Texte établi par Vicomte du Couëdic de Kergoualer, Maurice Fleury, E. Paul (p. 213-225).

LETTRES DIVERSES

Lettre du prince Eugène à Mme De Montholon.


13 octobre 1819.

Madame la Comtesse,

J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite de Bruxelles, à la date du 30 septembre dernier. Je vous remercie infiniment des détails que vous avez bien voulu me donner sur Longwod ; ils me sont bien chers et en même tems bien douloureux. J’ai aussi sous les yeux la note des cinq lettres de change dont deux sont échues en ce moment. Je prends de suite les mesures nécessaires pour qu’il y soit fait honneur et successivement aux trois autres. Il n’a pas dépendu de moi d’éviter les retards que les précédentes ont éprouvés. Je crois pouvoir vous assurer que l’acquittement de ces cinq dernières sera exactement fait aux échéances fixes à la maison Holmes, avec laquelle vous êtes déjà en rapport. Vous pouvez être tranquille sur ce point. Je vous serai seulement obligé de vouloir bien faire savoir que je désire qu’elle m’envoye directement à Munich et sûrement les traites à mesure de leur acquittement.

Quant au second article de votre lettre, je regrette beaucoup, Madame la Comtesse, de ne pouvoir vous donner la même satisfaction. Je suis plein d’estime et d’admiration pour le dévouement et la fidélité et je voudrais pouvoir trouver dans les débris de ma fortune des moyens d’aider la reconnaissance de celui envers lequel on a fait preuve de ces nobles sentimens ; mais j’ai des devoirs à remplir envers ma nombreuse famille et je compromettrais ses intérêts et mon repos si je prenais des engagemens au-dessus de mes forces. Vous comprendrez parfaitement ces observations. Croyez, Madame, qu’il m’en coûte beaucoup de vous les soumettre et que je sens vivement le regret de ne pouvoir accomplir un vœu dont j’apprécie le mérite.

Agréez, Madame la Comtesse, mes souhaits empressés pour le rétablissement de votre santé et l’hommage de ma considération distinguée.

Signé : Prince Eugène

Munich, ce 13 octobre 1819.




LORD HOLLAND À LA COMTESSE DE MONTHOLON.


Holland-House, ce 13 mars 1820.

Madame,

J’ai reçu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 31 de janvier. J’étais, dans ce moment-là, tourmenté de la goutte, mais je n’ai pas tardé à faire connoitre à lord Bathurst vos démarches et le sujet de votre lettre, et j’ai l’honneur de traduire ici ce qu’il m’a répondu : « Voici ce que je ferai : je dirai à sir Hudson d’avertir Bonaparte qu’en cas qu’il désire que quelqu’un vienne de l’Europe pour remplacer l’un ou l’autre de ces messieurs (le comte de Montholon ou le comte Bertrand), l’on invitera le cardinal Fesch ou la princesse Borghèse a arranger cette affaire. »

C’est à cela que se borne tout ce que lord Bathurst a pu faire dans cette occasion ; j’espère que vous pourrez, de cette manière, obtenir le retour de M. le comte de Montholon sans que son départ de cette malheureuse isle laisse sans les secours qui lui sont nécessaires celui qu’il a servi si noblement. J’ai déjà eu l’honneur de vous écrire combien je désire justifier la confiance dont vous m’honorez et dont je suis si flatté, soulager vos chagrins et être de quelque utilité aux prisonniers de Sainte-Hélène ; mais il faut, comme j’ai déjà eu l’honneur de vous observer, en choisir les moyens avec prudence et ceux qui peuvent vous paraître les plus naturels sont peut-être les plus dangereux ou les moins efficaces. Par exemple, appeler les ministres à une discussion parlementaire sur l’exercice des pouvoirs discrétionnaires que la loi malheureusement leur a confiés à l’égard des affaires de Sainte-Hélène, ce serait s’exposer aux plus grands inconvéniens sans avantage pour ceux qui vous intéressent.

Agréez, Madame, le respect et le dévouement avec lesquels j’ai l’honneur d’être votre très humble serviteur.

Signé : Vassal Holland[1].




