SYLVA SYLVARUM (trad. Lasalle)/Préface de l’Auteur

Sylva Sylvarum
Préface de l’Auteur
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres7 (p. 1-72).
PRÉFACE DE L’AUTEUR.
Idée de l’histoire naturelle et expérimentale, qui doit servir de base et de fondement à la vraie philosophie.

Notre but, en publiant ainsi par parties notre grande restauration, est de mettre de bonne heure à l’abri quelques-unes de nos plus utiles productions, et d’en assurer l’existence. Le même motif nous détermine à donner, immédiatement après les ouvrages qui ont déjà paru, l’esquisse d’une histoire naturelle et expérimentale, qui, par le choix, la quantité et l’ordre de ses matériaux, puisse servir de base à la vraie philosophie, et fournir à l’interprète de la nature ce sujet, ce fonds sur lequel il doit bientôt travailler. Le véritable lieu de cette esquisse seroit sans doute dans le livre qui doit traiter des préliminaires et des préparatifs de l’étude de la nature ; mais des raisons plus fortes que celle de la simple convenance nous ont déterminés à la publier avant le temps. Cette histoire que nous embrassons par notre pensée, est un ouvrage immense qui ne peut être exécuté qu’à force de peines, de soins et de dépenses ; elle exige le concours et les travaux concertés d’un grand nombre d’hommes ; et c’est, comme nous l’avons dit ailleurs, une entreprise vraiment royale. Notre dessein seroit donc d’inspirer à d’autres, par cet exposé, du goût, du zèle même pour une entreprise aussi grande que nécessaire ; et si nous y parvenions, tandis que nous exécuterions successivement, et selon l’ordre que nous avons tracé, les parties que nous nous sommes réservées, cette partie ci, qui est d’un fort grand détail, seroit aussi peu à peu exécutée par nos associés, peut-être même de notre vivant ; du moins si telle étoit la volonté du grand Être qui dispose de nos jours et de nos destinées. Car, nous l’avouons ingénument, un tel fardeau nous accableroit, si d’autres ne nous aidoient à le porter. Quant à cette méthode qui doit diriger tout le travail propre à l’entendement, c’est une tâche que nous n’imposons qu’à nous seuls, et que nous ne désespérons pas de remplir à l’aide de nos seules forces. Mais les matériaux que nous voulons lui procurer, sont en si grande quantité et tellement dispersés, que, pour les rassembler de toutes parts, nous avons, en quelque manière, besoin de facteurs et de correspondans. Ajoutons que ces recherches si faciles, et dont tout homme est capable, semblent être un peu au-dessous d’une entreprise telle que la nôtre, et ne pas mériter que nous y consumions un temps que nous pouvons employer plus utilement. Cependant, nous nous chargerons de la partie la plus essentielle de ce travail même ; c’est-à-dire, d’exposer, avec toute l’exactitude et la clarté requises, le plan et le mode de la seule histoire naturelle qui puisse remplir notre objet ; de peur que, faute d’avertissement sur ce point, on ne fasse toute autre chose que ce que nous demandons et que, prenant pour modèles ces histoires naturelles déjà en vogue, on ne s’éloigne beaucoup trop du véritable but. Mais, avant de traiter ce sujet, nous ne devons pas oublier certaine observation que nous avons souvent faite, et qui, dans ce lieu même, plus que dans tout autre, devient absolument nécessaire. Quand tous les hommes, dans tous les âges se seroient réunis, ou se réuniroient par la suite, le genre humain tout entier s’adonnant à la philosophie, et tout le globe se couvrant d’académies, d’instituts, de collèges, d’écoles, de sociétés de savans ; néanmoins, sans une histoire naturelle et expérimentale, de la nature de celle que nous prescrivons et recommandons ici, jamais la philosophie et les sciences n’auroient fait ou ne feroient des progrès vraiment dignes de la raison humaine. Au lieu qu’à l’aide d’une telle histoire, pourvue de matériaux en abondance, d’un bon choix, et judicieusement digérés, en y joignant les expériences auxiliaires et lumineuses qui pourront se présenter, ou qu’il faudra imaginer, dans le cours même de l’interprétation, l’étude de la nature et l’invention des sciences seroient l’affaire d’un petit nombre d’années. Ainsi, il faut ou s’occuper sérieusement de cette histoire, ou tout abandonner. Car tel est l’unique fondement sur lequel on puisse établir une philosophie réelle, agissante et vraiment digne de ce nom. Ce fondement une fois posé, les hommes alors, comme éveillés d’un profond sommeil, verront quelle différence infinie se trouve entre les chimères, les rêves de l’imagination, et cette philosophie effective dont nous parlons ; alors, dis-je, ils se convaincront par eux-mêmes de la solidité et de la clarté des réponses qu’on obtient, en interrogeant sur la nature, la nature même.

