SOUVENIRS


D'UN NATURALISTE.




LA BAIE DE BISCAYE.


II.

SAINT-SEBASTIEN.[1]




I

En sortant de Saint-Jean-de-Luz pour se rendre en Espagne, la route serpente au milieu des riantes collines du pars basque, rencontrant çà et là tantôt quelque village semblable à Guettary, tantôt quelque maison isolée qui montre à travers un bouquet d’arbres ses murs blanchis et ses volets rouges. Elle s’élève ainsi peu à peu, et tout à coup, arrivé en haut d’une côte longue et rapide, vous découvrez une belle vallée qui se rétrécit sur la gauche pour se perdre à l’horizon dans les gorges des Pyrénées, tandis que sur la droite elle s’ouvre largement et va s’échancrer à la mer entre la pointe Sainte-Anne et le cap du Figuier. La Bidassoa, l’île des Faisans, sont à vos pieds. Deux grands noms en géographie et en histoire ! Hélas ! la première a si peu d’eau, qu’à marée basse elle se perd dans les sables avant d’atteindre l’Océan ; la seconde, rongée par les crues de chaque printemps, n’est plus qu’un banc de sable où poussent quelques saules à demi déracinés ; mais à ce ruisseau finit la France, mais dans cet îlot se rencontrèrent Louis XIV et Philippe IV. La grandeur des souvenirs, le sentiment inexplicable qu’on éprouve toujours au moment de franchir, ses frontières, nationales, compensent la petitesse réelle des objets, et vous descendez la côte, vous traversez Béhobie et son pont de bois, vous vous trouvez en Espagne et à la porte de la douane d’Irun sans presque vous apercevoir du trajet. À peine aurez-vous jeté un coup d’œil distrait sur Fontarabie, la ville hispano-moresque, qui du haut de son roc isolé allonge ses bastions dans la plaine et élève vers le ciel ses tours et ses clochers comme pour mieux veiller sur sa baie sablonneuse.

Grace à la route directe qui relie aujourd’hui Irun et Saint-Sébastien, la diligence vous porte en deux heures dans la capitale du Guipuzcoa Entrez au Parador Real, le meilleur hôtel de la ville ; et, si vous êtes naturaliste, demandez une chambre placée sur le derrière, grande comme une salle de bal, éclairée par une haute fenêtre à double châssis qui permet d’entrevoir l’écueil de Santa-Clara et l’entrée de la rade. Installez votre microscope, vos crayons, vos pinceaux sur une table solide que l’hôtesse apportera avec empressement ; distribuez vos vases, vos flacons sur le large buffet qui occupe tout un côté de la pièce ; puis, certain d’avoir tout le jour, tout l’espace nécessaires à vos travaux, traversez la ville du sud au nord et gravissez les sentiers en zigzag du mont Orgullo. Vous tournerez tout autour de la montagne, vous passerez à côté des batteries qui protégent l’entrée de la rade, vous admirerez la beauté sauvage du cimetière des Anglais, où s’élèvent, au milieu de roches bouleversées, les tombés de quelques officiers tués dans la guerre de don Carlos ; vous atteindrez enfin les donjons du Castillo, et votre œil embrassera d’un regard Saint-Sébastien et tous ses environs.

Un amphithéâtre de collines bientôt assez élevées pour mériter le nom de montagnes se courbe devant vous en demi-cercle et projette dans la mer, à gauche, la pointe et les falaises du mont Ulia, à droite, le phare et les rochers du mont Igueldo. Une langue de terre étroite et basse se détache du continent, partage en deux parties à peu près égales ce bassin de trois quarts de lieue de large sur un quart de lieue de profondeur, et s’élargit un peu en atteignant le mont Orgullo. C’est là qu’est bâti Saint-Sébastien. À l’est, au pied des remparts de la ville, vous voyez l’embouchure de l’Urumea, dont l’œil suit le cours tortueux jusqu’à ce qu’il disparaisse à un redan de vallée pour se courber du côté d’Astigaraga. La rade proprement dite est de l’autre côté. Protégée par les roches avancées du mont Orgullo, par l’îlot de Santa-Clara et la chaîne d’écueils qui rattachent ce dernier au mont Igueldo, cette rade ne présente à la mer qu’un étroit goulet. Une magnifique plage l’entoure d’un demi-cercle de sable fin, interrompu seulement par la pointe rocheuse où s’élevait, avant les dernières guerres, la chapelle de la Antigua. Cette plage, plongeant dans la mer sous une pente à peine sensible, est chaque été le rendez-vous de nombreux baigneurs, qui, de tous les points de l’Espagne, viennent chercher ici le plaisir ou la santé. Le port lui-même est placé immédiatement au pied du mont Orgullo, complètement abrité de toutes parts et couvert, même du côté de la rade, par quatre jetées qui se protègent mutuellement.

Certes, on croirait trouver toutes les conditions de sécurité dans cette rade, dans ce port, que l’art et la nature semblent avoir pris plaisir à mettre à l’abri de toute atteinte ; il n’en est rien cependant. C’est qu’ici il est des jours où les vents et les flots ont une puissance dont rien ne saurait donner une idée. J’ai vu à Saint-Sébastien ce qu’on aurait nommé partout ailleurs une effroyable tempête, ce que les gens du pays appelaient un fort coup de mer. Qu’on ne craigne pas une description. Je ne connais ni plaine ni pinceau qui puisse rendre ces déchiremens de l’atmosphère, ce vent qui pendant quarante-huit heures soufflait comme il souffla quelques instans à Paris le jour de la trombe de Monville, ces vagues énormes, tantôt balayées par l’ouragan en écume qui volaient sur la plage comme des flocons de neige, tantôt remontant en masse les talus inclinés de Santa-Clara, comme des cataractes renversées, couronnant le sommet de l’écueil à peu près aussi haut que la plate-forme de Notre-Dame, et obscurcissant l’atmosphère d’une poussière humide, qui s’élevait jusqu’au phare à une hauteur au moins égale à celle de Montmartre. De ces lames gigantesques, ce qui passait par le goulet se déployait dans la baie comme un large éventail, et la violence du flot diminuait en proportion. Pourtant, dans le port, les navires se heurtaient à se briser, et un malheureux brick, après avoir cassé ses amarres, après avoir vainement cherché un refuge derrière le Castillo, dut céder à cet effroyable remous, et fit côte au fond de la rade.

Au milieu de ce désordre des élémens, des goélands au blanc plumage, des aigles de mer aux couleurs roussâtres, se jouaient tranquillement devant ma croisée, mêlaient leurs cris au fracas de la tempête, décrivaient en l’air mille courbes capricieuses, et parfois, plongeant entre deux vagues, reparaissaient bientôt tenant au bec quelque poisson. Leur vol, rapide comme la flèche quand ils se laissaient emporter par le vent, se ralentissait quand ils faisaient face à l’ouragan ; mais ils planaient avec la même aisance dans les deux directions, sans paraître donner un coup d’aile de plus que par les plus beaux jours. Il y avait quelque chose d’étrange à voir ces oiseaux ; les ailes étendues et complètement immobiles, au moins en apparence, remonter d’un mouvement uniforme ces rafales terribles qui auraient renversé l’homme le plus vigoureux. Déjà MM. Quoy et Gaymard avaient signalé ce singulier phénomène chez les oiseaux grands-voiliers des mers antarctiques. Tous deux, après avoir observé mille fois les albatros et les frégates, ont hésité à hasarder une explication. D’autres ont été moins timides, et, après avoir examiné les mêmes espèces à travers les vitraux de nos collections, ils ont décidé que ce mode de locomotion était la chose du monde la plus simple. Ils ont parlé de vitesse acquise, de trémulation invisible des ailes… Pour nous, après avoir vu, nous pensons exactement comme MM. Quoy et Gaymard et nous imiterons leur réserve.

Des fortifications à la Vauban, un rempart élevé dont les fossés se remplissent à marée haute, occupent toute la largeur de l’isthme qui joint Saint-Sébastien au continent et le protégent du côté de la terre. Tapie au pied du mont Orgullo, comme si elle aussi cherchait un abri contre le vent du nord, arrêtée par ses murailles que la mer bat des deux côtés, la capitale du Guipuzcoa forme un carré irrégulier, dont la surface est moindre que celle de l’entrepôt des vins de Paris[2] ; mais cet espace étroit a été mis à profit autant que possible. Deux églises paroissiales, un couvent, un arsenal, une caserne, tels sont les principaux édifices publics ; presque tous rejetés sur les dernières pentes du mont Orgullo. Au centre de la fille, l’hôtel de l’ayuntamiento occupe tout un côté d’une place à arcades, espèce de Palais-Royal au petit pied. Le reste des terrains est entièrement occupé par de hautes maisons bordant des rues presque toutes en ligne droite, et dont la largeur semble avoir été strictement calculée d’après les nécessités de la circulation. Ici, point de jardins, à peine quelques cours intérieures. Grace à cette économie du sol, près de neuf mille ames ont trouvé à se loger. Malgré cette accumulation d’habitans, malgré les professions assez sales de plusieurs d’entre eux, on voit régner partout une propreté bien rare dans nos grandes villes. Ce fait s’explique surtout par le mode de répartition de la population. Saint-Sébastien n’a pas de ces rues, de ces quartiers, ramassis de masures et de bouges, qui défigurent nos plus riches cités et, où s’entassent les classes peu aisées. Partout les maisons sont à peu près semblables et comptent des locataires de toute sorte. Le commerçant, le propriétaire, occupent le rez-de-chaussée et les premiers étages ; le manœuvre du port, le pêcheur, l’artisan, se logent dans les greniers et les combles. Un grand bien résulte de cette espèce de mélange. Chaque riche connaît plus vite et soulage plus aisément des misères qui le coudoient, et le pauvre, sans cesse en contact avec les classes aisées, est mis forcément en garde contre le laisser-aller, qui dégénère si vite en incurie et en malpropreté.

Saint-Sébastien est en entier une ville neuve. À part les églises et quelques maisons placées dans leur voisinage, toutes les autres bâtisses sont récentes : les plus vieilles comptent au plus trente-six ans d’existence. En 1813, les Anglais et les Portugais, ces alliés que l’Espagne soulevée contre Napoléon saluait du titre de libérateurs, ont réduit en cendres l’antique Donestia[3]. Peut-être nous saura-t-on gré de donner sur cet événement fort étrange et fort mal connu quelques détails d’une authenticité incontestable[4].

Depuis cinq ans, Français étaient maîtres de Saint-Sébastien et de la province, lorsque, le 28 juin 1813, les trois bataillons de Guipuzcoa, commandés par le colonel don Juan Jose de Ugartemendia, parurent sur les hauteurs de San-Bartolome et commencèrent l’investissement de la place. Les habitans pensaient alors comme toute la nation espagnole ; à leurs yeux, les Français étaient des oppresseurs ; aussi accueillirent-ils avec la plus vive joie l’espoir d’être bientôt délivrés. Bon nombre d’entre eux s’échappèrent de la ville et coururent au-devant des alliés. Cette émigration devint même si générale, que les général Emmanuel Rey, commandant des troupes françaises, crut devoir y mettre un terme. Toutefois il s’abusait si peu sur les dispositions des Saint-Sébastenais, que le 7 juillet il fit enlever et transporter au Castillo toutes les armes, piques, pioches, cordes, échelles, etc. Au reste, les Saint-Sébastenais cachaient peu leurs sympathies ; les femmes surtout les affichaient avec une sorte d’ostentation. Aucun officier français n’avait pu être admis chez ces fières Basquaises, dont les frères, les maris et les pères avaient si mal reçu le roi Joseph. Au contraire, les prisonniers anglais et portugais étaient accueillis par elles avec un empressement extrême, et les demoiselles des plus nobles familles portaient elles-mêmes des vivres, des vêtemens, des médicamens aux blessés qu’elles soignaient dans deux églises converties en hôpitaux. Le manifeste invoque ici le témoignage de plusieurs officiers des deux nations, et spécialement celui de don Jose Gueves Pinto, capitaine au 15e régiment de Portugal, et celui de don Santiago Siret, lieutenant au 9e régiment anglais.

Cependant les troupes alliées, sous les ordres du général sir Thomas Graham, avaient relevé les bataillons guipuzcoans. Le blocus avait été changé en siége. Une escadre, composée de neuf bâtimens de guerre, entourait le Castillo du côté de la mer. Cent trente-deux pièces d’artillerie, distribuées sur l’îlot de Santa-Clara, dans les dunes sablonneuses de l’Urumea et sur toutes les hauteurs voisines, complétaient ce cercle de feu. Certes, les Saint-Sébastenais devaient s’attendre à voir les projectiles de leurs alliés respecter leurs habitations, et s’attaquer uniquement aux remparts. Il n’en fut pas ainsi. Du 23 au 29 juillet, les batteries anglo-portugaises brûlèrent ou détruisirent soixante-trois maisons dans le quartier voisin de la brèche. Toutefois les efforts de la population, dirigés par l’ayuntamiento, parvinrent à concentrer et à éteindre cet incendie. À partir du 29 juillet, le feu ne se montra sur aucun autre point de la ville ; si ce n’est dans la soirée du 31 août et après l’entrée des alliés[5].

Les troupes anglaises et portugaises avaient livré inutilement un premier assaut le 25 juillet ; elles furent plus heureuses le 31 août. Les Français, repoussés de la brèche, se défendirent quelques instans dans les rues, puis se retirèrent dans la citadelle et dans les maisons adossées aux rochers du Castillo. À deux heures et demie, tout combat avait cessé[6]. À l’instant même, les sentimens de la population, long-temps comprimés par la sévérité militaire, se manifestèrent de la façon la moins douteuse. Les cris de joie, les vivats retentissaient dans toute la ville ; les mouchoirs s’agitaient à toutes les croisées, à tous les balcons. Qu’on juge de la stupeur de ces pauvres citadins en voyant les vainqueurs dont ils célébraient le triomphe répondre à cet accueil par des coups de fusil, et frapper de leurs balles plusieurs personnes à ces mêmes balcons, à ces mêmes croisées d’où partaient d’enthousiastes félicitations[7] !

Dès le commencement de l’assaut, les autorités civiles et les notables s’étaient réunis à l’hôtel-de-ville, dans l’intention d’aller au-devant des alliés dès que la première colonne de troupes se présenta sur la place Neuve, les alcades s’avancèrent avec empressement, embrassèrent le commandant, et mirent à sa disposition toutes les ressources de la ville ; puis, se frayant un chemin au milieu des cadavres, ils se dirigèrent vers la brèche. Déjà sur ce trajet ils durent avoir de cruels pressentimens. Le capitaine anglais qui commandait aux portes insulta l’un d’eux et le menaça de son sabre[8]. Enfin, arrivés à la brèche, ils y rencontrèrent le major-général Hay, qui les accueillit avec bienveillance, et leur donna une garde pour faire respecter l’hôtel-de-ville.

