, et il ne manquerait plus que cela… un petit Panama à Plogoff…

Oui, lui ai-je dit, trouvez un nouveau de Lesseps… pas n’est besoin, dit-il… Trouvez un homme en quête de popularité, à la recherche d’une nomination à la chambre, il promettra de s’en occuper, et il s’en occuperait sérieusement, par le désir d’être utile à la France, à tous les peuples, car il saurait faire valoir toutes les bonnes raisons qui militent en faveur de l’entreprise, et il trouverait un apport convenu… Qu’est-ce que quelques cent mille francs pour un canal de 10 kilomètres, à peu près dessiné.

Les plus grands navires de toutes les nations passeraient sous un pont aussi élevé que celui de Brooklyn, à New-York.

Les vierges de l’île qui soufflent les tempêtes dans le Ras seraient impuissantes, et nous pourrions narguer le raz de Sein et sa chaussée…

Braves gens de Plogoff, je vous vois déjà insulaires et obligés de passer sur ce pont, pour venir à Audierne et aux foires de Pont-Croix : vos petits enfants pourront seuls voir ce travail que la mer se charge d’accomplir d’année en années… Et vous touristes, gravissez sans crainte la côte au sommet de laquelle vous apercevez la chapelle de N.-D. de Bon-Voyage, pèlerinage célèbre à cent lieues à la ronde.

Située au sommet de la montagne, la chapelle domine la mer et il n’est pas de matelot breton qui, l’apercevant du large, n’invoque le secours de la patronne vénérée, avant de traverser le courant violent du ras… Secourez-moi au passage du ras, ma barque est petite et la mer est grande.

Le deuxième dimanche de juillet est le jour du pardon renommé entre tous. Vous voyez un nombre considérable de marins qui ont fait des vœux. C’est pieds nus et la tête découverte qu’ils suivent la procession. Toutes les bannières, toutes les croix des paroisses environnantes sont là, bannières et croix sont riches en général… elles suivent la procession et viennent donner le baiser de paix sous le porche de l’église, à la croix de l’oratoire qu’elles choquent : de ce même jour, un bateau part de l’île de Sein la bannière déployée à l’avant, les marins qui en descendent vont se joindre au cortège. À la suite de la procession, des milliers de personnes réunies autour d’une croix en granit, tribune improvisée pour un grand orateur de la contrée, entendent respectueusement un sermon en plein vent. La multitude est là, têtes découvertes, l’orateur choisi doit avoir une voix de Stentor pour se faire comprendre. C’est ainsi qu’on se représente au moyen-âge Pierre l’Ermite prêchant la croisade sainte.

Quel beau spectacle pour les yeux ! L’immensité de l’Océan à quelques pas, une montagne couverte d’une maigre bruyère et de rochers gris superposés, des milliers de fidèles attentifs et silencieux… Peintres, touristes, préparez vos pinceaux, le tableau en vaut la peine.

Plus loin sur la route à gauche, faisant face à l’entrée qui mène au bourg, on voit sur une petite place d’un village important, une croix dont je parle dans un article spécial : elle fut retirée des courants du ras, à 120 brasses de profondeur, le jour du vendredi saint, il y a une soixantaine d’années, par un nommé Pierre Tréanton. D’où revenait-elle ? Adhuc sub judice lis est… C’est la croix de Penneac’h.

Avancez encore et toujours à votre gauche vous verrez une chapelle consacrée à saint Yves. Ici je ne vais pas vous donner une légende, mais vous narrer une histoire vraie et toute récente, puisqu’elle date de vingt ans à peine……

Saint Yves, sachez-le bien avait une trinité de qualités. Et vraiment cela se chante, il était breton, avocat et pas voleur, ce qui étonne tout le monde. Sanctus Yvo erat brito, advocatus et non latro, res miranda populo.

De temps immémorial on célébrait à cette petite chapelle que vous voyez, un modeste pardon. Un jour, il y a de cela vingt ans, un ukase de M. le Recteur de Plogoff, proclame : « il n’y aura pas de pardon cette année, le pardon est aboli. »

Grand émoi dans les hameaux qui entourent l’oratoire ! Plus de pardon, mais c’est abominable ! plus de procession, mais c’est scandaleux.

Disons-le de suite, et ne vous fâchez pas dévots pardonneurs. Le great attraction de tout pardon, c’est le dîner de gala en l’honneur du saint, ce jour est consacré un tantinet à rendre des politesses, vous savez le proverbe, donnant, donnant… et dans ce jour on peut dire avec Horace, nunc est bibendum… L’âme a sa satisfaction dans les honneurs rendus, dans la pompe de la grand’messe, dans le déploiement de la bannière du saint patron, ne faut-il pas que le corps, ce fidèle compagnon de l’âme ait aussi sa satisfaction, mais c’est tout naturel, et on ne songe pas à vous en faire un reproche.

Par suite du maudit ukase intempestif, il fallait renoncer au dîner de gala, renoncer à mettre au four les plats de riz destinés à fêter ce grand jour… Laissez faire, dirent les fidèles consternés, saint Yves saura punir, et les plaidoiries de ce grand avocat obtiennent gain de cause, toujours et partout.

Quel était donc l’aveuglement de M. le Recteur ? Certainement celui-ci songeait en lui-même… mes paroissiens ne sont pas gens processifs… La chapelle de saint Yves serait mieux placée dans la paroisse voisine, Primelin, renommée par ses procès, par ses avocats retors et habiles ; ils n’ont pas suffisamment de saint Tugen, avocat des chiens enragés !…

Ceci ne faisait pas l’affaire des dévots à saint Yves qui répondaient nous ne sommes pas gens à procès c’est vrai, c’est le pardon de saint Yves qui nous en préserve… Nous ne sommes pas non plus cause, ajoutaient-ils ironiquement, si le casuel ne vient pas se grossir de nos offrandes, parce que nous sommes gens de paix… Le pardon n’eut pas lieu cette année là, et mal en prit au curé de la paroisse… Trois jours après cet anniversaire laissé sans pompes et sans célébration, M. le Recteur eut l’audace de passer à vingt pas du sanctuaire, il était dans son char, les fidèles affligés imitaient son silence autour de lui rangés. Le pacifique coursier renverse la voiture, la culbute sous les yeux du saint courroucé, qui bien sûr, bien sûr, avait mis un bandeau au cheval… Le contempteur du saint breton est pris dans les engrenages de la roue, sa jambe est broyée, mise en pièces…

On n’osait pas crier bravo ; malgré tout, c’est une punition du ciel dirent les paroissiens.

Le prêtre dût être transporté au chef-lieu de canton, l’amputation est jugée nécessaire… Mais la punition était-elle suffisante ? Ne le croyez pas. quelques jours après, le curé mourait, et allait porter ses ossements à quarante lieues de là… Ne fallait-il pas expulser du territoire de saint Yves, celui qui avait refusé de célébrer le pardon, et c’était justice… Cette salutaire leçon rendit plus sage le successeur, qui rétablit la fête annuelle : on ne nous la retirera plus, dirent les paroissiens, l’exemple est là pour nous protéger. On rirait de vous, si vous cherchiez à leur ôter de la tête, que saint Yves n’est pour rien dans l’accident… Qui sait s’ils n’ont pas raison !

Depuis Audierne jusqu’aux falaises de N.-D. de Bon Voyage, le rivage est assez uni, même sans hauts précipices, c’est ce qui permet au riverain d’approcher de la mer, et même d’y prendre quelques bains si le cœur lui en dit, car il y a quelques plages de sable entrecoupées de quelques anses où la marée monte.

Dans l’une de ces anses, il y a une centaine d’années, sous la chapelle de St-Tugen, là où le Catégat fit naufrage il y a une dizaine d’années, survint un événement, très rare sur nos côtes, mais qui s’est reproduit dans d’autres endroits des côtes de Bretagne, généralement plus plates.

Les habitants étaient à la grand’messe. Tout-à-coup on entend des mugissements effroyables… St-Tugen est à une distance assez faible du rivage. La population sort, terrifiée… elle se rend à la plage… Trois énormes baleines étant venues prendre leurs ébats trop près du rivage, ne purent se retirer au flot… leurs sauts étaient prodigieux mais ils restèrent infructueux pour regagner le large. Elles furent dépecées sur place… Longtemps on a vu des fanons, des ossements dans les campagnes, il en est peut-être encore. Il y en a eu à l’église de St-Tugen pendant un long temps. À partir des falaises de Bon-Voyage, ce n’est plus qu’une succession de précipices… On ne saurait descendre, que, par quelques petits sentiers créés par la nature.