Ainsi, nous commencerons par donner des préceptes généraux sur la manière de composer une histoire de ce genre. Puis nous en donnerons un exemple, un modèle fort détaillé, où nous aurons soin d’insérer, de temps à autres, des indications sur ce qu’on doit principalement chercher, et sur le but auquel on doit rapporter ou approprier chaque espèce de recherche ; plan que nous suivrons, afin que ce but étant une fois nettement conçu et bien saisi, cette connoissance même suggère à d’autres ce qui auroit pu nous échapper. Or, cette histoire dont nous allons donner l’esquisse, pour la mieux caractériser, nous l’appelons ordinairement histoire primaire, ou mère de toutes les autres.

Aphorismes sur la manière de composer l’histoire primaire.
I.

La nature peut se trouver dans trois états différens, et subir, en quelque manière, trois espèces de régime. Ou elle se développe complètement dans toute la liberté de son cours ordinaire, ou elle est comme dépossédée et chassée de son état par la qualité réfractaire, et l’opiniâtre résistance de la matière rebelle ; ou, enfin, elle est liée, figurée, moulée par l’art et le ministère de l’homme. Au premier état se rapporte ce qu’on appelle ordinairement les espèces ; au second, les monstres ; au troisième, toutes les productions de l’art. En effet, dans ces dernières, l’homme impose à la nature une sorte de joug, et elle est, pour ainsi dire, à ses ordres ; car, sans l’homme, tout cela ne se seroit point fait. C’est là, dis-je, que, par les soins et le ministère de l’homme, les corps prenant une face nouvelle, il se crée, en quelque manière, un autre univers, et change à chaque instant les décorations du théâtre. Ainsi l’histoire naturelle se divise en trois parties : elle traite ou de la marche libre et directe de la nature, ou de ses écarts, ou de ses liens. En sorte que nous serions assez fondés à la diviser en histoire des générations, des praeter-générations et des arts. Cette dernière partie est celle que nous qualifions ordinairement de méchanique et d’expérimentale. Mais notre but, en faisant cette division, n’est point du tout de faire entendre qu’on doit traiter ces trois parties séparément ; car, au fond, rien n’empêche de réunir l’histoire des monstres, dans chaque espèce, avec l’histoire de l’espèce même. Quant aux productions de l’art, il est quelquefois plus à propos d’en joindre la description à celles des espèces auxquelles elles se rapportent, et quelquefois aussi il vaut mieux les en séparer. Ainsi, le mieux à cet égard est de prendre conseil des choses mêmes ; le trop et le trop peu de méthode ayant également l’inconvénient d’occasionner des répétitions et des longueurs[1].

II.

L’histoire naturelle qui, envisagée par rapport à son sujet, se divise en trois parties très distinctes, comme nous l’avons dit, peut aussi être divisée en deux parties relatives aux deux espèces d’usages qu’on en tire. Car on l’emploie ou pour acquérir la simple connaissance des choses mêmes dont l’histoire est le dépôt, ou comme matière première de la philosophie, comme étant, pour ainsi dire, la pépinière, le fonds de la véritable induction. C’est de ce dernier usage qu’il s’agit actuellement ; actuellement, dis-je, car jamais dans les temps précédens il n’en fut question.

En effet, ni Aristote, ni Théophraste, ni Dioscoride, ni Pline, ni les naturalistes modernes, bien inférieurs à eux, ne se sont proposé cette fin dont nous parlons. Nous aurions beaucoup fait, si ceux qui dans la suite entreprendront une histoire naturelle, ayant l’œil sans cesse fixé sur ce but, étoient convaincus qu’ils ne doivent avoir en vue, dans leurs narrations, ni le plaisir du lecteur, ni même son utilité actuelle et immédiate mais seulement les avantages d’une collection de faits, riche, variée, et suffisante pour la confection des vrais axiomes : si ce but étoit perpétuellement présent à leur esprit, ils sauroient bien se prescrire eux-mêmes la manière dont ils doivent écrire une histoire de ce genre ; car c’est la destination d’un ouvrage qui en doit déterminer la forme ou le mode.

III.

