Scènes et mœurs des rives et des côtes/03
DES
RIVES ET DES CÔTES.
La côte qui s’étend de l’embouchure de la Loire à celle de la Gironde a pour avant-garde une ligne de petites îles qui commence à Noirmoutiers, se termine à Oléron, et que semblent relier entre elles des milliers de brisans. Ces sommets inégaux d’une chaîne de montagnes submergées multiplient d’autant plus les dangers de la navigation côtière, que les courans y portent les navires, et que dans les nuits d’orage le plus habile pilote ne peut reconnaître les écueils qu’au moment où il n’est plus temps de les éviter. De là l’érection de phares qui éclairent la course des caboteurs en leur révélant de loin le danger.
À l’époque, déjà un peu éloignée, qui nous a fourni les élémens de cette histoire, la plus ancienne des tours à feux indicateurs situées entre la Loire et la Gironde, connue sous le nom de vieux phare, était confiée à un seul gardien. Simon Lavau vivait là depuis neuf années, sans autre compagnie que les flots qui passaient en murmurant au pied de son îlot et les oiseaux de mer qui voletaient alentour en poussant leurs cris aigus. La petite chambre ronde qui lui avait été ménagée vers le sommet de la tour, au-dessous même de l’appareil à réflecteur, n’était guère plus spacieuse que la cabine du moindre navire côtier ; mais, si étroite qu’elle fût, elle lui suffisait. Simon avait là son cadre, son coffre de matelot, une table de sapin, quelques planches pour poser ses ustensiles de ménage, un portrait de l’empereur et un crucifix. Chaque samedi, une barque sortait du petit port situé presque en face et distant d’environ trois lieues marines pour lui apporter les provisions de la semaine. S’il avait besoin, dans l’intervalle, de quelque secours pressant, un pavillon hissé au sommet de la tour avertissait le patron, qui devait mettre aussitôt à la voile pour le vieux phare.
Un jour cependant le patron arriva de lui-même et sans être averti, amenant à Simon Lavau un remplaçant temporaire. Il venait avertir le vieux gardien que sa sœur mourante le réclamait. La barque cingla aussitôt vers le port, qui se dessinait au loin dans la brume du soir. À l’arrière, près du patron qui tenait la barre, était assis le gardien du vieux phare. Lavau pouvait avoir au plus soixante ans ; mais son front chauve, ses joues hâves et sa bouche édentée accusaient les longues fatigues de la mer. Rien n’eût frappé dans son costume de simple matelot, s’il n’eût porté, sur sa veste de drap bleu, un ruban déteint auquel pendait une croix d’honneur noircie par le temps. Simon la devait à un acte héroïque dans lequel se révélait tout son caractère resté seul à bord d’une canonnière que deux bricks anglais avaient forcée à faire côte, il s’était enveloppé du pavillon tricolore et avait sombré à son poste, sans vouloir ni fuir ni se rendre. Une vague le rejeta au rivage, enseveli dans son glorieux linceul, et un hasard providentiel amena des paysans qui le rappelèrent à la vie. L’aventure fut heureusement connue, l’histoire répétée, et elle lui valut cette décoration qu’il portait comme un témoignage de son culte pour le devoir.
C’était par là surtout, par là seulement que Simon pouvait être offert en exemple. De courte intelligence et sans force contre les tentations de la cambuse, il n’avait mérité l’attention de ses chefs que par sa stoïque obstination dans l’exécution de l’ordre accepté. Vrai fils de Sparte, il était toujours prêt, comme les trois cents, à mourir aux Thermopyles pour obéir aux saintes lois. Tantôt héroïque, tantôt bouffon, ce fanatisme du devoir s’exprimait du reste sans mesure. Mettant son honneur à l’accomplissement de sa tâche, quelle qu’elle fût, Simon pouvait devenir également, selon l’occurrence, un Vatel ou un Léonidas.
Les bras croisés sur sa poitrine et un de ses pieds appuyé au premier banc de la chaloupe, il écoutait les détails que lui donnait le patron Jacques Merlet sur la maladie de sa sœur Madeleine. Ses seules réponses étaient des interjections inarticulées dont il entrecoupait de loin en loin le discours de son interlocuteur. Tout au plus allait-il jusqu’au monosyllabe, lorsque ce dernier lui adressait une question directe. Primitivement peu causeur, il s’était tellement habitué au silence dans l’isolement auquel la garde du vieux phare le condamnait, qu’il semblait écouter le son de sa propre voix avec une sorte de surprise. Aussi ne retrouvait-il plus qu’avec effort les mots nécessaires pour traduire sa pensée ; il les cherchait en hésitant, comme s’il eût eu à s’exprimer dans une langue étrangère. Le patron Merlet, tout au contraire, amplifiait ses explications et arrondissait ses phrases avec une visible complaisance. Il y avait chez cet homme une rhétorique native qui lui fournissait à profusion les comparaisons, les citations et les sentences. C’était de plus une de ces médiocrités universelles qui arrivent à exercer tous les métiers sans en savoir jamais aucun. Tour à tour charpentier, forgeron, marin et jurisconsulte, Jacques médicamentait encore, sous le nom équivoque d’expert, les bestiaux et les hommes. Aussi jouissait-il dans le canton d’un certain crédit ; les gens de la côte le saluaient en touchant leurs chapeaux et ne l’appelaient que monsieur Merlet.
Après s’être expliqué en médecin sur la maladie de Madeleine, qu’il appela le mal d’agonie, et avoir ajouté en philosophe et sous forme de consolation que nous étions tous mortels, « comme la fleur des champs, » Merlet se fit avocat pour indiquer à Simon les formalités à remplir après la mort de sa sœur.
— D’abord il ne faut pas oublier qu’il y a une mineure, fit-il observer avec une certaine emphase, et la loi est, comme on dit, le père des mineures ; elle veille elle-même à la conservation de leurs biens.-Vous me direz peut-être : Mais j’en connais qui n’en ont pas ! — Il n’importe. — Le riche et le pauvre ont les mêmes droits ; nous sommes tous en égalité devant la loi.
Lavau murmura un hum approbatif.
— Donc, reprit Jacques, qui affectionnait cette forme d’argumentation péremptoire, ladite loi veille aussi bien à l’héritage de ceux qui n’en ont pas qu’à l’héritage des richards ; il n’y a plus de privilèges depuis la révolution.
Le gardien renouvela son assentiment.
— C’est pas que l’inventaire de la Madeleine demande grand papier, ajouta le patron de la barque ; la malheureuse n’avait guère que ce qu’on lui donnait ; elle aura vécu comme les oiseaux du ciel, de sa part de votre paie, mon pauvre homme, car rien ne vous a coûté pour elle ni pour ses enfans.
— Une sœur ! murmura Simon.
— Oui, oui ; on se doit à son sang, c’est connu ! reprit Jacques ; sans cela, qu’est-ce qui distinguerait les hommes des animaux ? — Mais pas moins, maître Simon, vous avez eu une rude tâche, d’abord du temps de votre beau-frère qui a vécu comme un païen, sans souci de sa femme ni des petits, et plus tard, quand il a fallu soutenir la veuve, qui a toujours été dolente et chétive… Encore si la mer n’avait pas emporté le gars Donatien !
— Malheur ! malheur ! répéta Lavau, arraché à son mutisme par ce souvenir.
— Seigneur ! que voulez-vous ? la terre est une vallée de larmes, répliqua le patron, qui, à l’occasion, prenait aussi le ton évangélique. Et penser qu’on n’a jamais pu savoir au juste ce qui avait fait sombrer le canot !
— Les roches ! murmura Simon.
— On croit cela parce qu’on a trouvé la barque défoncée, reprit Merlet ; mais la mer était ce jour-là aussi douce qu’une jeune fille à qui on fait la cour ; Dona avait quinze ans, il manœuvrait son bateau comme un matelot fini, et la nuit n’était pas si noire. Pour que le malheur soit arrivé, voyez-vous, faut qu’il y ait eu quelque aventure ! Mais le moyen de savoir ? Donatien n’avait avec lui que sa petite sœur, qui dormait. Aussi n’a-t-elle pu rien dire, sinon qu’elle avait été réveillée par une secousse et qu’elle s’était sentie dans la mer. Le canot avait déjà sombré.
Simon poussa un soupir.
— Et voyez la chance ! continua Jacques ; pourquoi la pâlotte, qui n’avait pas plus de sept ans, s’est-elle sauvée sur une planche pendant que le vaillant gars se noyait comme un chien ? Cela n’est-il pas une nouvelle preuve que chacun a son étoile de naissance ?
C’était aussi l’opinion de Lavau. Fataliste comme tous ceux qui ne se sont point élevés jusqu’à reconnaître des lois suprêmes dont les événemens particuliers sont les conséquences, il acceptait sans effort la double contradiction d’une destinée inévitable et d’un Dieu susceptible d’être fléchi. Aussi ne réclama-t-il point, même par un murmure, contre la maxime de son interlocuteur. Celui-ci continua en conséquence ses réflexions et ses conseils en les entremêlant des mêmes lieux communs, espèces de fleurs fanées qui vont à tous les discours, comme les couronnes de théâtre vont à tous les fronts. Il parla longuement de la nièce Georgette, que son visage sans couleurs avait fait surnommer la pâlotte, et demanda à Simon ce qu’il en pensait faire lorsqu’elle se trouverait orpheline. La réponse était, comme d’habitude, plus difficile à trouver que la question, et le gardien du vieux phare resta visiblement embarrassé. Merlet reprit alors la parole pour discuter les divers partis qu’il pouvait adopter. La pâlotte n’était point d’heureuse venue. À demi idiote, elle fuyait tout le monde, et, bien qu’elle eût déjà plus de treize ans, on n’avait pu l’attacher à aucun travail. Son frère Donatien avait seul trouvé accès dans ce cœur et cet esprit fermés. Il lui suffisait d’appeler Georgi pour qu’il la vît accourir l’œil brillant et le visage joyeux. Sa déférence n’était point seulement celle que la fille de nos campagnes témoigne toujours au fils aîné du logis, mais une sorte de servitude passionnée, quelque chose comme l’aveugle obéissance du chien pour son maître. Par malheur, ce zèle et cette soumission volontaires s’étaient brusquement éteints à la mort du jeune garçon. La pâlotte était alors tombée dans une tristesse farouche, qui avait semblé dégénérer en abrutissement. Les efforts de Madeleine pour la retenir au logis et l’appliquer à une occupation domestique s’étaient trouvés inutiles, sans que l’on pût dire au juste s’il fallait en accuser l’incapacité ou la rébellion de la jeune fille. On avait en vain eu recours aux remontrances d’abord, puis aux coups ; au lieu de changer, Georgi s’était enfuie sur les grèves et avait disparu pendant plusieurs jours sans qu’on pût savoir où elle s’était cachée, si bien qu’à son retour, on avait dû, pour prévenir une nouvelle fuite, ne plus contrarier son goût et lui laisser son oisive indépendance.
Merlet rappela toutes ces circonstances à Simon avec sa prolixité habituelle, et il n’avait point eu le temps de tirer une conclusion de ces longues prémisses, lorsque la barque arriva en vue du port. Le matelot qui se tenait à l’avant demanda au patron s’ils aborderaient en dedans ou en dehors de la jetée ? — En dedans ! répondit Merlet ; mais attention, eh ! Rigaud ! ouvre l’œil quand nous arriverons dans les eaux de la bisquine (il indiquait un petit navire caboteur placé à l’entrée du port) ; tu sais qu’elle a une amarre frappée au bec de la jetée.
— Criez-leur de larguer ! fit observer Lavau.
— À qui ça ? dit Jacques, aux matelots du Provençal ? — Par mon baptême ! vous ne les connaissez guère, maître Simon ; le plus honnête d’entre eux ne se baisserait pas pour empêcher dix ponantais de se noyer.