Du haut de ce plateau dont l’altitude est la plus élevée avant d’arriver à la pointe, on peut jeter un coup d’œil à droite, comme vous ne pouvez en approcher, je vais vous donner une idée du paysage qui s’offre à vous.

À votre droite c’est Goulien, paroisse du cap.

À l’église du bourg, on voit encore la clochette de saint Goulien. La clochette, haute de vingt-cinq centimètres, était l’instrument dont le saint se servait pour attirer les populations, et leur enseigner les vérités de la foi…… On la conserve précieusement, voici l’usage que l’on en fait :

Elle a la vertu de calmer les douleurs névralgiques de la tête… Le jour du pardon, dévots et fidèles s’en approchent. Une main bienveillante, celle du bedeau ou de quelque marguillier, la repose sur l’occiput du client qui se présente ; cela ne dure que quelques instants… Soyez persuadés que vous n’en entendrez pas un dire que son mal ait empiré… S’ils ne guérissent pas, eh bien ! c’est qu’ils n’ont pas la foi, gros comme un grain de sénevé… et qu’ils ne méritent pas la faveur, c’est évident.

À Goulien, une Reine de Bretagne vint terminer ses jours, après bien des tribulations supportées avec courage.

Mes compatriotes, ignorant eux-mêmes, ce fait historique, je vais le donner en quelques lignes.

Le comte de Léon, Even avait une fille. Comme toujours, elle était belle, et droite comme un palmier, Elle s’appelait Azénor, et habitait Brest avec son père. Judicaël, Roi de Bretagne la voulut pour épouse, ne l’obtint qu’avec peine, car la jeune princesse eut désiré se consacrer à Dieu… Malgré tout, pour ne pas déplaire à son père, elle obéit, l’obéissance aux parents est une grande vertu… Judicaël vint donc à Brest, et pendant quinze jours les fêtes les plus brillantes se donnèrent… Fêtes sur la terre, fêtes sur la mer… Voilà l’histoire… Le roi l’amena à Chatel Audren, si jamais vous parcourez ce pays, vous verrez encore les ruines de ce château. Maintenant c’est une esplanade, ombragée par des promenades magnifiques sur une longueur de deux kilomètres bordant l’étang qui il y a 100 ans, en 1793, commit tant de ravages dans la petite ville. Catastrophe plus effroyable encore que celle qu’on nous signale aujourd’hui dans les Vosges, à Bouzey. Trois étangs rompirent leurs digues, et culbutèrent maisons et habitants, Aujourd’hui il n’y a plus qu’un seul étang dominant Châtelaudren dans les Côtes-du-Nord.

Les deux jeunes époux, Judicaël et Azénor, furent longtemps heureux… Mais ce qui arrive souvent, les jours heureux s’envolent et ne laissent place qu’à de la tristesse.


Even, le père d’Azénor se remaria, et une marâtre cruelle et méchante, comme elles sont toutes, vint troubler la paix de l’heureux ménage. L’amour de Judicaël se changea en haine. Dam ! on serait furieux à moins. La calomnie de la marâtre fit dire que le roi n’était pas le père de l’enfant qu’Azénor portait dans son sein. Judicaël en prit ombrage comme de raison, un reste d’affection lui interdisait de se montrer cruel… Ne se souciant pas de punir lui-même, il fit mener la prétendue coupable à Brest près de son père qui serait juge et saurait la punir.

Azénor fut renfermée dans une tour du château qui depuis a conservé le nom de tour Azénor. La calomnie avait continué son œuvre : la princesse fut condamnée à être brûlée vive…

Par un reste de pitié, si on peut lui donner ce nom, Even commua la peine. Un vaisseau conduisit l’infortunée, loin, bien loin dans la mer, et là renfermée dans un tonneau, on la jeta à la merci des flots… Mais voici la sainte merveille !!!

Un ange vint chaque jour apporter la nourriture, car le bon Dieu a pitié des innocents… L’enfant vint au monde balloté par les vagues. Quelques jours après, le tonneau échouait sur une plage d’Irlande. Un riverain d’Abermach, croyant que c’était une épave, s’approche, reste étonné du spectacle qui se présente à lui.

Le bruit arrive jusqu’à l’abbé de l’Abermach qui vint recueillir et la mère et l’enfant… Au baptême l’enfant reçut le nom de Beuzec (qui a été noyé) en Bretagne on eut dit beuzet. L’enfant grandit et fut initié aux sciences par les moines.

Pendant ce temps Judicaël apprend que sa cruauté n’a aucun motif, car l’affreuse marâtre mourut déclarant devant tous, les calomnies dont elle s’était rendue coupable.

Judicaël ne dort plus, s’embarque sur un navire ; et une inspiration du ciel certainement, l’attire en Irlande, cherchant Azénor. Il la retrouve enfin et se précipite à ses pieds : « Est-il possible que je vois encore ma chère épouse, ma plus aimée. »

Les doux époux qui avaient tant souffert retournent en Bretagne. Une grande maladie enlève Judicaël repentant. Azénor toute affligée vint s’enfermer dans un couvent, entre le bourg de Goulien et l’Église de Lanourek… Celle-ci existe encore… mais il n’y a plus de vestiges du couvent… Beuzet devint archevêque en Irlande, il se démit de sa charge pour venir terminer ses jours dans le pays de sa mère. Débarquant à Porspoder dans le pays de Léon, il alla la voir dans sa retraite de Goulien, visita le pays, d’où Beuzec-Cap Sizun. Quand Saint-Magloire mourut, il fut nommé archevêque de Dôl en Bretagne… C’est l’abrégé de l’histoire.

Deux autres communes sont encore à votre droite, c’est la pointe du Cap-Sizun : au delà vous n’avez plus que la mer et vous faites pointe à travers l’espace sur les bancs de Terre-Neuve ou à peu près. Comme vous le voyez l’horizon est vaste.

Cinq communes forment le Cap-Sizun proprement dit, et cette population fait partie du grand canton de Pont-Croix. Les foires de ce chef-lieu de canton, sont des plus belles du Finistère et c’est l’exutoire naturel de leurs produits agricoles, de leurs bestiaux. Deux fois par mois au moins des familles viennent s’approvisionner, faire des échanges.

Par delà des mers, il est une colonie de 25,000 habitants que l’on appelle le Cap, là-bas, près du Transwal, au pays des Boërs. C’est le triple de notre population… mais ils se donnent, et on leur donne le nom d’habitants du Cap… ils n’ont que peu de fréquentation avec leurs voisins, qu’ils nomment grands et petits Narnaquois. Étrangers qui parcourez le Cap-Sizun, demandez donc aux indigènes que vous rencontrez par hasard : de quel pays êtes vous ? sans hésiter et avec une certaine fierté ils vous répondront : nous sommes du Cap. Bons français, bons bretons, mais avant tout, ils sont du Cap. Entendez les donc dire potred yaouank ar’ capjeunes gens du capguinis ar’caporge froment du capkesek ar’cap, chevaux du cap, et toujours ainsi quand ils parlent d’eux-mêmes, de leurs animaux, de leurs produits.

Si le soleil avait pu mûrir leurs grappes, dorer les pampres de leurs côteaux, sans aucun doute ils eussent donné à leurs vins, le nom de vin du cap… quand bien même ce vin n’eût pas eu le bon goût de ce vin de constance, que l’on paie si cher et dont les anglais sont si fiers… et qu’ils nomment avec orgueil, leur vin du cap… comme dit Paul Dupont… ils n’en ont pas en Angleterre.

La langue bretonne de la Basse Cornouaille est leur parler usuel, c’est celui qu’ils emploient dans la famille, dans leurs champs, dans leurs chansons, et presque tous les hommes savent le français.

Le costume diffère essentiellement de tout costume breton du chupen glas… chez eux pas de chapeaux à larges bords agrémentés de chenilles, pas de braies, pas de gilets aux couleurs voyantes… toujours les teintes sombres. Quand un étranger vient planter sa tente parmi eux, il en adoptera le costume.

Les tailleurs de campagnes, qui du reste dans les autres parties de la Bretagne tendent à disparaître, classe spéciale, presque comme les parias dans l’Inde, n’ont jamais été connus chez eux, du moins comme dans tous les autres cantons, pérégrinant d’une ferme à l’autre, s’occupant des mariages.

