Sermon XXXII. David et Goliath ou : la confiance en Dieu.
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ANALYSE. – On venait de lire plusieurs passages remarquables de l’Écriture. Saint Augustin s’arrête au psaume 143, qui célèbre la victoire de David sur Goliath. Or l’idée principale que le grand Docteur développera dans cet important discours, l’idée mère à laquelle il rattachera toutes les autres, peut se nommer la confiance en Dieu. De Dieu seul et de sa grâce nous devons attendre la force d’accomplir les divins commandements : de Dieu seul et de sa bonté nous devons espérer le vrai bonheur. – I. De Dieu seul et de sa grâce nous devons attendre la force nécessaire pour accomplir les divins commandements – En effet, 1° n’est-ce pas en Dieu seul que se confiait David quand il marchait contre son terrible ennemi ? 2° Que signifient les cinq pierres qu’il amasse dans le torrent pour les mettre dans la panetière où il recueille le lait, sinon les cinq livres de la loi ou plutôt la loi elle-même que l’ancien peuplé a violée, foulée aux pieds, et que le peuple nouveau supporte, pratique avec bonheur, parce que le bon Pasteur l’a toute pénétrée de sa grâce ? 3° Cette nécessité de la grâce, et conséquemment, de la confiance en Dieu, ne nous est-elle pas révélée encore dans ce que dit le psaume médité par nous, de l’impuissance et de la corruption de notre nature ? – II. De Dieu seul et de sa bonté nous devons attendre encore le vrai bonheur : car, ce bonheur n’est pas dans les biens de la terre. En effet, 1° ces biens sont plutôt des instruments de péché, et le démon ne, nous fait commettre le mal qu’en excitant en nous le désir de les posséder ou la crainte de les perdre. 2° Dieu souvent les refuse à ses serviteurs, parce qu’il prévoit qu’ils leur seraient nuisibles. 3° Ils importent si peu au bonheur, que quelquefois les méchants en sont comblés outre mesure. Aussi le bonheur n’est qu’en Dieu ; et nous devions nous attacher à Dieu pour lui-même.
1. Lorsqu’on lisait les saintes Écritures, notre Dieu et Seigneur, pour panser et guérir les plaies de l’âme, nous y a présenté, comme dans des trésors divins, des remèdes en grand nombre notre ministère doit maintenant les appliquer à nos blessures comme aux vôtres. Serviteurs employés par le grand Médecin à guérir autrui, nous ne prétendons pas n’avoir pas besoin de guérison nous-mêmes ; et si nous nous attachons à lui, si de tout notre cœur nous nous abandonnons d son traitement, tous nous serons guéris. On a lu aujourd’hui beaucoup de passages de haute importance et de nécessité première. Il est vrai, tout se ressemble dans l’Écriture : il y a cependant des vérités qui s’y cachent plus profondément pour exercer ceux qui les recherchent ; il en est d’autres qui sont pour ainsi dire sous la main et à découvert afin de servir de remèdes à ceux qui les désirent. Le psaume que nous allons étudier contient de profonds mystères, et si nous voulions les examiner tous en particulier, nous n’y suffirions pas, je le crains. Notre faiblesse rencontrerait des obstacles, soit dans les chaleurs de la saison, soit dans le défaut de forces corporelles, soit dans la lenteur de l’intelligence, soit même dans notre incapacité, car nous sommes au-dessous de cette tâche. Nous choisirons donc quelques traits seulement, comme il nous semble convenable pour accomplir notre devoir et nous conformer à l’intention de votre charité.
2. Voici d’abord le titre du psaume :« À Goliath. » Il en est parmi nous qui ne sont point étrangers à l’Écriture, qui aiment à fréquenter cette divine École, qui n’en haïssent point le maître comme des enfants désespérés, qui dans l’Église prêtent une oreille attentive à la voix des Lecteurs, qui ouvrent leur cœur pour y recevoir les flots de la parole sainte, qui ne s’occupent pas dans ce sanctuaire de soins domestiques, qui ne s’y amusent pas des bruits qui courent, qui n’y viennent pas pour s’entretenir de niaiseries plutôt que pour entendre en commun des vérités salutaires, qui ne se plaisent pas à parler des affaires d’autrui quand ils sont au-dessous de leurs propres affaires ; il en est donc quine viennent pas ici dans ces dispositions et qui y viennent assidûment, ceux-là connaissent le titre du psaume, ils savent qui était ce Goliath. Toutefois, comme il en est d’autres qui maintenant attentifs ne le sont pas toujours autant, ou qui peut-être étouffent habituellement dans leurs cœurs, sous les épines, c’est-à-dire sous les soucis du siècle, la féconde semence de la parole, rappelons ce qui est si ancien et si connu des esprits appliqués à l’étude des lettres sacrées.
