Sept petites nouvelles de Pierre Arétin/Morlini

Traduction par Philomneste junior.
Chez Jules Gay, éditeur (p. 69-73).

V

morlini.


Quoique Jérôme Morlini se soit servi de la langue latine, il a écrit à Naples ; nous avons ainsi le droit d’en parler lorsque nous nous occupons des conteurs de l’Italie. La très-bonne édition que M. Jannet a donnée en 1854 de ses Novellœ, dont, comme on sait, l’édition originale est extrêmement rare et chère, nous dispenserait d’en faire mention, si nous n’avions à mentionner une circonstance assez peu connue. On savait que le comte Borromeo possédait un manuscrit contenant neuf petits contes que cet amateur croyait de Morlini. Il en a publié un, en 1794, dans cette Notizia dont nous avons déjà parlé. On sait aujourd’hui que ces récits un peu graveleux sont l’œuvre d’un abbé, bibliothécaire à Padoue, qui s’était amusé à les composer afin de mystifier Borromeo. Un amateur parisien, ayant obtenu une copie de ces Novellœ, en a fait faire une impression tirée à un fort petit nombre, de sorte qu’il n’a été donné qu’à peu de bibliophiles de compléter ainsi leurs exemplaires de l’édition de 1854.

Nous allons donner les titres de ces neuf contes.

De monacho cujus priapum feles arripuit[1].
De matrona canoros crepitus in choreis edente[2].
De monacho Christi passionem prædicante.
De sacerdote sponsæ virginilatem astute explorante.
De eo qui Hebræum pædicasse confessus est.
De abatissa timente quod monialis prægnans esset.
De urso qui a monachis noctu in choro cacodæmon habilus fuit[3].
De clerico qui energumenum exorcisabat.
De presbytero qui voluit a monacho pædicari.

Comme spécimen de ces compositions, et en choisissant celle qui ménage le plus les convenances, nous donnons ici une traduction de la quatrième.

Comment-un prêtre s’assura finement de la virginité d’une fiancée.

Une jeune fille, qui était belle et qui feignait la vertu, demanda un jour au prêtre de sa paroisse de lui donner, à un jour qui serait convenu, la bénédiction nuptiale, car elle désirait ardemment épouser un jeune homme qu’elle aimait. Le prêtre, qui était habile et qui savait bien de quelles ruses les femmes sont capables, avait des doutes sur la virginité de sa paroissienne ; il voulut user de ruse pour lui arracher quelque aveu, et il lui dit : « Je dois te prévenir d’une chose que tu ignores peut-être, car nous ne révélons pas ces mystères au catéchisme ; nous les gardons pour attendre le moment où les jeunes filles s’apprêtent à se marier et réclament la bénédiction nuptiale. Apprends donc que cette bénédiction se donne de deux manières différentes, selon que l’on fait usage de l’oraison, à sainte Marthe ou de celle à sainte Marie-Madeleine. La première suffit lorsque l’épouse est parfaitement pure et lorsqu’elle apporte à son mari la fleur de sa virginité ; mais si, par un de ces malheurs qui sont trop souvent la suite de la fragilité humaine, l’épouse a déjà eu un commerce coupable avec quelque homme, si elle à de trop bonne heure appris la différence des sexes, il est nécessaire de recourir à l’oraison de sainte Marie-Madeleine. Celle qui, obéissant à une fausse honte, prétend nous tromper et demande, sans y avoir le droit, l’oraison à sainte Marthe, est châtiée d’une façon terrible : car, lorsque vient l’époque de ses couches, elle expire misérablement dans les douleurs les plus atroces, étant privée des secours de la Madeleine, qui fut elle-même une pécheresse et qui vient en aide aux pécheresses. Dis-moi donc, de toi à moi et sans que jamais personne ne le sache, à laquelle de ces deux oraisons tu veux recourir ». La jeune fille, le teint couvert de rougeur, répondit avec assurance : « Votre hésitation me surprend, monsieur le curé ; je suis vierge ; ne venez donc pas m’insulter par vos soupçons injurieux. — Que Dieu te soit en aide, répliqua le prêtre ; mon devoir était de t’avertir et de te montrer à quelles conséquences tu t’exposais ; je dirai volontiers l’oraison à sainte Marthe. » Le jour des noces étant venu, elles furent célébrées avec solennité, et non en secret, comme il y a tant de gens qui le font, et, l’époux ainsi que l’épouse étant déjà près de l’autel, le curé s’approcha de la jeune fille et lui dit à l’oreille : « Si j’ai bonne mémoire, c’est l’oraison de sainte Marthe que je dois dire ? — Oui, répondit-elle ; mais il n’y aura pas de mal à y joindre un peu de l’oraison de sainte Marie-Madeleine, » Le prêtre reconnut ainsi que cette jeune fille, qui faisait si fort la fière et la pudique, ne s’était pas abstenue des jeux de Vénus, et qu’elle n’avait pas la conscience bien nette, quoiqu’elle prétendît se faire passer pour une vierge sans tache[4].


  1. Ce titre nous rappelle un détail peu connu sans doute. Le Manuel du libraire, parlant des Epistolæ itinerariæ de Bruckmann (1742), dit qu’une des planches de cet ouvrage représente un sujet vraiment original, mais capable de choquer des yeux chastes. Ce sujet, c’est un abbé sur lequel un chat exerce des sévices analogues à ceux qu’indique la novella dont nous parlons. Une des gravures du poëme allemand de Goëthe, Reinecke Fuchs, Stuttgart, 1846, représente le même sujet.
  2. C’est cette nouvelle que Borromeo a publiée, et qui, d’après lui, a été insérée dans l’édition de 1854.
  3. Une des nouvelles de Casti, L’Orso nell’Oratorio, repose sur une donnée semblable ; mais il y a cependant de très-grandes différences dans le récit.
  4. Nous avons souvenance d’avoir vu un conte en vers français racontant le même trait. Il a pour titre : L’Oraison de sainte Marguerite. C’est à Rabelais que s’adresse la trop savante fiancée, et elle finit par le prier de mêler à l’oraison qu’il va prononcer « un tantinet de sainte Marguerite ».