Il y a quarante ans, le chapeau à haute forme était de tenue journalière, c’est un souvenir de notre enfance. On en trouverait encore quelques uns dans le fonds de quelque armoire et le musée des antiques devrait y faire une perquisition pour en conserver le modèle, car il n’existe plus nulle part. Ils passaient, dit-on, de grand-père à petits-fils, à la longue, ils prenaient une teinte qui eut fait le désespoir des peintres, c’était le jaune bâtard de l’amadou.

L’enfant du cap aime à s’instruire, devenu homme il est loin d’être réfractaire au progrès, avec prudence ils l’adoptent et avec un petit air de fierté ils semblent dire, nous l’avions pressenti.

Ils sont Bretons et s’en font gloire et comme Bretons ils sont têtus. En un mot, ils ont une pierre comme cervelle… cela ne vaut-il pas mieux que d’avoir comme d’autres français, une peau de tambour dans la tête qui résonne au moindre souffle et les rend fous.

Réservé, froid, compassé, gourmé même…, trouverez vous chez eux dans leurs assemblées, dans leurs noces, cette gaieté exubérante des cantons voisins ? Les binious joyeux n’y sont pas connus, et c’est de loin qu’on les fait venir pour les grands et rares jours.

Si vous voulez une caricature, affublez donc le Capiste d’une bombarde, d’un hautbois. Le Dieu de la danse n’eut pas les honneurs d’un autel chez eux.

À moins de quelques rares croisements, vous ne retrouverez les cheveux blonds, les yeux bleus des Celtes… yeux noirs, cheveux noirs, le reste est minime sauf exception. Ils n’ont pas non plus cette religiosité tendre, mélancolique, le fonds des natures celtiques… il est plus tôt enclin au scepticisme.

La stature est d’une bonne moyenne, le corps généralement sec et nerveux, les membres vigoureux. Rarement trouverez vous des infirmes parmi eux, tempérament froid et rassis, ce n’est pas chez eux que La Rochejacquelin eut recruté des compagnons, on n’eut pas trouvé chez eux l’étoffe d’un Stofflet. Ils ont le sentiment fier de la démocratie… les temps jadis ont laissé chez eux de mauvais souvenirs. Leurs légendes disent que les seigneurs d’autrefois étaient rapaces et durs, vivants au milieu d’eux, s’enrichissant de leurs sueurs et proh pudor ! un souvenir est resté assez vivace. S’ils n’étaient pas les pères de leurs fermiers, ils étaient trop souvent les pères de leurs enfants. Est-ce par cette origine que quelques uns ont conservés un petit air de noblesse qui leur va très bien. Dans l’ensemble, très durs à la fatigue, sobres, se nourrissant de peu, ils présentent au recrutement les plus solides sujets… je fais erreur en le disant, il en est peu qui se présentent à la toise du conseil de révision, presque tous inscrits maritimes, ils donnent à la flotte des marins hardis et même téméraires… capitaines et officiers sont fiers de les avoir dans leurs équipages car ils ne redoutent ni la mer, ni la tempête. Dès le plus jeune âge, ils fréquentent la côte, plus matelots que cultivateurs.

Les plus durs travaux des champs ils les abandonnent à leurs robustes jeunes filles qui ne reculent pas devant le rude coup de talon qui fait pénétrer la bêche dans leurs terres argileuses. Parcourez leurs campagnes, surtout près de la grève et vous verrez dans les sentiers étroits et rocailleux de leurs villages, quelques unes le sceptre à la main dirigeant un attelage de vigoureux chevaux.

De temps immémorial, les différentes paroisses du cap ont été une pépinière d’ecclésiastiques. Il est peu de famille honorable qui ne compte quelque membre dans le clergé, et nombreux sont ceux qui se sont fait remarquer dans le ministère paroissial, comme bons prêtres, excellents administrateurs surtout, emportant avec les qualités puisées dans leurs familles, l’ordre, l’économie.

Et mon Dieu, pourquoi ne pas le dire, ils ont les défauts de ces qualités, car les leurs les considèrent souvent comme des oncles à héritages, nombreuses sont les familles qui doivent leur aisance, aux économies d’un oncle curé. En somme sont-ils causes si leurs neveux et parents rendent de la sorte hommage à leurs qualités ?

Et nunc… savants ethnographes, argutiez, je vous ai énuméré leurs traits, leurs qualités, leurs défauts, en faisant une population à part, savants qui savez ranger l’humanité en diverses catégories, par le bout du nez, par la contexture de la tête, les nuances des cheveux, du teint, etc., qui savez distinguer un allobroge d’un auvergnat, je vous donne la parole. Dans quelques parties de votre littoral il y en a qui voient des colonies helléniques, qui prétendent que le mot bigouden veut dire en grec, pointe ou bec d’osier, d’autres dans le Léon y voient encore des costumes grecs et les mœurs de ces pays, dans d’autres ils voient des noms arabes : ab-grall, ab-jean, ab-hervé, ab-aguilé, je m’incline devant la science… pour ma part, voici ce que je pense… ce sont des Bretons confinés dans cette pointe extrême, ils doivent leurs qualités à cette séquestration. Hippocrate que je traduis va vous dire le reste.

1o Des rapports, des liens intimes existent entre le sol qui produit les végétaux et les animaux qui les broutent.

2o Ces mêmes rapports existent entre le sol et l’homme qui se nourrit de ces végétaux et de ces mêmes animaux… Hippocrates dixit.

Ces communes gisent sur un terrain houiller, l’anthracite y est même très riche… quelques esprits sérieux s’étonnent que des mines n’y soient pas mises en activité. Il y a trente ans des fouilles furent faites et ce fut un petit Panama, dit-on.

Moi-même je suis descendu par le bassicot à la profondeur de 120 pieds. De l’avis de tous on trouverait des charbons d’excellente qualité, charbons sans mélange de soufre, charbons de fourneau assurément. Le filon semblait important, subitement on fit cesser les recherches, au grand ébahissement des ouvriers… des propriétaires des terrains qui déjà escomptaient de gros bénéfices, au regret des habitants qui espéraient trouver du combustible à bon marché.

Les premières recherchent furent dues à la haute protection d’une cousine de Napoléon III, la princesse Bacciochi… intérêts dynastiques, ce sont là, jeux de prince. Plus tard de nouvelles fouilles eurent lieu, ou plutôt des feintes de fouilles, a-t-on dit. Quelques gogos fournirent les premiers subsides d’essai et l’on fit comme pour Panama. Qu’est-ce à dire ? n’allez pas croire que nous ambitionnions de voir notre Cap-Sizun, troué, perforé par une légion de termites, d’assister aux tristes spectacles d’explosion du grisou ? non, mais les esprits sérieux qui en ont parlé, qui m’écrivent d’en dire un mot, y mettent du patriotisme en jeu… Pourquoi abandonnerait-on une source de richesses si abondante ? aussi à portée de nos arsenaux. Que la guerre éclate et le charbon est tout près, aux portes de Brest. Les plus grands cuirassés pourraient venir s’approvisionner ainsi que nos transports… il est sous Cléden, à Téolin même, des emplacements de port où les plus grands navires peuvent accoster à toute heure de la marée et de nuit et de jour, et ce sont des abris sûrs. Ceci mériterait bien une enquête… mais bah ! nous sommes en France et l’initiative est la moindre de nos qualités. Autres sont les Anglais qui sont fiers de leurs Indes noires, qui font leur richesse et qui nous font leurs tributaires, ils ne s’en cachent pas… et un américain de valeur me disait un jour : l’Anglais nous ménage, à cause du coton et vous Français vous ménagez l’Anglais à cause de son charbon, vous êtes ses tributaires et c’est de votre faute. Mais continuons le voyage commencé et qui va nous conduire à l’extrémité de la terre : au-delà de la grande mer et l’infini.

Nous étions arrivés à St-Yves, à l’histoire de son pardon aboli.

Le long du chemin il est encore quelques oratoires, quelques uns même surplombent les précipices, St-Collodan, St-Michel, etc. Les vestiges de quelques uns seuls sont là. La foi de nos pères multipliait ces petits chefs-d’œuvre minuscules, quelques uns, une empreinte sur le sol dont l’aiguille comme un doigt de la main montre le ciel. Toutes elles sont ajourées, spécialité de la Bretagne qui possède le plus beau granit… mais qui donc les construisit ? les anges sans doute savent le nom des ouvriers, des fondateurs ! Elles n’ont pas d’histoire, c’est de l’art breton… aussi un breton chante-t-il dans cette belle langue, ces paroles, traduites de la sorte.

Si l’ange de lumière,
Descendait sur la terre
Mon pays natal !
Lui ferait hirondelle
D’une tour à dentelle
Un piédestal.