Plus une telle entreprise exige de travail et de soins plus on doit prendre peine à la débarrasser de toutes superfluités. Ainsi, les naturalistes ont encore besoin de trois avertissemens tendant à empêcher qu’ils ne tournent trop leur attention vers des objets inutiles, et qu’en augmentant à l’infini le volume de cette collection, ils n’y sacrifient la qualité à la quantité.

1°. On laissera de côté les antiquités, les citations fréquentes, les autorités et même les controverses, les discussions verbeuses, les réfutations ; en un mot, toute philologie et tout étalage d’érudition. On ne citera point d’auteurs, sinon pour attester des faits douteux ; et l’on ne se permettra de discussion que pour éclaircir les points les plus importans. Quant aux similitudes, aux allusions, aux figures, et aux brillantes expressions, il faut absolument renoncer à tout cela ; et même tout ce qu’on fera entrer dans cette histoire, on l’exposera d’une manière serrée et concise, afin que l’ouvrage en ait plus de substance, et qu’on, y trouve toute autre chose que des mots. Car il n’est personne qui, ayant à rassembler et à mettre en place des matériaux pour la construction d’un vaisseau, d’un édifice, etc. s’amuse à les disposer dans un bel ordre, et à les distribuer d’une manière qui flatte la vue (comme ces marchandises qu’on étale dans une boutique) ; mais il met toute son attention à les bien choisir, et à les arranger dans le lieu où il les dépose, de manière qu’ils y occupent le moindre espace possible. Tel doit être l’esprit de cette collection dont nous parlons.

En second lieu, ce qui ne remplit pas mieux notre objet, c’est ce luxe de certaines histoires naturelles, surchargées de descriptions et de représentations de sujets des trois règnes, multipliées et variées à un point qui ne peut satisfaire que la seule curiosité. Car, au fond, toutes ces petites singularités ne sont que des espèces de jeux, de licences de la nature ; autant vaudroit avoir égard à ces légères nuances qui différencient les individus. De telles études peuvent être regardées tout au plus comme une sorte de promenade agréable parmi les productions de la nature ; mais on n’en peut tirer qu’une lumière bien foible pour les sciences et des connoissances de ce genre sont à peu près inutiles.

En troisième lieu, il faut rejeter également les narrations superstitieuses (je ne dis pas celles qui excitent le plus grand étonnement, et qui tiennent du prodige si d’ailleurs elles sont appuyées sur des témoignages dignes de foi, et de fortes probabilités) ; mais les relations vraiment superstitieuses, et toutes ces prétendues expériences de la magie cérémonielle[2]. Car nous ne voulons pas que l’enfance de la philosophie, à laquelle l’histoire naturelle donne, pour ainsi dire, le premier lait, se berce de ces contes de vieilles. Il sera temps peut-être, lorsqu’on aura un peu plus pénétré dans les profondeurs de la nature, de parcourir légèrement ces sujets mystiques, pour les examiner ; et si dans ce marc on trouve encore un peu de sève, on pourra l’en extraire et la mettre à part, pour s’en servir au besoin. Mais en commençant il faut écarter tout cela. Quant aux expériences mêmes de la magie naturelle, avant de leur donner place dans la collection, on aura soin de les discuter et de les éplucher avec toute la sévérité requise ; sur-tout celles qu’on déduit ordinairement de ces sympathies et antipathies si rebattues, et qu’on adopte avec tant de simplicité et de facilité soit à les croire, soit à en controuver d’autres.

Et ce ne sera pas avoir peu fait que d’avoir débarrassé de ces trois espèces de superfluités, notre histoire naturelle ; autrement des milliers de volumes suffiroient à peine pour contenir tout cela. Mais ce n’est pas encore tout : dans un ouvrage qui doit, par lui-même, avoir beaucoup d’étendue, il n’est pas moins nécessaire d’exposer, d’une manière très succincte, ce qu’on y fait entrer, que d’en retrancher tout le superflu. À la vérité, cette exposition si précise, si sévère et si châtiée, sera un peu moins amusante, soit pour le lecteur, soit pour l’auteur même mais on ne doit pas oublier qu’il s’agit beaucoup moins ici de se procurer une habitation agréable, une espèce de maison de plaisance, qu’une sorte de grenier, de grange, de magasin, où l’on puisse trouver au besoin, et prendre à mesure, tout ce qui sera nécessaire dans le travail de l’interprétation, qui doit succéder, et qui est le principal objet.

IV.