3. Goliath était l’un des Philistins, c’est-à-dire des étrangers qui guerroyaient alors contre les enfants d’Israël. Et David, l’auteur de ces Psaumes, ou plutôt l’instrument dont s’est servi l’Esprit-Saint pour nous les donner, était au même temps un enfant tout jeune, ayant à peine touché l’adolescence, et occupé à paître les brebis de son père. Ses frères plus âgés que lui étaient sous les drapeaux et servaient dans l’armée du Roi. Envoyé par ses parents, il leur apporta des provisions ; et s’il se trouvait alors dans le camp, ce n’était pas comme soldat, c’était comme frère et serviteur de quelques soldats. Or Goliath, dont il est ici question, était d’une taille gigantesque, couvert d’une forte armure, d’une vigueur exercée, plein de jactance, et dans son orgueil il provoquait à un combat singulier le peuple ennemi. Il demandait qu’un homme choisi dans les rangs des Israélites s’avançât contre lui, que la décision de la guerre fût confiée, sous les yeux de tous, aux mains des deux combattants, à la condition expresse que la victoire serait attribuée au parti de celui d’entre eux qui aurait vaincu. Le Roi du peuple juif ou des enfants d’Israël était alors Saül. Embarrassé, inquiet, il cherchait dans toute son armée un homme qui pût répondre à Goliath : nul n’en était capable – ni sons le rapport de la taille, ni sous le rapport de l’audace. Quand donc il était livré à ces soucis, le jeune David osa se présenter pour marcher contre le géant : ce saint jeune homme ne mettait point sa confiance dans ses propres forces, mais dans le nom de son Dieu. Frappé de cette religieuse assurance plutôt que de la hardiesse de l’enfant, on parla au Roi de son dessein. Le prince ne refusa pas son consentement : il voyait dans l’intrépidité de cet enfant quelque chose de divin et il comprit qu’à un âge si tendre il était impossible de concevoir untel projet sans une divine inspiration. Il accueillit donc David avec joie et celui-ci s’avança contre Goliath.
4. Dans le parti de David on n’avait confiance qu’en Dieu ; tout l’espoir du parti contraire reposait sur la force d’un seul homme. Mais qu’est-ce que l’homme ? N’est-il pas vrai, comme David même l’a chanté dans ce psaume, qu’ « il est semblable au néant et que ses jours passent comme l’ombre ? »
Ainsi l’espérance des ennemis était vaine, puisqu’elle ne reposait que sur une ombre qui passe. On arma David ; on voulait qu’inférieur en âge et en force à son adversaire, il fut sous ce rapport en quelque sorte son égal. Mais ces armes destinées à l’âge mûr ne lui allaient pas, elles étaient plutôt un poids pour son jeune âge. C’est à quoi se rapporte le sens de ce que nous avons lu dans l’Apôtre avant de chanter le psaume : « Dépouillez-vous du vieil homme et revêtez-vous de l’homme nouveau[2]. » David ne voulut point de cette vieille armure, il la rejeta, il dit qu’elle était trop lourde, car elle l’embarrassait et il voulait aller tout dégagé au combat, appuyé non sur lui-même mais sur le Seigneur, et plutôt armé de la foi que de l’épée.
5. Néanmoins après avoir déposé son armure, il choisit un autre moyen de combattre et ce ne fut pas sans mystère. Ne voyez-vous pas qu’il y a ici comme deux vies en conflit, la vie ancienne parmi les Philistins, la vie nouvelle parmi les Israélites ; d’un côté l’armée du diable, de l’autre la figure de Jésus-Christ Notre-Seigneur ? David prit, donc cinq pierres dans le torrent, dans le fleuve ; il les mit dans la panetière où on recueille le lait. Ainsi équipé il s’avança[3]. Les cinq pierres représentaient la loi contenue dans les cinq livres de Moïse. Or il y a dans la loi dix préceptes salutaires auxquels se rapportent tous les autres. Ainsi la loi est figurée par deux nombres, le nombre cinq et le nombre dix : David a combattu avec l’un, et il a chanté l’autre quand il a dit : « Je le chanterai sur le psaltérion à dix cordes. » Il ne lança point les cinq pierres, il n’en prit qu’une. Si le nombre des cinq pierres désigne le nombre des livres, la pierre lancée rappelle l’union de tous ceux qui accomplissent la loi ; car c’est l’unité même, c’est-à-dire la charité qui en pratique tous les commandements. Les cinq pierres ont de plus été tirées du fleuve. Que signifiait alors le fleuve ?