C’est un exilé qui, loin de la Bretagne charge une hirondelle d’être la messagère de ses regrets et de ses vœux.

Était-elle aussi à jour, cette belle église de Laoual, dont parle la légende de la ville d’Is, et dans laquelle chaque Dimanche, quarante seigneurs et plus, venaient entendre la messe… est-elle là, à cet étang de Laoual que vous apercevez de la route à deux kilomètres à droite ? pourquoi pas ? les riverains le disent insondable, un lac asphaltite au bitume près, car Is fut punie comme Sodome et Gomorrhe.

Enfin nous sommes arrivés à la halte des touristes, à Lescoff, à quelques pas de vous vous apercevez un menhir brisé.

J’apprends au moment même qu’il est question d’établir un casino dans le vallon donnant sur la Baie des Trépassés, rien ne m’étonne ici bas, et tant mieux.

Déjà de la halte des touristes vous apercevez le phare et le sémaphore… nombreux hommes et enfants se précipitent déjà en s’offrant comme guide.

Acceptez de confiance ces gens qui a leur manière pratiquent le struggle for life… ils ne viendront certes pas vous parler de la poésie qui se dégage du beau spectacle que vous venez admirer. S’ils vous en parlent, ils voudraient vous effrayer par la perspective des horreurs que vous allez voir… in petto, ils n’y croient pas le moindrement, ils ne voient rien de dangereux à parcourir ces petits sentiers, qui de loin semblent tracés pour les cabris… pas plus que ceux-ci, ils ne voient rien de terrible dans ce spectacle journalier… eh bien oui, tout est relatif dans ce monde.

Un touriste pour de vrai, désirera voir la pointe du Ras par une tempête, alors que tout craque, phare, rochers et les flots. Un touriste intelligent, et quel est celui qui ne l’est pas ? voudra choisir, saisir sur le vif un point de vue, un site, une scène à un moment psychologique, non, comme l’Anglais voyageant un livre à la main, ouvrant le précieux volume à un endroit indiqué. À l’heure fixe il ouvre le livre… à peine jette-t-il un regard vers l’objet il ferme le livre et c’est fini… Plus tard, il pourra dire, j’ai vu ceci, j’ai vu cela… en somme a-t-il vu quelque chose ?

Beaucoup partent attristés de n’avoir pu voir, mirabiles elutiones maris, les admirables bouillonnements de la mer. Je ne donne pas le conseil d’arriver dans ce but… Dieu merci, cela ne se présente pas tous les jours.

Un matin, je reçus la visite d’un étranger désirant voir les fureurs du Ras… Natif de Mâconnais, il était haut fonctionnaire dans un département voisin ; était-il sorcier ? était-il en relations avec le bureau météorologique ? Je ne saurais le dire, toujours est-il qu’il ne pouvait mieux choisir… C’était le 4 avril il y a une dizaine d’années… le temps s’annonçait atroce… avec peine trouvâmes-nous un coupé disponible. Les chevaux eux-mêmes semblaient de plus mauvaise humeur que le conducteur, ils ne voulaient pas marcher, nous avions laissé Audierne silencieux, sur les quais pas une âme tout semblait consigné, la route elle-même était déserte.

Arrivés au phare, nous trouvâmes des gens étonnés de notre arrivée… J’essayais de détourner mon touriste du voyage périlleux du Tour de la Pointe, qu’un marin s’offrait de guider.

Le guide comprenait fort bien, les motifs qui me déterminaient à rester à l’écart, et je laissais me donner le compliment de pusillanimité… Je restais donc, anxieux quand même… De loin, je frémissais en voyant les efforts des deux compagnons, s’arcboutant, se soutenant, courbant le corps pour n’être pas soulevés par le vent… Reviendront-ils pensais-je ? La mer avait toutes les teintes blafardes… noires, vertes, bleues : le vent fouettant la crête des montagnes d’eau agitées, détachaient des flocons d’écume qui, se répandant dans l’air à une grande hauteur, masquaient l’horizon comme des tourbillons de neige.

Un oiseau n’eut pas osé risquer son vol au-dessus des abîmes où des diables enchaînés semblaient hurler. Quelques goëlands voltigeaient cependant rasant la terre, où jetant ce sifflement ironique et sinistre que l’on connaît et qui semble dire : Fu-is, fu-is… Les mouettes si nombreuses à la pointe d’habitude, se tenaient cachées dans les anfractuosités des roches.

Pas un seul navire au large, on eut pu que gémir sur leur sort ; pour tout secours on eut pu donner une prière car les malheureux matelots étaient voués à une mort certaine.

Au bout d’une heure, je vis les deux compagnons revenir, s’arcboutant toujours, se soutenant, le corps en deux plis.

Quand arrivé près de moi, mon ami impressionné put relever la tête et donner libre cours à son enthousiasme débordant, il s’exclama Que c’est beau ! que c’est sublime ! allons de ce pas au télégraphe, je veux annoncer à Mâcon que je suis ici, sorti vivant par un temps pareil… Je n’en perdrais jamais le souvenir.

Le télégraphe est au sémaphoore, où nous trouvâmes le guetteur étonné de notre visite… Au sommet du mât, il avait arboré les signaux de la plus forte tempête de Nord-Ouest. À notre arrivée il se trouvait à une vitre-lucarne, et de cet abri il nous signala à faible distance, un magnifique steamer gouvernant mal vers le Ras… en ce moment il était en quelque sorte en abri sous les falaises, malgré tout il semblait être le jouet des flots.

Le navire va droit à sa perte dit le guetteur… pourvu, ajouta le marin tristement, qu’ils aient invoqué N.-D. de Bon-Voyage.

Nous n’avions nullement besoin de la lunette marine pour distinguer l’équipage. Trois hommes étaient à la barre qui réclamaient paraît-il assistance, les autres s’apercevaient éparpillés, accroupis près des bastingages. Pour nous c’était poignant de les voir ainsi aller à leur perte, nous serons les derniers à les voir en ce monde, disions-nous.

L’équipage aurait bien pu nous apercevoir, nul des marins ne songeait à regarder du côté du sémaphore où nous étions renfermés, mais d’où nous pouvions les apercevoir. Tous les matelots avaient les yeux tournés vers les courants, vers les montagnes d’eau qui assurément devaient être leur tombeau… Comment un malheureux condamné à mort, envisagerait-il sans frémir les canons des Chassepot braqués vers sa poitrine, si l’on n’avait pas l’humanité de lui bander les yeux, et ceux-ci avaient la mort évidente devant leurs yeux. Ils n’étaient pas aveugles.

En jetant un dernier regard de tristesse, nous nous éloignâmes, ne pouvant attendre la fin du drame.

Le surlendemain on lisait : « Le vapeur, La Vendée, s’est perdu corps et biens à la traversée du Raz, les épaves trouvées dans les parages d’Ouessant, ne laissent aucun doute.

C’était le beau steamer dont nous n’avions pu lire le nom. Touristes, je ne vous laisse pas le souhait de jouir d’un pareil spectacle, il reste un sentiment pénible.

Les visites se font à la belle saison, et quand par l’imagination seulement on assiste à pareil spectacle, ce n’est plus la même chose.

Autrefois, à la pointe du Ras, il y avait un phare, un peu plus loin un fanal. Il y a quelques années une modification se fit… On construisit un phare sur la roche la Vieille (Gorlebella) un peu plus bas, et l’ancien phare qui existe encore fut supprimé. L’administration en supprimant celui-ci, savait bien ce qu’elle faisait, des capitaines au contraire semblaient le regretter. Mais peut-on contenter tout le monde et son père, dit le bon La Fontaine ? mais si le fanal n’est plus là on n’a pas enlevé le belvédère. Allons ! haut les cœurs, et grimpez ; certes l’escalier en spirale n’est pas large et vous n’êtes pas sujet aux palpitations de cœur…… Un touriste vrai ne voit son cœur battre que devant les beautés de l’horizon, c’est entendu.

Je ne l’engage pas à donner le bras d’une sémillante cavalière, ce n’est pas le splendide escalier de M. Garnier à l’Opéra… On y va à la queue, leu, leu.

Dès la plus haute antiquité, il y avait des phares, on en parle dans les merveilles du monde… Oh ! oui, mais ici comme il faut admirer le progrès bienfaisant de la science humaine, et c’est ici que nous devons saluer ces miracles de physique optique, ces combinaisons des Fresnel et autres ; ces prismes, ces miroirs convergents et divergents lançant la lumière à des distances incalculables pour le bien de ces cœurs triplement cuirassés d’airain, comme dit Horace, qui vont luttant sur le sommet des vagues, dans une obscurité complète.