Cette apparence de protection ne devait être que momentanée. Pendant que les Français se retranchaient paisiblement dans la citadelle et aux abords du mont Orgullo, pendant qu’on négligeait, à leur égard jusqu’aux plus simples précautions indiquées par l’art militaire, Saint-Sébastien était mis à sac par ses prétendus libérateurs. Une soldatesque effrénée, et que pas un officier ne tenta d’arrêter, pillait les maisons, massacrait les habitans, outrageait l’épouse sous les yeux de son époux, la fille sous les yeux de sa mère. Ici le manifeste signale des actes d’une barbarie atroce[9]. Enfin, l’incendie vint couronner dignement ces effroyables scènes. Dans la soirée, les soldats anglais et portugais mirent le feu à une maison de la Grand’Rue, puis sur d’autres points encore, et dansèrent à la lueur des flammes[10]. Ce fût en vain que quelques habitans demandèrent qu’il leur fût permis d’éteindre les : flammes ; ce fut en vain qu’un ordre dérisoire, arraché par les instances des alcades, fut donné dans ce sens. Les charpentiers, qui s’étaient offerts, bien loin de se voir escorter, furent maltraités, contraints d’indiquer les maisons où le pillage devait être le plus lucratif, et forcés de s’enfuir pour sauver leur vie. Ainsi, pendant que la cite brûlait d’un côté, le viol, le meurtre, continuaient de l’autre. Le manifeste cite ici les noms de quelques-unes des victimes les plus remarquables, et parmi elles on voit figurer des magistrats et des prêtres.

Pendant toute la nuit, les portes de Saint-Sébastien avaient été fermées. Enfin, le jour parut, et, sur les vives instances des alcades, il fut permis aux habitans de quitter leur patrie en ruines. La plupart se hâtèrent de fuir. Une foule absolument sans ressources, des femmes entièrement nues, des vieillards couverts de blessures, s’échappèrent dans la campagne, où un grand nombre périrent. Quelques personnes restèrent, espérant que, la première soit de pillage apaisée ; elles pourraient sauver les débris de leur fortune ; mais l’incendie durait toujours, et, quand les alliés crurent n’avoir plus rien à prendre, ils trouvèrent que les flammes allaient trop lentement. Alors ils eurent recoure à des cartouches incendiaires qu’on leur vit préparer ouvertement dans la rue de Narrica[11]. Grace à l’emploi de ces artifices destructeurs, le feu se propagea avec une effrayante activité. Saint-Sébastien tout entier fut détruit. Trente-six maisons demeurèrent seules debout, la plupart adossées aux rochers du Castillo qu’occupaient les Français, les autres attenantes aux deux églises qui servaient d’hôpital et de caserne aux vainqueurs. Livres, registres publics et privés, archives civiles et ecclésiastiques, tout fut réduit en cendres, et l’on évalua à plus de 100 millions de réaux[12] les pertes immédiates résultant de cette épouvantable agression.

Les troupes qui étaient montées à l’assaut ne prirent pas seules part au pillage. Des soldats venus sans armes du camp d’Astigarra, distant d’environ une lieue, se joignirent à leurs compagnons. Les mulets qui suivaient l’armée servirent à enlever le butin, et les employés des brigades alliées aidèrent eux-mêmes à les charger. Les équipages de vaisseaux anglais mouillés au port des Passages eurent leur part, comme l’armée de terre. Vingt-quatre jours après l’assaut, Anglais et Portugais fouillaient encore les cendres de Saint-Sébastien pour y découvrir quelque objet de la plus mince valeur, et, pendant ce long intervalle de temps, pas un effort ne fut tenté pour réprimer ces excès, pas un officier ne chercha à arrêter les soldats. Bien plus, les objets volés, quelle que fût leur nature[13], étaient étalés et mis publiquement en vente au quartier-général de l’armée alliée. En présence de ces faits, attestés par une population entière, il est impossible de douter de la connivence des officiers, il est impossible de ne pas faire remonter jusqu’à eux, et surtout jusqu’au général Graham, la responsabilité de ces effroyables événemens[14] .

L’incendie et le sac de Saint-Sébastien laissaient plus de quinze cents familles sans asile sans pain presque sans vêtemens Quatre mois après, le tiers de cette population avait péri de misère et de faim[15]. Les autorités civiles, retirées à Zubieta, après avoir fait constater les faits par une enquête solennelle[16], demandèrent des secours temporaires et une indemnité qui leur permît de relever leurs habitations ; mais en vain s’adressèrent-elles à Wellington, à la régence d’Espagne ou congrès national : l’un et l’autre leur fut refusé. Alors elles publièrent le manifeste et les correspondances d’où nous avons tiré ces détails. Elles en appelèrent à l’Europe entière pour flétrir la conduite des alliés, et ouvrirent une souscription publique dont le montant devait servir à rebâtir Saint-Sébastien. Ici encore le mécompte fut aussi complet que possible. Seul, un négociant allemand, établi à Bilbao, s’inscrivit pour une demi-once[17]. Après quelques mois d’attente, l’ayuntamiento dut remercier son unique souscripteur dont l’offrande isolée devenait inutile ; mais les registres de la ville constatent encore aujourd’hui, que Saint-Sébastien, brûlé par ses alliés, abandonné par ses compatriotes, ne trouva de sympathies pour ses malheurs que chez un seul homme et chez un étranger.

On comprend que les chefs de l’armée anglo-portugaise ne pouvaient accepter aisément l’odieux des faits que nous venons de rappeler. Aussi, dans ses réponses à l’ayuntamiento, Wellington cherche-t-il à rejeter l’incendie de Saint-Sébastien, tantôt sur les nécessités de la guerre[18], tantôt sur les Français[19]. Cette contradiction, à elle seule, aurait dû faire accueillir avec réserve ces versions diverses, qui sont pourtant les plus accréditées. Si nos troupes avaient fourni le moindre prétexte, comment croire que les Saint-Sébastenais eussent hésité un instant à les accuser ? Comment admettre qu’ils aient calomnié de gaieté de cœur ceux-là même qui venaient les délivrer d’un joug étranger qu’ils ne portaient qu’en frémissant ? Aux assertions vagues et contradictoires du général anglais nous opposerons les termes du manifeste et de la correspondance. L’un et l’autre sont aussi explicites que possible. On nomme la maison qui fut brûlée la première, tout-à-fait au cœur de la ville, sur un point qui ne se prêtait à aucune manœuvre stratégique ; on précise l’heure de ce premier acte de vandalisme, accompli long-temps après la retraite des Français : on constate que ces derniers n’ont pas tiré une seule fois sur la ville dans cette terrible nuit[20], partout enfin on fait peser sur les alliés seuls une accusation qui porte non-seulement sur l’incendie même, mais encore sur un pillage organisé, prolongé pendant près d’un mois, et auquel participe toute l’armée. Enfin, une enquête solennelle, faite sous les yeux d’un commissaire envoyé par la régence d’Espagne, donne à tous ces détails le cachet d’une entière authenticité[21] . On ne peut donc en douter, le 31 août 1813, Saint-Sébastien a été détruit par ses propres alliés, et sa ruine était préméditée.

La responsabilité de cette destruction retombe évidemment tout entière sur les généraux anglais qui commandaient l’armée assiégeante et qui tenaient des événemens une véritable omnipotence. Quelle raison pouvait motiver, de leur part, une conduite aussi étrange qu’odieuse ? Certes ils n’obéissaient pas à un instinct de barbarie gratuite, qui n’est nullement dans le caractère de leur nation. Au moment même où les soldats pillaient et massacraient leurs alliés espagnols, on les voyait accueillir avec une générosité chevaleresque les Français pris les armes à la main[22]. Ils n’avaient pas non plus à faire un exemple, à terrifier des populations hostiles. Comme toutes les provinces d’Espagne, le Guipuzcoa les accueillait en libérateurs. Saint-Sébastien pour parler le langage du temps, était une cité loyale, détestant la France et les Français, prête à se dévouer pour quiconque s’offrait à elle comme ennemi de Napoléon : jamais ses habitans n’avaient déguisé ni leurs affections ni leurs haines ; mais cette ville était le chef-lieu d’une de ces provinces basques où l’industrie et le commerce ont toujours tendu à se développer ; elle avait été le siége de riches compagnies qui exploitaient les colonies espagnoles[23] : le retour de la paix allait raviver les rapports actifs avec la France, que sa position géographique rend inévitables. Pour cela seul peut-être, Saint-Sébastien devait périr. Tout en faisant la guerre à Napoléon, les Anglais profitaient de l’occasion pour assurer leur commerce, pour étouffer jusqu’aux moindres germes dont le développement aurait pu soustraire leurs alliés à ce vasselage industriel que subit encore le Portugal. En Catalogne et jusqu’aux portes de Madrid, les soldats de Wellington brûlaient les fabriques de draps, de cotonnades et de porcelaines ; en Andalousie, ils détruisaient les plantations de cannes à sucre[24]. Le sac de Saint-Sébastien n’eut sans doute pas d’autre cause. C’était toujours cette politique implacable qu’on retrouve au fond de tous les actes de l’Angleterre, et qui lui ferait brûler la moitié du monde pour être seule à vendre des cotons à la moitié restante.

Quoique abandonné à ses seules ressources, Saint-Sébastien s’est entièrement relevé du milieu de ses ruines. À l’époque de mon séjour ; quelques murs éboulés, quelques tas de décombres placées entre mes croisées et le port, rappelaient seuls les fureurs de l’armée anglaise. La vieille capitale du Guipuzcoa a repris son rang. L’industrie, le commerce surtout, ont ramené l’aisance dans ses murs. Comme par le passé, Saint-Sébastien est aujourd’hui un des principaux centres des populations basques. On comprend avec quel intérêt j’étudiai cette race remarquable, sans parenté aucune avec les autres nations européennes, et dont l’origine est un des plus difficiles problèmes que puisse aborder l’ethnologie[25]. Il ne mériterait pas le titre de naturaliste, celui qui, occupé exclusivement des animaux, négligerait l’étude de l’espèce humaine et n’attacherait pas la plus haute importance à tout ce qui peut jeter quelque jour sur l’histoire de ses innombrables variétés.


II

Les Basques, appelés par divers auteurs Cantabres. Euskeriens, Euskaldunes, se donnent à eux-mêmes le nom d’Eskualdunac ou mieux d’Euskaldunac[26]. Ils parlent une langue, sans analogie avec les idiomes européens, la langue eskuara ou euskara[27]. Distincts de toutes les populations voisines par les caractères physiques, les mœurs, les institutions, ils en différaient encore autrefois par les traditions et les croyances religieuses. Les anciennes fables euskariennes parlaient, disent quelques auteurs, de la destruction d’un monde antérieur, à laquelle échappèrent seulement quelques hommes rares comme les olives qui restent sur l’arbre après la récolte, comme les grappes qui pendent aux pampres après la vendange[28]. De ce nombre fut Aïtor, l’ancêtre des Euskaldunac. Retiré avec sa compagne dans une grotte inaccessible, Aïtor vécut pendant une année, voyant à ses pieds l’eau et le feu se disputer l’empire. Frappé de terreur, il oublia tout ce qu’avaient pu lui transmettre ses ancêtres sur le passé du monde, et inventa jusqu’à un nouveau langage. Les fils d’Aïtor, descendus dans les plaines, s’étendirent rapidement et formèrent de puissantes nations, mais toujours ils conservèrent fidèlement la langue et la religion du père descendu des hauts lieux, de l’ancêtre des montagnes[29]. Le polythéisme, dans ce qu’il a de grossier et de matériel, a toujours été inconnu des Euskariens. Ces peuples adoraient un être suprême, créateur et conservateur des mondes, le Jao-on-Goïcoa[30] ; ils commençaient et terminaient la journée en lui adressant des prières ; ils lui offraient en sacrifice les fruits de la terre par l’intermédiaire des anciens de la tribu ; mais ils ne lui élevaient aucun temple. Les cérémonies religieuses, toujours très simples, avaient lieu à certaines époques déterminées par les phénomènes célestes et se passaient sous le même chêne où ces vieillards, devenus chefs par le privilège de l’âge, rendaient la justice et réglaient les affaires de la nation. Les Basques croyaient à l’immortalité de l’ame, à des récompenses et à des punitions après cette vie. Pour eux, la mort naturelle n’était qu’un long sommeil, et la tombe s’appelait le lit du grand repos[31].

Un peuple dont la religion avait toujours été spiritualiste devait embrasser facilement le christianisme. Aussi les Basques ont-ils la prétention d’avoir été le premier peuple chrétien[32]. Leurs traditions nationales se sont facilement accordées avec ces nouvelles croyances. Les Euskariens ont, pour ainsi dire, confisqué à leur profit les prétentions soulevées par les autres Espagnols sur l’antiquité de leur propre race. Ceux-ci s’étaient donné pour ancêtres les descendans immédiats de Noé, sans toutefois s’accorder exactement sur l’époque où ces premiers colons arrivèrent en Espagne. Mariana, Joseph Moret, Gabriel de Henao, Florian d’Ocampo, Ferreras… avaient adopté la version qu’Alfonse Tostat avait puisée dans la Leyenda pendolada, écrite en 1073, par Herman Llanes[33]. D’après eux, Thubal, fils de Japhet, serait venu directement se fixer à l’extrémité occidentale de l’Europe cent trente et un ans après le déluge, et cette souche primitive aurait, plus tard, couvert de ses colonies l’Europe, les côtes septentrionales de l’Afrique et même une portion de l’Asie. D’autres écrivains, tels que Bochart, Ponce de Léon. Joseph Pellicer. Xavier de Garma, Manuel de la Huerta, etc., admirent que les fils, de Japhet, marchant de l’est à l’ouest, avaient commencé par peupler les parties centrales de l’Europe, et n’étaient arrivés en Espagne que cinq cent trente-cinq ans après le déluge, sous la conduite de Tarsis, cousin-germain de Thubal. Ces deux versions, vivement attaquées et soutenues, partagèrent les esprits. De part et d’autre, on invoquait des passages tirés des livres saints. Les tribunaux ecclésiastiques, appelés à prononcer, prirent du moins un parti assez sage. Ils admirent que les deux opinions étaient également probables, mais que la vérité ne pouvait se trouver que dans l’une d’elles. Cette décision devint un article de foi, et jusqu’à la fin du dernier siècle il n’eût pas été prudent à un auteur espagnol de reconnaître d’autre chef de race que Thubal ou Tarsis ; l’inquisition eût fort bien pu lui demander compte de ses opinions comme d’une hérésie.