6. Il est des objets qui dans l’Écriture n’ont pas toujours la même signification. Votre sainteté doit le savoir pour comprendre d’autres règles d’interprétation et pour écouter utilement le Lecteur. Non, les passages allégoriques des Livres saints ne doivent pas toujours s’expliquer de la même manière. Montagne, pierre, lion ne désignent pas toujours le Seigneur ; ces mots ne sont pas pris toujours dans une bonne, ni toujours dans une mauvaise acception : il faut avoir égard aux autres circonstances du texte sacré. Dans tant de milliers de mots et de discours les mêmes lettres se reproduisent sans augmenter en nombre ; les paroles sont infinies, les lettres sont loin de l’être ; personne ne saurait compter les paroles, chacun peut compter les lettres qui les forment. Placée diversement, une lettre à sa valeur, mais cette valeur n’est pas toujours la même. Quels êtres plus opposés que Dieu et diable ? Néanmoins en tête de chacun de ces deux noms est la lettre D. N’a-t-elle pas ici des valeurs différentes ? Ne serait-ce pas se tromper, être par trop absurde, avoir l’esprit enfermé dans le cœur d’un enfant ; que de n’oser, par respect pour Dieu, placer cette lettre D dans le nom du diable, parce qu’elle fait partie du mot Dieu ? Tel serait, pour ne pas quitter l’exemple choisi par nous, l’ignorant interprète des Écritures : qui après avoir entendu le mot fleuve pris allégoriquement dans ce passage : « Le cours du fleuve réjouit la cité de Dieu[4] », où il signifie l’abondance des dons du Saint-Esprit, dont il est dit ailleurs : « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison ; vous les abreuverez au torrent de vos délices ;[5] » aurait peur ensuite de lui donner une acception différente, et qui après l’avoir employé dans un bon sens qu’il a approuvé et dont il a été ravi, craindrait pour ce motif de consentir à voir désignés par le même mot les hommes inconstants, attachés aux choses temporelles et qui passent avec l’amour de tous ces biens fugitifs. Cette peur et cette inquiétude le rendraient aussi muet en face des Écritures, que le serait en face des lettres le niais qui refuserait de les faire entrer dans d’autres mots que ceux où d’abord on les lui a montrées.
7. Si votre sainteté a saisi m’a pensée, elle vous sera, je crois, fort utile et vous aidera beaucoup, non-seulement à entendre nos commentaires, mais encore à comprendre les Écritures que nous vous expliquons actuellement. Donc le fleuve où David prit les cinq pierres n’était pas pris alors dans un bon sens. Quelques-uns peuvent s’imaginer, je le sais, que ce mot était employé dans une acception favorable ; que l’on pourrait y voir le baptême, et que les pierres tirées du fleuve, c’est-à-dire les hommes baptisés ont une grande puissance contre le démon, désigné par Goliath. Mais le nombre cinq : autorise notre interprétation, et, comme nous l’avons dit, il désigne les cinq livres de Moïse et par conséquent la loi. Pourquoi ces pierres ont-elles été tirées du fleuve et mises dans la panetière du berger ? Nous avons déjà observé qu’à l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ et pour triompher réellement du diable, la Loi ancienne est devenue la loi de grâce. Or qui représente mieux la grâce que la richesse du lait ? Ces pierres ont été prises dans le fleuve. Le fleuve signifiait un peuple inconstant, attaché aux choses temporelles, affectionné à ce qui passe et entraîné par la force de la passion, dans la mer du monde. Tel était le peuple Juif. Il avait reçu la loi, mais il la foulait aux pieds, il passait dessus comme le fleuve coulait sur ces pierres et se précipitait à la mer. Ces pierres n’avaient pu servir de digue au fleuve ni l’arrêter dans son cours. Autrement elles désigneraient le frein de la loi et rappelleraient ces âmes qui entraînées d’abord par les plaisirs et les passions, s’arrêtent devant les divins préceptes et répriment l’impétuosité de leurs convoitises. Mais ces pierres n’étaient point des digues ; elles étaient au fond du fleuve, et l’eau passait dessus, comme le peuple prévaricateur passait sur la loi. Ainsi le Seigneur éleva la loi jusqu’à la grâce, il la prit dans le fleuve et la plaça dans la panetière, qui servait aussi à recueillir le lait.
8. Qu’il pense donc à la grâce, celui qui veut pratiquer la loi. Les dix préceptes du psaltérion à dix cordes, étaient les mêmes pour l’ancien peuple, mais ils l’accablaient par la crainte, car ils ne renfermaient pas la charité produite par ta grâce, ils exprimaient plutôt la crainte. Ils étaient polir ce peuple des lois pénales, puisqu’ils ne pouvaient s’observer par amour. On faisait effort, mais la passion l’emportait. En passant sous la loi de grâce, on n’a point d’autres commandements à observer. Mais ce qu’on ne pouvait alors, on le peut aujourd’hui ; non par la force même des préceptes, mais par la force de la grâce de Dieu. Si en effet les préceptes de la loi communiquaient la force de les observer, on les aurait accomplis à cette époque également. Se donner au Christ, c’est passer de la crainte à l’amour et commencer à pouvoir faire par amour ce qu’on ne pouvait par la crainte. Or quiconque tremblait sous la crainte ne tremble passons l’impression de l’amour ; et comme David en disant : « Je vous chanterai sur le psaltérion à dix cordes » représente l’homme nouveau de la loi de grâce, chanter la grâce contenue aujourd’hui dans les dix préceptes, c’est les accomplir avec joie.