Lettre du roi Joseph à Napoléon.
9 mai 1820.

Mon cher frère,

Je n’ai reçu aucune réponse aux diverses lettres que je vous ai adressées par diverses occasions : j’ai presque l’assurance que deux entre autres vous ont été remises par deux Américains allant aux Grandes Indes. J’apprends que votre santé est un peu meilleure depuis que vous faites un peu plus d’exercice ; je vous y engage beaucoup : la cause de Votre Majesté n’est pas encore perdue, il est certain que les peuples sont unanimes dans leur exaspération contre la Sainte-Alliance. Je suis ici seul, la santé de ma femme et d’autres causes ont empêché quelques-uns de notre famille de me rejoindre, de sorte que je suis encore aujourd’hui aussi isolé que lors de mon arrivée dans ce pays — le meilleur et le plus heureux du monde, sans contredit, pour celui qui ne désire que vivre libre et tranquille et qui n’y est pas aussi seul que je le suis moi-même. — J’avois bâti une très belle maison pour ma famille que j’ai toujours attendue, elle a été détruite par le feu le 4 janvier dernier ; j’ai perdu dans cette circonstance la bonne moitié de la fortune qui me restoit ; tous les efforts des habitans n’ont pu sauver un cabinet où étoit contenu tout ce que j’avois de plus précieux.

Les deux caisses de papiers que vous m’aviez fait envoier quelques jours avant de quitter Paris ne m’étoient pas encore arrivées, sans quoi elles eussent aussi été perdues ; je ne les ai pas encore reçues aujourd’hui, mais je sçais qu’elles sont en sûreté. On m’a demandé à plusieurs reprises, de la part de Votre Majesté, des lettres qu’Elle m’aurait remises à Rochefort. Il y a erreur, je n’ai rien reçu à Rochefort ni ailleurs clans ces circonstances, excepté les deux caisses de papiers à Paris ; si Votre Majesté a eu l’intention de me faire remettre les lettres qu’on me demande, il faut qu’Elle tâche de se rappeler à qui Elle a donné l’ordre de me les remettre et à qui on les a remises ; ce n’est malheureusement pas à moi.

M. de Las-Cases m’écrivit dans le temps qu’il avoit laissé cent mille francs à Votre Majesté, je lui fis compter un premier payement de mille livres sterling ; il m’a écrit depuis qu’il a été remboursé de la totalité. Les sieurs Rousseau et Archambault, venus de Sainte-Hélène depuis trois ans, sont ici. Ils sont payés pour cinq ans d’avance de la pension qui leur est allouée par le livret dont ils sont porteurs, signés par le général Bertrand.

Votre Majesté a sans doute été instruite que les princes de la Maison de Bourbon ont confisqué, en rentrant en France, tout ce qu’Elle avoit consenti à faire recevoir par sa liste civile et par sa famille afin de laisser le numéraire disponible pour les besoins des armées, ainsi que pour (sic) une somme de 7 à 800,000 francs que je lui avois remis en diamans et qu’elle avoit fait payer en billets au choix de mon beau-père ; ces billets ont aussi été saisis, il a dû soutenir un procès qui a été perdu en seconde instance après l’avoir gagné au premier tribunal sous le nom de la maison Baraudon ; je la nomme parce que c’est sous ce nom que les papiers publics en ont rendu compte dans le temps. J’entre dans ces détails pour que Votre Majesté soit instruite de la vérité et qu’elle ne puisse pas élever le moindre doute sur la fidélité et la délicatesse de mon beau-père dans cette circonstance. Elle se rappelle sans doute que les valeurs qui lui furent confiées étaient toutes en papiers, et leur sort est constaté par les actes publics du Gouvernement et par une sentence unique rendue par la Cour d’appel sous l’influence des ultra.

…… On a beaucoup accueilli dans ce pays un ouvrage publié par le docteur O’Meara ; toutes les éditions française et anglaise en ont été épuisées sur-le-champ, on l’a réimprimé à Philadelphie et à New-York.