Les Basques, qui se considèrent comme les seuls représentans des anciennes populations ibériques, n’ont pas manqué d’accepter les résultats de cette controverse. Une sorte de mythologie chrétienne a remplacé chez eux les vagues traditions d’autrefois. Aïtor est devenu Noé. Il est le père des Euskaldunac, d’où il résulte que ceux-ci sont les pères de toutes les autres nations. L’Espagne, en particulier, a été peuplée directement par les compagnons de Thubal ou de Tarsis[34], dont les descendans ont couvert au moins l’Europe tout entière. La langue euskara est-elle bien réellement, comme l’affirme le vulgaire, celle que parlaient Adam et Ève dans le paradis terrestre ? Ce serait possible, car Noé a pu la recevoir par tradition, et, dans ce cas, il a dû la transmettre à ses descendans. Il est vrai que ceux-ci, ayant voulu braver le Très-Haut en élevant la tour de Babel, furent frappés des confusion, et que soixante-douze et langues remplacèrent subitement la langue unique qu’ils tenaient de leurs pères ; mais l’Écriture ne dit pas en quelle année l’orgueil des hommes leur attira cette punition. Il ne serait donc pas impossible que la colonie appelée à peupler l’Europe et l’Espagne fût partie avant cette époque[35]. Elle aurait ainsi emporté avec elle le langage parlé dès les premiers âges du monde, et dès-lors les croyances populaires pourraient bien être l’expression de la vente. En tout cas, la langue euskara est infiniment supérieure à toutes les langues connues, par sa priorité, son universalité, son inépuisabilité, son naturalisme, ses inflexions,ses nuances, ses désinences, ses allusions, et son mécanisme verbal : elle renferme, en elle seule plus de radicaux qu’il n’en aurait fallu pour suffire à la formation des soixante-douze langues nées au pied de la tour de Babel[36], Donc aucune langue ne se rapproche autant qu’elle du langage révélé à Adam par le Père éternel[37]. Inspirée par Dieu, la langue euskara est aussi naturelle à l’espèce humaine que le roucoulement au pigeon, l’aboiement au chien, le mugissement au taureau. Tout homme qui commence à begayer, parle ; basque. Papa, titi, mama, caca, ces mots enfantins qu’on retrouve chez tant de peuples sont du plus pur euskarien, et signifient manger, mamelle, téter, saleté[38]. Cette langue ayant ses racines dans la nature même des choses, son étude suffit pour nous faire retrouver l’origine de tous les arts, de toutes les sciences. Ses noms de nombre renferment, dans treize paroles, tous les principes fondamentaux de la philosophie naturelle, et les mystères numériques de Platon ou de Pythagore n’ont pu être établis que sur les principes de la numération basque. L’alphabet euskarien est à lui seul toute une révélation. Son nom est Yesus. L’ensemble des cinq voyelles, prises dans le même ordre qu’en français, présente une idée complète du monde primordial et de la création[39]. Trois d’entre elles, i, a, o, réunies en un seul mot, résument en entier le verbe adamique, expriment à la fois la vie, l’incarnation et l’esprit, le commencement, la fin et le milieu. Iao, tel est le seul vrai nom de Dieu, nom sublime, révélé dans le premier âge aux patriarches du Midi, défiguré par les lévites hébreux et les pontifes celto-romains, mais conservé de tout temps et vénéré de nos jours encore par les Euskariens[40].

En laissant de côté ce qu’ont d’exagéré et d’absurde les prétentions linguistiques des Basques, il n’en faut pas moins reconnaître que leur langue est vraiment remarquable et présente des caractères tout-à-fait spéciaux. G. de Humboldt pense qu’on ne peut la rattacher à aucune langue de la famille indo-germanique. Elle est entre autres, entièrement distincte des dialectes celtiques. Les seules langues dont elle se rapprocherait par son mécanisme grammatical seraient, d’après Humboldt, quelques langues américaines. D’un autre côté, l’abbé d’Hiarce a signalé, dans un vocabulaire rapporté par Péron de la terre de Van Diémen, plusieurs mots qu’il assure être rigoureusement basques. Il est assez étrange qu’il faille aller chercher aussi loin les seules analogies que cet idiome présente avec les langages connus. La langue basque est d’ailleurs presque impossible à apprendre pour des étrangers. Quelques-uns des théorèmes grammaticaux de l’abbé d’Hiarce donneront une idée de ses difficultés. En basque, les noms, les pronoms, les adjectifs, se changent en verbes, et les verbes se métamorphosent en noms et en adjectifs. Les propositions, les adverbes, les conjonctions, les interjections, les caractères mêmes de l’alphabet, se déclinent comme noms ou comme adjectifs, et se conjuguent comme verbes. Chaque nom a six nominatifs et douze cas différens ; les adjectifs comptent jusqu’à vingt cas. Le nom change souvent selon l’état de l’être, de la chose qu’il sert à désigner. Chaque verbe français est représenté par vingt-six verbes qui expriment chacun une modification spéciale, soit de l’action, soit de l’être ou de la chose sur laquelle s’exerce cette action. Il y a de plus quatre conjugaisons différentes, selon qu’on s’adresse à un enfant, à une femme, à un égal ou à un supérieur… Ces quelques citations de notre auteur suffiront, je pense, pour réfuter une de ses assertions, savoir, que la langue euskerienne pourrait très aisément devenir un langage universel. Bien loin qu’il en soit ainsi, elle est toujours restée confinée chez les Basques. Ceux-ci apprennent assez facilement l’espagnol ou le français ; mais la réciproque n’a jamais lieu.

Une histoire qui commence au plus tard cinq cent trente-cinq ans après le déluge doit présenter quelque étrangeté. Aussi voit-on bientôt paraître à côté des patriarches des personnages d’origine fort différente. Après la mort de Tarsis, les Euskariens d’Espagne élisent pour roi Géryon, qui, pour immortaliser le souvenir de son renne, fait bâtir deux villes puissantes : Gironne au nord, Cadix au midi ; mais ce souverain, oubliant qu’un roi ne doit être que le père de ses sujets, veut régner en tyran sur les Euskariens. Ceux-ci se révoltent ; Osyris, roi d’Égypte, leur prête l’appui de ses armes ; Géryon est défait et tué dans les champs de Tarifa, non loin du détroit de Gibraltar. Ses trois fils lui succèdent ; mais, trop semblables à leur père, ils font assassiner Osyris par Typhon. Orus, l’Hercule libyen, accourt du fond de la Scythie, les appelle en combat singulier, les tue, et, comme monumens de sa victoire, élève les deux célèbres colonnes qui portent son nom. Deux compagnons d’armes d’Hercule, Hispale et Atlante, se succèdent sur le trône d’Espagne. Sicule, fils du dernier, règne à la fois sur ce pays et sur l’Italie, comprime la Sicile et le peuple d’Euskarie. Apres Sicule ; la race de Tarsis ressaisit le pouvoir, jusqu’au moment où Abidès, le grand législateur, renonce volontairement au trône, et organise l’Ibérie en une vaste république fédérative, 1014 ans avant la fondation de Rome. D’Abidès ou de ses contemporains sont descendus tous les ducs ou chefs des républiques fédérées, tous les héros dont s’enorgueillit l’Espagne, et en particulier Pélage et ses compagnons. Ainsi, de nos jours encore, la nation espagnole est gouvernée par une famille euskarienne ou, basque, et la reine Isabelle descend en ligne directe de Tarsis et de Noé[41].

On le voit, jusqu’à ce jour les historiens basques ont écrit sous l’empire de préoccupations qui ne permettent guère d’accepter leurs idées. Ce fait est d’autant plus regrettable, qu’en secouant les préjugés d’un faux orgueil national, leurs recherches auraient certainement conduit à des découvertes curieuses. Au milieu même de leurs exagérations, on peut dégager un résultat important. On trouve dans la langue euskara l’étymologie d’un grand nombre de noms de fleuves, de montagnes, de provinces, de localités où n’existe plus la race basque[42]. Ce fait, accepté par l’illustre Guillaume de Humboldt, qui fit le voyage de Biscaye tout exprès pour en vérifier l’exactitude, confirme au moins une des traditions euskariennes. Depuis Leibnitz, les noms de lieu, qui changent si difficilement, sont considérés avec raison comme un des indices les plus constans qui puissent nous aider à retrouver la trace de populations éteintes ou transportées. En combinant les données fournies par cette étude avec quelques passages des historiens grecs et romains, on est conduit à admettre que la race basque a eu jadis une extension de beaucoup plus considérable qu’aujourd’hui. Il est probable qu’elle occupait une grande portion de l’Italie, les côtes orientales de la Gaule, l’Espagne tout entière, et qu’elle se partageait les îles de la Méditerranée avec les Libyens[43]. C’est aux peuples de cette race que Prichart donné le nom d’Ibères. Ces peuples paraissent avoir atteint, de bonne heure un certain degré de civilisation. Ils connaissaient l’écriture, et leur alphabet, dérivé sans doute de l’alphabet phénicien, ressemblait à celui de quelques anciennes nations italiques.

La science moderne a été moins heureuse quand elle a cherché rattacher les Espagnols primitifs à l’une des grandes familles qui servent à classer les races humaines : Ici, tout est conjecture. Bory Saint-Vincent a fait venir les premiers habitans de l’Espagne de la fabuleuse Atlantide de Platon[44]. M. Petit-Radel les regarde comme sortis du Latium et de l’Étrurie[45] MM. Michelet[46] et de Brotonne[47] voient en eux une race celtique. M. Graslin en fait un rameau celto-scythique[48]. Quelques-uns de ces auteurs distinguent en outre les premiers Ibères des peuples qui parlent euskara, et refusent à ces derniers l’importance que nous leur avons accordée avec les ethnologistes les plus distingués[49]. Deux savans du plus grand mérite ont cherché à rattacher les Euskariens aux Finois[50]. M. Dartey, de son côté, les rapproche des Sémites[51], et cette opinion nous semble la moins improbable. Toutefois, en présence du manque absolu de renseignemens précis, nous confesserons l’impuissance actuelle de la science. Tout en réservant l’avenir, nous verrons avec Prichart, dans les Euskariens, un débris de l’ancienne race ibérique, et dans celle-ci une race aborigène, c’est-à-dire une population qui, antérieurement à nos temps historiques, vivait sur le sol où nous en trouvons encore aujourd’hui les restes.

Quoi qu’il en soit, les Ibères paraissent avoir subi une première perte de territoire, lorsque les Liguriens, partis des bords du fleuve Libys, que l’on croit être la Loire, s’emparèrent des côtes comprises entre le Rhône et l’Italie. Plus tard eut lieu la grande invasion des peuplades celtiques dont les descendans occupent presque tout l’occident de l’Europe. Les Celtes, plus forts, plus guerriers, exterminèrent partout les Euskariens, qui ne trouvèrent d’asile que dans les gorges sauvages des Pyrénées[52]. Là, favorisés par la nature des lieux, aguerris par la nécessité ; les débris de ces nations formèrent plusieurs petites républiques confédérées[53], et luttèrent avec avantage contre des invasions nouvelles. À dater des temps historiques, nous voyons tous les conquérans venir se briser contre les forteresses naturelles que le courage des montagnards rendait imprenables. Carthaginois, Romains, Goths, Francs, Sarrasins, essaient tour à tour de subjuguer les Basques. Ils les battent souvent en bataille rangée, ils ravagent leurs vallées et leurs collines, parfois même ils les soumettent momentanément ; mais cette sujétion n’est jamais que temporaire ou nominale, en ce sens que les Euskariens ne perdent jamais leur nationalité et repoussent obstinément tout ce que leur apporté l’étranger, mœurs et langage. À vrai dire, les populations euskariennes étaient, pour leurs prétendus dominateurs, plutôt des alliés qu’il fallait ménager que de véritables sujets. Toujours prêtes à reconquérir une entière indépendance, on les voit saisir hardiment la première occasion de prendre de sanglantes revanches, et, l’on compte plus d’une localité dont le nom est répété dans le pays basque avec autant d’orgueil que celui de Roncevaux. Toutefois, à mesure que les états voisins de la confédération euskarienne se développaient, ils absorbaient les membres de ce corps qui n’avait jamais été bien homogène[54] ; mais partout nous voyons les souverains accorder à ces nouveaux feudataires des privilèges exceptionnels et les laisser se gouverner selon leurs us et coutumes[55]. Mieux que toutes les autres provinces basques, la Biscaye et le Guipuzcoa ont conservé le langage, les mœurs, les institutions de leurs ancêtres, et il y a certes quelque chose d’étrange à retrouver en plein XIXe siècle, à deux pas de la France, une société du moyen-âge[56].

Les franchises du pays basque, devenues si célèbres sous le nom de fueros, réglaient à la fois les rapports avec la couronne d’Espagne et l’organisation intérieure de chaque province. Sur le premier point, elles étaient à peu près les mêmes pour la Biscaye et le Guipuzcoa Le roi de Castille était seigneur suzerain ; on lui devait foi et hommage ; il prélevait une légère redevance sur quelques maisons et sur le produit des forges. En cas d’envahissement du territoire, la population devait se lever en masse. À ces conditions, les provinces étaient exemptes de tous droits, tailles et impôts ; leur commerce était entièrement libre, et elles n’accordaient en hommes ou en argent que ce qu’elles jugeaient convenable. Le Guipuzcoa, placé à l’extrême frontière, avait sur son territoire quelques places fortes où les rois d’Espagne tenaient garnison. Il recevait en outre un commandant-général, qui habitait d’ordinaire à Saint-Sébastien[57] ; mais cet officier ne pouvait rien par lui-même, et son rôle se bornait à s’entendre avec les alcades sur les questions relatives à la défense du pays. Quant à la Biscaye, un de ses droits les plus essentiels était de n’avoir dans toute l’étendue de son territoire ni troupes ni forteresses royales ; le souverain, lui-même, lorsqu’il entrait dans certaines villes, devait laisser en dehors tous ses hommes d’armes et ne garder autour de lui qu’une faible escorte dont le chiffre était soigneusement spécifié. Le régime intérieur de la Biscaye et du Guipuzcoa différait à certains égards ; mais il y avait ceci de commun, qu’indépendamment des franchises générales chaque ville, chaque village, pour ainsi dire, avait son administration particuliers entièrement indépendante, et souvent ses lois à part, ses privilèges spéciaux. La province était en réalité un état fédératif, composé d’un grand nombre de petites républiques gouvernées par leurs alcades et leurs ayuntamientos[58], et qui toutes avaient leurs représentans dans les états provinciaux, appelés bilzar. À ceux-ci étaient réservés l’administration générale, la fixation des impôts, et surtout le soin de conserver intact le dépôt des fueros.