9. Frères, afin de connaître que c’est la grâce qui vous en rend capables, nul ne doit présumer de ses propres forces, ainsi il comptera sur la grâce de Dieu. Car c’est Dieu qui t’invite et te commande d’agir, mais c’est lui aussi qui accorde le pouvoir de faire ce qu’il commande. À toi de lui montrer une confiance assez étendue afin de t’humilier sous l’abondance de la grâce, d’implorer son secours, de n’espérer rien de toi-même, de te dépouiller de Goliath, de te revêtir de David. C’est à. quoi se rapporte cette parole du psaume que nous avions commencé de rapporter : « Qu’est-ce que l’homme ? » car il s’agit de montrer à l’homme qu’il ne peut compter sur lui-même. Reconnaissez en effet comment cette exclamation est jetée contre Goliath, trop confiant en ses forces ; et comment elle est à la louange de David, plus fort en s’appuyant sur Dieu qu’il n’était faible parmi les hommes. « Qu’est-ce que l’homme ? » Et on répond : « Vous vous êtes fait connaître à lui. » Tout l’homme consiste donc à connaître Dieu, et ne le connaître pas, c’est n’être rien. Qu’est-ce que l’homme à qui Dieu ne s’est pas fait connaître ? « Cet homme est devenu semblable au néant, ses jours passent comme l’ombre. » Qu’est-ce donc « que l’homme à qui vous vous êtes fait « connaître, et qu’est-ce que le fils de l’homme que vous honorez ? » Qu’est-ce à dire : « Que vous honorez ? » S’il vous a plu de le choisir, de le placer dans un lieu plus élevé, plus distingué ; c’est l’effet de votre miséricorde, ce n’est pas la récompense de ses mérites.
10. Cherche ce qui est propre à l’homme, tu trouveras le péché ; cherche ce qui est propre à l’homme, tu trouveras le mensonge. Ôte le péché, et tu ne trouveras dans l’homme rien qui ne soit de Dieu. L’homme ne doit donc pas aimer ce qui lui est propre, et dans ce sens encore on peut prendre ces paroles de l’Apôtre : « Que nul ne cherche ce qui lui est propre [6]. » Il est des hommes qui en les entendant quelquefois de la bouche des Lecteurs s’en servent pour enlever le bien d’autrui. Mais il importe de savoir qui les prononce : c’est tantôt un mauvais conseiller et tantôt un docteur de vérité. Dieu est le docteur de la vérité. Quand donc lu lui entends dire : Ne cherche pas ce qui t’est propre, ne comprends pas dans le sens de ces hommes pervers. Dieu te donne un sage avertissement, et puisque nous disions qu’en cherchant ce qui t’est propre tu trouveras le péché, de grâce, ne cherche point le péché et tu ne trouveras point ce qui t’est propre ; ne cherche pas non plus le mensonge, et tu ne trouveras pas non plus ce qui t’est propre ; car la vérité vient de Dieu et le mensonge vient de toi.
11. En vain aussi le démon te suggère une idée ; Une peut rien que par ton consentement, il ne saurait forcer ta volonté. Jamais il ne séduit, jamais il n’entraîne une âme gaie s’il la trouve déjà quelque peu semblable à lui. Il remarque qu’elle a quelque désir, ce désir ou cette cupidité ouvre la porte et la tentation pénètre. Il remarque qu’elle a quelque crainte, il l’invite à fuir ce qu’elle redoute, comme il l’a invitée à se procurer ce qu’elle convoite ; et par ces deux portes de la cupidité et de la crainte il rentre dans cette âme. Ferme-les, et tu accomplis ce précepte qu’on a lu aujourd’hui, « Ne donnez pas lieu au diable[7]. » L’Apôtre a voulu montrer en effet, par ces paroles, que si le diable pénètre dans un cœur et s’en rend maître, c’est que l’homme lui a donné lieu de pouvoir y entrer.
12. Aussi l’homme n’étant rien quand il ne connaît pas Dieu et que Dieu ne l’honore pas, Dieu lui donne sa grâce : il trouve, hélas ! à condamner en lui, mais il pardonne tout à sa confession pour couronner sa foi. N’est-il pas vrai qu’en venant au milieu des hommes le Seigneur n’a trouvé qu’à condamner parmi eux ? Recherchez, frères, examinez avec soin : et dans le peuple juif, et parmi les gentils, le Seigneur n’a trouvé qu’à condamner. Aussi pour pardonner aux pécheurs, il est venu parmi nous avec humilité, non comme juge ; il voulait en pardonnant répandre d’abord sa miséricorde et seulement ensuite déployer sa sévérité en châtiant les coupables. N’abusons point, c’est-à-dire ne mésusons point de sa clémence, et nous n’éprouverons point les rigueurs de sa justice. Ainsi donc voici tout l’homme : connaître Dieu, et recevoir cette grâce sur laquelle s’appuyait David, tandis que superbe, orgueilleux et enflé de lui-même, Goliath comptait sur ses propres forces et commençait par mettre en lui seul la victoire de tout son peuple. Unis comme le front de tout orgueilleux est un front impudent, une pierre frappa le front de cet audacieux et il tomba. Le front de l’impudent fut brisé ; le front qui portait l’humilité de la croix du Christ fut vainqueur.