Des Français de marque qui étaient ici, il ne reste que le comte Réal, établi sur le Saint-Laurent ; il n’a jamais varié dans ses opinions. Le maréchal Grouchy part pour la France, le général Clausel a demandé à rentrer, le général Lefebvre-Desnouettes est sur ses terres. ; le général Lallemand l’aîné est à la Nouvelle-Orléans, le général Henri Lallemand est marié avec la nièce du plus riche particulier des États-Unis, Girard. Il vient de publier en quatre volumes un ouvrage sur l’artillerie. Les sentimens de ces deux frères sont aussi fermes que ceux du comte Réal. De Votre Majesté, le dévoué et affectionné frère,

Joseph.




Paris, le 7 juin 1821.


Madame la Comtesse,

J’ai été invité par M. le ministre des Affaires étrangères à désigner un médecin destiné à être envoyé à Sainte-Hélène. Dans la négociation qui a eu lieu à ce sujet, M. l’ambassadeur d’Angleterre m’a conseillé de vous adresser M. Pelletan fils, le médecin désigné, et qui aura l’honneur de vous remettre cette lettre, afin qu’il pût recevoir de vous quelques renseignemens sur Longwood.

Recevez l’assurance du respect avec lequel je suis, Madame la Comtesse, votre très humble et très obéissant serviteur.

Le Bon DES GENETTES,
Premier médecin des armées.


À Madame la comtesse de Montholon.
À Madame,
Madame la comtesse de Montholon, à Paris.


Trieste, le 22 janvier 1821.

Madame,

J’ai su par mon beau-frère que ma lettre vous était parvenue, et, quoique je n’ai pas encore de réponse de vous, je n’ai pour cela conçu aucune inquiétude.

Je trouve même bien convenable que, dans l’affaire qui nous occupe, les lettres (et surtout celles qui vont par la poste) ne soient pas prodiguées. Celle-ci vous sera remise par M. Abbatucci, qui vous est sans doute déjà connu par son dévouement à la cause et à la famille de l’Empereur ; c’est un des hommes que j’aime et que j’estime le plus.

J’attends avec impatience le résultat des démarches que vous avez faites en ma faveur près du gouvernement anglais. Si mon départ n’éprouve pas d’obstacles, je désire pouvoir, avant de partir, me rendre à Paris où j’ai quelques affaires de famille à régler. Je ne sais s’il vous sera possible de stipuler quelque chose pour moi à ce sujet.

Planat[2].



M. Barry[3] à la comtesse de Motholon


Londres, le 4 juillet 1821.

Ah ! ma chère Madame, les persécuteurs de l’illustre victime ont enfin rassassié leur vengeance. Rien ne reste du grand Napoléon que le souvenir de son (sic) grandeur et de ses malheurs. Le 5 du mois passé, cette auguste personne a rendu son dernier soupir à six heures du soir, après une longue maladie qu’il a supporté avec la fortitude et l’équanimité profixe à lui seul (sic). Il était sensible jusqu’au dernier moment et a donné des ordres relatifs à ses affaires et à son enterrement avec la plus grande tranquillité et sang-froid. Son corps a été enseveli dans un endroit qu’il a choisi lui-même, à ce que l’on m’assure, quelques jours avant son décès. Les agens du gouvernement mandent qu’il est mort d’un cancer de l’estomac, mais j’ai raisons de croire qu’il était affligé aussi d’un abscès du fois. Cette nouvelle effrayante est venu ici par le Rosario, bricq de guerre, le capitaine de lequel (sic) a vu le corps inanimé du grand captif avant son départ. Ah ! Madame, vous aurez besoin de tout votre courage et de tous les efforts de la religion pour supporter cette affliction. Le temps me presse et je ne puis plus que de vous assurer de mes sentimens et de l’affliction avec laquelle……

Adieu, ma chère Madame.

E. Barry.


La princesse Borghèse au Général Montholon.


Villa Pauline, ce 15 juillet[4].

