Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 25p. 52-62).
CHAPITRE VI.


Allons ! sois bref ; je vois où tu veux en venir, je suis déjà presque un homme.
Cymbeline.



Je ne me souciais pas pour le moment de continuer à me promener, Je profitai d’un moment de foule pour perdre Jason, et je m’acheminai vers la ville. Je me croisai en chemin avec plusieurs équipages remplis d’enfants de grandes familles qui, à leur tour, allaient voir la fête. Je reconnus sur les portières le Vaisseau des Levingston, la Lance des de Lancey, le Château Brûlant des Morris, et d’autres armoiries bien connues dans la province. Les voitures n’étaient pas alors aussi communes que de nos jours ; cependant la plupart des gens de condition en avaient pour aller à la campagne.

Toute la ville semblait sur pied, et la plaine, qui est l’emplacement du Parc actuel, se remplissait de plus en plus de curieux. La guerre avait amené plusieurs régiments dans la province, et je rencontrai au moins vingt jeunes officiers que Pinkster attirait comme les autres. J’avoue que je les regardais avec admiration, peut-être même avec envie, pendant qu’ils passaient deux par deux, se tenant par le bras. Presque tous avaient été élevés en Angleterre, plusieurs dans les universités ; tous, à l’exception de quelques jeunes gens des colonies, avaient vu la meilleure société anglaise. Ils avaient un air d’aisance, de satisfaction, tranchons le mot, de suffisance, qui ne laissa pas de faire quelque effet sur moi. J’étais un sujet fidèle, j’aimais le roi, surtout depuis qu’il s’était si profondément identifié avec la succession protestante, j’aimais tous les membres de la famille royale, et je ne désirais rien tant que la gloire et la splendeur de la couronne d’Angleterre ; je ne pouvais donc avoir que des sentiments de bienveillance pour les officiers de Sa Majesté ; et cependant, je l’avouerai, cet air de morgue où perçait la supériorité de la métropole sur la colonie, de manière à rappeler celle du patron sur le client, du maître sur l’esclave, cet air me blessait profondément. Mais n’anticipons pas sur les événements.

Un peu fatigué de ma promenade, ému de tous les incidents de la matinée, j’avais hâte de rentrer à la maison, et je pris le chemin de Duke-Street où m’attendait le dîner froid de ma tante. Je dis le dîner froid ; car pendant trois jours il fallut bien se résoudre à se passer à peu près de cuisinier. Quelquefois on trouvait bien un blanc pour venir faire le service ; mais c’étaient des bonnes fortunes assez rares. Il nous en arriva un à une heure et demie : c’était le domestique anglais d’un colonel Mosely, ami intime de mon oncle. J’appris que plusieurs officiers de l’armée avaient la même attention pour d’autres familles où ils étaient reçus sur le pied de l’intimité.

Les mariages entre de jeunes officiers anglais et nos jeunes beautés d’York étaient alors assez fréquents, et j’y avais pensé plus d’une fois, au sujet d’Anneke, en voyant défiler devant moi tous ces beaux militaires.

Dès que j’ouvris la porte de la rue, mistress Legge accourut au-devant de moi.

— Corny, mon cher enfant, dit-elle, qu’avez-vous fait pour vous attirer un pareil honneur ?

— Quel honneur ? Je n’en ai reçu aucun, que je sache. Expliquez-vous ma bonne tante.

— Herman Mordaunt est là qui vous attend dans le salon. C’est après vous qu’il demande, c’est vous qu’il veut voir, il ne parle que de vous.

— Souffrez alors que je coure le recevoir. Excusez-moi, chère tante, je vous raconterai tout après le dîner.

Mon oncle était absent, et je trouvai Herman Mordaunt seul dans le salon. Sachant le trouble que Pinkster jetait dans toutes les maisons, il n’avait pas voulu que ma tante lui tînt compagnie, persuadé que les soins du ménage devaient la réclamer, et il s’était mis à feuilleter en m’attendant un volume du Spectateur, ouvrage qui jouit à juste titre d’une grande réputation dans toutes les colonies.