Le christianisme naissant fit du phare un de ses emblèmes, le guide dans la vie militante si pleine de ténèbres et d’écueils, où nous marchons comme des aveugles si nous n’avons pas la lumière.

Dans les catacombes, le phare est un des emblèmes le plus souvent reproduit dans les fresques conservées par le temps. Mgr Gerbet, évêque de Perpignan, raconte son voyage à ces sombres retraites des vieux chrétiens (de son temps comme de nos jours) ; vous pouvez aller vous en rendre compte, et je le vous souhaite, le cicérone est un trappiste.

Un ermite au froc noir, à la tête blanchie,
Marchait d’abord.
Vieux concierge du temps, vieux portier de la vie,
Et de la mort,
Et nous l’interrogions sur les saintes reliques
Du vieux combat
Comme on aime écouter sur les combats antiques
Un vieux soldat.
Plus loin sur les tombeaux, j’ai baisé maint symbole
Du saint adieu,
Et la palme et le phare, et l’oiseau qui s’envole
Au sein de Dieu
Jonas après trois jours, sortant de la baleine
Avec des chants,
Comme on sort de ce monde, après trois jours de peine
Nommés le temps

La vue du phare, apparaissant dans la nuit sombre, inopinément au voyageur qui a été plusieurs jours loin de toute terre, produit une impression si heureuse que je ne saurais la traduire, c’est comme pour le naufrage en péril, le cri  : « terre »..

Pour le capitaine, c’est le point de repère, et nul ne saurait s’imaginer comment il est inquiet, quand il n’aperçoit pas le feu signalé par la carte et qu’il suppose être dans sa direction… C’est aux endroits les plus dangereux, que ces anges gardiens se multiplient ; et le passage du Ras, est un des plus dangereux des côtes, aussi le navire a-t-il avant de pénétrer dans la passe derrière lui le phare de Penmarch, qui dans quelques années sera une des merveilles du monde, des gerbes continues de lumière électrique éclairant à quatre-vingts milles, devant lui les phares de La Vieille, de l’Île de Sein, au delà l’Armen, Trevenet, Toulinguet, Saint-Mathieu, presque tous de première classe, éclairant à vingt milles ; plus loin les Molènes, les deux phares d’Ouessant dont l’un est mû par l’électricité sans compter nombreux phares secondaires ou fanaux. Du haut de ce belvédère, vous pourriez les apercevoir tous les soirs, blancs, bleus, sanguinolents, à éclipse, etc. Spectacle magique la nuit, constellant le même horizon, tandis qu’à faible distance passent aussi des steamers avec leurs feux, blancs, bleus, rouges.

Le jour, autre est le point de vue. Il n’est pas nécessaire que le temps soit bien clair pour distinguer l’Île de Sein. Elle est devant vous, presque à fleur d’eau, bien basse assurément puisque à plusieurs reprises la mer a fait irruption sur la terre, et a forcé les habitants à chercher un refuge sur les toitures… On peut le lire dans le Raz de Sein.

Y a-t’il un cataclysme qui l’a séparée du continent ? Je possède un dessin dressé par un ingénieur qui le suppose… il dessine la déclivité du sol qui aurait existé, résultat de ses opinions personnelles évidemment, qu’il s’est gardé d’enseigner comme une vérité.

De cette pointe de la Cornouaille, extrémité du vieux monde finis terræ, Gobeum promontorium, de Ptolémée d’Alexandrie vous voyez deux mers, à gauche l’Océan, à droite la Manche, après l’Iroise. De là, ces courants dangereux qui viennent battre et chavirer les navires, qui dans cette lutte ne sont en somme que de vraies coquilles de noix, courants terribles il est vrai, souvent moins dangereux que le calme.

Les courants varient à toute heure de la marée. Aux trois dernières heures du jusant, portant sur les écueils de La Vieille (Gorlebella). Dans les temps calmes rien ne saurait tirer un navire à voiles pris dans ces remous, la houle du large le porte en travers, et alors comment pourrait-il gouverner.

Nep ne sent ket, ouc’h ar stur
Ouch ar garrec, a ra zur

Si le navire n’obéit pas au gouvernail, il le fera sûrement au rocher… en effet les tourbillons saisissent le navire qui d’abord talonne sur quelques fonds, et finalement disparaît ; les courants sous-marins s’en emparent à leur tour, et plus tard, mais longtemps après, les débris se retrouvent en morceaux sur la Baie des trépassés, heureux quand les pauvres marins ont pu se retirer à temps dans les canots du bord.

Que de richesses englouties dans ces parages, bonheur du riverain quand le douanier n’est pas là, il guette un baril de rhum, de vin, une caisse de fromage, de dentelles quelquefois, souvent des produits exotiques, de bois de Tech, des billes énormes d’acajou, etc… J’en ai longuement parlé dans le Raz de Sein. On peut le lire, comme tout ce que j’ai écrit sur les croyances ou droit d’épaves, communes à toutes les populations des côtes sans exception.

Je vais maintenant parler du Tour de la Pointe que presque tous les touristes désirent faire. Je donne le conseil aux personnes qui craignent le vertige de s’en abstenir. Quelques guides diront : Ce n’est pas dangereux, ils disent vrai, mais nombreuses personnes se sont arrêtées à mi-chemin, ont préféré revenir.

Vous désirez contourner la pointe… eh bien ! c’est cette colossale croupe de roches amoncelées, extrémité du cap Sizun, surplombant les gouffres de 250 pieds… Ce spectacle est du reste continu, le long de la côte. En suivant la baie de Douarnenez, on y trouve des précipices plus effrayants encore.

Quelques guides ici, viendront renchérir sur les dangers que vous pouvez courir, mais croyez-le bien, c’est plus effrayant de loin que de près.

Ces petits sentiers que vous apercevez, et qui semblent ne pouvoir donner passage qu’à un cabri, effrayent quelques personnes… mais je puis vous le dire, c’est un effet d’optique… On ne parle pas d’accident, peut-être parce que les personnes qui craignent le vertige, s’abstiennent et elles ont raison… L’impression qui est la plus pénible, est la terreur que l’on éprouve des imprudences de quelques compagnons… les bravades, les forfanteries d’un compagnon, gâtent toujours le charme de cette promenade accidentée.

Toujours on s’engage par le côté droit, par une manière de sentier, se transformant, bifurquant à travers un passage entre deux rochers ; on monte, on descend, on remonte encore, sur de la pierre, Dieu merci, car le gazon est traître et glissant… çà et là, quelques touffes d’herbes marines, des joncs marins en fleur, quelques fougères dont une est en quelque sorte particulière au raz, du moins on ne la voit qu’ici si fréquente : j’ai vu plusieurs touristes en emporter des touffes, je ne saurais dire si la transplantation a réussi ailleurs…… je doute, et cependant cette fougère ferait très bel effet dans une jardinière, tant elle a d’élégance svelte, avec ses fines dentelures. Partout au-dessous de vous, ce sont des précipices profonds.

Voici ce qu’en dit un écrivain qui a longtemps habité le pays et que nous avons tous connu.

Soudain on domine un abîme effrayant dont les murs noirs comme s’ils portaient le deuil, rouges comme s’ils étaient éclaboussés de sang, vous renvoient le bruit curieux du combat marin qui se livre constamment au fond de ce trou si bien nommé l’Enfer… Voilà ce que dit M. Octave Mirbeau, encore ne parle-t-il pas des jours de tempête, où vous croyez entendre des nuées de diables enchainés, hurlant, se débattant… Le Dante n’y a pas songé dans sa description de l’enfer… et ces descriptions, lues dans la langue du grand écrivain italien, laissent dans l’esprit de ceux qui les lisent, une impression d’horreur inimaginable… surtout la grotte des serpents, où vous voyez ces affreux reptiles s’enroulant autour des damnés, je l’ai vue reproduite par la gravure et c’est affreux… Il en serait de même dans cette grotte, à laquelle on a donné le nom de trou de l’Enfer… Il est dans le parcours, des roches aux formes fantastiques, offrant dans cette chaîne de multiples rochers, des formes d’animaux étranges, tel qu’un crocodile en granit, qui a un rictus hideux… à s’y méprendre, dirait-on ; cet affreux animal semble offrir sa croupe aux rayons directs du soleil.

Plus loin, mais tout à fait à la pointe extrême, un peu comme à Penmarc’h, on voit la pierre du moine couché… Ne dirait-on pas, un moine et son capuchon… il est là, étendu comme ces chevaliers d’autrefois, dont on rencontre encore quelques pierres tombales dans les vieilles églises.