Monsieur le général Montholon, j’ai reçu votre lettre apportée par l’abbé Bonavita ; les nouvelles affligeantes de l’état de santé de l’Empereur m’ont d’autant plus mis au désespoir que, depuis deux ans, j’en étais tout à fait privée. Mon oncle le cardinal, maman me disaient n’avoir aucune nouvelle de Sainte-Hélène et ajoutaient d’être tranquille, que l’Empereur se portait bien et qu’il n’était plus là. J’ai donné des détails à M. de Planat qu’il vous communiquera. Aussitôt que le danger de l’Empereur m’a été connu, j’ai fait toutes les démarches possibles pour, faire connaître son horrible position. J’ai même demandé à le rejoindre à Sainte-Hélène plus tôt que de le savoir mourant sans personne de sa famille qui puisse recevoir son dernier soupir. Je n’ai consulté que mon cœur en faisant cette demande, car je suis loin d’être comme je le voudrais, mais j’espère que mes forces me soutiendront pour prouver à l’Empereur que personne au monde ne l’aime autant que moi.

Je vous prie, Monsieur le Général, de me donner directement à moi des nouvelles de la santé de Sa Majesté. Je partirai pour Frascati pour tâcher de me préparer au grand voyage, si l’on persiste à ne pas vouloir le changement de climat. Je vous assure que je souffre davantage ici de mes vives inquiétudes pour une vie si chère que de (voir) prolonger ses malheurs. Je vous prie de faire mes complimens au comte et à la comtesse Bertrand et de recevoir pour vous-même, Monsieur le Général, les assurances de ma parfaite estime.

Princesse Pauline.

P.-S. — Je n’écris plus à l’Empereur ; je sais qu’il n’aime pas à en (sic) recevoir puisqu’elles sont toutes lues, mais dites-lui qu’il commande et que je suis prête à tout faire pour lui.




Extrait de la lettre de Mme la comtesse de Lapeyrouse de Bonfils, envoyant les lettres qu’on vient de lire à son fils, M. le vicomte du Couëdic[5].

«… Quant au projet de rentrer en France exprimé par papa, il n’y a jamais songé sérieusement. C’est l’expression du sentiment passionné d’un homme épris ; tout le prouve.

« Nous étions prêts à repartir pour Sainte-Hélène quand l’annonce de la mort de l’Empereur a éclaté à Paris comme un coup de foudre. Nous étions descendus à Paris, rue Caumartin, chez M. Gagnan (maison meublée).

« On fermait les malles ; M. l’abbé Deguerry, l’otage de 1871, partait avec nous comme aumônier de l’Empereur ; M. Andraud, professeur au collège de Juddilly, comme précepteur de mes frères, lorsque M. Rolland de Villarceaux, mon oncle[6], a été chargé d’apporter la fatale nouvelle à maman. Je ne l’oublierai jamais !

« Nous sommes partis deux jours après pour Portsmouth, afin d’y attendre mon père, le général Bertrand, M. Marchand, le docteur Antomarchi et l’abbé Vignali[7] qui a confessé et administré l’Empereur. Nous sommes restés dix-huit mois à Londres, little Porstman street, à côté de Porstman square, pour le dépôt du testament de l’Empereur à la tour de Londres et le règlement de toutes choses. Maman avait quitté Sainte-Hélène pour soigner sa santé délabrée, sauver, s’il était possible, ma petite sœur Joséphine qui a succombé à Bruxelles, et mettre ordre à d’importantes affaires de famille en souffrance, telles que le partage de la succession de ma grand’mère Vassal. Elle était chargée d’instructions de l’Empereur et d’une mission spéciale auprès de la famille impériale. »




  1. Fils du célèbre Fox, lord Holland.
  2. De Planat, officier d’ordonnance de l’Empereur, allait partir pour Sainte-Hélène lorsque Napoléon mourut.
  3. Secrétaire, croit-on, de lord Bathurst.
  4. Cette lettre de la princesse Pauline Borghèse prouve que la nouvelle de la mort de Napoléon, parvenue le 4 juillet à Londres, était ignorée le 15 juillet à Rome.
  5. Lettre datée d’Aix-en-Provence, le 14 juin 1901.
  6. Oncle à la mode de Bretagne.
  7. L’abbé Vignali se retira chez lui, en Corse ; il y périt assassiné pour cause de vendetta. — Du C.