13. Aussi, pour qui peut le comprendre, c’est pour ce motif que nous portons au front le signe même de la croix. Je le rappelle, mes frères, parce que beaucoup tracent ce signe sans vouloir l’entendre. Dieu pourtant cherche plutôt des hommes qui exécutent ses signes que des hommes qui les peignent. Si tu portes au front le signe de l’humilité du Christ, portes-en l’imitation dans le cœur. Nous avons dit, mes frères, que c’est donner lieu au diable, que de lui ouvrir les portes de la cupidité ou de la crainte : mais de quelle cupidité ou de quelle crainte ? Car nous désirons aussi le ciel comme aussi nous redoutons l’enter ; et comme ces deux portes, la convoitise des biens temporels et la crainte des peines temporelles entraînent au crime la plupart du temps et donnent lieu au diable ; ainsi l’amour des biens éternels et la crainte d’éternels châtiments font place dans le cœur à la parole de Dieu.
14. En deux mots, mes frères, si nous voulons bien vivre, aimons ce que Dieu promet plus que ce que promet le monde ; et redoutons les menaces de Dieu plus que les menaces du monde. Est-ce là un discours long et étendu ? Tu es tenté de tromper, tu veux tromper pour t’enrichir : Dieu promet l’éternel royaume des cieux à qui ne trompe pas ; mais la cupidité l’emporte sur toi. Eh ! qui ne veut pas du royaume des cieux ? Mais le péché consiste à vouloir davantage les biens de la terre ; à vouloir davantage ce qui est présent, sans s’attacher à ce qui doit venir ; à vouloir davantage ce qu’on voit et à ne pas désirer ce que Dieu promet. Car on peut dérober ce que nous voyons, on peut le perdre après l’avoir possédé : quant aux biens promis de Dieu et que pour le moment on ne peut voir des yeux de la chair, une fois parvenu à la récompense, on ne craint pas de les perdre ; personne ne pouvant faire violence à Celui qui – les donne. C’est pourquoi, frères, attachez-vous par la charité aux divines promesses, et vous ne serez pas vaincus par les désirs mondains.
15. Voici une autre tentation, tentation de crainte. Quelqu’un te dit : Fais pour moi un faux témoignage, et d’abord il t’étale des promesses. Mais si tu viens à préférer les divines promesses aux promesses humaines, si tu ne te laisses pas séduire et que la cupidité ne l’emporte pas, il recourt aux menaces et te fait entrevoir des choses horribles. C’est un homme puissant dans la cité, puissant clans le inonde, il parait pouvoir faire ce qu’il dit. Tu te laisses vaincre alors par la peur du mal présent. Dieu ne pourrait-il t’en éloigner s’il le croyait avantageux pour toi ? Et dans le cas où il ne le voudrait point, ne devrais-tu pas comprendre qu’il ne permettrait pas que tu en fusses atteint, s’il ne savait que ce sera aussi pour ton avantage ? Il a préservé du feu les trois enfants. Est-il changé pour n’avoir pas préservé les martyrs du glaive ? Le Dieu des trois enfants était le Dieu des Machabées. Les premiers échappèrent aux flammes [8] ; les seconds en furent tourmentés[9] ; tous cependant remportèrent en ce Dieu éternel une complète victoire : car ils ne mettaient point leurs délices dans cette vie temporelle et les menaces du temps ne les ébranlaient pas.
16. Ne crains donc pas un homme qui te fait des menaces. Qu’est-ce qu’un homme ? « il est devenu semblable au néant ; ses jours passent comme l’ombre. » Ou bien il ne te nuira pas et cette vaine ombre passera avant d’avoir pu te frapper, car Dieu est puissant ; ou bien, s’il lui permet de le nuire, elle ne nuira qu’à ton ombre, qu’à ce qui passe en toi, qu’à ta vie temporelle, qu’à ta vieille vie : jusqu’à la mort en effet nous portons les restes du vieil homme. Cet homme peut nuire à ta vie du temps ; nul ne peut t’enlever la vie de l’éternité. On te débarrassera des obstacles qui te retiennent ici, et tu t’attacheras intimement à Dieu après lui avoir déjà donné ta confiance et t’être uni à lui par les liens de la charité.
17. C’est pourquoi les Psaumes comparent avec beaucoup d’élégance l’homme méchant à « un rasoir tranchant qu’aiguise la fraude[10]. » C’est ainsi que le méprise l’Esprit-Saint. Que considère-t-il ici dans le rasoir ? Non pas qu’il peut servir à donner la mort aux hommes, mais à quel usage il est naturellement destiné. Or il est destiné à raser les cheveux. Qu’y a-t-il dans le corps d’aussi superflu que les cheveux ? Et c’est pour couper des cheveux qu’on aiguise le rasoir avec tant de soin, et tant d’ardeur, tant de précautions et une attention si grande ? Ainsi le méchant se tire à l’écart, il pense, il médite, il pense encore, il entasse fraudes sur fraudes, il cherche des artifices, il se prépare des aides, il quête de faux témoins, il aiguise son rasoir contre le juste. Et pourquoi ? Pour le dépouiller de ce qui est en lui superflu !