Dans cette histoire que nous demandons, ce que nous avons principalement en vue, et dont, avant tout, on doit s’occuper, c’est de lui donner une assez vaste étendue, et de la tailler, pour ainsi dire, à la mesure de l’univers ; et au lieu de resserrer le monde entier dans les étroites limites de l’esprit humain, comme on l’a fait jusqu’ici, il faut relâcher peu à peu les liens de l’entendement, le dilater en quelque manière, et lui donner enfin assez de capacité pour embrasser l’image de l’univers entier, mais de l’univers tel qu’il est. Car ces vues si resserrées, cet esprit si étroit, qui fait qu’on envisage trop peu d’objets, et qu’on veut prononcer d’après ce peu qu’on a vu, c’est cela même qui a tout perdu. Résumant donc cette distribution que nous avons faite de l’histoire naturelle, et en conséquence de laquelle cette histoire a été divisée en histoire des générations, des praeter-générations et des arts, nous subdiviserons actuellement celle des générations en cinq parties ; savoir : 1°. l’histoire des espaces et des corps célestes[3] ; 2°. celle des météores et de ce qu’on appelle les régions de l’air ; je veux dire de ces espaces qui s’étendent depuis la lune jusqu’à la surface de la terre ; partie à laquelle (et simplement pour mettre de l’ordre dans notre exposé) nous avons aussi assigné les comètes de toute espèce, tant les plus élevées que les plus basses, quelque puisse être d’ailleurs leur nature et leur véritable lieu 3°. celle de la terre et de la mer ; 4°. l’histoire de ce qu’on désigne ordinairement par le nom d’élémens, comme la flamme ou le feu, l’air, l’eau et la terre. Or, en employant ce mot d’élémens, nous ne prétendons pas qu’on doive regarder ces substances comme les premiers principes de toutes choses, mais seulement comme les plus grandes masses de corps naturels. Car les différentes espèces de corps sont tellement distribuées dans la nature, qu’il y a des substances qui s’y trouvent en très grande quantité, et même dont la masse est immense ; par la raison que leur constitution n’exige, dans la matière dont elles sont composées, qu’une texture facile et commune (et tels sont les quatre espèces de, corps dont nous venons de parler) ; mais qu’il en est d’autres qui ne se trouvent dans l’univers qu’en très petite quantité, et qui n’y sont semés qu’avec épargne ; leur constitution étant le produit d’un assemblage de parties très différentes, d’un tissu fin et délié, d’une organisation très particulière et très déterminée ; tels sont les composés connus sous le nom d’espèces, comme métaux, plantes, animaux, etc. Ainsi, les substances du premier genre seront appelées les grandes classes (ou collections) ; et celles du second genre, les petites classes[4]. Or, cette partie qui traite des grandes classes (ou collections), est le quatrième membre de l’histoire des générations ; et quoique, dans la seconde et la troisième partie, nous parlions aussi de l’air, de l’eau et de la terre, nous ne confondons pas pour cela ces deux parties avec la quatrième ; car, dans la seconde et la troisième, l’histoire n’envisage ces grandes masses que comme étant des parties intégrantes de l’univers, et par le rapport qu’elles ont avec sa configuration et son ensemble ; au lieu que la quatrième renferme l’histoire de leur substance et de leur nature, envisagée comme résidante, avec toute sa force et toute son énergie, dans chacune de leurs parties similaires, mais abstraction faite de leur rapport avec le tout[5]. Enfin, la cinquième partie renferme l’histoire des petites classes ou des espèces qui ont été jusqu’ici le principal sujet de l’histoire naturelle. Quant à l’histoire des praeter-générations, il seroit plus à propos, comme nous le disions plus haut, de la réunir avec celle des générations ; ce qu’il faut toujours entendre de celle dont les faits, quoique fort étonnans, ne laissent pas d’être naturels. L’histoire superstitieuse, je veux dire celle des miracles et des prodiges, vrais ou faux, doit d’autant moins nous arrêter ici, que nous la reléguons dans un traité ex-professo ; et ce traité, ce n’est pas en commençant qu’il faut l’entreprendre, mais un peu plus tard, et lorsqu’on aura fait quelques progrès dans l’étude de la nature.

