Sermon LXIII. Le sommeil de Jésus-Christ.

Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON LXIII. LE SOMMEIL DE JÉSUS-CHRIST[1]. modifier

ANALYSE. – Jésus-Christ dort en nos cœurs lorsque nous ne pensons pas à lui ; il s’y réveille lorsqu’au souvenir de sa personne et de ses enseignements nous repoussons la tentation.


1. Je vais, avec la grâce du Seigneur, vous entretenir de la lecture du saint Évangile que vous venez d’entendre, et avec sa grâce encore vous exciter à ne pas laisser la foi sommeiller dans vos cœurs en face des tempêtes et des vagues de ce siècle. Si le Christ notre Seigneur a été réellement le maître de la mort, n’a-t-il pas été aussi le maître du sommeil ? Serait-il vrai que le sommeil ait accablé malgré lui le Tout-Puissant sur les flots ? Le croire serait une preuve qu’il dort en vous. S’il n’y dort pas, c’est que votre foi veille ; car l’Apôtre enseigne que par « la foi le Christ habite en vos cœurs[2]. » Le sommeil du Christ signifie donc aussi quelque mystère. Les navigateurs figurent les âmes qui traversent le siècle, appuyées sur le bois sacré. La barque du Sauveur représente aussi l’Église, car chaque fidèle est comme le sanctuaire de Dieu ; et le cœur de chacun est comme un esquif préservé du naufrage, s’il est occupé de bonnes pensées.
2. Tu as entendu une parole outrageuse, c’est un coup de vent ; tu t’irrites, c’est le flot qui monte. Or quand le vent souffle, quand le flot s’élève, le vaisseau est en péril, ton cœur est exposé, il est agité par la vague. Tu désires te venger de cette injure, tu te venges en effet ; tu cèdes ainsi sous le poids de la faute d’autrui et tu fais naufrage. Pourquoi ? Parce que le Christ sommeille dans ton âme. Qu’est-ce à dire : le Christ sommeille dans ton âme ? C’est-à-dire que tu l’oublies. Réveille-le donc, rappelle son souvenir, que le Christ s’éveille en toi ; arrête la vue sur lui. Que prétendais-tu ? Te venger. Tu oublies donc qu’au moment où on le crucifiait il disait : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[3] ? » Celui qui dort dans ton cœur n’a point voulu se venger. Réveille-le, pense à lui. Son souvenir, c’est sa parole ; son souvenir, c’est son commandement. Et quand il sera éveillé en toi tu diras. Qui suis-je pour vouloir me venger ? Qui suis-je pour menacer un homme comme moi ? Peut-être mourrai-je avant de m’être vengé. Et lorsque haletant, enflammé de colère et altéré de vengeance je quitterai mon corps, je ne serai pas reçu par Celui qui a refusé de se venger, je ne serai pas reçu par Celui qui a dit : « Donnez et on vous donnera ; pardonnez et on vous pardonnera [4]. » Aussi vais-je apaiser mon irritation et revenir au repos du cœur. Le Christ alors a commandé à la mer et le calme s’est rétabli.
3. Ce que j’ai dit de la colère, appliquez-le exactement à toutes vos tentations. Une tentation se fait sentir, c’est le vent qui souffle ; tu t’émeus, c’est la vague qui s’élève. Réveille le Christ, qu’avec toi il élève la voix. « Quel est-il, puisque les vents et la mer lui sont soumis ? » Quel est-il, puisque la mer lui obéit ? La mer est à lui, c’est lui qui l’a faite[5]. Tout a été fait par lui[6]. Toi surtout imite les vents et la mer, obéis à ton Créateur. La mer s’incline à la voix du Christ, et tu restes sourd ? La mer s’arrête, les vents s’apaisent, et tu souffles encore ? Qu’est-ce à dire ? Parler, agir, projeter encore, n’est-ce pas souffler toujours et refuser de s’arrêter devant l’ordre du Christ ? Que les flots ne vous submergent pas en troublant votre cœur. Si néanmoins, comme nous sommes des hommes, si le vent nous abat, s’il altère les affections de notre âme, ne désespérons point ; réveillons le Christ, afin de poursuivre tranquillement notre navigation et de parvenir à la patrie. Tournons-nous vers le Seigneur, etc.[7]

  1. Mat. 8, 23-27
  2. Eph. 3, 17
  3. Luc. 23, 34
  4. Luc. 6, 37-38
  5. Psa. 94, 5
  6. Jn. 1, 3
  7. Voir ci-dessus, Serm. I