18. Voulez-vous donc, mes frères, vous disposer à suivre la volonté de Dieu ? Nous vous engageons, nous nous y excitons nous-mêmes, ou plutôt nous y sommes excités par Celui qui peut nous y exciter sans crainte. Voulons-nous donc nous disposer à suivre la volonté de Dieu ? N’aimons point ce qui passe, ne regardons point comme étant le bonheur ce qui en porte le nom dans ce siècle. Les Philistins avaient ces idées ; ils mettaient leur bonheur dans les choses du temps, ils mettaient leurs jouissances dans des ombres et non dans la lumière ni dans la vérité. Aussi considérez comment se termine le Psaume « à Goliath » ; il s’exprime en termes fort clairs, il n’y a aucune difficulté et il ne faut ni interprète ni commentateur. Par la miséricorde de Dieu tout y est si lucide, qu’on ne peut direIl l’a expliqué comme il a voulu, il l’a commenté selon ses idées, il a pensé ce qu’il lui a plu ; personne ne peut ici alléguer ces prétextes. Or celui qui parle c’est David, David la vie nouvelle, la vie du Christ, la vie qui nous a été communiquée par le Christ. Il s’exprime avec dédain pour la vie ancienne, la vieille félicité des hommes, pour ceux qui y 'mettent leur espérance, ceux qui y parviennent et ceux qui y mettent leur joie.
19. Dans ce siècle en effet les justes paraissent souffrir et les injustes vivre heureux. Comme si Dieu sommeillait et négligeait les choses humaines, les méchants s’exaltent souvent pour n’être point châtiés, et souvent les bons sont brisés par l’infirmité ; parce qu’ils ne possèdent pas les biens dont paraissent regorger les pécheurs, les hommes impies et cruels, ils s’imaginent n’avoir aucun avantage à pratiquer la vertu. Mais plus ils considèrent comme importants ces biens qu’ils demandent à Dieu, plus ils s’égarent, et plus il faut prendre soin de ne pas les livrer à la tyrannie de leur cupidité, selon cette expression : « Dieu les abandonna aux convoitises de leur cœur [11]. » Aussi Dieu se montre d’autant plus propice qu’il exauce la demande de ces choses vaines et superflues, non pour les donner, mais pour guérir en les refusant. Qui ne voit en effet pourquoi on les recherche, pourquoi on prie Dieu de les donner ? N’est-ce pas afin de les consumer dans la débauche, dans les frivolités et dans les plus extravagants spectacles
?
20. Suppose un homme du siècle qui demande à Dieu des richesses et qui les obtient quels dangers mortels en naissent pour lui ! Il s’en sert pour opprimer le pauvre, pour s’élever, tout poussière qu’il est, au-dessus de son égal, pour mendier de vains honneurs, pour donner, afin de les obtenir, des divertissements lascifs et dissolus, pour acheter des jeux et des ours et enrichir des bestiaires, pendant que le Christ souffre la faim dans la personne des pauvres. Qu’est-il besoin de développer davantage, mes frères ? Songez vous-mêmes à ce que nous ne disons pas, aux maux immenses que produisent les biens superflus aux mains de ceux qui les possèdent en abondance. Et puisque l’homme peut malheureusement faire un si triste usage de l’opulence, ne vaut-il pas mieux que Dieu l’en dépouille, ne lui en fasse pas don ? Cette conduite n’est-elle pas miséricordieuse ?
21. On dira : J’ai fait le bien, je n’ai rien dérobé, et vous ne m’avez pas exaucé ! Je donne à l’indigent une partie de ce que je possède, je n’enlève rien à autrui ; je vous en prie, accordez-moi. – Mais peut-il te donner une villa sans qu’un aucun autre la perde ? Que l’on vienne à te dire : Vends ta villa ; tu frémis comme à un outrage, tu crois que l’on t’injurie, et dans le cœur tu gardes du ressentiment contre celui qui t’a invité à vendre ta villa. Mais peux-tu en acheter une sans qu’un autre la vende ; Si donc il est mal de vendre, en désirant, en souhaitant d’acheter, tu cherches le mal d’autrui. Tu crois bon de trouver sur le chemin un sac de monnaie et tu dis après l’avoir trouvé : Dieu me l’a donné. Mais peux-tu le trouver sans qu’un autre le perde ? Pourquoi donc ne désirer pas ces trésors que tous peuvent posséder avec toi sans les diminuer ? Tu cherches de l’or, cherche plutôt la justice. Tu ne peux obtenir de l’or si un autre ne le perd : embrassez tous deux la justice, enrichissez-vous tous deux.