M. Mordaunt s’avança vers moi avec cette politesse exquise que donne l’usage du monde. Ses manières étaient pleines d’aisance, et, me serrant vivement la main :

— Je suis charmé, mon jeune ami, me dit-il sans autre préambule, que la dette de reconnaissance que j’ai contractée revienne au fils d’un homme que j’estime autant qu’Evans Littlepage. Un bon et honnête homme comme lui, d’une excellente famille, méritait bien d’avoir pour fils un brave jeune homme qui n’hésite pas à prendre même contre un lion la défense d’une jeune fille.

— Je n’affecterai point de ne pas vous comprendre, monsieur, répondis-je, quoique vous vous exagériez beaucoup le danger. Je doute qu’un lion même eût eu le cœur de faire du mal à miss Mordaunt, quand même il l’aurait pu.

Il me semble que cette réponse n’était pas trop mal tournée pour un jeune homme de vingt ans, et j’avoue que je me la rappelle encore aujourd’hui avec complaisance. Je prie le lecteur de me pardonner cette faiblesse, et si je la signale, c’est qu’avant tout je dois être historien véridique, et je ne veux rien cacher de ce qui me concerne.

Herman Mordaunt ne voulut pas se rasseoir, à cause de l’heure avancée ; mais il m’assura de son amitié, et m’invita à dîner pour le vendredi, le premier jour où il pouvait compter sur ses domestiques. L’invitation fut faite pour trois heures, car on dînait de plus en plus tard depuis que nous avions une armée ; et il paraît même qu’à Londres le bon ton était de dîner plus tard encore. Après être resté cinq minutes, Herman Mordaunt se retira en me serrant affectueusement la main.

Au dîner, je racontai à mon oncle et à ma tante ce qui s’était passé, et je fus charmé de les entendre parler de mes nouvelles connaissances dans les termes les plus favorables.

— Herman Mordaunt, dit mon oncle, pourrait jouer un grand rôle s’il voulait entrer dans la vie politique. Il a des talents, de l’instruction, une jolie fortune, et il est allié à ce qu’il y a de mieux dans la colonie, et même, dit-on, en Angleterre.

— Anneke est une charmante enfant, ajouta ma tante, et puisque Corny était destiné à protéger une jeune fille, je suis charmé que ce soit elle. Elle a le meilleur cœur, et ma sœur Littlepage et moi nous n’avions pas d’amie plus intime que sa mère. Il serait bien, Corny, d’aller savoir ce soir même de ses nouvelles. C’est une attention qu’elle est en droit d’attendre, après ce qui est arrivé.

Je ne demandais pas mieux, assurément ; mais j’étais si jeune et si novice que je ne savais trop comment me présenter. Heureusement Dirck arriva bientôt ; il approuva ce qu’avait dit ma tante, et offrit de me conduire. J’acceptai avec empressement, et nous partîmes ensemble pour Crown-Street, où demeurait alors M. Mordaunt dans un superbe hôtel. Il vint nous ouvrir lui-même, aucun de ses nègres n’étant encore revenu de la fête.

Dirck me parut au mieux, non-seulement avec le père, mais encore avec la fille. On ne l’appelait que mon cousin, et il était évident que sa cousine était ce qu’il aimait le mieux au monde. Tout cela me tourmentait un peu, je l’avoue. J’aimais Dirck, mais j’aurais préféré qu’il aimât, lui, toute autre personne.

Herman Mordaunt me fit monter un magnifique escalier, puis entrer dans un petit salon parfaitement éclairé. Anneke y était, entourée de cinq ou six de ses jeunes amies et de quelques jeunes gens parmi lesquels il n’y avait pas moins de quatre uniformes écarlates.

Je ne chercherai pas à cacher ma faiblesse : en entrant dans le salon, je me sentis tout troublé ; je ne voyais rien et je ne savais quelle contenance faire. Anneke fit un pas ou deux pour venir à ma rencontre ; mais la pauvre enfant n’était guère moins embarrassée. Elle rougit en me remerciant du service que je lui avais rendu, et s’estima heureuse que son père m’eût trouvé pour me témoigner sa reconnaissance. Elle m’invita alors à m’asseoir, me présenta aux personnes présentes, et me nomma deux ou trois des demoiselles. Celles-ci m’adressèrent de charmants sourires, comme pour me remercier à leur tour de ce que j’avais fait pour leur amie ; et je m’aperçus en même temps que les hommes, notamment les officiers, m’examinaient avec attention.