Le guide vous montrera encore ce que l’on appelle la grande cheminée… Sans doute ce sont des noms de convention, en somme il ne faut pas grand effort d’imagination pour embrasser l’ensemble du sujet… À l’île de Sein, on voit sur le côté ouest une pierre branlante, énorme, ayant la configuration complète d’un homme tirant la langue d’un pied vers la mer… ce doit être un buveur pétrifié condamné au supplice de Tantale.

aussi, sans effort d’imagination, on rencontre comme une tombe d’évêque ou d’abbé mitré : de loin ce n’est pas, dirait-on, un effet d’illusion, mais de réalité… quand vous en approchez il n’y a plus rien… Comme les nuages qui se rassemblent par les orages et les grands vents, présentent toutes les formes étranges de figures, de montagnes, d’animaux.

Arrivés à cette extrémité de pointe, surplombant cette mer qui mugit à vos pieds, devant ces courants divers qui assombrissent la mer, que de réflexions vous viennent ! C’est peu de chose quand la mer est calme. Vous apercevez bien quelques marsouins qui jouent, qui s’en vont par troupe, se faisant un plaisir de lutter contre le courant… Souvent vous les voyez rebondir et retomber quelques mètres plus loin. Ne dirait-on pas un steeple, une course… Hélas ! souvent malheureusement ils sont à la poursuite d’un banc de sardines, et ils en engloutissent des milliers.

C’est la plaie de nos côtes, le désespoir de nos marins dont ils déchirent les filets. On essaie tous les moyens de destruction, mais il est si difficile de les saisir et ils sont si nombreux ! C’est surtout dans les parages du golfe de Gascogne, dont les eaux sont plus chaudes, que vous en comptez des milliers, car là se trouve le passage des bancs nombreux qui s’approchent de nos côtes de Bretagne.

C’est là, du haut de ces rochers de la pointe, qui plongent dans la mer, déchirés entaillés sinistrement, qu’on peut admirer le poignant spectacle de cette mer verte… C’est là que vous viennent à l’esprit par les tempêtes, ces mots de l’écriture : « mirabiles elutiones maris. » Quand surtout ces flots se déploient furieux, balayant cette suite de récifs qui montrent au-dessus de l’eau, leurs têtes noirâtres… Quand les mouettes voltigent peu loin de la côte, quand les goëlands dont c’est ici l’empire, passent avec un cri aigu au-dessus de votre tête, instinctivement, vous vient à la mémoire cette vieille chanson bretonne, dont voici une pâle traduction :

Les Goëlands sur l’abîme,
S’agitent dans les airs,
Le feu qui les anime,
Ne connaît pas d’hivers,
Des frontières d’Espagne,
Aux champs Armoricains,
Enfants de la Bretagne,
Répétons le refrain.

Notre bonne sainte Anne
Seul appui du marin,
Protégez la tartane,
Qui fait voile demain,
Pour Dieu, pour la Patrie,
Pour vous nous combattons,
Ô patronne chérie,
Bénissez les Bretons.

Ce côté droit que je vous ai décrit, est le plus difficile à parcourir. Une seule anfractuosité est devenue en quelque sorte célèbre, et d’un accès facile sur le côté opposé. C’est comme un banc naturel taillé dans un enfoncement de roche… La grande actrice Sarah Bernhardt vient s’y asseoir, on lui a donné son nom. Vraiment, si c’est là la seule distraction qu’elle se donne quand elle vient passer des quinzaines à Audierne, elle doit prendre peu d’amusements… elle s’en donne d’autres ; je le suppose… Un soir, accompagné d’un ami de l’opéra, elle voulut se donner une promenade sentimentale, sur le Goyen, — on n’a pas besoin d’aller à Venise pour trouver une gondole — ils remontèrent en bande joyeuse jusqu’à Pont-Croix. Là on s’attarda un peu à rêver sous le pont des soupirs, et quand il s’agit de revenir les eaux avaient baissé, et il faisait sombre… La rivière est un peu plate aux premiers kilomètres, et la barque s’envasa… position désagréable la nuit, rester dormir dans la barque pour attendre le nouveau flot, est peu agréable, ôter ses cothurnes au risque de les égarer comme Cendrillon, tout un embarras… La position était critique, car on est sûr d’avoir la vase jusqu’aux genoux si l’on veut gagner le bord, elle préféra se faire hisser sur les épaules du marin, qui se trouva très fier de cet honneur… J’en souhaite autant au touriste qui voudra s’asseoir à la place indiquée ; pour quelques personnes il faut si peu de chose pour être heureux ! Ils pourront dire, nous nous sommes assis sur le banc de Sarah Bernhardt. Eh bien ! après… Ce n’est pas là ce qu’ambitionnera un touriste sérieux, qui préfèrera remonter, en jetant un dernier regard sur l’immensité des flots, sur cette extrémité du vieux monde appelé par Ptolémée d’Alexandrie, Gobeum promontorium… faisant pointe à peu près sur les bancs de Terre-Neuve, sur les Icebergs qui se trouvent dans les mêmes latitudes, bien qu’ici ils se trouvent dans le pays tempéré par excellence, rarement on y voit des glaces, encore moins des neiges, mais le Dieu des bourrasques, le père Borée s’en donne, s’en donne souvent, et gare alors aux coquilles de noix, ces pauvres navires qu’il chavire volontiers faisant concurrence aux vierges de l’île de Sein, qui sont mortes de maladies de poitrine… on en verra les raisons dans ce que je raconte dans un voyage fait aux vestiges druidiques à l’île.

Vous avez encore à voir sur le sommet de la falaise, ce que l’on nomme la pierre du compas… C’est une sorte de rose de vents gravée sur une pierre plate… elle doit dater au moins de deux siècles. Servait-elle à diriger les yeux des vigies exercées, qui le maintenaient là, guettant les naufrages, provoquant même dit-on, la perte des navires ?

Vous avez encore à visiter, si vous passez au mois de juin la grotte aux oiseaux… Vous y voyez des milliers de nids, du sommet on aperçoit les mouettes couvant leurs œufs… elles restent à leur poste, certaines de ne pouvoir être atteintes. Par pitié épargnez-les, touristes. J’en ai vu qui se faisaient un plaisir cruel de les exterminer du haut de la falaise, car elles sont à petite portée de fusil… plaisir cruel et sans but, car on ne peut saisir la victime qui retombe au fond du précipice. De grâce épargnez-les, ce sont les auxiliaires des pêcheurs auxquels ils indiquent souvent les bancs de sardines, et pour le marin du large quand elles s’aventurent au loin, elles indiquent que la terre est proche : quel mal font elles ?

Les cormorans, les goëlands ne sont pas amis, car ils font bande à part. Les uns font domaine de la pointe du Van que vous voyez à droite, les autres, de la pointe rivale. Quelques roches sont couvertes d’un vrai Guano, et portent comme une chevelure blanche… Le cormoran goulu dépèce sa capture sur une pierre plate à laquelle on a donné le nom de table des cormorans… Le jour ils pêchent, et le soir ils rentrent au logis… Peut-être ces deux camps ennemis se sont divisés (comme les hommes), les lieux de pêche, et peut-être mieux que les hommes, observent-ils leurs contrats ? On ne les voit pas dans les mêmes parages… Je souhaite aux touristes d’avoir apporté d’amples provisions, car l’estomac excité par l’air de la mer, et le travail que l’on a procuré aux jambes, réclamera à bon droit sa récompense.

Il est une jouissance que beaucoup de touristes aiment à se procurer en rentrant au phare… inscrire leurs noms sur les registres des visiteurs… Il en est qui accompagnent leurs signatures de réflexions plus ou moins drôles, on en voit de sérieuses, on en voit de cocasses, baroques, spirituelles, bêtes. Que de personnalités ont paru là, depuis que le phare est livré aux visites, c’est-à-dire depuis cinquante ans.

Que de noms connus j’y ai noté… des sommités de la finance, des lettres… etc., un peu de tous les pays, de partout, des anglais, des français, des allemands… etc. ; des poètes, des peintres, des artistes de toutes nuances… Émile Gaboriau, Millerand, Tirard, Lasalle, etc… Il y a une dizaine d’années j’y voyais Alphonse de Rothschild, mais il ne daigna pas mettre son nom, craignait-il par hasard qu’un jour Édouard Drumont vienne prier d’en faire la rature ?… car ces juifs s’immiscent partout, Drumont n’y tient pas… et il a raison.