Le vieux gardien connaissait de trop vieille date l’hostilité traditionnelle qui anime les matelots du Midi contre ceux du Ponant pour demander une explication ; son attention fut d’ailleurs tout à coup détournée par les aboiemens furieux d’un chien jaunâtre qui s’était élancé sur la lisse du caboteur.
— Entendez-vous le griffon ! reprit Jacques ; ne dirait-on pas qu’il veut appuyer mes paroles ? Ah ! que je te tienne jamais sous ma gaffe, va, méchant gredin de Lucifer… — car ils l’ont appelé Lucifer, — et le nom lui va. Son maître l’a rendu presque aussi méchant que lui-même.
— C’est donc le navire de Martin Bardanou ? demanda Lavau.
— Juste ! répondit le patron, qui jeta à la bisquine un regard de côté, et vous pouvez lever la main que ce n’est pas pour son capitaine comme pour le vin de Bordeaux : la vieillesse ne l’a pas rendu meilleur. Depuis le temps qu’il apporte ici, chaque année, son chargement d’huile et de savon, il est devenu pire que devant. Aussi n’a-t-il dans le canton que des ennemis ; les enfans même le huent comme un chien enragé.
— Il a été chassé hier de l’Ancre d’or, dit le matelot Rigaud, et à cette heure il est obligé de boire et de manger à bord.
— Tant il est vrai que la méchanceté reçoit tôt ou tard sa récompense ! reprit sentencieusement Merlet.
— Pas moins, il aurait fallu s’y décider plus tôt, objecta le matelot, on aurait évité des malheurs !
— À preuve, le petit Abdon qu’il a forcé à se battre voilà deux ans, et qui depuis file son linceul.
— Et Riou, qui a perdu l’œil.
— Et tant d’autres à qui le malheureux a causé « des incapacités de travail, » acheva Jacques en appuyant sur les mots empruntés au code. Des hommes pareils, voyez-vous, ça devrait être enfermé comme des bêtes sauvages ; ce n’est pas des Français ! Ah ! mille millions d’avirons ! si ça me regardait, j’en aurais bientôt fini avec ce capitaine de malheur…
— Le voici sur son bossoir, interrompit Rigaud.
Un homme de haute taille, aux traits durs et au teint bilieux, était effectivement appuyé sur la lisse de proue du navire ; il portait un noroit de drap pilote, une cravate de laine rouge et un chapeau de cuir bouilli. Ses yeux étaient fixés sur le bateau près de passer sous son beaupré. Merlet, que l’avertissement de son matelot avait subitement interrompu, sembla d’abord assez embarrassé ; cependant, après avoir toussé deux ou trois fois et regardé à droite et à gauche, il se décida à lever la tête et salua le Provençal de son sourire le plus aimable.
— Une jolie mer, capitaine ! dit-il en indiquant du doigt l’immensité bleuâtre que frangeaient à peine quelques ondulations écumeuses. Le caboteur, qui fumait, lâcha une bouffée de tabac sans répondre.
— La Victorieuse n’est donc pas encore au radoub ? reprit le patron, qui crut n’avoir pas été entendu.
— Est-ce que cela te regarde, failli pêcheur de cancres ? dit Bardanou avec la voix grossie et le cadencement agressif qui forment le fond de l’accent provençal.
— Eh bien ! cela vous offense, à cette heure, qu’on vous parle ? demanda Jacques déconcerté.
— File, ton nœud, marin d’eau douce, avec ton pétrin arrimé en canot, reprit le caboteur.
— Méchant vendeur d’huile ! murmura Merlet, dont la barque avait doublé la bisquine, mais qui n’éleva prudemment la voix qu’à mesure qu’il s’en éloignait ; cela ne sait répondre que de mauvaises raisons à une politesse. Mais patience, tôt ou tard il trouvera plus fort que lui ; — un mal fait n’est jamais perdu. — Eh ! Rigaud, amène le taille-vent ; voilà que nous arrivons sur la jetée.
— Écoutez ! interrompit le gardien du vieux phare, qui depuis un instant prêtait l’oreille ; qu’est-ce que j’entends donc là-bas ?
— C’est un chant d’église, dit Rigaud.
— On dirait le De profundis, ajouta Simon saisi.
Merlet pencha la tête pour mieux entendre. Les notes de l’hymne lugubre lui arrivèrent en effet, perçantes et saccadées ; il fit un mouvement d’épaules.
— Eh oui, reprit-il ; vous ne reconnaissez donc point la voix, maître Lavau ? C’est votre nièce.
— Georgi ? Mais pourquoi ?
— Pardieu ! avez-vous oublié que c’est une de ses fantaisies ? Depuis qu’elle a vu descendre son frère Donatien dans la fosse, elle rechante le De profundis toutes les fois qu’elle a quelque chose qui lui point le cœur. Quand Madeleine la battait de désespoir, et qu’elle s’enfuyait à la grève, on ne l’entendait jamais ni crier ni pleurer ; mais elle reprenait son chant de malheur. Et… tenez, tenez… qu’est-ce que je vous disais ? la voilà qui paraît sur la jetée… — Ah ! elle vous a reconnu, car elle accourt et elle descend le talus.
Celle qu’il avait indiquée venait en effet de se laisser glisser sur la pente du môle, et attendait debout, à quelques pas de l’escalier de débarquement. Georgi pouvait avoir quatorze ans ; elle n’était vêtue que de haillons dont le vent agitait les lambeaux en dessinant ses formes anguleuses et grêles. Sa jupe de grosse étoffe, frangée par l’usage, laissait voir des jambes nues, auxquelles le hâle et le soleil avaient donné la couleur du cuir de Cordoue. De sa coiffe trouée sortaient des mèches éparses de cheveux noirs qui faisaient encore ressortir sa pâleur. Cette pâleur n’avait pourtant rien de maladif. Jointe à des regards fixes et à des traits immobiles, elle semblait plutôt le résultat d’un saisissement suprême. C’était seulement à l’examen que l’on découvrait, dans l’œil d’un bleu vitreux et sur les lèvres aux coins crispés, je ne sais quel idiotisme égaré, mêlé à une expression de ruse tenace. Une main appuyée aux marches de granit, elle tenait de l’autre, enroulé à son épaule, un de ces larges rubans d’algues marines auxquels leur couleur fauve et leurs merveilleuses arabesques donnent l’apparence du cuir repoussé. Le lieu, la pose, l’expression du visage, et cet ornement bizarre mêlé aux haillons de Georgi, lui prêtaient une originalité sauvage dont se fût émerveillé un peintre ou un poète, mais qui fit hausser les épaules à Merlet.
— S’il est permis à une chrétienne de se houster pareillement ! s’écria-t-il ; penser qu’une créature de son sexe passe ainsi la fleur de son âge à se traîner sur les grèves comme un crabe et à se fabriquer des garnitures de taille en goëmon ! N’oubliez pas ce que je vous dis, maître Simon : il n’y a rien à attendre d’une jeunesse sans amour-propre.
Lavau parut partager les craintes du patron : son front s’était plissé à la vue de Georgi ; mais elle n’y prit point garde, et, au moment où la gaffe du patron saisit l’anneau de fer soudé à la jetée pour faire accoster les barques, elle tendit les mains vers le gardien du vieux phare et lui souhaita la bienvenue par un cri de joie.
— Et Madeleine ? cria Lavau en fixant un regard inquiet sur la pâlotte.
L’éclair qui avait illuminé son visage s’éteignit, et ses traits reprirent leur fixité. — Elle attend ! répondit-elle brusquement.
Le gardien, qui avait craint d’arriver trop tard, poussa un soupir de soulagement. Il sauta de la barque et se mit à gravir l’escalier, tandis que sa nièce grimpait à côté de lui, le long du talus, avec la légèreté d’une mouette. — Le prêtre est-il venu ? demanda Simon en la regardant. — Elle fit un signe affirmatif. — Reviendra-t-il ? — Elle fit signe que non. — Alors tout est fini ? — Georgi ne répondit pas, mais ses yeux s’ouvrirent plus grands, et ses lèvres se serrèrent.
Lavau se dirigea vers la cabane de la mourante sans renouveler ses questions. La porte ouverte lui permit de voir deux petits cierges allumés à l’intérieur, tandis que les voisines se tenaient en prières sur le seuil. Il entra. Madeleine était couchée sur un misérable lit presque au niveau de terre et sans rideaux. On avait placé entre ses bras un crucifix de cuivre et sous sa tête le coussin de cendre appelé oreiller d’angoisse. Une vieille femme agenouillée au chevet répétait tout haut les prières des agonisans, auxquelles répondaient celles qui s’étaient arrêtées à l’entrée. L’haleine de la malade avait déjà le sifflement du dernier râle, et ses yeux étaient fermés. Cependant, à la voix de Simon, elle les rouvrit ; le contentement parut suspendre chez elle la marche de l’agonie. Elle laissa glisser le crucifix, se releva à demi sur le coude, et étendit une main vers son frère.
— Ah ! vous voilà, dit-elle d’un accent éteint ; je n’attendais que vous pour prendre ma liberté. Que Dieu vous récompense d’être venu !
Elle lui avait fait signe d’approcher : il s’agenouilla sur la terre ; Georgi s’accroupit au pied du lit.
— J’ai beaucoup à dire… et j’ai peu de temps… reprit la mourante ; écoutez-moi avec toute votre bonne volonté, Simon.
— J’écoute, Madeleine, répondit le marin.
— Le curé a promis que je ne passerais pas la soirée, continua-t-elle ; quand ils m’auront fermé les yeux, mon Lavau, vous irez commander ma châsse, et vous laisserez les voisines ensevelir mon pauvre corps… mais ordonnez bien que ce soit dans la toile qui est là sur l’armoire de chêne.
— La voile de la barque ! interrompit la pâlotte, qui se redressait demi.
— Oui, Georgi, oui, reprit Madeleine ; c’est dans ses plis qu’on a trouvé Dona quand la marée a apporté les restes du canot. J’ai donné la moitié pour l’ensevelir ; l’autre sera pour moi : je veux dormir dans la même toile que mon cher enfant.
— Cela sera fait, murmura l’idiote avec une sorte d’exaltation.
— Y veillerez-vous, mon Simon ?
— J’y veillerai, dit le gardien.
— Et maintenant, ajouta la mourante en baissant la voix, j’ai à vous faire encore une autre demande… une demande qui fera la joie ou le souci de ma mort, suivant que vous l’écouterez.
— Ne savez-vous pas que je n’ai rien à vous refuser ? dit Lavau ému.
— Est-ce vrai ? s’écria Madeleine ; alors, si je vous recommandais de faire dire des prières pour l’ame de mon pauvre Dona ?…
— Elles seraient dites, Madeleine.
— Vous me le jurez, mon Lavau ?
— Oui.
— Sans oubli, n’est-ce pas ?
— Sans oubli.
— Et, quoi qu’il en coûte, vous ne regarderez pas à l’argent ?
— Non, fallût-il y mettre mes économies de l’année !
La mourante joignit les mains.
— Dieu vous paiera cette bonne parole le jour où il viendra dans sa gloire pour nous juger tous, dit-elle ; mais je vous ai assez coûté vivante sans vous dépouiller encore quand je serai sous terre. Mon cher homme, je ne vous demande rien que de remplir mes intentions.
Elle regarda autour d’elle, fouilla convulsivement dans son sein, et en retira un petit sachet de toile rousse.
— Tenez, mon Simon, ajouta-t-elle plus bas, il y a là sept écus en argent blanc épargnés par demi-sous sur le cri de ma faim et la sueur de mon corps ; je veux qu’on les emploie à faire dire tous les ans une messe d’allégeance en l’intention de Dona, et à mettre sur sa fosse, à la place de la croix de bois, une pierre taillée où sera son nom.
— On la mettra, murmura Georgi, qui prêtait une attention extraordinaire aux paroles de la mourante, et dont l’œil avait, depuis quelques instans, une lucidité étrange. Ces mots ramenèrent l’attention de Madeleine sur la pâlotte.