— J’espère que votre petit accident, qui n’a rien été après tout, puisque vous vous en êtes si bien tirée, ne vous a pas empêchée de jouir du coup d’œil de la fête ? dit un des jeunes militaires des que le mouvement causé par mon arrivée eut cessé.

— Mon petit accident, monsieur Bulstrode ? répéta Anneke avec une petite moue charmante ; croyez-vous donc qu’il soit si agréable pour une demoiselle de se trouver dans les griffes d’un lion ?

— Allons, je me rétracte, et je dirai : votre sérieux accident, puisque vous êtes décidée à vous regarder comme une victime ; mais pas assez sérieux, du moins je l’espère, pour vous avoir empêchée de jouir des amusements de la fête.

— C’est une fête qui revient tous les ans, et que, par conséquent, je suis assez vieille pour avoir vue déjà bien des fois.

— On m’a dit aujourd’hui, reprit un autre officier à qui j’avais entendu donner le nom de Billings, que vous étiez accompagnée d’un détachement de ce que Bulstrode appelle l’infanterie légère.

Trois ou quatre des jeunes personnes prirent alors part à la conversation, protestant qu’elles ne souffriraient pas qu’on les enrôlât dans l’armée d’une façon si cavalière. M. Bulstrode riposta qu’un jour ou l’autre il espérait pourtant les voir entrer non-seulement dans l’armée, mais dans son régiment. Ce furent alors des réclamations sans fin contre ce service forcé, et surtout, des éclats de rire auxquels je fus bien aise de voir que ni Anneke, ni sa plus intime amie, Mary Wallace, ne prenaient part. J’approuvai leur réserve, et je m’aperçus qu’on n’en avait pour elles que plus d’égards et plus de respect.

J’appris un peu plus tard que des trois officiers le plus jeune était enseigne ; il se nommait Harris, et était fils cadet d’un membre du parlement ; à proprement parler, ce n’était encore qu’un enfant. Le second, Billings, était capitaine, et l’on disait que c’était le fils naturel d’un grand personnage. Quant à Bulstrode, il était fils aîné d’un baronnet qui pouvait avoir de trois à quatre mille livres sterling de revenu ; à force d’argent il était déjà parvenu au grade de major, quoiqu’il n’eût encore que vingt-quatre ans. C’était un joli garçon, et je vis du premier coup d’œil que c’était un admirateur déclaré d’Anneke Mordaunt. Les deux autres s’admiraient trop eux-mêmes pour avoir des sentiments bien vifs pour toute autre personne. Dirck, plus jeune que moi, et d’une défiance excessive, se tenait à l’écart, causant presque tout le temps d’agriculture avec le père.

Il y avait une heure que nous étions ensemble, et j’avais pris assez d’aplomb pour changer de place et pour regarder un ou deux tableaux qui décoraient les murs, et qui étaient des originaux apportés de l’Ancien-Monde ; car, à dire vrai, l’art de la peinture n’a pas encore fait de grands progrès dans les colonies, quand M. Bulstrode s’appropria de moi. Il était mon aîné de quatre ans ; il avait été élevé dans une université ; c’était l’héritier d’un baronnet ; il connaissait le monde ; il était parvenu au grade de major ; il savait être aimable quand il le voulait. Que d’avantages n’avait-il pas sur un pauvre garçon tel que moi, qui n’avait aucune expérience ! Je n’étais nullement flatté qu’il vînt ainsi se placer à mon côté, en présence d’Anneke Mordaunt, comme pour donner lieu à une comparaison qui ne pouvait que lui être favorable. Je n’avais pourtant nul moyen de me plaindre ; son ton était poli, ses manières prévenantes ; et cependant je ne pouvais m’ôter de l’esprit qu’il cherchait à s’amuser un peu à mes dépens.

— Savez-vous que vous êtes un heureux morte1, monsieur Littlepage, dit-il en commençant, d’avoir pu rendre un pareil service à miss Mordaunt ? Nous envions tous votre bonne fortune, tout en admirant votre courage ; voila une aventure qui fera du bruit dans notre régiment ; car miss Anneke a tous les cœurs, et son libérateur a droit à notre reconnaissance.

Je marmottai quelques paroles assez embrouillées pour répondre à ce compliment, et mon interlocuteur continua.