Pour faire partie de cette assemblée nationale, il suffisait d’être Basque ou plutôt propriétaire. La hiérarchie féodale, telle qu’on la retrouve partout ailleurs en Europe, n’a jamais existé chez les Euskeriens. Il est vrai que tous les Guipuzcoans étaient nobles de naissance et jouissaient en Espagne de tous les droits attachés à cette qualité ; il est vrai que certaines villes de la Biscaye et de l’Alava conféraient les mêmes avantages à leurs habitans ; mais c’étaient là autant de privilèges extérieurs en quelque sorte, et qui n’avaient aucune valeur dans les pays basques. Les titres même les plus élevés, conférés par les rois d’Espagne à certaines familles, n’établissaient en leur faveur aucune distinction réelle parmi leurs concitoyens. En Guipuzcoa, en Biscaye, en Alava ; la constitution ne reconnaissait ni nobles, ni marquis, ni ducs : en revanche, personne n’était roturier. Pour faire partie des assemblées délibérantes, pour prendre part à l’administration, il fallait seulement être etcheco-yauna, c’est-à-dire maître de maison, et cette qualité, attachée à la possession du sol, se transmettait avec lui. Un étranger, quelque infime que fût sa naissance, en achetant la terre, acquérait ce titre, et pouvait prendre ceux de noble, de gentilhomme, de hidalgo, que les Basques ne considéraient que comme des équivalens du premier. L’etcheco-yauna ne jouissait d’ailleurs d’aucun privilège[59]. Toutes les professions étaient regardées comme également dignes d’estime, aucune d’elles n’entraînait l’idée de dérogation. On comprend quelle égalité profonde devait résulter de ces principes entre tous les citoyens. Aussi, à Saint-Sébastien même, lorsque l’ayuntamiento donnait un bal on ne faisait aucune invitation spéciale ; on se contenait d’afficher dans la ville : — Il y a bal ce soir, — et allait danser qui voulait. Aujourd’hui encore il reste de nombreuses traces de ces mœurs patriarcales. Sans doute elles s’effacent à mesure que les Basques se mêlent davantage aux populations oisives ; sans doute ici, comme ailleurs, la vanité des uns, la jalousie des autres, tendent à établir des distinctions sociales de plus en plus tranchées : Cependant, aux réunions de chant, aux soirées dansantes des dimanches et jours de fête, j’ai vu réunis des nobles titrés, des négocians et jusqu’à des personnes qui, chez nous, seraient à peine au-dessus des artisans. Des marquis, des comtes, figuraient à la même contredanse avec des tailleurs ou des marchands quincailliers, et ce rapprochement paraissait tout simple.

Les fueros basques, sérieusement exposés à périr par la guerre de don Carlos, ont échappé à ce danger, grace à la convention de Bergara et à la prudence du gouvernement espagnol. Ils n’ont subi que deux atteintes fort légères en réalité. Les carabineros, qui font le service de la gendarmerie, ont été installés dans les trois provinces, et les douanes ont été portées aux frontières de France[60]. Sous ce rapport même, une exception considérable a été faite en faveur des pays basques. Le sel, le sucre, le tabac, assujettis, pour le reste du royaume, à des droits très élevés, jouissent ici d’une franchise presque entière. Pas plus que par le passé, le roi d’Espagne ne peut lever ni un homme ni un réal sans le consentement exprès des états, et toute tentative pour établir un système quelconque d’impôts ou de conscription serait très probablement suivie d’une insurrection nouvelle. Lorsqu’ils se battaient pour don Carlos aux cris de viva et rey neto ! Biscayens. Alavais et Guipuzcoans entendaient parler du roi absolu de Castille, simple suzerain des Euskaldunac ; leur vrai cri de guerre, celui qui résumait toutes les affections, était : Viva los fueros !

Un peuple dont tout individu doit prendre part à chaque instant aux moindres détails de son administration intérieure possède la véritable vie politique. Quelque grande que soit son activité, il trouvera toujours à l’exercer sans sortir de chez lui et l’exercera sagement. Ce peuple s’occupera beaucoup de ses propres affaires, il songera peu à celles de ses voisins. Prêt à résister à toute agression extérieure, il sera peu enclin à attaquer les étrangers. Si la constitution et les mœurs consacrent en outre parmi tous ses membres l’égalité réelle résultant d’un pareil état de choses, il en résultera un développement à peu près uniforme. Tel est, en effet, le tableau que nous présente l’ensemble de la race euskarienne. Cette race n’a jamais été ni opprimée ni oppressive. Elle n’a pas été conquise, elle n’a pas fait de conquêtes[61]. On ne rencontre pas chez elle le contraste affligeant de l’extrême misère et de la richesse exagérée. Une aisance générale, basée sur la culture du sol, semble avoir début temps régné dans ce pays, qui a dû aussi ses prospérités au commerce maritime. Admirablement propre à toute profession qui exige du courage, de l’adresse et de l’agilité, les Basques ont été long-temps les plus hardis marins de l’univers, et soutiennent encore aujourd’hui leur vieille réputation. Au moyen-âge, ils savaient seuls attaquer et vaincre les baleines, très nombreuses alors dans nos mers. Ce fut sans doute en poursuivant ces cétacés qu’ils laissèrent le long de nos côtes des colonies où l’on retrouve encore, au milieu de populations d’origine très différente, l’incontestable empreinte du type euskarien[62]. Les Basques poussèrent fort loin leurs expéditions de pêche. Ils fréquentèrent de très bonne heure l’Islande et le Groenland, et, à en croire quelques auteurs, ils auraient découvert le banc de Terre-Neuve et le Canada environ cent ans avant que Christophe Colomb abordât en Amérique.

La race euskerienne est extrêmement remarquable par la beauté de son type, dont les principaux caractères ethnographiques sont un crâne arrondi, un front large et développé, un nez droit, une bouche et un menton très finement dessinés, un visage ovale plus étroit dans le bas, de grands yeux noirs, des cheveux et des sourcils noirs, un teint brun et peu coloré, une taille moyenne, mais parfaitement proportionnée, des pieds et des mains petits et bien modelés. Grace à la rareté des croisemens, ce type s’est conservé, surtout dans les montagnes du Guipuzcoa et de la Biscaye, avec une pureté surprenante. Bien des fois j’ai admiré à Saint-Sébastien des réunions fort nombreuses, où, pour une figure peu agréable ; on en comptait vingt ou trente de vraiment magnifiques. Les femmes principalement possèdent à un haut degré les traits caractéristiques de leur race[63]. Leur figure à la fois régulière et animée, leurs grands yeux remplis d’expression leur bouche presque toujours entr’ouverte par un sourire quelque peu moqueur, leurs longs cheveux tombant en tresses jusque sur les jambes ou roulés autour de la tête comme un diadème naturel, frappent tout d’abord l’observateur le moins attentif. Presque toutes ont les épaules et le cou remarquables par la pureté des lignes, et ce trait de beauté, si rare d’ordinaire, donne à la plus humble paysanne quelque chose de gracieux et le noble qu’envierait plus d’une duchesse. Je n’exagère pas, il y a jusque dans les démarches de ces aguadoras en haillons, qui portent sur leur tête de lourds seaux d’eau, l’aisance et presque la majesté de la Diane chasseresse. Les hommes ont peut-être moins de distinction que les femmes dans les traits du visage, mais ils ne leur cèdent en rien sous le rapport de l’élégance des formes, de l’harmonie des mouvemens. La ceinture rouge autour des reins, la veste jetée sur l’épaule gauche comme le dolman d’un hussard, le berret légèrement incliné sur l’oreille, le bâton à la main, les Guipuzcoans semblent toujours prêts à bondir, et, quand ils saluent en gardant la tête haute et le regard fier, on sent une vraie courtoisie dans cet acte parfois teinté ailleurs de servilité. En voyant ces populations où chacun sait garder sa dignité personnelle tout en respectant celle d’autrui, je comprenais les vieilles chartes octroyées par les rois d’Espagne. Les Guipuzcoans, les Basques, sont bien une nation de nobles.

Dès les premiers temps de mois séjour à Guettary, j’avais été frappé de ne voir jamais les deux sexes réunis pour se livrer aux jeux du dimanche. Dans les villages où m’ont conduit depuis mes courses géologiques, j’ai eu souvent l’occasion de faire la même remarque. Presque toujours les hommes jouent à la paume ou aux quilles, les femmes dansent entre elles. Il y a là un contraste frappant avec ce qu’on voit chez les populations celtiques ou germaniques. Les Basques montagnards présentent un trait de mœurs plus caractéristique encore. Quand une femme accouche, le mari se met au lit, prend le nouveau-né avec lui et reçoit ainsi les complimens des voisins[64], tandis que la femme se lève et vaque aux soins du ménage. M. Chaho explique cette singulière coutume par la légende d’Aïtor. Pendant son exil sur la montagne, ce père des Euskaldunac eut un fils, et la mère, craignant pour les jours de cet enfant, si elle restait seule auprès de lui, le laissa sous la garde de son mari pendant qu’elle allait elle-même chercher la nourriture nécessaire à toute la famille. Depuis lors, les Basques ont conservé cette espèce de cérémonie en souvenir de la rude existence de leurs premiers parens. On comprend que nous ne saurions admettre cette explication d’un usage si contraire à nos mœurs, et nous aimons mieux y voir un reste de cette barbarie qu’on trouve chez tant de peuples sauvages, où l’homme, le guerrier, est tout, et la femme rien.

Les caractères moraux et intellectuels de ces populations répondent pleinement à leur extérieur. Une propreté vraiment recherchée et qui frappe surtout chez les Basques français, annonce chez les Euskariens ce respect de soi-même trop souvent oublié par nos paysans et nos ouvriers. Le sentiment de l’indépendance, l’amour de leur pays, sont les deux plus grands mobiles de leur vie. Fiers de leur origine, ils dédaignent tous leurs voisins espagnols ou français ; toutefois les Castillans et les Galiciens sont plus particulièrement l’objet de leur mépris. Entreprenans, actifs, ils quittent facilement leur patrie, mais c’est pour y revenir après avoir fait fortune. Capables de se livrer aux travaux les plus soutenus, ils deviennent promptement d’excellens ouvriers, et cette qualité seule, à une époque industrielle comme la nôtre, assure, dans un avenir peut-être prochain, aux provinces basques espagnoles une prépondérance décisive sur les autres populations de cet état. Doués d’un esprit, vif et pénétrant, ils sont enclins à la plaisanterie, à la moquerie même. L’instinct de la poésie et de la musique, favorisé par une langue où les mêmes consonnances reviennent à chaque instant, est très développé chez eux. Parfois, dans une fête, les habitans de deux villages se livrent à de véritables joutes poétiques. Pendant des journées entières, les improvisateurs des deux camps opposés se défient et se répondent en vers, tantôt parlés, tantôt chantés sur ces airs nationaux qu’on appelle des sorsicos. Le moindre événement devient le thème d’une chanson qui court bientôt le pays, et c’est là une arme redoutable qui sert à faire justice de bien des petits méfaits. Par exemple, tout amant trahi ou trompé chansonne sa maîtresse, et de quelque temps celle-ci ne peut sortir de chez elle sans entendre jusqu’au dernier gamin fredonner ses infidélités. Cette abondance de productions a peut-être son inconvénient. Les nouvelles venues font oublier les anciennes, et, de plusieurs chansons que je me suis fait traduire, une seule m’a présenté des caractères d’antiquité. Il faut aujourd’hui aller jusqu’au centre des montagnes pour trouver quelque vieillard, sachant encore ces vieux chants qui datent de Charlemagne et racontent les antiques traditions des Euskaldunac.

III

Sans cesse entouré de Basques pendant près de huit mois, j’avais peu de peine à recueillir des observations ethnographiques qui s’offraient à moi d’elles-mêmes. Aussi, à Saint-Sébastien comme à Guettary, les rochers et la mer se partageaient mon temps. Spécialement chargé par le Muséum de recueillir les fossiles encore assez peu connus de ces côtes, je recherchais avec ardeur ces débris, véritables documens archéologiques laissés à la science par les créations qui nous précédèrent à la surface du globe. À cet égard, je ne pouvais guère mieux rencontrer, et, dès les premiers jours de mon arrivée, je pus espérer de remplir avec succès la mission qui m’était confiée. En polissant des reconnaissances dans les vallées voisines de Saint-Sébastien, je découvris plusieurs gisemens encore inexplorés. Des végétaux, des animaux rayonnés, des mollusques vinrent s’entasser dans mes caisses, et la baie elle-même me fournit quelques-uns de mes plus curieux échantillons. De ces derniers, il en est un qui mérite une mention spéciale. Sur une pierre récemment détachée des couches calcaires de l’Antigua, je trouvai le moule parfait d’un annelé gigantesque, d’un ver qui devait avoir plusieurs pieds de long sur plus d’un pouce de large. Les parois du corps et de l’intestin, les cloisons membraneuses de l’intérieur se distinguaient nettement sur ce fragment de roche qui prenait à mes yeux toute la valeur qu’une médaille inédite et à fleur de coin peut avoir pour un antiquaire. Malheureusement ce magnifique exemplaire était scellé dans la maçonnerie d’un canal public d’assèchement : je ne pouvais faire ici usage de mon marteau sans une autorisation préalable mais, grace à l’activité de M. Tastu notre consul, les difficultés furent bientôt levées, et l’ingénieur en chef de la province. M. Peroncelli, vint présider en personne à l’enlèvement de la précieuse pierre. Aujourd’hui elle fait partie des collections du Muséum, et chacun peut y reconnaître non-seulement des caractères extérieurs, mais encore des dispositions anatomiques qui prouvent que, bien des milliers de siècles avant l’apparition de l’homme, le type des annelés comptait sur notre globe des représentans fort semblables à ceux d’aujourd’hui[65].

Mes premières courses zoologiques furent assez peu productives. La mer, comme la terre, a son temps de repos, et, arrivé à Saint-Sébastien aux débuts de l’hiver, je pus craindre un moment de ne pas trouver grand sujet d’études. Les roches feuilletées de l’Antigua, les sables et les vases de l’Urumea me montraient de nombreuses traces du séjour d’animaux marins ; mais les tubes, les galeries étaient vides pour la plupart. Leurs habitans avaient émigré vers des régions plus profondes[66]. Déjà je tremblais à la pensée de revenir à vide, lorsque dans un de ces petits golfes que le port des Passages enfonce comme autant de digitations entre les montagnes et les collines, je trouvai des morceaux de bois percés de larges et profondes galeries. Je reconnus l’ouvrage des tarets ; bientôt je découvris les animaux eux-mêmes, et dès-lors je fus pleinement rassuré sur l’avenir de ma campagne ; ce n’était pas trop de deux ou trois mois pour étudier à fond ce singulier et trop célèbre mollusque.

Les tarets sont des mollusques acéphales ; ils appartiennent à la même classe que l’huître, les moules, etc., et pourtant rien de moins semblable au premier coup d’œil. Qu’on se figure une espèce de ver d’un blanc légèrement grisâtre, ayant parfois jusqu’à un pied de long sur six à huit lignes de diamètre, terminé d’un côté par une sorte de tête arrondie, de l’autre par une sorte de queue bifurquée ; tel est l’aspect que présente un taret sorti de son tube et entièrement développé. La tête est formée par deux petites valves assez semblables aux deux moitiés de la coque d’une noisette qu’on aurait profondément échancrées. Elles sont immobiles et ne protégent qu’une faible portion du corps proprement dit. Le foie, les ovaires, sont placés l’un à la suite de l’autre, bien en arrière de ce rudiment de coquille ; les branchies sont rejetées tout-à-fait à la partie postérieure du corps. Le manteau, formant une sorte de fourreau charnu, enveloppe tous ces viscères et se divise ensuite en deux tubes que l’animal allonge ou raccourcit à volonté. L’un de ces tubes sert à introduire l’eau aérée qui va baigner les branchies et porter jusqu’à la bouche les molécules organiques nécessaires à la nutrition de l’animal ; l’autre reporte au dehors cette eau épuisée qui entraîne en passant les résidus de la digestion. Ainsi, dans le taret, les organes, au lieu d’être placés à côté les uns des autres, sont disposés les uns derrière les autres. Ce fait seul entraîne dans leur forme, dans leurs proportions, dans leurs rapports, des modifications profondes. Toutefois cette organisation, fort étrange au premier abord, est au fond celle de tous les acéphales, et l’anatomiste philosophe saura sans peine y retrouver les caractères essentiels du type général.