— N’est-ce pas que tu le veux bien, pauvre innocente ? Continua-t-elle. Il y en a qui diront que mieux vaudrait te laisser les sept écus ; mais tu as des parens qui ne t’abandonneront pas. On voit les peines des vivans et on les aide, tandis qu’on oublie les souffrances des morts quand ils sont cachés sous l’herbe du cimetière.
— Je n’oublierai pas Donat s’écria Georgi avec une énergie sombre.
— L’entendez-vous, mon Lavau ? reprit la mère, dont le visage s’éclaira. Pour dire la vérité, Dona et elle s’aimaient d’un grand cœur et ne se pouvaient quitter. Tant que le frère a été sur terre, celle-ci ressemblait aux autres enfans du pays ; mais on dirait qu’en partant, l’autre a emporté son esprit dans la fosse. Ah ! Jésus ! si Dona vivait encore, tout me paraîtrait bon, même de mourir !
Une petite larme, la dernière qui dût sortir de ces yeux près de s’éteindre, glissa lentement sur la joue livide. Le gardien du vieux phare parut violemment ému, et sa langue se délia.
— Ne pensez point au passé, Madeleine, dit-il, et reprenez courage. Tout ce que vous me demandez sera fait : je le jure par ma croix ! Un homme ne peut rien dire de plus.
— Aussi me voilà tranquille, mon Simon, reprit la mourante ; à cette heure, la grande angoisse peut venir.
Elle se laissa retomber sur l’oreiller de cendre, et les sifflemens du râle ne tardèrent pas à se faire entendre de nouveau. L’agonisante parla encore quelque temps de Dona et de sa fille ; elle répéta en mots entrecoupés les recommandations déjà faites, mais insensiblement la voix devint plus confuse ; bientôt ce ne fut plus qu’un murmure inarticulé. Les voisines s’étaient approchées et entouraient le lit à genoux ; la pâlotte, accroupie à l’autre bout de la cabane, gardait le silence, mais une contraction convulsive agitait ses lèvres, et des gouttes de sueur perlaient son front. L’agonie se prolongea une partie de la nuit. Enfin, vers le matin, Madeleine sembla se réveiller ; elle appela Dona, puis Georgi, étendit les mains comme si elle eût voulu se rattacher à quelque chose, poussa un long gémissement et expira.
Au mouvement qui se fit autour du lit, la pâlotte s’était redressée ; elle s’élança vers la morte, regarda un instant, puis recula avec un grand cri. Une des voisines lui imposa brusquement silence et la força à s’agenouiller. La vieille femme venait de commencer la prière des morts. Georgi demeura muette sans avoir l’air de comprendre ce qui se faisait ; mais, lorsque l’oraison fut achevée et qu’elle vit les voisines se signer, elle se releva d’un bond, tourna plusieurs fois autour du lit de la morte avec des éclats de rire convulsifs, puis, entonnant d’une voix perçante le chant funèbre qui lui revenait à la mémoire dans toutes ses émotions, elle s’élança hors de la cabane, et disparut au milieu de la nuit.
Le surlendemain, Lavau, Merlet et quelques autres voisins se trouvaient réunis dans la cabane de la défunte, tandis que le juge de paix achevait le court inventaire de la succession. Ils avaient été convoqués en conseil de famille pour décider ce que l’on ferait de Georgi et pour lui nommer un tuteur. Ce dernier titre appartenait naturellement au gardien du vieux phare, qui était le seul parent de la pâlotte ; mais il était plus difficile de prendre un parti sur l’autre question. Chacun proposa en vain son expédient : les uns parlèrent de placer Georgi dans une ferme de la paroisse où on lui donnerait sa nourriture, deux chemises de toile à Pâques et une paire de sabots à Noël ; d’autres engagèrent Lavau à l’envoyer pétrir la glaise aux piperies, où elle pourrait gagner jusqu’à six sous par jour ; quelques-uns rappelèrent enfin que la nouvelle fabrique occupait les filles de son âge ; mais à chacune de ces propositions Merlet opposa la paresse obstinée de l’orpheline et son inaptitude pour tout apprentissage.
— Faut pas s’illusionner le raisonnement, dit-il en prenant une attitude oratoire ; pour la capacité et pour l’éducation, la créature ressemble plus à un corbeau de mer qu’à une chrétienne. Hormis boire et manger, elle n’a jamais pu apprendre à rien faire de ses dix doigts. Or j’ai souvent remarqué que l’oisiveté était la mère de tous les vices, et il est à présupposer que, si l’innocente est laissée à elle-même, tôt ou tard il en résultera la perdition de son ame et de son corps.
Les voisins firent un signe d’assentiment accompagné de murmures approbateurs.
— Je sais bien, continua Merlet, qui donna plus d’autorité à sa voix et qui élargit son geste comme tous les orateurs applaudis, que certains pourront dire : — Puisqu’il y a danger de la laisser libre, il faut l’enfermer ; — mais moi j’opine autrement. L’expérience m’a fait reconnaître que le seul moyen de ne pas tomber dans les extrêmes était de prendre un juste milieu, et pour lors je dis que le vrai moyen d’arranger tout le monde est de faire recevoir la pâlotte à l’hospice du chef-lieu.
Il y eut un mouvement général d’approbation ; Lavau seul, qui avait jusqu’alors gardé le silence, releva la tête en se récriant. Pour lui comme pour toute la portion du peuple de nos provinces, qui a conservé le sentiment de solidarité dans la famille, cette idée d’hospice entraînait une sorte de flétrissure ; aussi la rougeur lui monta aux joues, et il jeta à Merlet un regard mécontent.
— Qui est-ce qui a dit que j’abandonnais Georgi ? demanda-t-il brusquement.
— Personne, répondit Merlet avec importance ; mais j’aime à croire que vous ne voulez point, par fausse gloire, la garder à votre charge.
— Pourquoi cela ?
— Pourquoi ? mais probablement, mon cher, parce que les hospices sont faits pour les pauvres et les orphelins.
— Les hospices sont faits pour les vagabonds et les bâtards, s’écria le vieux marin. Georgi n’a pas besoin du pain d’aumône ; elle a quelqu’un qui prendra soin d’elle.
— Je comprends les scrupules de maître Lavau, dit le juge de paix, qui venait de s’approcher, et sa délicatesse l’honore ; mais a-t-il bien réfléchi à la responsabilité qu’il veut prendre ?
— Oui, répondit Simon.
— Et à qui compte-t-il confier la garde de sa nièce ?
— Voilà ! reprit le gardien du vieux phare en hachant sa phrase comme un homme qui trouve difficilement ses mots ; j’ai parlé à quelqu’un… ce matin… pas vrai, Robert ?… Dis-leur que Marguerite prendra Georgi.
— Minute ! interrompit le vieux pêcheur dont il venait d’invoquer le témoignage ; la femme a promis trop vite, maître Simon.
— Elle ne veut donc plus ? demanda vivement le marin.
— Je ne dis pas ça, reprit Robert ; mais la pâlotte n’est pas de garde facile, savez-vous ! Quand on répondra d’elle, il faudra y veiller ; ça veut du temps, et le temps, c’est de l’argent.
— T’ai-je proposé de la prendre pour rien ? interrompit Lavau. Le prix est convenu.
— Je sais, je sais, dit le pêcheur, qui roulait son bonnet avec un peu d’embarras ; mais tout de même je voudrais demander quelque chose à monsieur le juge.
— Voyons, dit ce dernier.
— La pâlotte, continua le pêcheur, n’a aucun droit contremaître Simon, la loi ne l’oblige pas à nourrir sa nièce, et ceux qui l’auront gardée dans leur logis ne pourront rien réclamer que de sa bonne volonté.
— As-tu des raisons d’en douter ? demanda le marin.
— Je ne dis pas ça, reprit Robert ; mais monsieur le juge sait bien que la volonté, ça change. Des fois on s’ennuie de donner, des fois on manque de monnaie, des fois on meurt, et pour lors, bonsoir ! qui n’a point de droits n’a point de recours, si bien que la pâlotte demeurerait à notre charge.
— Pourquoi cela ? Ne pourriez-vous faire dans ce cas ce que maître Simon refuse de faire maintenant ?
— Envoyer la fille à l’hospice ! interrompit le pêcheur ; cela ne se pourrait plus. Quand une pauvre créature a dormi sous votre toit, qu’on s’est habitué à veiller sur elle, à lui rire, à la corriger comme sa propre fille, on ne peut pas s’en défaire ainsi à commandement. Ce n’est pas le tout de dire : — Je ne lui dois rien ! il y a l’accoutumance, voyez-vous ! Puis ces enfans, peu à peu cela s’agrafe à votre cœur. On se résigne plutôt à la misère, et quand il ne reste plus qu’une bouchée de pain, on en fait deux morceaux ! Mais c’est dur pas moins de souffrir pour le sang d’un autre, et c’est la raison pour quoi j’ai peur de trop m’engager.
— Alors, explique-toi, que veux-tu ? demanda Lavau.
Robert parut d’abord hésiter, puis se décida.
— Eh bien ! dit-il, je voudrais, avant de prendre Georgi à ma charge, être un peu garanti pour l’avenir.
— Comment ? — Par exemple… au moyen d’une avance.
Le gardien du vieux phare fouilla dans la poche de sa veste, et en tira deux pièces de cinq francs qu’il jeta sur la table.
— Voici la fin de mon argent du mois, dit-il ; prends pour la fille, le reste a servi pour la mère. Robert secoua la tête.
— Quand je le prendrais, maître Simon serait plus pauvre, et je ne me trouverais guère plus riche, répliqua-t-il.
— Ainsi tu refuses ? s’écria le marin.
— Bien malgré moi.
— Alors tu doutes de ma parole ?
— Non, mais je voudrais avoir une caution.
— Et où diable veux-tu qu’il la trouve ! s’écria Merlet en haussant les épaules.
— Où ? répéta Simon ; pardieu ! ici ; elle est trouvée, la voilà !
Et, arrachant de sa veste la croix qu’il présenta à Robert :
— Garde-moi cela, dit-il, et si jamais j’oublie de te payer la pension de Georgi, viens me la montrer ; si je te renvoie, va la vendre ! C’est mon honneur que je te donne en gage, cela te suffit-il ?
— Cela me suffit, maître Simon, répondit le pêcheur ému.
— Alors tout est dit ; ramasse ta caution et emmène la fille.
Mais celle-ci n’était déjà plus dans la cabane. Arrivée pendant l’inventaire, elle avait tout observé avec une curiosité étonnée jusqu’au moment où on avait ouvert un petit coffret renfermant les humbles archives de la morte. Là se trouvaient, parmi les actes qui constataient son mariage et la naissance de ses enfans, une bague de cuivre et une petite médaille de plomb recueillies sur le cadavre de Donatien lorsque le flot l’avait rapporté au rivage. Conservées par Madeleine comme un cruel et cher souvenir, elles avaient été reconnues par Georgi, qui fut saisie, à leur vue, d’un invincible désir de les posséder. Elle attendit en conséquence, accroupie dans un coin de la cabane, que l’attention se fût portée ailleurs ; puis, rampant avec une adresse de sauvage jusqu’à l’armoire entr’ouverte, elle glissa la main dans le coffret, saisit les deux souvenirs convoités et gagna la porte sans être aperçue. Elle traversa en courant plusieurs ruelles, les mains serrées sur le petit châle de cotonnade qui cachait son innocent larcin, tourna la jetée, et arriva à la grève jusqu’à l’une des grandes roches qui bordaient le rivage.
Grace au déplacement des eaux, cette masse jaunâtre, autrefois crénelée par la vague, se dressait maintenant à une portée de mousquet des plus hautes marées. Les algues marines qui la tapissaient naguère étaient remplacées par de pâles traînées de lichens et de mousses fauves. Un enfoncement creusé dans la face qui regardait la mer avait été adopté pour foyer par les caboteurs, ce qui lui avait fait donner le nom de Roc brûlé. Quelques équipages y établissaient leur cuisine pour économiser les frais de chaudière dans les cabarets du port, et tous y faisaient fondre le brai destiné à recouvrir les coutures du navire fatigué par la mer.