22. Revenons à notre psaume, pour faire comprendre à votre charité que n’imaginer d’autre félicité que ta félicité présente, c’est être Philistin, ou étranger. Tu prétends mériter que Dieu te donne aussi les biens temporels : comment en userais-tu ? S’il ne te les a pas octroyés, sache qu’il importe à ton salut que ce bon Père ne te les attribue pas. Quand ton fils pleure pour obtenir de toi un beau couteau au manche doré, ne le laisses-tu pas pleurer tant qu’il veut sans lui donner ce qui pourrait le blesser ? « Délivrez-moi, Seigneur de la puissance des fils de l’étranger, dont la bouche parle vanité et dont la droite est la droite de l’iniquité. » Qu’entend-on ici par droite et par vanité ? L’auteur l’expose. Il appelle la félicité de ce siècle la droite de l’iniquité ; non que cette félicité ne soit jamais pour les justes ; mais les justes, quand ils la possèdent, la tiennent de la main gauche, non de la droite. Dans leur droite est l’éternelle félicité, dans leur gauche, la prospérité temporelle. Or le désir des biens et du bonheur éternels ne se doit pas mêler au désir des biens temporels ou de la félicité présente qui dure si peu. De là ces paroles : « Que ta gauche ignore ce que fait ta droite [12]. – Leur droite est donc « la droite de l’iniquité. ».
23. Entendez maintenant comment ils parlent vanité et comment leur droite est la droite de l’iniquité. Écoutons tous, cela vous est utile. Écoutez et ne prétextez pas que vous n’avez point entendu. Souvenez-vous qu’il a été dit au serviteur paresseux : « Tu aurais dû donner et je réclamerais ; » et nous l’avons observé hier, c’est nous qui sommes les serviteurs appelés à donner ; un autre que nous réclame. En refusant d’écouter, nos sueurs semblent vouloir échapper aux réclamations ; mais c’est sans raison, mes frères, personne ne peut s’autoriser par ce moyen. Autre chose est de n’avoir pas reçu et autre chose de n’avoir pas voulu recevoir. Refuser le don de Dieu, c’est se rendre coupable par ce refus même. « Pourquoi n’as-tu pas donné [13] ? » a-t-il été dit au mauvais économe. Pourquoi n’as-tu pas reçu ? dira-t-on à qui il devait distribuer. Tu aurais une excuse, si personne n’était là pour donner. Mais si les lecteurs se font entendre lors même que se taisent les prédicateurs ; si la parole de Dieu est prêchée partout ; s’il est vrai de dire que « leur voix a retenti par toute la terre », que la chaleur de la divine parole se répand de tous côtés, « et que personne ne peut se soustraire à cette chaleur[14] ; » quel prétexte faire valoir au jugement de Dieu ? Frères, écoutons et pratiquons ; ne nous excusons pas si nous voulons avoir confiance. N’est-il pas vrai encore qu’en mendiant une obole à ta porte, le pauvre te chante souvent les divins préceptes ?
24. Encore une fois, écoutons : « Leur bouche parle vanité et leur droite est la droite de l’iniquité. » En quoi consiste cette félicité mondaine où mettent leur espoir ceux qui parlent vanité et dont la droite est la droite de l’iniquité ? L’auteur sacré commence à la décrire ainsi« Leurs fils sont comme de jeunes plantes bien affermies. » Ici rien de coupable. Il n’est parlé ni de fraudes, ni de parjures, ni de rapines, ni d’autres crimes : c’est une félicité qui peut être le partage des justes. Si pourtant il faut la dédaigner, combien ne sont pas à plaindre ceux qui vont jusqu’à se livrer aux rapines, aux larcins, aux violences, aux homicides, aux adultères et aux autres crimes que condamne la félicité même du siècle ?
25. Quel ne doit donc pas être l’homme de la vie nouvelle, l’homme que rappellent les pierres placées dans la panetière, que Dieu comble de sa grâce et qu’il nourrit d’un lait divin ! Attention encore ! « Leurs fils sont comme de jeunes plantes bien affermies ; leurs filles sont parées comme les statues d’un temple. » C’est peut-être à cause de ceci que nos sœurs refusaient de venir : qu’elles écoutent donc de bonne volonté ou de force, et qu’elles apprennent à venir à la maison du Seigneur, non avec l’orgueil de Goliath, mais avec l’humilité de David. Est-il ici besoin d’éclaircissements ? Y a-t-il rien d’obscur ? Quand les hommes parlent vanité, ils sont traités d’étrangers, ils ne font point partie de l’héritage du Christ, ni du royaume de Celui à qui nous disons : « Notre Père ; » ils comptent comme étrangers. Et que nomment-ils félicité ? « Leurs fils sont comme de jeunes plantes bien affermies : » c’est une génération qui succède à un autre ; on a des enfants nombreux et de nombreux petits-enfants ; on est rassuré contre les dangers de mort. Comme si un seul accident n’enlevait pas maintes fois des milliers d’hommes ! « Leurs filles sont parées comme la statue d’un temple. » Passons rapidement. Il faut ménager la pudeur des femmes. Qu’elles se contentent de savoir ce qu’elles portent : nous rougissons de le rappeler. « Leurs filles sont parées comme la statue d’un temple. Leurs greniers sont pleins, ils regorgent de toutes parts. » Ainsi l’on dit des riches : Il n’a plus de place, il ne sait ce qu’il a. Un grenier est rempli, il déborde de fruits, ses richesses surabondent, les celliers regorgent de toutes parts.