À voir cette coquille si mince et si fragile, ces tissus demi-transparens, ce corps mou et presque incapable de mouvemens, nul ne soupçonnerait que le taret puisse être à craindre, et pourtant ce mollusque est pour l’homme un ennemi des plus redoutables. Les tarets attaquent tous les bois submergés à peu près comme les larves d’insectes vulgairement appelés vers attaquent les bois exposés à l’air libre. Qu’on se figure ce que deviendraient nos arbres, nos meubles, les poutres et les solives de nos toits rongés par des vers d’un pied de long, et l’on comprendra les ravages exercés par ces mineurs obscurs dont rien ne trahit le travail. En quelques mois, en quelques semaines, des planches épaisses, des madriers de chêne ou de sapin parfaitement intacts en apparence sont quelquefois vermoulus de telle sorte qu’ils n’offrent plus aucune résistance, et cèdent au moindre choc. Aussi a-t-on vu des navires s’ouvrir en pleine mer sous les pieds des marins que rien, n’avait avertis du danger ; aussi dans le commencement du dernier siècle, la moitié de la Hollande faillit-elle périr sous les flots ; parce que les pilotis de toutes ses grandes digues s’étaient rompus à la fois, minés par les tarets. Pour prévenir à coup sûr le renouvellement de pareils désastres, on n’a encore trouvé qu’un seul moyen, c’est de revêtir les constructions en bois sous-marines d’une véritable cuirasse de métal. Le doublage en cuivre des vaisseaux a principalement pour but de les protéger contre l’atteinte des tarets[67]. Malheureusement ce procédé est inapplicable dans les magasins de bois submergés, et chaque année les chantiers publics ou privés paient à ces mollusques destructeurs un tribut considérable. De nos jours cependant, la science tient à la disposition de l’industrie des ressources inconnues à nos pères, et il est, je crois, très facile de détruire les tarets dans un espace déterminé, par conséquent de mettre les chantiers complètement à l’abri de leurs attaques. Comme presque toutes les applications, celle-ci touche à quelques-uns des points les plus délicats de la zoologie, elle se rattache à l’étude de ces fécondations artificielles dont j’ai déjà parlé dans cette Revue[68], et quelques détails deviennent ici nécessaires.

Parvenus à l’état adulte, les tarets vivent seulement dans leurs galeries, et celles-ci, tapissées d’une couche calcaire que sécrète l’animal, ne communiquent jamais entre elles. Cette circonstance avait dû faire ranger les tarets parmi les animaux privilégiés qui sont à la fois mâles et femelles. En effet, cette opinion a été généralement admise. Elle n’est pourtant pas fondée. Ici comme dans bien d’autres cas, la nature a résolu le problème à l’inverse de nos prévisions. Malgré leur vie de cénobite, les tarets ont les sexes séparés. À une époque variable, selon les espèces[69], les femelles émettent leurs oeufs, et ceux-ci s’arrêtent dans les replis de l’organe respiratoire. C’est dans ce singulier nid que les petits naissent et vivent pendant quelque temps sous une forme bien différente de celle qu’ils auront un jour. Au moment de subir leur dernière métamorphose, ces jeunes tarets quittent la branchie de leur mère, vont se fixer sur le premier morceau de bois venu, commencent leurs galeries, et à partir de ce moment, ils sont à l’abri de toute attaque. Il faut donc les détruire avant cette époque, ou, ce qui est à la fois plus sûr et plus économique, il faut les empêcher de naître. Pour atteindre ce but, il suffit de dissoudre dans l’eau que respirent les mères une quantité infiniment petite d’un sel de mercure de plomb ou de cuivre.

En effet, on sait que l’oeuf, ou élément femelle fourni par la mère, a besoin, pour se développer, d’être fécondé, c’est-à-dire d’être mis en contact avec un élément particulier venant du mâle. Chef tous les animaux étudiés jusqu’à ce jour, cet élément fécondateur, examiné au microscope, s’est montré composé de la même manière. Dans un liquide parfaitement transparent, on voit se mouvoir de petits corps très singuliers, ayant comme une tête plus ou moins arrondie et une longue queue qui leur sert à nager avec beaucoup de rapidité. Soumis à l’action de divers agens, ces corpuscules se conduisent comme les infusoires. On les emprisonne avec les substances vénéneuses : on les foudroie avec l’étincelle électrique. Séduits par ces expériences, les premiers observateurs virent en eux de véritables animaux, et, à raison de leur petitesse, les appelèrent du nom d’animalcules associe ; et un adjectif qui indiquait, leur origine[70]. Des recherches plus approfondies nous ont donné aujourd’hui des idées plus justes sur leur véritable nature. Ces petits corps sont produits par des organes spéciaux tout comme les simples granulations si abondantes dans les liquides des êtres vivans. Ce sont en quelque sorte des organes, mais des organes chargés de remplir leurs fonctions hors des individus dont ils émanent, et qui reçoivent dans ce but une certaine part de vitalité qui leur permet de vivre et de se mouvoir pendant quelque temps à peu près comme le fait la queue d’un lézard séparée du tronc. Ces corpuscules sont les instrumens immédiats de la fécondation ; c’est à eux, et à eux seuls qu’est confié l’accomplissement de l’acte qui assure la conservation de presque toutes les espèces animales. Arrêter leurs mouvemens par un moyen quelconque, les tuer, c’est enlever au liquide qui les renferme toute sa mystérieuse puissance. Or, chez les tarets ; les mâles émettent au hasard leur liquidé fécondateur ; les animalcules disséminés dans la masse d’eau environnante sont entraînés par les courans, et toujours quelques-uns d’entre eux, pénétrant dans les branchies des femelles, y rencontrent les oeufs et les vivifient par leur contact. Tuer ces animalcules avant qu’ils aient atteint les neufs, c’est empêcher à coup sûr le développement de ceux-ci. Eh bien ! par des expériences répétées, je me suis assuré que un vingt millionième de dissolution mercurielle versé dans l’eau où s’agitent par myriades des animalcules de taret suffit pour les rendre tous immobiles en deux heures de temps. Un deux millionième de dissolution produit le même effet en quarante minutes, et cette eau, qui auparavant jouissait à un très haut degré du pouvoir fécondateur, en est ainsi entièrement dépouillée. Sans préserver la même énergie, les sels de cuivre et de plomb ont la même propriété. Pour préserver les bois de nos chantiers matins, il n’y a donc qu’à les placer dans des bassins où l’on jettera de temps en temps quelques poignées de ces diverses substances. Toute fécondation sera ainsi arrêtée, et les oeufs périront sans se développer. La suppression des pertes annuelles occasionnées par les tarets couvrira bien vite et au-delà les premiers frais d’installation[71].

Les hermelles de Guettary, les tarets de Saint-Sébastien, se prêtaient admirablement à l’emploi des fécondations artificielles. Pour avoir une couvée de trente à quarante mille oeufs, il me suffisait d’ouvrir un mâle et quatre à cinq femelles et de les vider dans un vase plein d’eau de mer. Cet accouchement forcé ne nuisait nullement au succès de l’expérience. En quelques instans, le mystère était accompli, le travail vital commençait, et, au bout de quinze à dix-huit heures, chaque oeuf était devenu une larve agile qui nageait en tous sens. Armé du microscope, j’ai suivi bien souvent la succession des phénomènes qui amenaient ce merveilleux résultat ; et, tandis que mon œil épiait les moindres modifications appréciables, tandis que ma main ébauchait ou terminait les dessins destinés à les reproduire, je sentais et presser dans mon esprit toutes les grandes questions de philosophie naturelle que soulève l’embryogénie. Tracer ici le tableau complet des problèmes posés ou résolus par cette étude serait et trop difficile et trop long. Arrêtons-nous à ceux qui surgissent tout d’abord devant les premiers rudimens d’une organisation qui commence. Demandons-nous d’où vient le germe du nouvel être, quelle loi générale préside à son développement, quel est le rôle probable des deux élémens qui, presque toujours, interviennent pour assurer la perpétuité des espèces, et bardons-nous bien dans cette recherche de séparer les plantes des animaux ; car, dans les deux règnes, la matière brute, mise en œuvre par la vie, s’élève jusqu’à l’organisation sous l’empire des mêmes lois.

Tout titre vivant vient d’un oeuf. — omne vivum ex ovo, — a dit je ne sais lequel de nos prédécesseurs. S’il fallait entendre par ce mot quelque chose de toujours identique et plus ou moins semblable à l’oeuf de poule, la fausseté de cet aphorisme serait évidente. Le végétal se multiplie par graines, par bourgeons, par bulbilles, par boutures… ; les animaux nous présentent des faits tout pareils. Prenez une de ces hydres d’eau douce si communes dans nos étangs, coupez-la par morceaux, et, au bout de quelques jours, chaque fragment sera redevenu une hydre complète. Observez-la dans un vase où vous aurez jeté pour la nourrir des larves d’insecte ou des naïs, et vous la verrez tantôt pondre des neufs recouverts d’une coque solide, tantôt pousser des boutons qui grandissent, s’organisent de plus en plus et deviennent bientôt une petite hydre pourvue de tous ses organes. D’abord adhérente à la mère et en communication directe avec elle, cette nouvelle venue vit tout-à-fait en parasite ; elle est comme un rameau trop jeune qui tire toute sa nourriture du tronc. Au bout de quelques jours, quand la bouche est ouverte, quand les bras se sont allongés, la petite hydre fait la chasse de son côté et contribue à l’entretien général : c’est le rameau dont les feuilles plus développées puisent dans l’atmosphère leur part de principes nutritifs. Celui-ci, il est vrai, ne quitte jamais la tige qui lui donne naissance ; l’hydre, au contraire, devenue assez forte, se sépare du corps qui l’a nourrie, et mène à son tour une vie entièrement indépendante.

Entre la graine proprement dite qui reproduit le végétal et le bourgeon qui se développe en rameau, on trouve chez certaines plantes une espèce d’intermédiaire : c’est le bulbille. Celui-ci ressemble au bourgeon ordinaire par sa composition ; mais, comme la graine, il peut se détacher du végétal, se développer isolément et donner naissance à un nouvel individu. Eh bien ! les animaux nous montrent de même des corps reproducteurs qui tiennent à la fois du bouton par leur structure, de l’oeuf par leurs fonctions. Examinez avec mois ces synhydres, espèce de polypes que j’ai trouvée le long de nos côtes de la Manche. Sur quelque vieille coquille abandonnée, vous voyez, s’étendre une couche assez mince de substance charnue, hérissée de petits mamelons et soutenue par un lascis de matière cornée : c’est le polypier, véritable corps commun auquel tient toute la colonie. Les animaux, fort semblables aux hydres d’eau douce, ont un corps allongé, terminé par une bouche qu’entourent six ou bruit tentacules mobiles, remplissant les fonctions de bras et de mains. Des canaux étroits, formant un réseau, vont d’un individu l’autre, et mettent en communication toutes les cavités digestives, de telle sorte que la nourriture prise par chaque polype profite directement à la communauté entière. Cet étrange animal se multiplie de trois manières différentes. Du polypier charnu, dont nous avons parlé, s’élèvent des bourgeons quI croissent et s’organisent à la façon de ceux de l’hydre, mais sans abandonner jamais le lieu de leur naissance ; dans l’épaisseur du même polypier se développent des oeufs proprement dits ; enfin, un certain nombre d’individus sont chargés d’engendrer de véritables bulbilles, et, comme si c’était assez pour eux que de remplir cette fonction, ils n’ont ni bras ni bouche, et sont nourris par leurs voisins. Les bourgeons ovoïdes qui naissent sur leur corps se détachent à certaines époques et sont entraînés par les courans. Beaucoup périssent sans doute, mais ceux qui rencontrent un lieu favorable se fixent, s’allongent, et, en quelques jours, donnent naissance à un polype, qui, d’abord isolé, devient à son tour la souche d’une nouvelle colonie.

On le voit, entre la graine et le bourgeon végétal, entre l’oeuf et le bourgeon animal, la différence n’est pas aussi profonde qu’on pourrait le croire d’abord. Dans les deux règnes, le bulbille sert d’intermédiaire. Pour désigner ces divers corps reproducteurs, employons donc un terme plus général, et nous pourrons les définir d’une manière plus précise. Le bourgeon est un germe qui, pour se développer a besoin d’adhérer au parent, lequel ne mérite ici, en réalité, ni le nom de mâle ni celui de femelle ; le bulbille est un germe qui se détache du parent et se développe sans fécondation ; l’oeuf est un germe qui, pour se développer, exige le concours des deux sexes et se détache du parent[72]. Tout être vivant, provient d’un germe existant avant lui telle est la véritable traduction qu’il faut donner de la phrase latine citée plus haut.

Rappeler ici tout ce qui a été dit sur l’origine, la nature, le mode de développement de ces germes, serait chose impossible. L’absurde et l’incompréhensible se rencontrent à chaque instant dans la plupart de ces rêveries, dont le plus petit nombre méritent à peine le nom d’hypothèse ou de système. Pour donner une idée générale des conceptions de l’esprit humain sur ce point, nous ramènerons à trois doctrines fondamentales ce qu’ont écrit les hommes les plus justement célèbres, ceux qui ont au moins cherché à mettre d’accord leurs théories et la science du temps. Nous distinguerons la doctrine de l’évolution, celle de l’accolement, celle de l’épigénèse.

D’après le système de l’évolution, les germes sont aussi anciens que le monde lui-même ; en d’autres termes, Dieu, en formant l’univers, a créé à la fois tous les êtres organisés qui devaient le peupler jusqu’à la fin des temps. Chacun de ces germes est en raccourci, soit une plante complète avec ses racines, son tronc, ses branches, ses feuilles, soit un animal parfait, auquel il ne manque rien, pas même un poil ou une plume. Placée dans des conditions favorables, cette espèce de miniature animée grandit, il est vrai ; jamais elle n’ajoute la moindre partie nouvelle à celles qu’elle possède depuis la création du monde. Jusque-là les évolutionistes sont à peu près unanimes, mais l’accord disparaît quand il s’agit d’expliquer la répartition actuelle de ces germes. Les uns, comme Bonnet, le célèbre naturaliste genevois, veulent que les germes infiniment petits et indestructibles de leur nature soient répandus partout. Ils les voient circuler dans la sève des arbres, dans le sang des animaux, prêts à se développer en tout ou en partie, soit pour donner naissance à un embryon, soit pour reproduire quelque organe perdu par l’être vivant qui les renferme. Le jeune oiseau, le petit mammifère, sont des germes qui subissent une évolution complète ; la patte d’écrevisse qui repousse après avoir été arrachée, la tête ou la queue d’un lombric qui se reproduisent après avoir été tranchées, sont la patte, la tête, la queue d’autant de germes qui profitent de l’occasion pour développer une portion de leur être, tandis que le reste demeure à l’état rudimentaire. D’autres évolutionistes, et parmi eux nous plaçons avec regret le grand Haller et Cuvier lui-même, admettent que les germes ne se trouvent que dans certains organes. Or, comme un germe ne peut renfermer ses descendans que dans l’organe où il était lui-même contenu par ses ascendans, il résulte de cette première donnée que les germes de toutes les générations passées, présentes et futures ont été et sont encore contenus les uns dans les autres par emboîtement. Dans cette hypothèse, un animal est une espèce de boîte d’escamoteur, et, quand un individu nouveau vient à naître, c’est tout simplement qu’un des doubles fonds de la boîte a été enlevé. Pour réfuter de semblables idées, il suffit aujourd’hui de les énoncer.