Dans ce moment même, maître Bardanou et deux de ses matelots. Loustot et Bragantal, s’y trouvaient réunis autour d’un feu près de s’éteindre et devant une marmite de fer d’où s’exhalait l’odeur du goudron. La bisquine, échouée à une centaine de pas, montrait ses flancs diaprés de lignes brillantes qui indiquaient un calfatage récent. Les trois Provençaux venaient d’achever la bouillabaisse qui leur avait servi de souper ; le capitaine de la Victorieuse fumait, tandis que les deux autres marins, assis sur le sable fin de la grève, s’étaient remis à préparer du filin.
Georgi, qui arrivait à la Grande-Roche par le côté opposé, ne les aperçut pas. Elle se glissa entre deux espèces de contreforts, s’aida des aspérités de la pierre pour atteindre plus haut, et disparut parmi les crêtes déchiquetées qui couronnaient la nasse granitique. Au centre même s’ouvrait une large fissure, par laquelle la jeune fille se laissa glisser jusqu’à une petite grotte intérieure, autrefois creusée par les flots, et découverte par Donatien en cherchant des nids de goélands. Dans ses différentes fuites de chez sa mère, c’était là qu’elle avait trouvé une retraite, et elle y revenait encore souvent rêver, dormir ou penser à son frère mort, car Madeleine n’avait rien exagéré en parlant de la préférence de Georgi pour Donatien. L’avait été le premier ou plutôt le seul attachement de sa vie. Tout ce qu’il y avait chez elle d’ardeur, de jugement, de souvenirs, se rattachait plus ou moins directement à son compagnon d’enfance. Hors de là, tout rentrait dans le vague domaine de l’instinct. Cette ame qui semblait être sortie des limbes encore endormie s’était un instant éveillée à la voix de Dona ; elle avait quelque temps vu et compris, non par elle-même, mais par lui ; c’était seulement quand il était mort que la nuit, s’était faite de nouveau, et que Georgi avait tout perdu, tout sauf je ne sais quelle mystérieuse communication avec la nature. Étrangère aux hommes, la pâlotte ne l’était ni aux vents, ni aux flots, ni aux nuées. La voix de la création réveillait en elle mille échos ; elle aimait à l’entendre, elle y mêlait les modulations sans règle de sa propre voix ; on eût dit que, bercée sur le sein de cette grande nourrice commune, elle conversait avec elle, comme l’enfant avec sa mère, par des balbutiemens confus mais joyeux.
Cette perception instinctive et le souvenir de Donatien formaient, à vrai dire, toute l’ame de Georgi ; mais ce dernier souvenir avait une ténacité vivace contre laquelle le temps ne pouvait rien. Loin de s’être affaibli à la longue, son attachement pour Dona avait paru grandir dans la séparation de la tombe, comme il eût fait dans l’intimité journalière de la vie. Sans aucune des distractions qui dissipent le cœur, n’ayant qu’un sentiment et qu’une idée, la pâlotte avait continué à s’occuper de son frère comme s’il eût été là. Incapable d’aller plus loin que le présent, son esprit n’avait jamais bien saisi ce qu’il y avait d’absolu dans ce mot de mort ; pour elle, c’était moins la disparition éternelle que l’absence. Cette absence pourtant lui était parfois une cuisante douleur. Quand la conscience de son isolement se réveillait plus nette et plus vive, elle entrait dans de subits désespoirs qui lui faisaient pousser des cris et se rouler sur la terre. Rien alors n’eût pu la consoler : c’était le chien qui pleure son maître, et ne comprend point la voix qui lui parle ; mais, ses larmes épuisées, elle reprenait toute sa tranquillité.
Du reste, aux heures de tristesse comme aux heures de joie, la grotte du rocher était le lieu ordinaire où elle aimait à se réfugier. Elle y avait réuni toutes ses pauvres richesses, soigneusement ensevelies sous le sable : c’était une petite croix qu’elle tenait de Madeleine, un chapelet donné par son oncle Simon, une branche de buis bénie par le curé le jour des Rameaux, et quelques coquillages bizarres recueillis sur la grève aux grandes reverdies. Elle venait y ajouter la médaille et l’anneau de Dona. Après avoir retrouvé son trésor enfoui, elle l’étala devant elle, et, couchée sur quelques brins de varech desséchés, elle se mit à examiner chaque objet l’un après l’autre. Cette revue, qui se renouvelait de loin en loin, était habituellement pour l’intelligence de Georgi une occasion de réveil. À l’aspect de ces souvenirs, mille images du passé se soulevaient et tourbillonnaient confusément dans sa mémoire. Elle allait alors de l’une à l’autre sans s’arrêter à aucune et entrevoyait çà et là mille perspectives aussitôt évanouies ; c’était une sorte de rêve, dont elle se donnait la fête à ses heures de lucidité, et qu’elle s’efforçait de prolonger, d’autant qu’au milieu de sa confusion une image surnageait toujours, et reparaissait sans cesse pour éclipser toutes les autres : celle de Donatien ! Dans tous ces retours en arrière, son doux fantôme se redressait souriant comme un souvenir d’affection, de bien-être et de liberté. Tant qu’il avait vécu, en effet, Georgi encore enfant avait été abandonnée au courant de ses fantaisies ; c’était seulement après la mort de Donatien que Madeleine avait voulu lui imposer le joug du travail, si bien qu’une coïncidence confondait, dans la mémoire de la pauvre fille, l’image de Dona et celle de ses heureuses années. Il avait été le Saturne de cet âge d’or ! Aussi sa pensée se mêlait-elle inévitablement à toutes les douces réminiscences ; elle flottait sur le passé à la manière de ces étoiles par lesquelles tout s’illumine autour de nous d’une charmante lueur.
Il y avait déjà long-temps que la pâlotte se tenait là couchée sur le sable fin de la grotte et dans le demi-sommeil de la rêverie, quand des voix, dont l’accent s’élevait, lui firent relever la tête. Une paroi de médiocre épaisseur séparait sa retraite de l’enfoncement fréquenté par les caboteurs. Georgi approcha son œil d’une fente qui, grace à l’obscurité de la grotte, permettait de voir au dehors sans être vu, et reconnut Martin Bardanou avec ses deux matelots.
Le capitaine provençal semblait en proie à la double excitation de l’ivresse et de la colère. C’étaient ses malédictions furieuses qui venaient d’attirer l’attention de Georgi. Quelques jours auparavant, on l’avait chassé de la grande auberge de l’Aigle d’or avec ses gens, et le souvenir de cet affront l’exaltait jusqu’à la fureur.
— Que le tonnerre du firmament me fasse poussière, si je ne me venge pas ! s’écriait-il en frappant du poing la gamelle retournée.
— Cette racaille de ponantais ! dit Loustot ; ils sont fiers d’avoir eu le dessus, parce qu’ils étaient dix contre trois.
Bragantal, qui tordait un filin sur sa cuisse, haussa les épaules.
— Qu’est-ce que je t’ai répété cent fois ? dit-il d’un ton superbe ; que tout ce qui n’était pas Provençal devrait être attelé en guise de limonier ! Aussi bien, si j’étais roi de France, je mettrais ces lascars du Ponant hors l’humanité ! Vrai ! rangés parmi les brutes, et le bon Dieu en rirait !
— Oui, oui, reprit Bardanon ; mais, en attendant, il faut que j’en extermine ! C’est un besoin, voyez-vous ; cela me court dans les veines, cela me crie dans les entrailles.
Le premier matelot le regarda en riant.
— Ah çà ! capitaine, dit-il ; mais c’est donc une maladie ? Je comprends qu’un ponantais prenne toujours sur les nerfs ; mais il me paraît que vous avez une préférence pour ceux d’ici.
— Cela date de mon premier voyage, répondit Bardanou.
— Ah ! ah ! voyez-vous ! Et pourrait-on savoir la cause, sans vous commander ?
— La cause ! répéta le capitaine, la cause, c’est tout ! La première fois que je suis entré dans leur gueux de port, voilà douze ans, j’ai vu que c’étaient des brigands.
— Ah ! Bah !
— Chaque fois que je leur parlais, je les voyais ricaner, et, quand je leur demandais pourquoi, ils me répondaient que c’était à cause de mon accent.
Les deux matelots se récrièrent.
— Comprenez-vous ! reprit Bardanou en jurant, les imbéciles me trouvaient de l’accent ! Ils ne sentaient pas que c’étaient eux qui en avaient ! — J’ai reconnu sur le quart d’heure que j’étais dans un pays de sauvages.
— Et le capitaine les a traités en conséquence, reprit Bragantal ; on m’en a montré un l’autre jour qu’il a drôlement arrangé.
— Le borgne ? demanda Bardanou avec un sourire de satisfaction féroce.
— Non, un boiteux.
— Ah ! je sais. Celui-là est d’une autre année.
— Il paraît qu’à chaque voyage, le capitaine laisse de ses marques. Si cela continue, il fera du pays un hospice d’infirmes.
— Eh bien ! ils ne l’auront pas volé, reprit Loustot, après les désagrémens qu’ils ont causés au capitaine.
— Pour son accent ?
— Et pour autre chose encore, pour la femme du charpentier. Le Provençal, qui allait porter le verre à ses lèvres, tressaillit.
— Qui est-ce qui t’a dit cela ? s’écria-t-il en pâlissant.
— Pardieu ! c’est l’autre jour qu’on en causait à la grande auberge, reprit le matelot ; ils ont raconté le rendez-vous donné à la femme et où vous avez trouvé le mari.
Bardanou fit un mouvement.
— Il paraîtrait même que tous les gens du port étaient avertis et qu’ils se tenaient à la porte pour voir manœuvrer la trique du charpentier.
— Le capitaine a donc été battu ? demanda Bragantal.
— Et reconduit jusqu’au navire à coups de pierres par les voisins ; acheva Loustot.
— Ah ! bien ! je comprends à cette heure qu’il ait besoin de les exterminer, s’écria le matelot. Tonnerre du ciel ! en voilà un affront ! et penser que vous n’avez pas pu vous revenger, capitaine !
— Qui est-ce qui t’a dit cela, lascar ? répliqua Bardanou les lèvres tremblantes et l’œil enflammé.
— Trédames ! je le sais, puisque le charpentier est parti pour Nantes où il fait fortune.
— Oui ; mais le vrai auteur de l’affront était celui qui avait découvert la chose et averti les voisins.
— Qui donc ?
— Un méchant mousse à peine sevré, le fils de la vieille drôlesse qui a été enterrée ce matin.
— Et celui-là, le capitaine a pu lui donner une leçon ?
Un éclair de férocité triomphante traversa le visage de Martin Bardanou.
— Celui-là ! répéta-t-il en ricanant, savez-vous où il était quelques jours après l’aventure ?
— Où donc ?
— À cinq brasses sous l’eau !
Les deux matelots redressèrent la tête.
— Et c’est le capitaine ?… s’écrièrent-ils en même temps.
Le Provençal sourit.
— Non, reprit-il d’un accent ironique ; accident de mer ! comme on dit sur les livres de loch. Je revenais un soir de la fabrique dans le canot, quand j’aperçois au milieu de la brume une mauvaise barque qui naviguait au plus près, et je reconnais à la barre ce brigand de Donatien. Il dormait, je suppose, car j’arrivais sur lui grand largue sans qu’il eût l’air de s’en apercevoir. Je pensai en moi-même : — Pour être si distrait, il faut que le gueux soit occupé de l’histoire de la charpentière ! Naturellement cela me monte les nerfs. J’avançais toujours à sa rencontre ; ma foi ! comme mon canot était neuf et sa barque pourrie, je me dis : — Après tout, la mer est un grand chemin, et on ne se dérange que pour ses amis. Je serre l’écoute, et je laisse porter sur le bateau !… Ce fut l’affaire de rien. Au moment de l’abordage, j’entendis un cri, la voile pencha, puis disparut brusquement ; l’embarcation avait coulé comme un panier.