— Je suis surpris, monsieur Littlepage, qu’un brave comme vous ne vienne pas dans nos rangs à une époque où il y a chance de se battre. On dit que votre père et votre grand-père ont servi et que vous avez de la fortune ; vous trouverez parmi nous grand nombre de jeunes gens de mérite et de bon ton, et vous passerez le temps très-agréablement ; on attend de nombreux renforts, et je suis sûr que vous obtiendriez facilement un beau grade. Je serais heureux de vous aplanir les voies si vos vues se tournaient de ce côté.

Tout cela fut dit avec un air de franchise et de sincérité d’autant plus apparent peut-être qu’Anneke était assise de manière à ne pouvoir manquer de nous entendre ; je remarquai même qu’elle tourna les yeux de mon côté au moment où j’allais répondre ; mais je n’osai regarder du sien pour voir quelle expression se peignait sur sa figure.

— Je suis bien sensible, monsieur Bulstrode, à votre aimable proposition, répondis-je d’un ton assez ferme, car la fierté vint à mon secours ; — mais mon grand-père vit encore, je dois lui obéir, et je sais que son désir est que je reste à Satanstoé.

— À Satan quoi ? demanda Bulstrode avec plus de curiosité peut-être qu’il n’était compatible avec la stricte bienséance.

— À Satanstoé, monsieur. Je ne suis pas surpris que ce nom vous fasse sourire, il est assez étrange ; mais enfin c’est le nom donné par mon grand-père à la terre que nous habitons.

— Le nom me plaît fort, je vous assure, et je suis certain que je raffolerais de votre aïeul, cette bonne et honnête nature anglo-saxonne. Mais il ne veut pas que vous demeuriez éternellement dans cette demeure de Satan…

— De Satanstoé, non, monsieur ; mais du moins jusqu’à ma majorité, que je n’atteindrai que dans quelques mois.

— Sans doute pour vous préserver des grilles de Satan, n’est ce pas ? Ces bons vieillards ont souvent grandement raison. Enfin, si jamais vous changez d’idée, mon cher Littlepage, ne m’oubliez pas. Rappelez-vous que vous avez un ami qui a quelque petite influence, et qui se fera un plaisir de l’employer pour celui qui a sauvé miss Mordaunt. Sir Harry est retenu par la goutte, et il parle de me céder son siège lors de la dissolution ; en ce cas ma recommandation aurait naturellement plus de poids. Savez-vous que j’aime prodigieusement ce nom de Satanstoé ?

— Je vous remercie, monsieur Bulstrode, mais j’avoue que je voudrais ne devoir mon avancement qu’à mon seul mérite, et un homme d’honneur…

— Allons donc, mon cher, où en êtes-vous ? Rappelez-vous Juvénal : Probitas laudatur et alget. Vous êtes trop frais émoulu du collège pour avoir oublié ce vers ?

— Je n’ai jamais lu Juvénal, monsieur Bulstrode, et je n’ai nulle envie de le lire, si c’est là la morale qu’il enseigne.

Bulstrode allait répliquer, quand une certaine miss Warren, qui semblait diriger ses batteries sur le major, intervint heureusement dans ce moment critique.

— Est-il vrai, monsieur Bulstrode, dit-elle, que MM. les officiers aient loué le nouveau théâtre, et qu’ils comptent nous faire la galanterie de donner quelques représentations ? M. Harris vient de trahir une partie du secret, et il nous a laissé entendre que vous pourriez nous en dire bien davantage.

— M. Harris mérite d’être mis aux arrêts pour avoir violé la consigne.

— M. Harris n’est pas le seul à blâmer, répondit Anneke avec calme ; et c’est tout le régiment qu’il faudrait punir, car voilà quinze jours qu’on ne parle pas d’autre chose.

— Allons, il faudra donc faire grâce au coupable. Eh ! bien, oui, j’en conviens, nous avons loué le nouveau théâtre, et nous avons l’intention de prier les dames de venir m’entendre massacrer Caton et Scrub, deux rôles qui ont du moins le mérite du contraste : n’est-ce pas, miss Mordaunt ?

— Je ne connais pas Scrub, mais j’ai lu la pièce d’Addison, et l’on ne pouvait mieux choisir. Quand les représentations doivent-elles commencer ?

