Sept petites nouvelles de Pierre Arétin/Anciens conteurs italiens

Traduction par Philomneste junior.
Chez Jules Gay, éditeur (p. 74-78).

VI

anciens conteurs italiens.


Une des publications périodiques les plus estimées de la Grande-Bretagne, l’Edinburgh Review, en rendant compte de l’ouvrage de M. Roscoe : Italian Novelists (no 83, mars 1825), a fait des anciens conteurs qui nous occupent l’objet d’une appréciation que nous croyons devoir mettre, pour la première fois, sous les yeux d’un lecteur français.

« Sacchetti, contemporain de Boccace, est fort estimé des critiques italiens, à cause de son style sans doute, car ses récits ont peu de chose pour les recommander. Rien ne les relie entre eux, et ils ne consistent guère qu’en sèches anecdotes historiques ou en plaisanteries sans esprit. Aucune ne porte le cachet du génie, aucune n’éveille fortement l’attention, n’exalte l’imagination, ne touche le cœur. Roscoe a traduit dix contes de Sacchetti. L’un d’eux (le second sonnet du recueil italien) a plusieurs fois été imité et ne manque pas de sel. Un abbé, qui avait déplu au gouverneur de Milan, est condamné à payer une amende, à moins qu’il ne réponde à quatre questions : « Quelle est la distance de la terre au ciel ? Quelle est la quantité d’eau qu’il y a dans la mer ? Que font les habitants des régions infernales ? Quelle est la valeur de la personne du gouverneur lui-même ? » L’abbé, qui n’est nullement un Œdipe, demande que le meunier du couvent le remplace dans la solution de ces problèmes. Ce meunier est un drôle fort intelligent, encore plus impudent. À la première question il répond froidement que la distance de la terre au ciel est exactement de trente six millions huit cent cinquante quatre lieues, soixante douze toises et deux pieds ; s’il y a quelques doutes à cet égard, il demande que la difficulté soit soumise à des arbitres. Il donne des réponses semblables à la seconde et à la troisième question. Quant à la quatrième, il évalue le gouverneur à la somme de deux sous et cinq deniers ; et comme ce fonctionnaire est irrité d’une semblable estimation, le meunier lui fait observer que, Jésus-Christ ayant été vendu pour trente deniers, un chrétien n’a certes pas le droit de se plaindre s’il est évalué vingt-neuf.

La 132e nouvelle de Sacchetti a peut-être été connue de Cervantes, car l’aventure du frère Antonio ressemble fort à la conduite de Sancho pendant l’attaque de Barataria. La nouvelle 140 raconte comment trois aveugles furent trompés par un étranger qui leur donna un sou en leur disant que c’était un écu. Ce récit est dérivé du fabliau des Trois aveugles de Compiègne, lequel est lui-même emprunté aux Mille et Une Nuits.

Le Pecorone du florentin Giovanni fut composé en 1378. On y trouve en germe des scènes d’une des pièces de Shakspeare (Les Commères de Windsor), et le premier conte de la quatrième journée reproduit cet engagement de donner en payement une livre de chair, qui figure dans un autre drame du grand écrivain anglais (Le Marchand de Venise), et qui dérive d’un sonnet oriental. Plusieurs des contes du Pecorone sont curieux à cause de l’ignorance qui s’y étale au sujet de l’histoire.

Masuccio a plus d’originalité que ses devanciers ; mais sa manière d’écrire est lourde et plate. Brevio, Parabosco, Cademosto, ne méritent guère qu’on s’y arrête. Giraldi a plus de hardiesse dans l’imagination ; il règne chez lui une sorte d’horreur tragique qui excite vivement l’attention, lors même qu’elle blesse les sentiments. Il a voulu étaler des crimes de tous genres ; chaque pays, chaque époque, a été l’objet de ses recherches, afin de lui fournir des récits dans lesquels il pourrait raconter les détails les plus pénibles. Toutefois, on se lasse bien vite de narrations de ce genre, et les Hecatommiti sont une lecture prodigieusement ennuyeuse. Giraldi a d’ailleurs été fort souvent mis à contribution par les anciens dramaturges anglais. Il faut le regarder comme l’auteur des atrocités qui abondent dans les pièces de Ford et de Shirley. Shakespeare lui a pris, mais en le perfectionnant beaucoup, le sujet d’Othello, et la cinquième nouvelle de la huitième décade a suggéré la comédie de Mesure pour mesure.

Grazzini peut être regardé comme le meilleur des Novellieri, après Boccace. Son genre d’esprit était tourné vers le comique ; son style a une légèreté gracieuse, rare à cette époque. Il n’y a cependant pas un intérêt bien vif dans la plupart de ses récits. Ils se rapportent habituellement à des tours joués à de pauvres diables, tours presque constamment cruels et dépourvus de vraisemblance.

Straparole n’offre pas comme conteur un grand mérite, mais ses récits jouent un rôle important dans l’histoire de la fiction ; il a fait usage des traditions qui circulaient de son temps, et il a fourni à ses successeurs une mine qui a été vigoureusement exploitée. Ses contes de fées, les premiers qui aient paru dans la prose italienne, ont servi de type aux nombreux récits de ce genre qui se sont multipliés sous la plume de Perrault, de madame d’Aulnoy et de tant d’autres.

Bandello est, après Boccace, le conteur italien le plus connu des étrangers, et cependant il est un des moins amusants. Ses récits sont en général des faits historiques, et non des épisodes imaginés à plaisir ; chacun est dédié à quelque personnage de distinction, et quelques-uns, passablement licencieux, sont adressés à des dames de haut parage. Le style est rude et sans élégance. Shakespeare, Massinger et d’autres écrivains anglais et espagnols ont mis sur la scène des histoires empruntées à Bandello.