Reste donc l’histoire des arts ou de la nature transformée, et, en quelque manière, retournée ; celle-ci, nous la divisons en trois parties. Car elle se tire ou des arts méchaniques ou de la partie active et pratique des arts libéraux, ou de ce nombre infini d’expériences et de procédés qui ne forment pas encore des arts proprement dits ; même de ceux qu’offre quelquefois l’expérience la plus commune, et qui n’ont nullement besoin d’art[6]. Ainsi, quand, de toutes ces parties dont nous venons de faire l’énumération ; savoir des générations, des praeter-générations, des expériences les plus familières, on aura composé une histoire détaillée, il nous semble qu’on n’aura rien omis de ce qui peut mettre les sens en état de procurer à l’entendement de sûres et d’amples informations. Et alors, enfin, nous ne serons plus confinés dans ce cercle étroit, où depuis tant de siècles nous sommes liés par une sorte d’enchantement ; mais nous aurons fait, en quelque manière, le tour de la vaste enceinte de l’univers, et égalé notre histoire à l’immensité de son véritable sujet.

V.

De toutes ces parties que nous venons de dénombrer, la plus utile, relativement à notre principal but, c’est l’histoire des arts : son avantage est de montrer les choses en mouvement, et de mener plus directement à la pratique ; de jeter une vive lumière sur les objets naturels, en levant ce voile et cette espèce de masque dont les couvrent leur apparence extérieure et la prodigieuse variété de leurs figures. Enfin, ce sont les vexations de l’art qui, semblables aux chaînes et aux menottes dont Aristée lia Protée, décèlent les mouvemens les plus énergiques et les derniers efforts de la matière. Car les corps se refusent à leur destruction, à leur anéantissement, et, comme pour l’éviter, prennent une infinité de formes différentes. Ainsi, quoique cette histoire ait je ne sais quoi de méchanique, de grossier et d’ignoble, (du moins à la première vue) ; cependant il ne faut épargner ni temps ni soins pour la bien traiter.

De plus, les arts que l’on doit préférer ici, ce sont ceux qui, en s’exerçant sur les corps naturels et sur les matériaux des divers composés, les rendent plus sensibles et leur font subir une infinité d’altérations et de préparations, comme l’agriculture, l’art du cuisinier, la chymie, l’art du teinturier, etc. à quoi il faut joindre tous ceux qui ont pour objet le verre, l’émail, le sucre, la poudre à canon, les feux d’artifice, le papier et autres semblables substances. Des procédés dont l’observation et l’analyse sont d’une moindre utilité, ce sont ceux qui ne consistent que dans un mouvement plus fin, plus précis ou plus régulier des mains ou des instrumens, tels que ceux de l’art du tisserand, du forgeron et de l’architecture : il faut en dire autant de la construction des horloges, grandes ou petites, des moulins, etc. quoique les observations mêmes de ce genre ne doivent pas être tout-à-fait dédaignées ; soit parce que, dans ce grand nombre de procédés, il s’en trouve qui ont quelque rapport avec l’altération des corps ; soit parce qu’ils donnent des connoissances plus exactes et plus détaillées sur le mouvement de translation[7] ; connoissances d’autant plus utiles, qu’elles mènent à une infinité d’autres.

Mais un avertissement absolument nécessaire, par rapport aux matériaux de cette histoire, et qu’on doit graver profondément dans sa mémoire, c’est qu’en faisant un choix parmi les expériences propres aux arts, il faut donner place dans notre collection, non-seulement à celles qui mènent aux buts de leurs arts respectifs, mais aussi à celles qui n’y mènent pas, et qui peuvent être instructives. Par exemple, que des écrevisses ou des langoustes soient de couleur de boue quand elles sont crues, et qu’elles deviennent de plus en plus rouges à mesure qu’elles cuisent, c’est ce qui n’importe guère au cuisinier, comme n’influant point sur leur saveur ; mais cet exemple même ne laisseroit pas d’être assez précieux dans une recherche qui auroit pour objet la nature de la couleur rouge, attendu que le même phénomène se présente dans les briques cuites[8]. De même, que les chairs prennent plus vite le sel durant l’hiver que durant l’été ; ce fait ne fournit pas seulement une indication au cuisinier pour employer à propos, et en suffisante quantité, ce genre d’assaisonnement ; mais un autre avantage de cet exemple, c’est d’indiquer la nature du froid et le genre d’impression qui lui est propre. Ce seroit donc se tromper grossièrement, que de s’imaginer qu’il suffit, pour remplir notre objet, de réunir ainsi en un seul corps des expériences tirées de tous les arts, dans la seule vue de perfectionner chaque art plus rapidement, quoique, dans plus d’un cas, cet avantage même ne soit pas tout-à-fait à mépriser ; notre véritable intention, et notre but direct, est que ces connoissances qui découlent des expériences méchaniques prennent toutes leur cours vers le vaste océan de la philosophie. Quant aux exemples les plus distingués en chaque genre (et ce sont ceux qu’on doit chercher avec le plus de soin) ce qui doit diriger dans ce choix, ce sont les prérogatives des faits ; c’est-à-dire le plus ou moins de lumière qu’on en peut tirer pour la découverte des causes.