La route que nous avons décrite ; plateau plus élevé allant au bec du Raz, n’est pas la seule, Beuzec est l’autre clef du cap, le long de la baie de Douarnenez.

Disons-le de suite : Les côtes de Beuzec offrent des sujets d’attraction de premier ordre, des successions de falaises, de précipices insondables, peu connus.

Quelques-uns ont accompli le tour de force de les parcourir, sans cela je n’en dirais pas un mot, mais ce serait manquer à la tâche que je me suis imposée… Faire connaître tout le Cap-Sizun. Les touristes qui ont fait ce voyage, sac au dos, en véritables alpinistes, pourraient avancer que je n’ai pas tout dit… et ils auraient raison.

Falaises élevées, couvertes de blocs immenses, de rochers, fuyant avec des arêtes aiguës sur la déclivité du terrain, souvent une force inconnue les a arrêtés dans leur chute, on se demande par quel miracle d’équilibre, ils restent ainsi en place, quand la poussée d’un doigt semblerait suffisante pour les faire rebondir ; ils restent là, ces blocs pesant des milliers de kilos, superposés, sans ordre, véritable chaos et leurs angles sont arrondis par les vagues.

Un touriste auquel peu de curiosités étaient inconnues, puisqu’il avait parcouru les Pyrénées, les Alpes, les Montagnes de l’Illyrie et tant d’autres endroits encore, me disait que ce désert chaotique était ce qu’il avait le plus admiré le long des côtes du Cap-Sizun.

Dès l’arrêt de la station à Beuzec, le touriste peut aller voir à une faible distance, la Galerie couverte de Kerballanec.

Elle mesure une quarantaine de pieds de longueur… on se demande par quelle opération balistique, si l’on veut mieux lire cabalistique, on est parvenu à poser sur ces hautes pierres verticales, ces pierres plates du sommet… une seule d’entr’elles mesure trois mètres de chaque côté ; un homme de six pieds pourrait pénétrer dans la galerie, sans courber la tête. Plus loin, c’est Loscogan, près du fanal Millier. Là se trouve une minuscule chapelle… Au milieu d’un chaos de pierres, rondes, carrées, etc., on distingue l’une d’elle, c’est exactement une chaloupe non creusée, droite sur sa quille, l’avant taillé en biseau, l’arrière aussi en forme de barque… on voit que toute main humaine est étrangère à cette forme.

Eh bien ! c’est la barque qui amena le saint du Lieu, à travers les mers… Vous êtes libres de ne pas y croire, mais vous ne pouvez pas dire que le bloc ne ressemble pas à un canot bien proportionné.

Yan Dargent, représente bien St-Houardon, poussé sur les flots par deux anges qui ont les ailes déployées. Le saint est représenté dans une auge en pierre… Pourquoi notre saint de Beuzec, ne serait pas venu sur une pierre ayant la forme d’un véritable canot ? Les anges ont dû cependant déployer de larges ailes pour la hisser sur la falaise, au milieu d’un champ de landes qui la remise depuis des siècles.

Allez un peu plus loin, et vous trouverez Castel-Coz (le vieux château). Ici il faudrait de la science que je ne me flatte pas d’avoir, pour émettre une opinion.

En me taisant, je me procure le plaisir de ne pas donner lieu à des controverses. Je préfère indiquer aux amateurs un livre savant : « The oppidum of Castel-Coz-Beuzec, Cap-Sizun (Quimper Britanny) » in-8o avec planches, London 1870… Je n’ennuierai pas de la sorte les touristes qui préfèrent arpenter le terrain. Ils eussent vu sur le sommet de ces falaises il y a quelques années, des affûts, des pièces de canons, longues de plusieurs mètres, on les a enlevés… À quoi servirent-ils ?

Sur ces plateaux couverts de bruyères, on est arrêté à chaque pas par d’immenses blocs de granit de toutes formes et sans ordre. Près d’eux, autrefois pâturèrent ces petits moutons, dont les gigots imprégnés du parfum des grèves et des plantes marines avaient un grand renom (moutons de Pont-Croix). Ils disparaissent, comme là aussi, ont disparu ces bandes de lapins, que l’on apercevait jadis allant faire à l’aurore la cour, parmi le thym et la rosée… C’est dire que les cavités des roches, n’ont pas de secrets pour les braconniers.

Les modestes douaniers arpentent seuls ces falaises, guettant des années entières, d’invisibles contrebandiers.

On a bien ri (mais les pauvres douaniers ne riaient pas), quand en 1888, nos gouvernants affolés, craignirent une descente du général Boulanger. Véritable retour de l’île d’Elbe, parbleu. Celui-ci n’y songeait même pas, il préférait effeuiller des Marguerite à l’étranger. Le vide s’était fait autour de lui, prélude de ce fatal oubli auquel cet homme ne put se résigner.

Malgré tout, ces factions de mois entiers et de nuit et de jour, de ces paisibles préposés, sur ces falaises dangereuses ne les faisaient pas rire, eux qui sont amis de tout boulanger, envoyaient au diable les gouvernants, qui en plein jour n’eussent pas osé s’aventurer aux postes indiqués.

Peut-être songeait-on à trouver quelques complices dans le Cap-Sizun. Pourquoi pas ? Le yacht Le Pétrel, où se baladaient Boulanger, Dillon et Rochefort and Cie, était commandé par un capitaine d’Audierne… pas conspirateur du tout, le brave Verne.

Ici les falaises changent souvent d’aspect, avec leurs pentes bouleversées, déchiquetées. Les rochers ont un nom, parce que presque tous ont une forme. L’imagination superstitieuse du breton, est plus prompte qu’aucune autre à donner une forme aux choses.

Rarement le riverain peut descendre au bas des falaises que des cabris eux-mêmes ne sauraient franchir. Presque tous cependant sont pêcheurs. Assis sur quelque rocher que les flots ne sauraient atteindre, ils lancent la ligne, pêchent surtout ce poisson aimé de tous les marins, la Vieille, un saxile blanc, bleu, rose, qui circule le long des rochers. La nuit, mais alors c’est un danger ; ils prennent encore d’énormes congres noirs… les grisâtres fréquentent les sables du large.

Les parois de ces roches inaccessibles sont tapissées de moules de toutes tailles. Là aussi on trouve un zoophyte, étrange, que l’on ne rencontre que sur ces parages.

Les savants qui sont des hommes habiles, ont trouvé dans son museau pointu, une ressemblance avec le bec d’un canard ; ils lui ont donné le nom de Lepas anatifera.

Nous autres simples et naïfs mortels, qui voyons les choses sous leurs formes vraies, nous lui donnons le nom de pouce pied. Il ressemble à un orteil pour la longueur et la grosseur, son museau est d’un blanc bleuâtre, sa tunique comme une toile d’amiante… aucune machine ne pourrait la tisser aussi belle. La chair rouge, d’un goût plus fin que le homard, festin de prince pour quelques-uns ; mais combien difficile en est la cueillette ? Il faut que ce soit aux marées d’équinoxe ; un intrépide descend armé d’un fort râteau en fer. Le zoophyte se compose lui-même un ciment tellement tenace que pour l’obtenir on emporte le quartz.

Disposés à la ligne de flottaison horizontale que baigne la mer, ils sont là, par paquets, de dix, cent, mille… on arrivera à les détruire tant on en fait consommation, car l’animal que l’on dresse à la recherche des truffes en est friand, et on ne les en prive pas.

Au milieu des flaques d’eau que la mer abandonne à chaque marée, on voit encore des quantités et des quantités d’oursins… Braves Marseillais, c’est votre régal ainsi que les clovisses, venez donc, nous vous les abandonnerons, car nous les dédaignons…

Les sentiers sont si souvent funestes aux riverains et à leurs animaux qu’on ne compte plus les accidents.

Les rochers eux-mêmes ont leurs histoires… Un professeur du petit séminaire, des douaniers, des promeneurs y ont trouvé la mort… La mer est ici plus traîtresse qu’ailleurs ; sournoisement, une lame de fond se lève, s’enfle à la surface, enlève l’imprudent qui se débat un instant et ne reparaît plus, il n’en est pas un exemple…

Et l’avare Achéron, ne lâche point sa proie.

Une nouvelle lame de fond a ramené le cadavre dans quelque grotte sous la falaise, congres et crabes feront festin, et nous, à la suite, nous mangeons congres et crabes… Nous devenons anthropophages… Bah ! un philosophe l’a dit :

Les petits cochons mangent la m… et nous mangeons les petits cochons.