26. « Leurs brebis sont fécondes ; on les voit multipliées quand elles sortent : » elles entrent peu nombreuses, elles produisent et sortent en grand nombre ; « on les voit multipliées quand elles sortent. » La première année il y en avait tant, il y en a tant cette année. On est dans la joie, dans les transports : c’est Goliath qui s’enfle et qui fier de ce bonheur provoque au combat. Qui pourrait, dit-il, qui oserait m’attaquer ? N’est-ce pas ce que disent ces riches de la terre ? N’est-ce pas ce que chaque jour chacun d’eux pense en soi-même ? Il possède quelque chose de plus que son voisin ; ne dit-il pas : qui peut m’attaquer ? et si ce voisin me fait une injure, ne le lui ferai-je pas sentir ? Ah ! c’est ici Goliath provoquant au combat. Mais David est en marche : sans armes proprement dites, il n’a que quelques pierres ; mais il est juste et il abattra tout cet orgueil. Ainsi ont fait les martyrs ; ils ont renversé les impies, vaincus au moment même où ils paraissaient vainqueurs, parce que les martyrs triomphaient en eux-mêmes, du diable leur chef.
27. Considérez encore cette félicité. « On voit leurs brebis multipliées quand elles sortent ; leurs bœufs sont gras ; point de brèche dans leur clôture », car ce mot s’emploie souvent pour celui de muraille. « Dans leur clôture point de brèche ni d’ouverture. » Tout est en bon état, tout est achevé, tout est rempli. « Point non plus de cri sur leurs places publiques : » ni querelles ni tumultes. N’est-ce pas ici la peinture du bonheur de l’innocence ? On ne peut donc se dire que le prophète a parlé de ceux qui ravissent le bien d’autrui ; non ce n’est pas de cela qu’il parle ; ailleurs il en est fait mention. Car il est manifeste que des châtiments sont réservés aux scélérats ; et ce qui doit leur faire voir la rigueur des peines qui les attendent, c’est que l’innocent même est réprouvé de Dieu, compté parmi les fils de l’étranger, lorsqu’il use de ces biens avec orgueil et sans règle. Ce riche de l’Évangile cherchait-il à s’emparer des moissons d’autrui, lui qui avait hérité de vastes et fertiles domaines ? Quand il ne pouvait plus loger ses récoltes et qu’il ne voyait, pas ces pauvres où il aurait dû conserver ses trésors pour le ciel ; quand il disait dans son embarras : « Je détruirai mes greniers, j’en construirai de nouveaux et de plus vastes et je les remplirai », n’était-ce pas de ses moissons qu’il voulait les remplir ? « Et je dirai à mon âme : Tu as beaucoup de bien, rassasie-toi. Mais Dieu lui dit : Insensé, cette nuit « même on te redemandera ton âme, et ce que tu as amassé, à qui sera-t-il [15] ? » Ainsi donc, mes frères, l’Évangile jette le mépris sur celui qui met sa joie dans – la prospérité temporelle, quoique sa richesse lui vienne de ses propres domaines et non des rapines faites sur autrui ce psaume verse également le dédain sur la félicité temporelle, afin d’apprendre l’âme renouvelée et régénérée par le lait de la grâce à désirer une autre béatitude, la béatitude inaltérable et éternelle. Aussi considère comme tout s’enchaîne : « Leur fils sont comme de nouvelles plantes bien affermies ; leurs filles sont parées comme la statue d’un temple ; leurs greniers sont remplis, ils débordent de tous côtés ; leurs brebis sont fécondes, on les voit multipliées quand elles sortent ; leurs a bœufs sont gras ; dans la clôture ni brèche ni ouverture ; aucun cri sur leurs places publiques ; et ils ont proclamé heureux le peuple qui jouit de ces biens. » Mais quels sont ceux qui ont ainsi parlé ? « Ceux dont la bouche parle vanité ; » car il en a été question un peu plus haut.
28. Et toi, prophète, que dis-tu ? Que dis-tu en face de ces hommes « qui ont proclamé heureux le peuple qui jouit de ces biens ? » Ce que je dis ? « Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu. » Ainsi donc il est heureux le peuple qui au lieu d’avoir des fils et des filles parées, des bœufs gras, des brebis fécondes, des greniers remplis, des édifices achevés ; au lieu de la paix, des procès, des discordes civiles, et de toute cette félicité du siècle, veut posséder son Dieu, avoir en place de tout Celui qui a fait tout, lui dire : « Il m’est bon de m’attacher à Dieu ? » le servir gratuitement, le servir quand il donne, quand il ôte et quand il ne donne pas les biens de cette vie ; enfin ne rien craindre autant que de le perdre. C’est pourquoi, mes frères, le peuple chrétien qui dit sincèrement : Qu’il me prive de tout, mais qu’il ne me prive pas de lui-même, c’est « l’heureux peuple dont le Seigneur est le Dieu. »