Ici une exclamation étouffée retentit sous le rocher. Bardanou tressaillit et releva la tête ; mais, n’apercevant que les deux matelots, il crut qu’elle était échappée à l’un d’eux.
— Eh bien ! quoi ? qu’est-ce qui t’étonne, toi ? dit-il en fixant sur Bragantal des yeux menaçans.
— Rien, capitaine, répliqua le matelot embarrassé.
— Est-ce que je n’étais donc pas dans mon droit, et c’était-il à moi de m’occuper de la barque des autres ?
— Je ne dis pas cela.
— Après tout, qu’est-ce qu’il y a, voyons ? Un chalandoux ponantais de moins !
C’est juste, dit Loustot ; mais tout de même il ne ferait pas bon pour le capitaine, si on savait la chose dans le pays.
— Est-ce que tu comptes la répéter ? demanda Bardanou, qui commençait à sentir ce que sa confidence avait eu d’imprudent. Par tous les noms du diable ! si je le croyais, tu ne reverrais jamais la Cannebière.
— Soyez donc calme ; on sait parler et on sait se taire, dit le matelot, qui voulait évidemment éviter une querelle.
— Prends-y garde, reprit Martin Bardanou en insistant, tu sais que je ne vaux rien.
— C’est connu, capitaine.
— Pour lors, ne l’oublie pas ; veille au grain et tiens ta langue à la cape. Si on me taquinait jamais à propos de ce Donatien, cela serait à arranger entre nous trois, vu que toi et Bragantal vous êtes les seuls à savoir l’affaire.
Bardanou se trompait. Il avait, à son insu, pour troisième confident la pâlotte, qui avait tout entendu. Elle ne comprit pas bien au premier instant. Les perceptions arrivaient embrouillées à cet esprit, et le plus souvent y restaient comme enfouies : il fallut l’intérêt tout particulier qu’elle prenait à Dona pour l’amener à une volonté de réflexion qui pût lui éclaircir la confidence du Provençal. Elle s’efforça de fixer sa pensée ; elle se rappela, elle comprit ! Ce fut pour elle toute une révolution intérieure. Après la découverte lentement achevée vint un ressouvenir douloureux de la mort de son frère, puis le désir de la venger. Ce dernier sentiment fit bientôt oublier les autres ; ce fut comme une flamme qui gagnait de proche en proche et finissait par tout envelopper. Le propre de ces natures incomplètes est de n’avoir place que pour une idée ou une passion et de s’y donner tout entières. Une fois saisie de cette pensée de vengeance, Georgi ne s’en laissa plus détourner. Elle chercha long-temps les moyens de la réaliser, combina son plan et en régla les détails avec la minutieuse patience des esprits bornés, puis attendit silencieusement l’heure de l’exécution.
Accroupie dans sa mystérieuse retraite, elle vit les rayons du soleil couchant qui glissaient à travers les fentes du rocher se raccourcir et s’éteindre ; elle entendit le son des trompes marines rappeler les vaches errantes des dunes à l’étable ; enfin, quand le coin de ciel qui lui apparaissait par l’ouverture de la grotte se fut pailleté d’innombrables étoiles, elle se leva lentement et descendit avec précaution jusqu’à la grève.
Elle tourna sans bruit le rocher et s’avança vers l’enfoncement où, deux heures auparavant, l’équipage de la bisquine se trouvait réuni. La place était alors déserte. Sous l’arcade de granit noircie par la fumée, quelques débris de planches indiquaient l’endroit où le feu avait été allumé. Georgi s’agenouilla devant les cendres amoncelées, les écarta avec soin, retrouva quelques étincelles qui brillèrent dans l’obscurité, rapprocha les esquilles de sapin et, en les attisant doucement de son haleine, ranima le foyer éteint. Elle se retourna enfin du côté de la mer. On voyait se dessiner dans l’ombre la silhouette de la bisquine renversée sur le flanc. Elle s’en approcha sans bruit, fit le tour du navire échoué, et prêta l’oreille. Aucun bruit ne se faisait entendre à bord. Le chien lui-même, qui d’habitude couchait près de la barre du gouvernail et grondait à la moindre approche, ne s’y trouvait point ce soir-là ; son maître l’avait vraisemblablement appelé ; il dormait près de lui dans la cabine. Rassurée de ce côté, la pâlotte se retourna vers le port.
La jetée était également abandonnée ; au loin seulement, vers l’extrémité des quais, la grande auberge restait encore éclairée, et le douanier de garde se promenait lentement devant sa hutte de planches. Après avoir hésité un instant, Georgi retourna au rocher et s’assit devant le foyer, dont la flamme commençait à trembloter au vent du soir. Les yeux fixés vers le port, elle vit les fenêtres de l’auberge devenir obscures comme celles des autres maisons et le douanier, fatigué de sa pantière, rentrer dans la cabane. Il y eut alors comme une longue pause pendant laquelle tout resta désert et muet. La pâlotte eut beau regarder, écouter : elle ne vit d’autre mouvement que celui des vagues qui s’agitaient au loin, elle n’entendit que la rumeur confuse des mille insectes qui poursuivaient, dans le sable des grèves, leur travail mystérieux. Tout à coup onze heures sonnèrent à l’église. Les vibrations de l’horloge retentirent dans la nuit et s’y éteignirent sans rien réveiller.
Georgi parut alors se décider ; elle saisit les deux tisons les mieux enflammés, se redressa lentement et s’avança vers le navire. Livrée à une sorte d’exaltation égarée, elle psalmodiait à demi-voix l’hymne funèbre dont elle avait fait son chant favori, en y entremêlant des mots de souvenir ou de menace. Seule ainsi au milieu de la nuit, glissant sur le sable, les mains armées de flammes et murmurant son air de mort, on l’eût prise pour cette fée de la haine que les Celtes de l’Armorique invoquent encore sur quelques-unes de leurs collines dépouillées.
— De profundis clamavi ad te… Je viens, je viens, je viens ! répétait-elle tout bas ; fiant aures tuœ iniendentes… Ils ont mis Dona sous l’eau… moi, je les mettrai dans le feu… Quia apud Dominum misericordia. Souffle, bon vent, souffle comme le jour où je revenais avec Dona !
Elle était arrivée près de la bisquine, qu’elle longea en cherchant l’endroit le plus favorable. Les flancs de la barque, desséchés la veille par le chauffage et brillans de brai encore humide, semblaient préparés pour l’incendie ; mais il fallait que celui-ci fût assez rapide pour surprendre le meurtrier de Donatien dans son sommeil et lui rendre la fuite impossible. La pâlotte revint plusieurs fois sur ses pas comme si elle hésitait à choisir ; enfin elle s’arrêta à la poupe et en approcha un des tisons. Au premier contact, le bitume s’alluma avec un léger pétillement, et la flamme, suivant la couture récemment calfatée, s’élança le long de la carène comme une ligne de feu. Georgi ne put retenir une exclamation de joie. — Ils brûlent ! ils brûlent ! psalmodia-t-elle en riant… ah ! ah ! Ah ! .. sustinui te, Domine… Dona sera content.
Elle avait approché le second tison, et un nouveau cercle enflammé commençait à courir quand un bruit de pas retentit au détour de la jetée. Occupée de son œuvre de destruction, la pâlotte n’y prit point garde. Cependant les pas approchaient. Tout à coup deux cris partirent ; Georgi se retourna effrayée et voulut fuir. Il était déjà trop tard ; la main de maître Simon venait de la saisir.
— Que fais-tu là, malheureuse ? s’écria le vieux marin.
— Pardieu ! Vous le voyez, dit Merlet, elle met le feu au navire de Bardanou.
— Par le ciel ! c’est la vérité, je vois la flamme briller… Au nom de Dieu ! maître Jacques, avertissez l’équipage.
— C’est inutile, j’entends le capitaine appeler : il se sera aperçu de la chose.
— Il faut aller à lui, reprit vivement Lavau en faisant un pas vers l’échelle de la bisquine ; mais le patron l’arrêta.
— C’est-à-dire qu’il faut filer son nœud, dit-il à voix basse et en l’entraînant. Que Dieu nous assiste ! Voulez-vous être vu par le Provençal pour qu’il nous accuse d’avoir mis le feu ?
— Mais en lui expliquant tout ? ..
— Il enverra la pâlotte devant les juges… Écoutez, voilà leur chien qui aboie… ils n’auront pas de peine à tout éteindre seuls… Vite, vite, embarque ! il ne fait pas bon ici pour nous.
Il entraîna Simon, et tous deux atteignirent la petite crique où le canot se trouvait à flot sous la garde du matelot Nigaud, qui avait tout préparé pour le départ. Lavau y poussa Georgi, la barque déborda, les voiles furent hissées, et le patron mit le cap sur le vieux phare. Ce fut alors seulement que Simon et lui voulurent interroger la pâlotte au sujet de l’étrange tentative qu’ils venaient de prévenir ; mais tous leurs efforts furent inutiles. À partir du moment où ils l’avaient surprise, elle était retombée dans son abrutissement muet. Assise au fond de la barque, le corps droit, l’œil fixe et arrondi, elle ne semblait rien comprendre à tout ce qui lui était demandé : l’indignation du vieux marin s’amortit forcément contre cette inertie hébétée.
— Dieu me damne ! dit-il en pliant les épaules, elle n’a pas même l’air de s’apercevoir que je lui parle.
Merlet hocha la tête d’un air capable.
— Que voulez-vous ? répliqua-t-il, ça n’a pas plus de conscience de ses actions que l’enfant qui vient de naître ; mais, pas moins, nous sommes arrivés au bon moment : un quart d’heure plus tard, les Provençaux étaient enfumés dans leur entrepont comme des renards dans leurs terriers.
— Grace à Dieu ! il ne paraît pas qu’il leur soit arrivé malheur, fit observer Simon, qui regardait vers le port ; s’ils n’avaient pas été maîtres de l’incendie, on verrait d’ici la flamme.
— Bah ! soyez donc paisible, reprit Merlet avec une fine grimace, Bardanou est trop diable pour que le feu lui porte quelque nuisance ; il doit être dans la braise comme le poisson dans la mer. Ce que je crains, c’est qu’il ne soupçonne quelque chose et qu’il ne dénonce la pâlotte.
— Que pourrait-on faire à une malheureuse dont l’esprit n’a pas d’yeux ? dit le marin.
Merlet reloua la tête en grommelant : — On ne sait pas, on ne sait pas, dit-il ; les juges ont des idées… Sans compter que la loi sur les incendiaires n’est pas douce, savez-vous ? Les galères ou la guillotine !
— Est-ce possible ?
— Comme j’ai l’honneur de vous le dire. Si on en venait là, vous concevez quel désagrément pour elle et pour vous ?
— Non, non, cela ne peut pas être… cela ne sera pas ! interrompit brusquement Lavau, comme s’il se parlait à lui-même… Non, quand je devrais la noyer de mes mains… elle d’abord, moi ensuite… mais il n’y a rien à craindre, pas vrai, maître Jacques ? Nous sommes seuls à l’avoir vue ?
— Autant qu’un homme peut jurer, j’en jurerais, répondit prétentieusement le patron. Cependant, si vous m’en croyez, vous garderez Georgi là-bas.
— Au phare ? répéta Simon, c’est contraire au règlement.
— Mais c’est conforme à la prudence, ajouta Merlet ; si on la voit, on peut la soupçonner, tandis que, si elle est absente, personne ne pensera à elle. Bardanou part dans quelques jours, et, à mon prochain voyage au phare, je pourrai la prendre pour la ramener à Robert.