Le long des côtes, nombreux cormorans. Quelques roches sont couvertes de guano… Le printemps est la saison des nids, et l’on en voit assez gourmands, assez gourmets, je dois dire, pour aller prendre le jeune cormoran au nid, quand un léger duvet les recouvre à peine… Un marin me disait : « Il faut dire qu’ils sont loin d’être difficiles. » Les pigeonneaux ne sauraient donner une idée de la délicatesse, de la saveur de la chair du jeune cormoran. C’est distingué, comme toujours le superlatif qu’ils emploient est celui-là.

Dans quelques rares criques (un ou deux), bien à l’abri, on possède une petite barque, et la chasse au cormoran est une distraction ; on la procurait il y a quelques années au romancier Pierre Maël… Est-ce à cette promenade qu’il doit l’idée de son roman Les Pilleurs d’Épaves ? C’est dans ces parages qu’il met le nœud de l’action de son feuileton.

Dans cette dentelure du rivage, on trouve quelques criques, fjords sans importance entre les collines rapprochées. La distance est faible, un filet est tendu dans l’intervalle, il flottera au-dessus de la lame quand la marée viendra apporter son afflux ; malheur alors au mulet, au bar qui viendra prendre ses ébats, car c’est le jeu qu’ils aiment le long de la côte.

Quelquefois ce sont des bancs entiers qui à l’entrée des fjords viennent prendre leur récréation, aussi, les guette-t-on. Le mulet, dit le marin est fin, comme un merle, malgré tout il se laisse surprendre quelquefois… Quand la vigie aperçoit quelques museaux bleus à la surface, on avertit le voisinage ou du moins les proches… Alors quelle curée ! Une battue en règle est organisée, ils sont dix à douze. Le lendemain on lit dans les journaux : Les marins de X… dans un seul coup de senne, ont capturé 1 800 mulets, vendus à un mareyeur au prix de 2,500 fr. C’est rare, mais ceci est arrivé plusieurs fois.

Ces criques non étendues ont encore un avantage.

Après la tempête, elles deviennent le magasin naturel des goëmons détachés des prairies de la mer, ils ne peuvent s’étaler sur les parois qui ne se découvrent jamais… ils s’accumulent en grosses quantités dans l’antre béant qui se présente… Quand le flot s’est retiré, croyez-vous qu’il soit bon de laisser se perdre ce don de Dieu, cet engrais de premier ordre, ce combustible même si mauvais qu’il soit ? Vous connaîtrez mal le travailleur de la mer si vous y songiez. Comme le héros de Victor Hugo qui va dans la caverne sous la roche affronter la pieuvre, ici un intrépide descendra… C’est à 250 pieds, à 300 pieds, soit, mais il descendra, un palan muni d’une longue corde est installé… le gars intrépide descendra par ce moyen dans l’abîme, profite du répit du flot pour rassembler les tas, que les compagnons font hisser à fur et mesure au sommet… Quand le flot arrive il est temps qu’il remonte lui-même, le reste sera pour la marée suivante… Au sommet le travail n’est pas encore terminé, car il faudra encore monter au moyen de civières le précieux engrais jusqu’à l’endroit où un chariot pourra tout prendre et amener au champ… J’ai décrit comment sur les rivages plus plats de la côte opposée on les fait sécher, puis incinérer. Là, c’est dangereux, ici, c’est plus pénible encore :

Travaillez, prenez de la peine,
C’est le fonds qui nous manque le moins

N’est-ce pas ainsi que cela se pratique dans certaines parties des Alpes, des Pyrénées, dans la Lozère, il y a sur la montagne des plateaux élevés que ni animaux, ni chariots ne peuvent atteindre. Les hardis montagnards ne veulent pas laisser perdre une riche moisson des foins qui seront les plus parfumés… Des travailleurs grimpent au moment de la maturité des graminées… Là, les foins coupés se fanent tout seuls, et ils les projettent ensuite d’étage en étage, jusqu’à l’endroit de la montagne où les chariots peuvent les prendre. On recommence l’année suivante.

Un fjord assez important se trouve cependant à un endroit de la côte de Beuzec-Cléden… C’est Téolin… il n’est pas grand, mais très profond, et les navires du plus fort tonnage peuvent accoster. Quel bel emplacement pour un port… trop petit malheureusement !

Le reste de cette côte n’est qu’une suite de falaises escarpées jusqu’à Castelmeur, de Castelmeur à St-Thei, à la pointe du Van, point terminus précédant la baie des trépassés.

Qu’y a-t-il donc d’étonnant si, aux temps obscurs où la conscience humaine ne s’était pas encore révélée, les populations profitaient des dangers de ces côtes dangereuses pour attirer les vaisseaux en perdance, allumant des fascines aux cornes des bestiaux, se livrant ensuite au pillage par les droits de bris.

La pointe du Van enferme entre elle et la pointe du Raz, la lugubre baie des trépassés où viennent se concentrer toutes les épaves des naufrages… et combien autrefois étaient fréquents les sinistres ! (Lisez Cambry, Voyages dans le Finistère, 1836) Vingt-trois navires sont venus se perdre la même année, sur les rochers à la pointe du Raz et environs.

Jadis, au cri de ralliement « pasé zoan od », il y a des épaves à la côte… les riverains se hâtaient de courir à l’endroit indiqué. Une espèce de syndicat était formé pour le pillage des navires. Quelques vigies à l’œil exercé surveillaient à tour de rôle… Après le pillage, à part égale ; les absents n’étaient pas oubliés, que de scènes terribles et d’orgies se sont passées !

On peut relire tout ce que j’en ai écrit dans le Raz de Sein. Les vigies se trouvaient un peu partout ; mais surtout aux deux pointes principales, à la pointe du Raz… à la pointe du Van, qui sont les rivales.

Toutes ces scènes, avaient lieu, à ces époques, à ces temps obscurs, où la conscience humaine ne s’était pas encore révélée.

Mon Dieu, ce n’est pas la même chose maintenant, on n’attirerait pas un navire en perdance, mais la théorie est toujours là… la même partout (c’est la providence qui nous envoie cela et ils ne sauraient considérer ces larcins comme vols, pour eux ce sont des profits licites). Il faut bien faire la part de la pauvre nature humaine, et combien parmi nous ne seraient pas indulgents, s’il fallait punir un pauvre diable qui au risque de la vie quelquefois, s’est emparé d’une épave, un fût de rhum, de vin, etc… Où est alors le titre de propriété ? Rappelons-nous une chose, les riverains trouvèrent une source de revenus dans les nombreux naufrages qui avaient lieu dans ces parages…

Toute cette pointe du Van et les environs portent des marques indéniables de l’occupation romaine. À Castelmeur, à St-Thei, à Troguer, où l’on retrouve des ruines étranges. Mogher greghi, murailles des grecs. Dans Raz de Sein, je disais ceci : Il y a une dizaine d’années, un horloger d’Audierne achetait d’un cultivateur dont la propriété borde la mer et les talus de cette voie, un vase plein de pièces romaines d’or, d’argent et de bronze… je les ai vues, elles étaient des premiers César, d’Auguste, de Titus, de Vespasien, d’Antoine-le-Pieux.

Cette voie romaine s’avançant dans la mer, menait-elle à la Ville d’Is ?… Tout cela restera à l’état de légende, et jamais on ne saura rien là-dessus… Il y a autant de preuves pour la négation que pour l’affirmation : Une seule chose est réelle… Aux premiers siècles de notre ère, une cité a disparu.

Si la Ville d’Is avait eu l’importance qu’on lui donne dans les légendes, comment César si explicite dans ses commentaires, n’en parle-t-il pas ? C’est une remarque qui m’a été faite souvent… oui, mais César vivait antérieurement à l’ère chrétienne, et il s’agit de la disparition d’une ville à l’an 544 de notre ère. Cinq siècles après.

Quoiqu’il en soit, nul ne saurait ébranler les convictions du peuple… Ce n’est pas une raison pour la science, les savants ne s’inclinent pas même devant la vérité.

Il est probable que l’Île de Sein était autrefois rattachée au continent… J’ai vu, je l’ai déjà dit, un plan dressé par un ingénieur, décrivant à son idée, la déclivité du terrain, jusqu’à l’Île de Sein, et même au-delà… Nul ne pourra contester que les terrains de l’Île s’étendaient autrefois au-delà de ses limites actuelles. Que diront nos petits neveux dans quelques siècles d’ici… La chaussée de Sein a dû être recouverte de terre… elle avait dit-on, autrefois, plus de sept lieues. Maintenant a-t-elle trois kilomètres ?