La doctrine de Buffon, celle que nous appellerons doctrine de l’accolement, n’est guère plus rationnelle. D’après cet illustre naturaliste, il existe dans la nature une matière primitive commune aux animaux et aux végétaux. Cette matière est composée de particules organiques vivantes, incorruptibles et toujours actives. Ces particules universellement répandues servent à la nutrition et l’accroissement ; le surplus de ce qui est nécessaire pour atteindre ce résultat est envoyé de toutes les parties du corps dans certains organes spécialement destinés à servir de magasin. Quand ces molécules sont déposées dans un lieu convenable, il se fait une sorte de triage. Toutes celles qui viennent soit du pied, soit de la main, s’attirent réciproquement et s’agrégent en conservant l’ordre qu’elles occupaient auparavant. Par conséquent, elles reproduisent en petit le moule intérieur dont elles faisaient partie. On voit que dans cette hypothèse le nouvel être ne peut se former qu’à l’aide de matériaux fournis immédiatement par chacun des organes du parent, et que par conséquent un père et une mère manchots ne pourraient pas avoir d’enfans possédant leurs deux bras. Cette objection que le bon sens indique n’a pas empêché les idées de Buffon d’être adoptées ou reproduites de nos jours encore avec quelques modifications par deux hommes éminens. Oken, entre autres, le patriarche des philosophes de la nature, admet un mucilage primitif[73] fort semblable. à la matière primitive du naturaliste français, et assigne aux infusoires un rôle à peu près identique à celui des molécules organiques. Pour lui, tous les êtres vivans ne sont que des agrégats de monades enchaînées les unes aux autres par un archétype qui donne ou imprime la forme, et si celles-ci semblent naître dans les infusions animales ou végétales, c’est qu’elles sont remises en liberté.

Dans la doctrine de l’épigénèse, presque universellement admise aujourd’hui, les premiers rudimens de l’être vivant se forment de toutes pièces, et l’organisme se complète par des additions successives. Hippocrate, ce génie si juste et si droit, a déjà résumé clairement cet ensemble d’idées ; lorsque, parlant de la formation de l’homme, il compare le foetus à un arbre, et les membres ou les viscères à des branches, à des rameaux qui viennent successivement s’ajouter à la tige. Dans cette doctrine, chaque naissance est en quelque, sorte une création, chaque individu nouveau est vraiment un produit de l’individu qui l’engendre. Mais lequel des deux du père ou de la mère est le véritable parent ? Le vulgaire a-t-il raison de croire que le poulet a son origine dans le sein de la poule, la datte dans la fleur du dattier femelle[74] ? Bon nombre de naturalistes, égarés par l’esprit de système ou par des observations imparfaites, ont répondu : Non. À les en croire, le mâle est seul chargé de la préparation du germe Le futur embryon, c’est un animalcule ou un grain de pollen qui pénètre dans l’ovule, soit animal, soit végétal, et qui se développe dans cette espèce de nid. Pour eux, la femelle est entièrement passive, et n’est pour ainsi dire qu’une espèce de serre-chaude ou une machine à couver plus parfaite, il est vrai, que le four des Égyptiens ou nos couveuses de fer-blanc[75].

Des observations plus précises, des méthodes plus sévères, ont fait justice de ces dernières erreurs. Après avoir trop long-temps cherché à suppléer par l’imagination à ce que leur refusait la science, après avoir voulu expliquer ce qu’on n’explique pas, les embrogénistes en reviennent, de nos jours, à l’expérience seule. Eh bien ! celle-ci nous apprend que dans les deux règnes l’épigénèse, ou formation successive, est la grande loi qui préside non-seulement au développement, mais encore à l’organisation même des germes. Bourgeons, bulbilles, oeufs ou graines, tous ces corps reproducteurs naissent d’un individu déjà existant, qui les fabrique de sa propre substance, sous l’influence de la vie et par suite de phénomènes de nutrition et de sécrétion semblables à ceux d’où résultent tous les autres produits de l’organisme. D’abord imparfaits, ces germes se complètent successivement, et ne deviennent aptes à remplir leurs importantes fonctions qu’après être parvenus à maturité. Les uns, comme nous l’avons dit plus haut, possèdent en eux-mêmes toute l’activité vitale nécessaire à leur développement : il n’y a alors, à proprement parler, ni père ni mère ; d’autres, au contraire, ont besoin de l’intervention d’un agent spécial, et alors seulement apparaît la distinction des sexes qui, tous deux, concourent activement à la reproduction de leur espèce. Dans la plante comme dans l’animal, la femelle sécrète un germe qui devra être féconde ; le mâle produit un liquide fécondateur. Du contact de ces deux élémens résulte l’apparition d’un nouvel être. Quel est donc le rôle qui revient à chacun d’eux dans l’accomplissement de cet acte ?

Animal ou végétal, le bourgeon est vivant, puisqu’il n’est qu’une partie de la mère. Animal ou végétal, le bulbille est vivant, puisque, séparé de la mère, il croit et se développe. La graine, l’oeuf fécondé, sont également vivans, quoique l’un et l’autre puissent présenter, pendant un laps de temps plus ou moins considérable, les apparences d’une matière inerte. L’oeuf que vous conservez pour les besoins du ménage est-il mort ? Non ; car, placé sous la poule couveuse, il donnera naissance à un poulet. Les céréales trouvées dans les tombeaux de Thèbes par les savans de l’expédition d’Égypte étaient-elles mortes ? Non ; car, jetées en terre, elles ont germé et reproduit leurs parens disparus depuis trente ou quarante siècles. Dans les deux cas, la vie était à l’état latent : elle attendait, pour se manifester, un concours de circonstances favorables. Comme celle des individus adultes, la vie des germes a ses bornes, qui parient selon les espèces. Trop long-temps conservé, l’oeuf entre en décomposition, et certaines semences perdent assez promptement la faculté de germer. Mais cette vie de l’élément femelle lui appartient-elle en propre ? L’oeuf non fécondé est-il déjà organisé et vivant, ou bien l’élément mâle a-t-il agi comme le flambeau de Prométhée ? a t-il vraiment vivifié une matière jusque-là morte ? Ce qui se passe chez les femelles nous permet de résoudre cette curieuse question au moins pour les animaux.

Au sortir du corps de la mère, l’oeuf de ces annélides se compose, comme tout oeuf complet, de quatre parties distinctes, savoir : d’un jaune ou vitellus, d’une vésicule germinative ou vésicule de Purkinje, placée dans l’intérieur du jaune ; d’une tache germinative ou tache de Wagner renfermée dans la vésicule ; enfin d’une membrane très fine qui enveloppe le tout[76]. La tache et la vésicule sont deux petits globules transparens. Le jaune est formé de granulations opaques très fines réunies par une gangue parfaitement diaphane. Plongez un de ces oeufs dans l’eau de mer où nagent quelques animalcules fécondateurs, et, après quelques instans d’immersion, vous le verrez devenir le siége d’un travail que l’on suit aisément au microscope. Une force mystérieuse semble pétrir en tous sens ses élémens pour les mélanger l’un à l’autre. Le jaune éprouve des mouvemens alternatifs de contraction et d’expansion ; la tache, la vésicule, disparaissent successivement ; un globule transparent s’échappe du milieu du vitellus, et alors commence le singulier phénomène découvert par MM. Prévost et Dumas[77]. Un sillon circulaire se creuse autour du vitellus, qui se partage spontanément, d’abord en deux, puis en quatre, et va se subdivisant ainsi successivement jusqu’à n’être plus composé que de très petits globules. À mesure que ce fractionnement avance, les granulations opaques du vitellus diminuent, puis disparaissent. La masse entière prend l’aspect des jeunes tissus. À cette époque, on ne tarde pas à voir s’élever quelques petits filamens, d’abord immobiles, qui bientôt s’agitent et frappent le liquide à coups saccadés. Ces filamens se multiplient de plus en plus. Alors la jeune hermelle, après s’être balancée quelque temps comme pour essayer ses organes naissans, quitte tout à coup le plan solide qui la portait et s’élance dans le liquide sous la forme d’une petite larve irrégulièrement sphérique, entièrement hérissée de cils vibratiles.

Tels sont en résumé les phénomènes que présente l’œuf fécondé des hermelles. En douze, quinze heures au plus, cet oeuf est transformé en un animal qui nage, s’arrête et se dirige en donnant des signes évidens de spontanéité. Le même oeuf, abandonné dans le liquide et sans contact avec l’élément fécondateur, se décompose au bout d’environ quarante à cinquante heures ; mais qu’on ne croie pas qu’il reste inactif pour cela. Le travail caractéristique des premières phases du développement se manifeste chez lui aussi bien que dans l’oeuf fécondé. Le jaune se dilate et se contracte ; la tache, la vésicule, disparaissent ; le vitellus se fractionne et s’éclaircit. Pendant les premières heures, il est presque impossible de distinguer l’un de l’autre un oeuf fécondé et celui qui ne l’est pas. Chez ce dernier cependant, les mouvemens sont de plus en plus rapides, de moins en moins réguliers, et, au lieu d’aboutir à l’organisation d’un nouvel être, ils ont pour résultat la destruction du germe, mais prenez quelques-uns de ces oeufs déjà avancés et qu’on croirait prêts à se dissoudre, mettez-les en contact avec des animalcules fécondans ; bientôt les mouvemens se ralentiront, se régulariseront, et des neufs de trente-neuf heures vous donneront parfois de nombreux essaims de larves. Ces faits, que j’ai bien des fois vérifiés, me paraissent aussi décisifs que possible. Ils nous apprennent que les mouvemens dont l’oeuf devient le siège immédiatement après la ponte sont entièrement indépendans de la fécondation. La disparition de la tache et de la vésicule germinatrice, les oscillations du jaune et son fractionnement sont, dans l’élément femelle isolé, autant de signes d’une activité propre, d’une vie qui lui appartient. Quand ces mouvemens s’arrêtent, quand l’oeuf se décompose, c’est qu’il vient de mourir.

Ainsi les animalcules fécondateurs, en s’isolant du père, emportent avec eux une certaine somme de vitalité. De même, en se séparant de la mère, les oeufs possèdent une vie propre et individuelle. Chez les neufs, même non fécondés, cette vie se manifeste par des mouvemens spontanés et caractéristiques, tout comme on l’observe allez les animalcules. Chez ces derniers, la vie s’épuise constamment au bout d’un temps assez court il en est exactement de même pour les oeufs non fécondés. Dans les œufs fécondés, au contraire, les mouvemens vitaux se prolongent et aboutissent à l’organisation complète d’un être vivant. Le contact des animalcules a donc pour but non pas de donner ou de réveiller une vie qui existe déjà dans l’oeuf et qui se manifeste par des phénomènes appréciables, mais bien de régulariser l’exercice de cette force et d’en assurer ainsi la durée[78].

Sous l’influence de la fécondation, l’œuf de la hermelle, celui du taret, se changent en animal, et cela de toutes pièces. Leur masse entière se transforme en tissu ; leur membrane extérieure devient la peau du nouvel être. Certes, il y a là métamorphose dans le sens le plus rigoureux de ce mot, et comme des phénomènes plus ou moins semblables à ceux dont nous venons d’esquisser le tableau, se passent chez toutes les espèces ovipares et vivipares ; comme les bourgeons et les bulbilles nous présenteraient des faits analogues, il en résulte que cette expression proscrite par les évolutionistes devrait au contraire être généralisée et appliquée au développement de tous les êtres vivans. L’embryogénie pourrait, à proprement parler, être définie la science des métamorphoses. Ce dernier mot prendrait ici un sens général et désignerait la succession des faits épigénétiques qui font du germe un végétal ou un animal parfait. Toutefois on ne l’a guère appliqué jusqu’ici qu’à des modifications très apparentes subies par certains animaux après leur sortie de l’oeuf, et nous nous conformerons à l’usage. Même dans cette acception restreinte, les métamorphoses sont un fait beaucoup plus commun qu’on ne l’avait cru. Long-temps on les a regardées comme caractérisant pour ainsi dire la classe des insectes et le groupe des reptiles batraciens[79]. Aujourd’hui, on les retrouve chez un grand nombre d’annelés, chez la plupart des mollusques ; on les découvrira peut-être chez tous les rayonnés, et, à mesure que ce phénomène remarquable apparaît dans des types plus ombreux et plus variés, il se montre de plus en plus sous des jours tout nouveaux. Par exemple, on croyait que les métamorphoses avaient toujours pour but d’élever l’organisme à un état plus parfait. Il en est ainsi pour le tétard devenu grenouille, pour la chenille changée en papillon ; mais souvent le résultat est précisément inverse. Par le fait même de la métamorphose, l’organisme se dégrade, et l’animal adulte n’a plus que des facultés inférieures à sa larve. Ici le papillon semble devenir chrysalide[80].

Voyons ce qui se passe chez le taret. La larve, d’abord à peu près sphérique et entièrement couverte de cils vibratiles, ressemble à un très petit hérisson dont chaque épine serait un organe de natation. Elle nage en tous sens avec une agilité extrême, et ce premier état dure environ un jour et demi. Vers cette époque, la peau extérieure se fend, s’encroûte de sels calcaires, et devient une coquille d’abord ovale ; puis triangulaire, et enfin à peu près sphérique. Pendant la formation de la coquille, les cils vibratiles ont disparu ; mais le petit animal n’est pas pour cela condamné à l’inaction. À mesure que les cils extérieurs diminuent, on voit apparaître et se développer un bourrelet également cilié qui s’élargit et s’étend de manière à figurer une grande collerette garnie de franges. Ce nouvel organe de locomotion peut se cacher en entier dans la coquille ou bien se déployer au dehors, et agir alors à peu près comme une roue de bateau à vapeur. Grace à cet appareil, la jeune larve continue à nager avec autant de facilité que dans son premier âge ; mais elle a acquis, en outre, un organe qui lui sert à marcher sur un plan résistant, à s’élever, par exemple, le long des parois d’un vase de verre. C’est une sorte de pied charnu assez semblable à une longue langue très mobile qui s’allonge et se raccourcit à volonté. La larve du taret possède, en outre, des organes auditifs pareils à ceux de plusieurs autres mollusques, et des yeux analogues à ceux de certaines annélides. Pendant cette période de son existence, notre mollusque jouit donc à un haut degré des facultés caractéristiques de l’être animal ; il se meut, et il est en relation avec le monde extérieur par des appareils spéciaux. Eh bien ! vienne une dernière métamorphose, ce même taret va perdre ses organes de mouvemens et de sensations, et devenir une espèce de masse inerte où la vie végétative remplace presque entièrement la spontanéité active de l’animal.