Malgré son respect pour la consigne, Lavau sentit la sagesse du conseil. L’idée de voir la fille de sa sœur en prison, soumise à un jugement, condamnée peut-être, lui inspirait d’ailleurs une épouvante qui lui eût fait tout accepter. Merlet et Rigaud promirent d’être discrets. Quant au gardien qui l’avait remplacé pendant quelques jours au vieux phare, il fut convenu qu’on lui cacherait l’arrivée de l’orpheline. Il suffit pour cela de la déposer sur l’extrémité de l’îlot opposée à la cale de débarquement, puis de gagner cette dernière, où le remplaçant de Simon accourut bientôt, ravi d’être relevé de sa garde solitaire. Il aida le patron à mettre à terre les provisions de la semaine, prit rapidement congé, puis entra dans le canot, qui poussa au large. Le vieux marin attendit que la voile ne fût plus qu’un point blanc presque perdu dans l’espace. Descendant alors vers les roches où Georgi, avait été débarquée, il l’appela et la fit entrer dans la tour qui servait en même temps d’habitation et de phare.
Quelques heures semblèrent suffire à la pâlotte pour s’habituer son nouveau séjour. Au premier instant, maître Simon avait voulu renouveler son interrogatoire sur ce qui s’était passé à terre ; mais le silence obstiné de l’idiote et sa propre difficulté de parole avaient bientôt mis fin à l’enquête. Georgi fut donc laissée à elle-même, et pur prendre librement possession de l’îlot désert.
Cette solitude n’avait rien de nouveau pour elle. Accoutumée depuis la mort de Donatien à vivre loin de toute compagnie et au milieu des rochers, c’était là vraiment qu’elle se trouvait à l’aise. Non-seulement toutes les images de ces sierras maritimes lui étaient devenues familières, mais elle en avait besoin. — Folles vagues dansant sur les récifs, nuées qu’emportait le vent, cris rauques des oiseaux de mer qui tournoyaient sur l’abîme, rafales fouettant les cimes décharnées : l’habitude avait fait de tous ces aspects et de tous ces bruits une partie d’elle-même ; c’était seulement où ils ne se retrouvaient pas qu’était à ses yeux le désert.
Aussi, retrouvant dans son nouveau domaine ce qui lui était connu, y fut-elle bientôt établie. Parfois abritée au fond d’une anfractuosité, suspendue à quelque escarpement ou debout sur une cime isolée, Georgi s’oubliait des heures entières à regarder la mer et à s’enivrer de la rumeur des flots ; d’autres fois, prise d’une activité curieuse, elle allait de rocher en rocher, cherchant aux fentes les plus cachées les nids des goëlands, ou écartant les longues draperies d’algues marines pour découvrir les bancs de coquillages ou la retraite des sauterelles de mer[1].
L’îlot, formé d’un entassement granitique dont le phare occupait la crête, se reliait à une chaussée d’écueils qui se découvrait à l’heure du reflux. C’était là qu’avant l’établissement du phare les navires, poussés par la houle et trompés par l’obscurité, venaient se perdre sur les brisans dont rien ne leur annonçait l’approche. A marée basse, l’œil apercevait encore au fond des eaux ou dans les fissures du roc des débris d’ancres, de ferremens rongés par la rouille et de quilles à demi enfouies dans le sable : lugubres vestiges de naufrages déjà oubliés. Georgi explorait chaque jour cette chaîne de récifs en s’efforçant d’arracher à la mer quelques épaves sous-marines, et maître Simon la laissait faire. Sa présence n’avait rien changé dans la vie du vieux gardien. Voyant que le silence de l’idiote respectait son propre silence, il s’était vite accoutumé à cette espèce d’ombre pâle et fuyante qui errait sur son rocher. Il lui sembla même, au bout de quelques jours, qu’elle complétait sa solitude. Elle était là, en effet, comme une représentation muette du monde absent. Aux heures des repas, un cri d’appel suffisait pour la faire accourir ; puis elle disparaissait à la manière des oiseaux sauvages.
Sauf quelques rares paroles échangées par aventure, tous deux vivaient ainsi à part, la pâlotte parmi les récifs, et Simon sur la terrasse du phare. Enveloppé dans son noroit de drap bleu, les mains sous les aisselles et la pipe entre les dents, il restait là depuis le lever du soleil jusqu’au soir, le regard perdu sur cette plaine d’azur que moiraient les courans. Habile à étudier au loin les voiles qui cinglaient en tous sens, il savait reconnaître la destination du navire, son importance et sa nation. Une longue-vue, toujours braquée sur le parapet de pierre, lui permettait de scruter tous les coins de l’horizon. Du haut de sa tour isolée, il assistait à cet éternel combat du génie humain contre les obstacles de la création ; il voyait se croiser les mille liens d’intérêts ou de nécessités qui, à travers les tempêtes et les abîmes, rattachent l’un à l’autre les peuples séparés. Il avait là le spectacle journalier que nous cherchons à notre fenêtre aux heures d’oisiveté ; seulement la rue sur laquelle il regardait était l’infini, et formait le carrefour de deux mondes.
Un soir, après avoir promené sa longue-vue vers tous les points du ciel, il l’arrêta sur le petit port, dont une voile venait de doubler la jetée. La mer était sombre plutôt qu’agitée ; mais la rafale de nuit qui commentait à s’élever à l’ouest fraîchissait d’instans en instans. À mesure que le caboteur perdait l’abri de la terre, on le voyait s’incliner davantage et labourer plus péniblement la vague. Il s’efforçait de monter dans le vent pour atteindre la passe pendant que le soleil éclairait encore sa route. Bien que la manœuvre fût hardie, elle n’ai ait rien qui pût inquiéter. Après l’avoir suivie un instant, maître Simon quitta la longue-vue, promena encore son regard à l’horizon ; puis, rétrécissant peu à peu le cercle qu’il embrassait, le ramena sur la chaîne de récifs et sur l’îlot. Le soleil couchant les empourprait déjà de ses lueurs, et le flux commençait à ensevelir la chaussée sous ses tourbillons écumeux. Tout à coup le vieux gardien aperçut la pâlotte qui accourait de la pointe extrême de l’écueil, franchissant avec peine les ravines déjà envahies par la mer, et grimpant le long de la pente abrupte qui les réunissait à l’îlot. Elle portait dans ses bras un fardeau informe dont le poids semblait ralentir sa marche. Elle atteignit pourtant la base du vieux phare. Simon l’entendit bientôt dans l’escalier tournant et la vit enfin apparaître sur la terrasse, les traits brillans d’une joie triomphante.
— Qu’y a-t-il ? demanda le marin étonné.
Elle ne répondit que par l’interjection stridente qui lui était ordinaire dans ses élans de joie, et déposa l’objet qu’elle portait aux pieds de Simon. Celui-ci reconnut alors un de ces petits barils anglais destinés aux spiritueux, et de la contenance d’un gallon. Débris de quelque naufrage, les algues et les coquillages, sous lesquels il avait presque disparu, attestaient son long séjour dans les flots. Maître Lavau demanda à la pâlotte où elle l’avait découvert.
— Là… là… dit-elle en montrant du doigt un récif dont on n’apercevait plus que le sommet, j’en ai encore vu d’autres ; mais le rocher les tient. Regardez, il y a des cercles de fer.
Elle arracha les varechs dont le barillet était enveloppé ; le marin le souleva.
— Par ma foi ! il est plein, dit-il avec une vivacité qui ne lui était point ordinaire ; il faut voir ce que c’est.
Et, ouvrant le couteau retenu à sa boutonnière par une tresse de cuir, il le glissa entre les douvelles noircies. Un liquide doré jaillit presque aussitôt sous ses doigts en répandant un parfum qu’il reconnut.
— Dieu nous sauve ! c’est du rhum ! s’écria le marin, dont le visage s’était éclairci ; tu as trouvé là un trésor !… Vite, vite, prends garde, Georgi, que je descende le baril ; j’ai peur qu’il n’ait quelque avarie, et qu’il ne me sombre entre les mains !
Il l’avait soulevé avec la sollicitude d’un père pour son enfant ; il gagna la pièce qu’il habitait, et prit toutes les précautions nécessaires. Il commença toutefois par déguster la précieuse liqueur afin d’en reconnaître la qualité. Après avoir vidé son verre à petits coups, il fit claquer sa langue contre son palais, et toutes les rides de son visage semblèrent sourire.
— Du vrai Jamaïque ! murmura-t-il ; cela doit venir de quelque navire anglais… Ces gredins-là ne boivent jamais que du meilleur !
Il remplit de nouveau son gobelet, et recommença à boire en parlant entre chaque gorgée.
— Quelle chaleur ! quel goût ! Sur ma vie ! pâlotte, sans toi le baril dormirait encore au fond de la mer… C’est le bon Dieu qui m’a fait te rencontrer l’autre soir sur la grève et t’emmener ici… J’y ai gagné une provision de rhum… et le Provençal d’avoir encore un navire sous ses pieds… car, grace au ciel ! la bisquine n’a rien eu.
— Rien ? répéta Georgi.
— À preuve qu’elle vient de sortir du port et qu’elle navigue vers la passe, reprit le vieux gardien.
La pâlotte courut à l’étroite croisée, et Simon lui indiqua le navire dont on avait quelque peine à distinguer la voilure aux lueurs du soir. La rafale qui contrariait sa marche s’était insensiblement transformée en une de ces brises sèches, brusques et continues, auxquelles les marins donnent le nom de brises carabinées. La mer, tourmentée, avait pris la couleur glauque et l’aspect froid qui, indiquent les longues tenues de vent. Aux derniers rayons du jour qui s’éteignaient vers le couchant succédait la clarté terne d’une nuit à la fois sans nuages et sans étoiles. Maître Lavau fit observer que la bisquine courait bord sur bord sans paraître gagner beaucoup ; elle, devait employer une partie de la nuit à doubler le phare et à chercher la passe.
Tout en continuant à remplir et à vider son verre, il expliqua à Georgi les difficultés de cette recherche, dans laquelle la moindre erreur pouvait conduire au naufrage. Le rhum avait donné au taciturne gardien une singulière facilité d’élocution. On connaît cette hâblerie de chasseurs racontant que des braconniers, surpris par un froid prodigieux, allumèrent dans les bois un feu de bruyères, et, entendant éclater subitement un grand bruit de voix, s’aperçurent que c’était leur brasier qui faisait fondre toutes les paroles gelées dans l’air. Quelque chose de semblable paraissait s’opérer chez Simon : la chaleureuse liqueur semblait fondre la glace qui avait retenu jusqu’alors les sensations et les pensées muettes au dedans. Il se mit à parler tour à tour de sa jeunesse, de ses campagnes, de sa croix livrée en gage, mais dont le ruban avait laissé une marque sur sa veste déteinte. Il la montra à Georgi.
— Cette marque-là, vois-tu, dit-il, suffit pour m’avertir ; c’est comme une inscription imprimée là, près de mon cœur ; elle me dit dans son langage : Rappelle-toi ce que tu as été, et prends garde à ce que tu seras ; ne m’oublie pas, fais ton devoir !
Et comme si ce dernier mot eût réveillé en lui un souvenir subit, il replaça brusquement son gobelet sur la table, regarda vers la fenêtre, et se levant : — Mais voici l’heure de le faire ! ajouta-t-il ; vite, Georgi, ma lanterne ; le feu devrait être déjà allumé là-haut… Malédiction sur ton baril ! S’il devait me faire oublier la consigne, je le renverrais au fond de la mer.