— Dès que saint Pinkster aura fini les siennes et voudra bien nous céder la place.

À ce nom de saint Pinckster, ce furent des exclamations de toutes ces demoiselles, des cris de joie, un déluge de questions et de réponses ; tout le monde parlait ensemble, et Anneke profita de ce désordre pour se tourner de mon côté.

— Songez-vous sérieusement à prendre du service, monsieur Littlepage ? demanda-t-elle avec un certain embarras.

— En temps de guerre on ne peut répondre de rien ; mais, en tout cas, ce ne sera jamais que comme défenseur de la patrie.

Il me parut que cette réponse plaisait à miss Mordaunt. Après un moment de silence, elle reprit :

— Vous savez le latin, monsieur, Littlepage, puisque vous avez été à l’université ?

— Comme on le sait dans nos collèges, miss Mordaunt.

— Que voulait donc dire la citation de M Bulstrode ?

— Que la probité est louée et meurt de faim.

Une expression de déplaisir se peignit sur le front lisse et calme de miss Mordaunt, qui avait une grande fermeté de caractère et des principes très-arrêtés dans un âge aussi tendre ; elle ne dit rien pourtant, et se contenta d’échanger un regard significatif avec son amie Mary Wallace.

— Ah ! vous allez jouer le rôle de Caton, monsieur Bulstrode, s’écria une jeune personne sur qui la vue d’un bel uniforme faisait plus d’effet qu’il ne l’eût fallu pour son bien ; c’est charmant en vérité ! Et quel costume allez-vous prendre ? celui du temps, ou celui de nos jours ?

— Mais tout bonnement ma robe de chambre disposée pour la circonstance, à moins que saint Pinkster ne me suggère quelque meilleure idée.

— Croyez-vous donc réellement que Pinkster soit un saint ? demanda miss Mordaunt d’un ton assez sérieux.

Bulstrode se mordit les lèvres ; il n’avait jamais songé à demander à quelle occasion la fête avait lieu ; et il est certain que la manière dont elle est célébrée par les nègres de New-York ne pouvait guère le mettre sur la voie.

— Si je suis dans l’erreur, répondit-il d’un air contrit, miss Mordaunt voudra bien m’en tirer.

— Très-volontiers, monsieur Bulstrode. Apprenez donc que Pinkster n’est ni plus ni moins que la fête de la Pentecôte. Ainsi donc c’est un saint à retrancher de votre calendrier.

Bulstrode reçut la leçon avec une bonne grâce parfaite ; il inclina la tête en signe de soumission, et Anneke lui adressa un sourire si plein de bonté que j’aurais voulu pour beaucoup que cette scène n’eût pas eu lieu.

— Aussi, miss Mordaunt, c’est la faute de nos ancêtres, qui ne connaissaient pas Pinkster, et c’est ce qui peut expliquer mon ignorance.

— Mais quelques-uns des miens l’ont connu, et ils observaient la fête, répondit Anneke.

— Oui, du côté de la Hollande ; mais quand je me permets de parler de nos ancêtres, j’entends ceux que j’ai le bonheur d’avoir en commun avec vous.

— M. Bulstrode est donc votre parent ? demandai-je presque involontairement et avec trop de précipitation.

Anneke répondit de manière à montrer qu’elle ne trouvait pas ma question déplacée.

— Le grand-père de M. Bulstrode et ma bisaïeule maternelle étaient frère et sœur, dit-elle avec douceur. Nous sommes donc des espèces de cousins, suivant la mode de Hollande, qu’il dédaigne tant ; mais je crois que cette parenté serait regardée comme peu de chose en Angleterre.

Bulstrode se récria contre cette supposition. Il protesta que son père au contraire attachait le plus grand prix à sa parenté avec M. Mordaunt, et qu’il lui avait bien recommandé de cultiver sa connaissance dès qu’il serait arrivé à Nev-York. Je vis par là sur quel pied le formidable major était dans la maison. Ne jouais-je pas de malheur ? Il n’y avait que moi qui n’avais aucun lien de parenté avec Anneke. J’eus beau chercher parmi tous mes ancêtres de Hollande, je n’en trouvai aucun qu’il fût possible de mettre en avant.