Si je ne suis pas resté trop au-dessous de ma tâche, le lecteur, même le plus étranger aux sciences zoologiques, doit comprendre à présent l’attrait qui s’attache à ces recherches d’embryogénie. La naissance et le développement d’un germe, les métamorphoses de l’être qui lui doit l’existence, sont un des spectacles les plus propres à captiver quiconque sait penser et sentir. À eux seuls, les faits bruts ont souvent un intérêt immense par les questions qu’ils soulèvent ou qu’ils résolvent ; mais, au-delà des modifications de la forme, des transformations de la matière, il est impossible de ne pas reconnaître quelque chose de supérieur. Partout, dans ces phénomènes, la vie apparaît comme une force distincte agissant dans un but spécial que ne sauraient atteindre les autres agens, faisant naître les germes, les façonnant chacun selon son espèce, et, toujours une dans son essence, mais infinie dans ses manifestations, jetant sur la matière inorganique et morte le riche manteau de la création organisée. Cette force, nous la reconnaissons à ses effets ; nous ne saurons sans doute jamais sa nature. Là est certainement le plus profond des mystères de ce monde ; au-delà de cette cause première il n’y a plus que la cause des causes, il n’y a plus que Dieu.

  1. Voyez la livraison du 15 janvier dernier.
  2. La balle ou entrepôt des vins a 134,000 mètres carrés en superficie. Saint-Sébastien ne compte que 110,000 ou 112,000 mètres carrés en surface. Ainsi la différence est au moins de 20,000 mètres carrés.
  3. Nom basque de Saint-Sébastien.
  4. La plupart des détails relatifs à l’incendie et au sac de Saint-Sébastien m’ont été racontés par des témoins oculaires. Cependant je n’avancerai rien ici qui ne soit justifié par deux publications officielles que j’ai pu consulter à loisir L’une est un manifeste rédigé par l’autorité municipale et les notables de Saint-Sébastien ; il renferme l’exposé des faits qui se sont passés le 31 août 1813 et jours suivans, et le récit que je mets sous les yeux du lecteur n’est qu’un extrait de ce manifeste. L’autre est un recueil de pièces justificatives contenant la correspondance des mêmes autorités avec Wellington, duc de Ciudad-Rodrigo, général en chef de l’armée alliée, et avec la régence du royaume d’Espagne. Ces deux documens sont aujourd’hui extrêmement rares. Pendant la guerre de don Carlos, les officiers de la légion étrangère, venue à Saint-Sébastien à titre d’auxiliaire, en ont recherché avec le plus grand soin tous les exemplaires pour les emporter ou les détruire. Voici les titres de ces deux publications :
    Manifesto que et ayuntamiento constitucional, cabildo eclesiastico, illustre consulado y vecinos de la Ciudad de San-Sebastian presentan a la nacion sobre la conducta de las tropas Britanicas y. Portugesas en dicha plaza el 31 de agosto de 1813 y dias sucesivas. -. Anno 1814. — En Tolosa : por D. Francisco de la Lama, impressor de esta M. N. y M. L. Provincia de Guipuzcoa y su Junta diputacion.
    Primer Suplemento al manifesto publicado el 16 de enero ultimo por et ayuntamiento constitucional, corporationes y vecinos de San-Sebastian - Anno 1814. — En Tolosa : por D. Francisco de la Lama, impressor de la M. N. y M. L. Provincia de Guipuzcoa y su diputacion.
  5. « … Y non hubo despues fuego alguno en el cuerpo de la ciudad hasta la tardeada del 31 de agosto despues que entraron los aliados. » (Manifesto…) Le manifeste revient à diverses reprises sur cette circonstance très importante en ce qu’elle est en contradiction formelle avec les assertions du duc de Ciudad-Rodrigo, reproduites par tous les journaux du temps et généralement acceptées comme l’expression de la vérité.
  6. « Triumfa la buena causa, siendo dueños los aliados de toda la ciudad para la dos y media de la tarde. » (Manifesto.) Le dernier coup de canon fut tiré près de l’église de Sainte-Marie par un sergent d’artillerie nommé Lafitte, qui vit encore à Saint-Sébastien.
  7. « Los pamuelos que se tremolaban a las ventanas y balcones al propio tiempo que se asomaban las gentes a solemnizar el triumfo, eran claras muestras del afecto con que se recibia a los aliados : pero insensibles estos a tan tiernas y decididas demostraciones, conrresponden con fusilazos a las mismas ventanas y balcones de donde les felicitaban y en que perecieron muchos victimas de la efusion de su amor a la patria » (Manifesto.)
  8. « Pero autos de llegar a ella y averiguar en donde se hallaba el general, fue insultado y amenazado con el sable por et capitan Ingles de la guardia de la puerta uno de los alcades. »
  9. « Una desgraciada joven ve a su madre muerta violentamente y sobre aquel amado cadaver sufre los lubricos insultos de una vestida fiera en figura humana. Otra desgraciada muchacha cujos lastimosos gritos se sitieron en la esquiva de la calle de San-Geronimo, fue vida quando rayo el dia, rodeada de soldados, muerta, atada a una barrica, enteramente desnuda, ensangrentada, y con una bayoneta atraversada por cieta parte del cuerpo que el pudor no permite nombrar. » (Manifesto.)
  10. « Qual podria ser este suerte quando… y quando ardio la ciudad habiendola pegado fuego los aliados por la casa de Soto en la calle mayor… Quando olras casas fueron inceudiadas igualmente por los mismos. »
    « … Pues hubo quienes despues de haver incendiado a las tres de la madrugada de primero de septiembre una casa de la calle mayor, baylaron a la luz de las llamas. » (Manifesto.)
  11. « Quando se creyo concluida la expoliacion parecio demasiado lento el progreso de las llamas y ademas de los medios ordinarios para pegar fuego que antes practicaron los aliados, hicieron uso de unos mixtos que se habian visto preparar en la calle de Narrica en unas cazuelas y calderas grandes, desde las quales se vaciaban en unos cartuchos largos. De estos se valian para incendiar las casas con una prontitud asombrosa » (Manifesto.)
  12. Environ 27,500,000 francs.
  13. Au milieu du butin, mis en quelque sorte à l’encan, on remarqua les vases sacré de l’église de Sainte-Marie et le saint ciboire de l’église de Saint-Vincent, rempli d’hosties consacrées.
  14. « Rapacidad que… y que a los 24 dias despues del asalto se exercia en materias poco apreciables. »
    « No solo saqueaban las tropes que entraron por asalto, no solo las que sen fusiles vinieron del campamento de Astigarraga distante une lega, sino que los empleados en las brigades acadian con sus mulos a cargar los de efectos, y aun tripulaciones de transportes ingleses, surtos en el puerto de Pasages, tuvieron parte en la rapiñe, durando este desorden varios dias despues del asalto sin que se hubiese visto ninguna Providencia para impedirlo, ni para contener a los soldados… lo que al paracer comprueva que estos excesos les autorizaban los gefes, siendo tambien de notarse que los efectos robados o saqueados dentro de la ciudad y a las abanzadas, se vendian poniendolas de manifesto a publico a la vista et inmediaciones del mismo quartel general del exercito sitiador por Ingleses y Portugeses. » (Manifesto.)
  15. « … Y en fin la muerte, causada por la hambre y la desnudez, de la tercera parte de los que pudieron salvarse de entre las manos de las fieras Anglo-Lusitanas. » (Suplemento, pièce n° 10.)
  16. Suplemento, pièce n° 10.
  17. Environ 40 francs.
  18. « El bien general exigia que la plaza fuese atacada y tomada, y en los esfuerzos que al efecto se hicieron se pego fuego à la ciudad, resultando los males y desgracias que V. SS. indican. » (Suplemento, pièce n° 3.)
  19. « Et curso de las operaciones de la guerra hizo necesario et que la expresada plaza fuese atacada para hechar et enemigo del territorio español ; y fue para mi un asunto del mayor sentimiento et ver que el enemigo la destruyo por su antajo. » (Suplemento, pièce no 6.)
  20. Après le dernier coup de canon dont nous avons parlé plus haut, il n’y eut plus aucun acte d’hostilité entre les Français et les alliés. Le général Rey avait compris que toute résistance était inutile, et il obtint peu de jours après une capitulation honorable.
  21. « … Y el fuego que por primera vez se descubrio hacia et anochecer muchas horas despues que los Franceses se habian retirado al Castillo… Entre tante se iva propagando et incendie, y aunque los Franceses no disparaban ni un solo tiro desde el Castillo, no se cuitto de atajar lo. » (Manifesto.)
    « Muy lastimosa es sin duda la desgracia de unos pueblo tan benemeritos (Numancia, Sagunto)… Pero la infeliz ciudad de San-Sebastian destruida por la inhumanidad de nuestros aliados mismos, sumergida por su insensibilidad en un cahos de calamitades, insultada por elles en su honor, precisada a luchar contra su obstinacion en negar les bechos mas notorios, que consuelo puede esperar para et alivio de tan graves males ? »
    « El ayuntamiento faltaria a su deber si en tan triste situacion diffriese et suplicar a V. À se digne comunicar al congreso nacional et resultado de las informaciones judiciales recibidas en esta ciudad, Pasages, Renteria, Tolosa y Zarauz sobre les funestos, acontecimientos del dia del asalto y sucesivos. » (Suplemento, pièce n° 10.)
  22. « Pues no impedio que la tropa se entregase al saqueo mas completo y a las mas horrorosas atrocitades, al proprio tiempo que se via no solo dar quartel, sine tambien recibir con demostraciones de benevolencia a les Franceses cogidos con las armas en las manos. » (Manifesto) Le manifeste revient souvent sur cette circonstance avec un sentiment d’amertume assez facile à expliquer.
  23. La compagnie des Philippines avait son siége dans Saint-Sébastien même ; la compagnie de Caracas avait le sien au port des Passages, à une petite lieue de Saint-Sébastien.
  24. Au nombre des établissemens les plus regrettables que les Anglais détruisirent soit par eux-mêmes, soit par leurs agens, il faut placer le jardin botanique créé pur le prince de la Paix aux environs de Séville. On y avait réuni avec succès plusieurs végétaux utiles des pays chauds, entre autres ceux qui fournissent la cannelle, le cacao, la cochenille, l’indigo, etc. Le but du fondateur était de propager ces disertes cultures dans le midi de l’Espagne. (Histoire de la Vie de Ferdinand VII ; Madrid, 1842.)
  25. L’ethnologie, science assez récente pour que son nom ne soit pas connu de tous nos lecteurs, est cette branche de nos connaissances qui s’occupe des caractères, de l’origine et de la répartition actuelle des diverses races humaines.
  26. Ce mot est formé par contraction de Eskua-alde-dunac, et signifie peuple qui a la main favorable ou adroite. (Histoire des Cantabres ou des premiers colons de toute l’Europe, avec celle des Basques, leurs descendans directs, par l’abbé d’Hiarce de Bidassouet ; Paris, 1825).
  27. Langue de main, science du geste.
  28. Philosophie des religions comparées, par Augustin Chaho, Paris, 1848.
  29. Artagoia, Arbassoa, noms donnés à Aïtor. (Philosophie des religions comparées.)
  30. Ou par contraction Jainkoa, le Seigneur d’en haut. (Augustin Chaho, l’abbé d’Hiarce.)
  31. Augustin Chaho. Nous laissons à cet écrivain, à l’abbé d’Hiarce et aux auteurs basques qui les ont précédés dans cette voie, toute la responsabilité de ces assertions sur l’ancien spiritualisme des Euskariens. M. d’Avezac, dont l’opinion doit être ici d’un grand poids, regarde toutes ces prétendues traditions comme autant d’inventions modernes. Cependant il nous a paru intéressant de faire connaître ce que la science indigène ou les égaremens d’un patriotisme exagéré ont inspiré de plus récent aux Basques sur leur propre race.
  32. Histoire des Cantabres ou des premiers coloras de toute l’Europe, avec celles des Basques, leurs descendans directs, par l’abbé d’Hiarce de Bidassouet ; Paris, 1826.
  33. De l’Ibérie, ou Essai critique sur l’origine des premières populations de l’Espagne, par L.-F. Graslin, ancien consul de France à Santander.
  34. Nous retrouvons chez les auteurs basques les plus récens les deux opinions qu’ont soutenues les écrivains espagnols. Ainsi l’Abbé d’Hiarce regarde Tarsis comme le fondateur de la première colonie ibérienne, tandis que Larramendi, suivi en cela par M. Chaho, fait remonter son origine jusqu’à Thubal.
  35. L’abbé d’Hiarce.
  36. D’après don Pablo de Astarloa, la langue basque possède plus de quatre milliards de mots d’une, de deux, ou de trois syllabes, non compris ceux qui en ont un plus grand nombre et ceux qui résultent de la combinaison de ces divers radicaux. (Apologia de la lengua bascongada : Madrid, 1803.) Ajoutons qu’il existe en basque des mots qui ont jusqu’à seize syllabes.
  37. Conclusions des treize théorèmes grammaticaux que l’abbé d’Hiarce croit avoir démontrés. Déjà don Pablo de Astarloa avait soutenu les mêmes prétentions dans l’ouvrage que nous venons de citer.
  38. L’abbé d’Hiarce.
  39. L’abbé d’Hiarce, Histoire des Cantabres. Don Juan Bautista de Erro y Aspiros, Alfabeto primitivo de la lengua primitiva de España. Madrid, 1806, et El Mundo primitivo, Madrid, 1815.
  40. Philosophie des religions comparées, par Augustin Chaho.
  41. L’abbé d’Hiarce rattache la généalogie de Pélage à un certain Lopez Ier, qui, aurait vécu du temps d’Auguste. Il va sans dire qu’il manque à notre auteur bien des intermédiaires soit avant, soit après cette époque, mais il n’en formule pas moins ses conclusions avec la plus entière assurance. Au reste, l’opinion de M. d’Avezac, que nous avons rapportée plus haut, s’applique à ces prétendues traditions historiques aussi bien qu’à ce qu’on nous raconte des anciennes légendes religieuses. Les Basques n’ont presque rien écrit. Le plus ancien monument national de leur histoire parait être une espèce de ballade où il est fait allusion aux guerres contre les Romains, et dont G. de Humboldt a imprimé quelques couplets. Un autre chant sur la bataille de Roncevaux a été publié en 1834. (D’Avezac, Encyclopédie nouvelle, article Basques.)
  42. Larramendi, Astarloa, de Erro, l’abbé d’Hiarce… Ces auteurs ont cependant donné à leurs systèmes étymologiques une extension exagérée. Ils ont voulu, par exemple, que les noms de Suède, de Norwége, de Danemark, ainsi que ceux d’Hélicon, de Chypre, de Délos, etc., fussent des noms primitivement basques. Ils ont étendu la même prétention aux noms de Lutèce, de Versailles, d’Orléans et d’Arras, etc. La conclusion naturelle de toutes ces étymologies forcées est toujours que les Basques sont la race primitive, et que l’Europe entière a été peuplée par eux.
  43. Les Libyens sont les ancêtres des Berbères modernes, et formaient un rameau de la grande race sémitique ou syro-arabe. Ils occupaient la côte septentrionale de l’Afrique, depuis l’Égypte jusqu’au détroit de Gibraltar, et toute la portion occidentale du continent africain connu des Romains et des Grecs. (Prichart, Histoire naturelle de l’homme, traduit par le docteur Roulin ; Paris, 1843.)