Il prit la lanterne, et monta à la chambre de l’appareil. La pâlotte, debout près de la petite fenêtre, continuait à suivre du regard la voile de la bisquine, qui n’apparaissait plus que comme un point blanc dans la nuit. Sa haine contre le capitaine provençal, assoupie un instant loin de lui, venait de se réveiller dans toute sa violence. En le voyant ainsi près d’échapper, elle sentait une sourde colère qui faisait trembler la main dont elle serrait les barreaux de la fenêtre. Oh ! pour venger Dona, que n’était-elle un de ces flots qui emportaient le navire, un de ces souffles qui le poussaient, un de ces rocs sur lesquels passait sa quille rapide ! Avec quel élan de cœur elle demandait tout bas la punition du meurtier ! Comme elle eût prié à mains jointes et à deux genoux, si elle eût connu une prière pour solliciter la mort d’un ennemi ! Par instans, lorsque le caboteur disparaissait dans l’ombre, elle espérait que ses vœux avaient été exhaussés ; mais bientôt elle le voyait blanchir de nouveau sur le gouffre, et s’élancer de vague en vague en se rapprochant toujours.
Maître Simon la retrouva à la même place, les regards fixés sur cette voile maudite, et murmurant à demi-voix, sans s’en apercevoir, le nom de Bardanou.
— Ah ! tu vois encore la bisquine ? demanda-t-il. Toujours ! répéta Georgi.
— Eh bien ! elle peut naviguer sans peur maintenant, reprit Lavau ; je viens de hisser là-haut une étoile qui la conduira à la passe comme par la main.
Il éteignit sa lanterne, et revint s’asseoir près de la table, en face du baril. Le phare allumé, rien ne réclamait plus ses soins jusqu’au jour ; il n’avait à craindre aucune visite, et pouvait disposer à son gré de quelques heures. Cet affranchissement de responsabilité le rendit moins circonspect dans ses libations. Là avait été toujours pour lui la tentation dangereuse. En vain se raidissait-il après un long effort, l’occasion aidant, il cédait tout à coup, et perdait ainsi en une seule fois le bénéfice de sa longue résistance. Ces défaillances, de volonté, bien que courtes et assez rares, avaient attiré au vieux gardien quelques réprimandes. Récemment encore, il avait dû subir l’avertissement sévère d’un inspecteur, par qui le mot de retraite avait même été prononcé ! Maître Simon en garda long-temps au cœur une atteinte douloureuse ; mais ce soir-là le rhum lui avait fait tout oublier. Devenu bruyant et jovial, il voulut obliger la pâlotte à trinquer avec lui : celle-ci, toujours immobile à la petite fenêtre, secoua la tête en signe de refus.
— Goûte au moins, pauvre innocente, reprit-il en riant ; tu ne sais pas le bien que ça te fera. Quand on a bu, c’est comme si l’on sentait au dedans un rayon de soleil. Puisque tu as trouvé le baril, il est juste que tu aies une part de ta pêche ; allons, prends ce gobelet.
Mais. Georgi continuait à regarder la mer sans écouter.
— Décidément, tu ne veux pas ? Dit le marin ; tu refuses ton bonheur. Ah ! quel baril du bon Dieu, ma chère ! et tu es sûre qu’il y en a d’autres au même endroit ?
Elle fit un signe affirmatif.
— Alors on les aura, dit maître Lavau ; je veux les avoir ! Ce serait péché pour un chrétien de laisser perdre ainsi les biens du bon Dieu !… Mais j’en reviens à mon idée, vois-tu ? il faut que ce soit un navire anglais qui ait laissé ses fonds de culottes sur nos roches ; il n’y a que les goddem pour avoir ainsi le tafia par provision.
Et, frappant la table de son verre qu’il venait de vider : — Oh ! tonnerre ! si on pouvait voir sous les talons de ces gueux de brisans ! continua-t-il. Tu ne te doutes pas, toi, de tout ce que la mer a pu y mettre ! Avant la bâtisse du vieux phare, il ne se passait guère de mois sans qu’il en vînt quelques-uns se démolir sur la chaussée. Les gens de la côte accouraient tous ici pour pêcher des planches et des vieux clous… quand ils ne pêchaient point autre chose ; c’est une rente qu’on leur a fait perdre. — Ah ! ah ! ah ! notre feu leur a brûlé une ferme ! — Aussi il y en a plus d’un, sais-tu, qui ne demanderait pas mieux que de l’éteindre.
Depuis un moment, la pâlotte avait la tête à demi passée en dehors de la fenêtre. Simon se retourna vers elle.
— Eh bien ! qu’est-ce qu’elle fait là ? dit-il avec ce rire sans cause d’une ivresse qui commence ; eh ! petite, parle donc ; que regardes-tu sur la mer ?
— Il arrive ! il arrive ! psalmodia la pâlotte de ce ton chanteur et dolent qu’elle prenait quand elle pensait tout haut.
Le gardien se leva en trébuchant, et s’approcha de la fenêtre.
— Qui cela ? demanda-t-il ; le Provençal ? Pardieu ! oui, c’est lui qui bouline là-bas ; il a fini par monter d’un cran dans le lit du vent. — Ah ! ah ! le brigand est bien heureux de voir notre grand fanal ! Sans lui, je veux que Dieu me damne si son navire ne serait pas demain en miettes !
— La bisquine ? s’écria Georgi, qui se retourna avec un cri d’interrogation.
— Quoi donc ? reprit Lavau ; est-ce que la brise ne l’affale pas sur la chaussée ? Sans le feu qui les avertit, ils ne pourraient jamais reconnaître s’ils ont doublé les brisans pour donner dans la passe.
— Et le navire… périrait ? demanda la pâlotte.
— Avec l’équipage, ajouta gaiement Simon, qui s’était remis à boire ; mais il n’y a pas de danger tant que le phare fait briller sa lanterne. Allons, Georgi, bois donc ! rien qu’un petit coup, pauvre innocente ! ton gobelet est là.
Mais Georgi ne pensait point au gobelet ; elle avait quitté la fenêtre, et, debout à quelques pas, elle regardait Simon avec des yeux étranges. Cependant celui-ci continuait à rire, à boire et à chanter. Seulement sa voix devenait de plus en plus chevrotante, ses paupières s’allourdissaient, son corps vacillant cherchait le mur pour point d’appui. La pâlotte semblait suivre ces symptômes de l’ivresse avec une joie impatiente ; son regard allait sans cesse de la fenêtre au gardien ; enfin, quand elle l’eut vu s’affaisser sur la table, elle recula jusqu’à l’entrée, se coula par la porte entr’ouverte, la referma doucement et monta haletante à la chambre de l’appareil. Saisissant alors les cordes, elle exécuta la manœuvre qu’elle avait vu faire à maître Simon, redescendit le fanal, l’éteignit, et la tour, un instant auparavant inondée de lumière, rentra brusquement dans les ténèbres. Elle s’élança ensuite vers la terrasse et chercha sur la mer ; mais il fallut quelques instans pour que ses yeux éblouis par la clarté pussent se réaccoutumer à voir dans la nuit. Enfin elle réaperçut la bisquine perdue dans l’ombre et qui continuait à lutter contre le vent. L’idiote poussa un cri sinistre en étendant les mains fermées vers le navire avec une expression de menace.
— Ah ! ah ! ah ! il ne voit plus sa route, murmura-t-elle en ricanant, j’ai crevé l’œil de la tour !… Sans le phare, l’oncle a dit que le Provençal était perdu… Ah ! ah ! ah ! il va aller où il a envoyé Dona. Jésus ! recevez Dona dans la gloire ! Jésus, rejetez son meurtrier dans l’enfer ! Vierge Marie, priez pour nous : Ave Maria !
Elle s’était agenouillée et répétait avec ferveur la salutation angélique ; quand elle eut achevé, elle se releva et regarda de nouveau.
La bisquine poursuivait sa route ; mais un œil marin eût reconnu que, depuis la disparition du feu indicateur, elle avait déjà dévié dans sa direction et qu’elle était entraînée sur la chaussée sans s’en apercevoir. Le capitaine provençal le soupçonna sans doute, car il fit bientôt un nouvel effort afin de remonter dans le vent, puis, croyant approcher de la passe, il laissa arriver une seconde fois pour se relever encore. Ces hésitations que la pâlotte ne pouvait comprendre finirent par l’inquiéter ; elle pensa que maître Simon avait exagéré la nécessité du phare, et que, malgré l’obscurité, le caboteur finirait par doubler les écueils.
Pour qui ne connaissait point le secret de ces parages, il était difficile, en effet, de croire à un péril aussi imminent. Pas un nuage dans le ciel, pas de tempête sur les flots ; aucune des grandes menaces qui font sentir l’impuissance de l’homme ; rien que la brise acérée qui sifflait sans relâche. Déjà cependant le souffle de cette brise emportait la bisquine, qui se débattait en vain pour le vaincre ; ses bordées devenaient de plus en plus courtes ; le courant se joignait au vent pour la rejeter aux rochers. Après une longue attente, Georgi s’aperçut enfin qu’elle se rapprochait rapidement de la chaussée. Trompé par une brèche apparente, le capitaine provençal croyait avoir atteint la passe et y donnait à toutes voiles. Son erreur fut de courte durée. Il reconnut les brisans et voulut virer de bord ; mais il était trop tard : le navire, enveloppé dans la houle, glissa le long de la ligne de récifs. À la morne clarté du ciel, Georgi reconnut Martin Bardanou, qui, les mains crispées sur la barre, s’efforçait de ranger les écueils, dont la bisquine effleurait les aspérités. Le bâtiment dévoyé passa devant la tour ses voiles abattues et penchée sur le flanc, comme un goéland blessé que le vent emporte les ailes pendantes ; mais, à quelques encâblures de l’îlot, il s’arrêta avec un craquement soudain sa carène venait de rencontrer un rocher à fleur d’eau. Georgi vit ses mâts s’incliner. Des cris terribles retentirent jusqu’au phare, puis tout sembla fondre dans la mer ; hommes et navire s’étaient engloutis !
Par un mouvement irréfléchi, la pâlotte se précipita dans l’escalier pour courir aux rochers ; elle y heurta maître Simon, que les clameurs de détresse avaient réveillé en sursaut, et qui accourait encore à demi étourdi. Son regard cherchait la lumière qui, du phare, glissait habituellement dans l’intérieur de la tour, et, effrayé de l’obscurité, le gardien s’élançait vers la chambre de l’appareil au moment où sa nièce et luise rencontrèrent criant et troublés.
— Le fanal ! le fanal ! répétait Simon.
— La bisquine ! murmurait Georgi.
— Il est éteint ?
— Elle est brisée !
Le vieux gardien saisit le bras de l’idiote.
— Que dis-tu ? s’écria-t-il ; le Provençal ?…
— Est sous la mer ! répondit la pâlotte, qui lui échappa en continuant à descendre.
Le marin s’efforça de la suivre à tâtons.
Sortie de la tour, l’idiote s’était élancée vers l’endroit où le navire avait disparu. Les vagues tourbillonnaient sur les crêtes de l’écueil. Jouant avec quelques épaves qu’elles montraient et dérobaient tour à tour. Georgi fouilla avidement du regard les remous et contourna les brisans. Lavau, qui la rejoignit haletant, lui demanda si elle apercevait quelque chose.
— Rien que les planches qui flottent, répondit-elle d’un accent joyeux.
— Chut ! interrompit le marin.
Un hurlement rauque et désespéré venait de retentir au milieu du fracas de la houle.
— C’est le chien ! dit la pâlotte saisie.
— Oui, reprit Simon ; de ce côté… regarde… il y a quelque chose.
En effet, un point noir semblait tacher l’écume et suivre la lame qui s’engouffrait entre les récifs. Pour s’en rapprocher, la pâlotte franchit les rochers avec une agilité de bête fauve, et le vieux gardien, excité par un reste d’ivresse, la suivit. Les hurlemens se firent entendre plus distinctement, le point noir se rapprocha ; il semblait grossir ; ses formes devinrent moins vagues ; tout à coup, soulevé par un flot énorme, il apparut à sa cime, au milieu d’une crinière d’écume ; c’était le Provençal cramponné à un débris du navire, il avait la tête baissée et portait sur ses épaules le chien griffon.