  44. Essai géologique sur le genre humain ; Paris.
  45. Mémoire sur les anciennes villes d’Espagne ; Paris, 1837.
  46. Histoire de France.
  47. Histoire de la filiation et de la migration des peuples ; Paris, 1837.
  48. De l’Ibérie, conclusions.
  49. Abel de Rémusat, G. de Humboldt, A de Humboldt, Prichart, etc.
  50. MM. Arndt (Uber die Verwandschaft der europeischen Sprachen ; 1810) et Rask (Uber das Alter und AEchteil der Zend-Sprache ; 1826). La race finoise, venue de l’Asie, parait, d’après les travaux de ces savans, confirmés par les recherches ostéographiques de M. Retzius, avoir occupé une grande partie de l’Europe antérieurement à l’invasion celtique. C’est d’elle, entre autres, que descendent les Magyars, dont l’origine a été si long-temps un problème, qui, eux aussi, ont eu la prétention de descendre en ligne droite des premiers patriarches et de parler la langue d’Adam. Les traditions du Nord nous représentent les premiers Finois comme des hommes très grands, à peau blanche, à cheveux rouges et à yeux bleus. On retrouve toujours des traces plus ou moins profondes de ces caractères physiques chez les peuples sortis de cette souche, et nous verrons plus loin combien ce type est éloigné du type basque.
  51. Recherches sur l’origine des peuples du Nord. M. Vivien de Saint-Martin qui a bien voulu me communiquer ses notes sur les travaux de Arndt, de Rask et de Dartey, regarde l’opinion de ce dernier comme insoutenable historiquement, mais comme probable, si l’on se place au point de vue des caractères physiques. Tel est aussi notre avis.
  52. D’après M. Chaho, les péans, tartaro, dont il est question dans les contes populaires, ne seraient autre chose que les Celtes.
  53. Les principales tribus euskariennes étaient, à l’époque des guerres puniques, les Cantabres et les Vascons. Ces derniers ont donné plus tard leur nom à l’ensemble de ces provinces et aux populations elles-mêmes. Les Basques actuels sont les descendans immédiats de la race vascone.
  54. Le Garazi, habité par les Basques navarrais, fut réuni au royaume de ce nom en 906 par Sanche-le-Grand. L’Alava reconnut volontairement la souveraineté d’Alphonse XI, roi de Castille, en 1330. Trois années après, ce souverain reçut aux mêmes conditions la soumission du Guipuzcoa et de la Biscaye. La Terme de Labourt, ou pays basque français, resta long-temps à l’état de lande sauvage et inculte. Il fut acheté en 1106 par les Basques guipuzcoans, qui, pour 3,306 florins d’or, obtinrent de Guittard, vicomte de Labourt et de Marennes, le droit de le défricher et d’en jouir en toute franchise. Depuis cette époque, le Labourt partagea toutes les vicissitudes de cette portion du territoire, et fut définitivement réuni à la France par Charles VII en 1451. (Histoire des Cantabres.)
  55. En France même, les Labourtains étaient exempts de toute taxe, taille et impôt, moyennant une subvention annuelle de 353 livres 10 sols et l’entretien d’un corps de milice de mille hommes, destinés à la garde des frontières. Pendant les guerres de Louis XIV, le Labourt s’imposa volontairement un subside ale 22,600 livres, mais en faisant toutes réserves pour ses privilèges, qui furent respectés jusqu’à l’époque de la révolution.
  56. On sait combien étaient minutieuses les précautions prises par les Basques pour assurer le maintient de leurs franchises contre les envahissemens de la couronne. En Biscaye, le seigneur de Biscaye, -car les fueros ne donnent pris d’autre titre au roi de Castille, devait venir en personne jurer de les maintenir. Il prêtait quatre sermons solennels : le premier aux portes de Bilbao, devant l’assemblée générale ; le second à San-Méteria Celedon de Larravezua devant le clergé en habits pontificaux, et portant le corps consacré de Notre-Seigneur ; le troisième sous le fameux chêne de Guernica, où se tenaient les juntes de Biscaye ; le quatrième, enfin, sur l’autel de sainte Euphémie, dans la ville de Bermeo. Faute d’avoir rempli ces formalités un an après est avoir reçu sommation, le roi de Castille perdait tout droit aux redevances de la province, et l’on n’était plus tenu d’obéir à ses injonctions.
  57. Cette circonstance a fait regarder Saint-Sébastien comme la capitale du Guipuzcoa ; mais cette expression est loin d’être exacte, car, dans cette province, le siége du bilzar ou assemblée générale annuelle et de la junte gouvernementale change tous les ans. Il n’y a donc pas de capitale proprement dite.
  58. La Biscaye comptait cent dix infanzonades ou petites républiques ayant droit d’envoyer des délégués à l’assemblée générale. Le Guipuzcoa était moins divisé. (Aperçus sur la Biscaye, les Asturies et la Galice, par le comte Louis de Marillac ; Paris, 1807.)
  59. Histoire des Cantabres. Cette égalité générale ne subissait qu’une seule exception. Quelques maisons dites infanzomes donnaient à leur propriétaire une place distinguée dans certaines églises, et le droit de carillonnement en cas de décès ; mais il est à remarquer que ces maisons, conservées avec beaucoup de soin et d’orgueil dans les mêmes familles, sont presque toutes restées entre les mains de simples cultivateurs, qu’on appelle en France de simples paysans.
  60. Depuis que la ligne de douanes a été transportée des bords de l’Èbre aux Pyrénées, il s’est manifesté dans le pays basque espagnol, et surtout en Guipuzcoa, un mouvement bien fait pour nous intéresser. La France joue ici un rôle qu’on est généralement peu porté à lui attribuer : celui d’initiatrice en matière de négoce et d’industrie. Les maisons de Bayonne se sont transportées à Saint-Sébastien. Par leur activité, elles ont révolutionné complètement, au grand avantage des consommateurs, le commerce des denrées coloniales, en multipliant leurs opérations, en ne faisant sur chacune d’elles que le tiers ou le quart du bénéfice accoutumé. L’industrie manufacturière, trouvant dans la population même des ouvriers nombreux, actifs et intelligens, s’est développée avec une rapidité remarquable, et là encore c’est la France seule, pour ainsi dire, qui a donné l’impulsion et la direction. On en jugera par le tableau suivant, dressé d’après des notés que m’a fournies un des membres les plus distingués de cette colonie française sur la nature et l’origine des principales manufactures établies de 1842 à 1847.
    Nom de la ville Nature des industries Origines des capitaux Direction Observations
    Tolosa Fabrique de papiers Espagnols et Français Française Cette manufacture est très considérable, puisqu’elle peut produire par jour jusqu’à 1,070 kilogr. De papier de toute qualité. Tous les contre-maîtres et principaux ouvriers sont Français.
    Id Fabrique de draps Espagnols et Français Française C’est peut-être un des plus beaux établissemens de ce genre. La laine entre brute dans les usines et en sort convertie en étoffes remarquables par leurs qualités
    Id Fonderie de fer Français Française
    Irun Fabrique de papiers Français Française
    Id. Filature de cotons et de laines Français et Espagnols Française
    Id. Fabrique de bonneterie Français et Espagnols Française Il est à remarquer que les Anglais ne sont pour rien dans ce mouvement industriel, et que partout, pour ainsi dire, les ouvriers contre-maîtres, ces véritables initiateurs de l’industrie pratique, sont exclusivement Français.
    Hernani Fabrique de bougies et d’allumettes chimiques Français Française
    Renteria Fabrique de fil de lin Français Française
    Saint-Sébastien Fabrique de papiers peints Français Française
    Passages Corderie pour les navires Espagnols et Français Française
  61. La domination de quelques chefs basques au-delà de leurs frontières n’a jamais été que passagère ; toutes les fois que cette race a cherché à s’étendre, elle a été refoulée.
  62. Les habitans de quelques îles de la Bretagne, ceux de quelques ports de la Normandie, doivent peut-être les caractères qui les distinguent à un mélange de l’élément euskarien avec l’élément celtique. Ce fait me semble probable pour l’île de Bréhat ; il me parait incontestable pour Grandville. Les femmes de ce port de mer rappellent tout-à-fait les Basquaises par l’ensemble de la physionomie, par la beauté et le caractère spécial du visage et surtout par la forme gracieuse de la ligne qui s’étend de la tête jusqu’au bas des épaules. Ce dernier trait me semble vraiment caractéristique. M. Vivien de Saint-Martin a fait des observations analogues sur la population des pêcheurs de Boulogne ; il pense même que l’élément ethnologique à cheveux noirs qui s’est mêlé à l’élément celtique blond sur plusieurs points occidentaux de l’Europe pourrait bien être en entier d’origine euskarienne.
  63. C’est là du reste un fait général bien connu de tous les ethnologistes. Les caractères essentiels d’une race se retrouvent presque toujours avec un cachet plus prononcé et surtout avec plus de constance chez la femme que chez l’homme.
  64. Cet usage étrange existe dans quelques peuplades de l’Afrique et chez quelques sauvages de l’Amérique. Il parait avoir aussi existé chez les Tibari, peuples scytiques qui habitaient les bords du Pont-Euxin : On le retrouvait autrefois, d’après Diodore de Sicile, dans l’île de Corse. (Graslin, de l’Ibérie.) Y a-t-il là l’indice d’une origine commune perdue dans la nuit des temps ?
  65. Les annelés tubicoles à tubes solides, comme les serpules, ont laissé un grand nombre de fossiles ; mais il n’en est pas de même des annelés, dont le corps est nu et mou comme celui des annélides errantes, des némertes… On comprend qu’il a fallu des circonstances toutes particulières pour que la vase durcie par l’action des siècles conservât leur moule ou leur empreinte. Aussi les fossiles de cette nature ont-ils un grand intérêt. D’ailleurs aucun de ceux qu’on connaissait ne fournissait, je crois, de renseignemens sur l’organisation anatomique des annelés de ces antiques mers. À cet égard, l’échantillon que j’ai rapporté de Saint Sébastien est peut-être unique. Malheureusement la roche en est fragile et friable, et le voyage a quelque peu altéré des détails qui se noyaient auparavant avec la plus entière netteté.
  66. Ces migrations des animaux inférieurs sont encore fort peu connues. À diverses reprises, j’ai pu reconnaître qu’elles étaient aussi rapides et aussi générales que celles des animaux plus élevés dans l’échelle des êtres. C’est ainsi qu’à la fin d’octobre, sur les côtes de Normandie, on ne trouve quelquefois pas un seul oursin là où huit jours avant on les rencontrait par milliers. J’ai fait l’année dernière encore une observation toute semblable sur une des plus curieuses annélides de nos côtes. On voit que ces rayonnés, ces annelés, montrent ici autant d’instinct que nos passereaux de montagne, qui, à l’approche de l’hiver, abandonnent les hauteurs pour les plaines et les vallées.
  67. D’après quelques expériences faites en Angleterre, les bois qui ont long-temps macéré dans une dissolution de sublimé corrosif ne sont plus perforés par les tarets ; mais ce procédé de conservation est beaucoup trop dispendieux pour être appliqué en grand. On pourrait cependant, ce nous semble, employer des planches minces rendues aussi inattaquables pour le doublage au moins des petits caboteurs qui fréquentent les ports infectés par ces mollusques. Il y aurait certainement économie à les substituer au cuivre.
  68. livraison du 1er janvier 1849, article intitulé Animaux utiles, — le Hareng.
  69. On a cru long-temps, et quelques naturalistes semblent croire encore que nos mers ne possèdent qu’une seule espèce de taret. C’est là une erreur bien évidente. Aux Passages, je trouvai deux espèces parfaitement distinctes. La ponte de l’une était terminée vers la fin d’octobre, et je ne trouvais dans ses branchies que des larves déjà mobiles. L’autre doit pondre au printemps, car pendant tout l’hiver j’ai trouvé des neufs dans les femelles et du liquide fécondateur dans les mâles.
  70. Bien que cette expression d’animalcules soit inexacte, nous continuerons à l’employer pour éviter de nous servir d’un mot par trop technique.
  71. Ces premiers frais, se bornant à l’établissement d’un mur d’enceinte, seraient évidemment peu considérables. On comprend d’ailleurs que je ne puis entrer ici dans les détails pratiques. Si dans l’application en grand tout se passait comme dans mes expériences, une livre de sublimé ou deux livres d’acétate de plomb suffiraient pour détruire tous les animalcules contenus dans 20,000 mètres cubes d’eau ; mais il est probable que cette proportion devait être augmentée.
  72. On sait aujourd’hui que les animaux vivipares proviennent d’un oeuf aussi bien que les animaux ovipares. La seule différence existant entre ces deux modes de développement consiste en ce que, dans le premier cas, l’œuf détaché de l’ovaire se développe dans l’intérieur de la mère. L’homme lui-même n’échappe pas à cette loi.
  73. Traduction littérale du mot Urschleim.
  74. Rappelons ici que, chez les dattiers comme chez bien d’autres plantes, les sexes sont séparés, et que pour féconder les individus femelles on secoue sur leurs fleurs des bouquets de fleurs mâles.
  75. On sait que les oeufs d’oiseaux peuvent être couvés artificiellement, et que les Égyptiens employaient des fours construits d’une manière particulière pour faire éclore à la fois un grand nombre de poulets.
  76. On sait que dans les oeufs d’oiseau, par exemple, le blanc ou albumen et la coque ne sont que des parties accessoires.
  77. Le fractionnement du vitellus découvert par ces physiologistes dans l’oeuf des grenouilles a été depuis retrouvé chez tous les animaux qu’on a étudiés dans des conditions favorables.
  78. Plusieurs naturalistes avaient entrevu les mouvemens que présentent les oeufs non fécondés ; mais, préoccupés de l’idée que l’élément mâle était nécessaire pour vivifier le germe, ils avaient regardé ces mouvemens comme dus à un commencement de putréfaction. C’est surtout à cette croyance que répond l’expérience que pou vous citée plus haut. Il est évident que des oeufs déjà atteints jusque dans leur composition chimique n’auraient pu se réorganiser pour donner naissance à des larves. Au reste, depuis que j’ai fait connaître ces recherches, les résultats en ont été confirmés par divers observateurs.
  79. Grenouilles, salamandres… Ces animaux sont les seuls appartenant au type des vertébrés qui présentent de véritables métamorphoses.
  80. M. Edwards a proposé de désigner par l’expression de types récurrens ces animaux, chez lesquels les progrès mêmes du développement ont pour résultat l’abaissement organique de l’individu.