En le reconnaissant, Georgi avait poussé un cri de rage désespéré. Maître Simon courut à l’extrémité de la roche, attendit que le flot arrivât, et, étendant la main, arrêta au passage l’épave flottante.
— Ici, vite, à moi ! cria-t-il à sa nièce en sentant que la mer allait lui reprendre sa proie.
L’idiote, qui l’avait rejoint, s’était penchée vers le Provençal et lui soulevait la tête ; elle laissa échapper un de ses éclats de rire saccadés.
— Mort ! dit-elle en battant des mains.
— Malédiction sur toi ! il m’échappe ! reprit Simon, qui, entraîné par son fardeau, glissait sur le rocher humide.
Georgi s’aperçut du danger, saisit le mort à deux bras ; les forces réunies de Simon et de sa nièce ramenèrent le naufragé sur l’écueil.
L’idiote avait bien vu ; Bardanou n’était plus qu’un cadavre ! On voulut vainement le détacher du débris qu’il avait rencontré sous les eaux ; il s’y était pour ainsi dire fixé des ongles et des dents. Il resta immobile, étendu sur les algues marines qui tapissaient la roche, tandis que le chien faisait succéder des hurlemens de deuil à ses hurlemens d’épouvante. Georgi regardait avec une expression étrange, où le saisissement inévitable que produit l’aspect de la mort se mêlait à la joie de la haine satisfaite. Quant à Lavau, dès qu’il se fut assuré qu’il n’y avait plus rien à faire pour Martin Bardanou, il se retourna vers les flots, poussa de longs cris d’appel, gagna les récifs les plus avancés, espérant apercevoir quelque autre naufragé de la bisquine ; mais tout fut vain : le reflux, qui commençait à se faire sentir, les avait sans doute entraînés au loin vers la pleine mer. Certain que ses secours ne pouvaient être utiles à personne, il revint vers le cadavre du capitaine.
Sa nièce était toujours debout, le regardant, et le chien continuait sa plainte lugubre. L’ivresse du vieux gardien s’était complètement dissipée dans ces efforts ; il tourna ses regards vers le phare éteint, et le soupçon de ce qui avait eu lieu traversa sa pensée. Saisissant les mains de la pâlotte et la regardant en face, il voulut l’interroger ; mais, au premier mot, elle raconta tout sans détour, avec une sorte d’emphase triomphante. Cette sincérité faillit lui être fatale. Hors de lui, le vieux marin la renversa à terre, et allait l’écraser sous ses pieds, lorsque, dans son effroi, elle poussa instinctivement le cri de détresse dont elle avait conservé l’habitude depuis son enfance : — Ma mère ! — À ce nom, Lavau se rejeta en arrière, porta les deux mains à son front ; puis, effrayé de lui-même, courut à la tour, monta dans la pièce qu’il occupait et s’y enferma.
Ce qui venait de se passer avait été si prompt et si inattendu, qu’il en demeura d’abord étourdi. Il s’était laissé tomber sur un escabeau, près du foyer ; la tête dans ses deux mains, il essaya de se rappeler et de comprendre. Peu à peu tout s’éclaircit ; il sentit quelle responsabilité pesait sur lui. Évidemment ce n’était point à Georgi, pauvre raison égarée, qu’on pouvait demander compte de la perte de la bisquine, mais à lui, qui avait violé une première fois son devoir en l’emmenant au phare, une seconde fois en s’oubliant dans l’ivresse. Toutes ces idées se présentèrent d’abord sans ordre et à peine formulées ; c’étaient moins des réflexions que des cris de la conscience ; il en fut par cela même plus troublé.
Outre les caractères particuliers à chaque individu, il en est qui ressortent pour ainsi dire des professions : chacune d’elles a son point d’honneur qui s’exalte plus ou moins selon le caractère, mais qui, à des degrés différens, reste commun à tous. Sentinelles perdues des écueils, les gardiens de phare ont toujours considéré leur poste comme une faction que rien ne leur permettait de négliger. Pour eux, vieux soldats de la mer, c’était la sûreté de leurs anciens compagnons qui leur était confiée, la grandeur même de la tâche les relevait à leurs propres yeux ; y manquer n’était point une faute, mais une honte ; c’était livrer son poste à l’ennemi.
L’histoire des côtes est pleine de faits qui prouvent ce fanatisme héroïque. On a vu, par exemple, des gardiens de phares flottans refuser de fuir leurs pontons à moitié démolis par la tempête, et sombrer sous leur fanal comme le Vengeur, sous son sublime drapeau ; d’autres, atteints par la fièvre jaune, se traîner jusqu’à la salle des appareils et allumer d’une main mourante la lumière protectrice. Pendant la dernière guerre contre les Anglais, un gardien, attiré hors de sa tour et sommé par une péniche anglaise d’éteindre son feu, dont la disparition devait compromettre une escadrille française, qui cherchait le port, préféra jeter ses clés à la mer et se faire massacrer par l’ennemi.
Lavau avait entendu raconter, comme tous ses pareils, ces dramatiques aventures, qui étaient les dates glorieuses de leur histoire : ce culte des devoirs particuliers imposés aux gardiens de phares se compliquait en outre, chez lui, d’une disposition que nous avons déjà signalée. Ainsi que toutes les intelligences restreintes, il ne distinguait bien que les devoirs immédiats, mais il portait dans l’accomplissement de sa tâche ainsi comprise une rigueur singulière. Pour lui, l’honneur très simplifié n’en était devenu que plus absolu dans ses exigences. Les objets dont il se trouvait entouré semblaient d’ailleurs rendre sa faute plus présente. L’obscurité dans laquelle la tour restait plongée, les rumeurs furieuses de la mer, les gémissemens du chien que l’on continuait à entendre par intervalles, tout lui rappelait le désastre accompli, tout l’accusait ! Il se jugea à jamais déshonoré et se demanda quelle expiation pourrait amoindrir sa honte, sinon la racheter. Un souvenir traversa tout à coup sa mémoire. Il se rappela qu’à l’une de ses premières campagnes, la négligence du capitaine avait conduit la goélette de guerre qu’il montait aux récifs des Sorlingues, où elle périt. L’équipage échappa dans les chaloupes, mais l’auteur du naufrage avait résisté jusqu’au dernier moment à toutes les prières ; il avait refusé de quitter le navire et s’était puni lui-même en s’abîmant dans les flots. Ce fut un trait de lumière pour Simon. Incapable de voir, après la faute, les lois plus élevées de la morale humaine qui lui défendaient de se châtier de ses propres mains, il crut que l’exemple de son ancien capitaine était un avertissement. Comme lui, il avait failli à son devoir, il voulut se faire pardonner comme lui.
Cette pensée l’eut à peine frappé, que sa résolution fut prise. Pour cette nature à fond héroïque, mais rebelle aux débats intérieurs, quitter la vie était chose plus simple et plus facile que la discuter. Il fit donc tous ses préparatifs avec la soigneuse régularité d’un vieux soldat de l’Océan long-temps soumis à la discipline des vaisseaux.
Le jour qui allait succéder à cette triste nuit était celui même où Simon attendait le canot de Jacques ; il fallait avertir celui-ci et lui donner de dernières instructions. Maître Lavau prit dans son coffre une de ces feuilles à titres imprimés destinées aux rapports du mois, il trouva une plume à demi écrasée, une écritoire dont il dut détremper l’encre desséchée, s’assit devant la table et écrivit. C’était habituellement pour lui une opération lente et pénible ; mais cette fois la plume marcha d’elle-même et couvrit le papier de caractères lourds et inégaux, ordinaires à ceux pour qui écrire est une rare aventure. La lettre contenait ce qui suit :
« JACQUES MERLET,
« Ceci est pour vous dire que j’ai négligé mon devoir, laissé éteindre cette nuit les feux de la tour, et que par suite le navire du Provençal est venu sur les brisans, où il a péri corps et biens. Après cela, vous comprendrez que je ne pouvais plus vivre.
« Jacques Merlet, je sais que quand je me serai tué, je n’aurai plus droit de reposer dans la terre bénite ; mais, si vous êtes un vrai chrétien, vous ne refuserez pas de dire une prière pour mon ame, ensuite de quoi vous envelopperez mon corps dans un lambeau de toile et vous le lancerez à la mer : c’est le cimetière des matelots.
« Comme vous devez arriver avec la marée du matin, je vous prie de vous en retourner vite au port, à cette fin de ramener mon remplaçant au phare avant la nuit pour que le service n’ait pas à souffrir.
« Jacques Merlet, vous trouverez sur l’îlot la fille de ma sœur Madeleine ; je la recommande à votre humanité.
« J’aurais voulu emporter ma croix dans mon linceul. ; mais je n’en ai plus le droit.
« Jacques Merlet, ceci est pour vous dire un dernier bonjour, et je souhaite que Dieu vous accorde une longue vie.
« SIMON LAVAU.
Cette lettre écrite, il y mit l’adresse, la plaça sur la table en évidence, puis monta à la chambre de l’appareil.
Le fanal était encore tel que Georgi l’avait laissé. Simon s’assura que rien n’y manquait ; il le disposa pour le lendemain ; puis, prenant la corde, il fit un nœud coulant à l’un des bouts, et fixa l’autre à la voûte. Il s’approcha ensuite de la fenêtre, comme s’il eût voulu faire ses derniers adieux à la mer. L’aube commençait à éclairer l’horizon de quelques pâles clartés ; le vent avait molli, et les flots bruissaient plus sourdement sur les écueils. Simon s’oublia quelque temps devant ce spectacle, dont la majestueuse monotonie lui était devenue, à son insu, un besoin. Il vit le levant s’enflammer avec lenteur et les étoiles s’effacer l’une après l’autre. Bientôt, du côté de la terre, pointa une voile blanche encore si éloignée, qu’on l’eût prise pour un goéland matinal. C’était la barque de Jacques ; dans une heure, elle devait aborder à l’îlot. Le vieux marin retourna la tête vers l’intérieur. — À ce moment, les hurlemens du chien s’élevèrent de nouveau.
— C’est bon ! murmura-t-il avec un mouvement d’impatience, attends un peu ; ton maître va être vengé.
Peu d’instans après, le patron Jacques débarquait dans l’îlot ; mais il arrivait trop tard : la funeste résolution du gardien du phare était accomplie.
Cette fin terrible désarma d’autant plus facilement le blâme public, que la perte de Bardanou et de son navire éveillait peu de regrets. Aussi la sympathie générale adoucit-elle ce que les dernières volontés de Simon Lavau avaient de trop sévère pour lui-même. Ses restes, apportés au cimetière, furent enterrés sans cérémonie religieuse dans le coin réservé aux hérétiques et aux suicidés ; mais une foule nombreuse l’y accompagna, et Robert rendit la croix pour qu’elle fût ensevelie avec le mort. Il fit plus : sur la demande de quelques notables habitans qui se cotisèrent pour assurer la pension de la pâlotte, il consentit à la garder chez lui, comme l’avait demandé Simon.
Les derniers événemens semblaient avoir donné quelque chose de plus sauvage à l’égarement de Georgi. Habituellement retirée dans les lieux solitaires, elle fuyait toutes les approches, refusait de répondre, et ne rentrait an logis que pour prendre sa nourriture. Parfois même elle faisait des absences de quelques jours, après lesquelles elle revenait amaigrie et plus farouche. Enfin elle disparut tout-à-fait, et les recherches faites sur la côte pour la retrouver furent inutiles. On pensa qu’elle avait été noyée sur quelque récit et emportée par la mer. Ce fut seulement environ une année après sa disparition que le hasard fit découvrir à quelques enfans du port la caverne du Roc brûlé. Ils y trouvèrent le cadavre de la pâlotte pétrifié par le salpêtre qui suintait de la voûte. L’idiote était couchée à terre, la tête repliée sur son bras gauche et tenant encore dans sa main droite la bague de cuivre et la médaille de plomb qui avaient appartenu à Dona.
EMILE SOUVESTRE.
- ↑ Langoustes.