VI.

Nous devons aussi résumer en ce lieu ce que nous avons traité plus amplement dans les aphorismes 99, 119 et 120 de l’ouvrage précédent, et le redire ici en peu de mots à titre de précepte. Il faut, disions-nous, faire entrer dans cette histoire naturelle, expérimentale et philosophique, 1. les faits les plus communs, même ceux qui, étant très familiers et universellement connus, semblent ne pas mériter d’être consignés dans un écrit ; 2°. les choses réputées viles, grossières, basses, rebutantes, sales même ; car tout est propre et net aux yeux de ceux qui le sont eux-mêmes[9]. Et s’il est vrai que l’argent, provenant de l’urine ne laisse pas de sentir bon[10], à bien plus forte raison peut-on le dire de tout ce qui peut fournir quelque lumière, quelques solides connoissances. Il faut également y donner place à telles choses qui paroissent frivoles et puériles ; et qu’on ne soit pas étonné d’y voir ces espèces de jouets, car il s’agit en effet de redevenir tout-à-fait enfant[11] : enfin, celles qui semblent être d’une excessive et frivole subtilité, qu’on est d’abord tenté de regarder comme minutieuses, parce qu’elles ne sont par elles-mêmes d’aucun usage ; car, comme nous l’avons dit, tous ces faits qu’on insère dans cette histoire, ce n’est pas pour eux-mêmes qu’on les y rassemble ainsi ; et ce n’est pas par leur valeur intrinsèque qu’il faut juger de leur prix mais par leur plus ou moins d’aptitude à être transportés dans la philosophie et par l’influence qu’ils peuvent y avoir.

VII.

De plus, nous ne saurions trop recommander de ne rien avancer sur les phénomènes de la nature, soit sur les corps mêmes, soit sur leurs propriétés, qu’après avoir, autant qu’il est possible, tout compté, mesuré, pesé et déterminé ; car ce sont les effets, les œuvres que nous avons en vue, et non de pures spéculations. Or, la physique et les mathématiques, judicieusement combinées, enfantent la pratique. Ainsi, il faut déterminer avec précision, par exemple, dans l’histoire des espaces et des corps célestes, les distances respectives des planètes, et les temps de leurs révolutions ; dans l’histoire de la terre et de la mer, la circonférence d’un grand cercle du globe terrestre, ainsi que les espaces respectifs qu’occupent à sa surface la terre et les eaux ; dans l’histoire de l’air, le degré de compression que peut endurer ce fluide, sans opposer une trop grande résistance ; dans l’histoire des métaux, leurs pesanteurs respectives ou spécifiques, et une infinité d’autres quantités de cette nature. Mais, lorsqu’on ne peut s’assurer des proportions exactes, il faut recourir à de simples estimations et à des comparaisons indéfinies. Par exemple, si l’on a quelques doutes sur les distances déterminées par les observations et les calculs astronomiques, on pourra supposer que la lune est située en deçà de l’ombre du globe terrestre ; que mercure est plus élevé que la lune ; et il en sera de même de toutes les autres mesures. Et même lorsqu’on n’aura pu déterminer les quantités moyennes, on donnera du moins les quantités extrêmes[12]. Par exemple, on pourra s’exprimer ainsi le poids du fer que peut soutenir un aimant très foible, est à celui de la pierre infime, dans tel rapport ; et un aimant très vigoureux lève soixante fois son poids, comme nous en avons nous-mêmes fait l’épreuve sur un aimant armé et fort petit. Or, nous savons assez que ces exemples déterminés ne sont ni communs ni faciles à trouver, et que c’est dans le cours même de l’interprétation qu’il en faut chercher de tels, lorsqu’ils deviennent nécessaires, et à titre de faits auxiliaires. Cependant, lorsqu’ils se présenteront d’eux-mêmes, si on n’a pas lieu de craindre qu’ils ralentissent excessivement la composition de l’histoire naturelle, on aura soin de les y insérer.

VIII.

Quant à la crédibilité des faits divers auxquels il s’agit de donner place dans notre collection, ces faits sont nécessairement ou certains, ou douteux, ou manifestement faux. En rapportant les faits du premier genre, on se contentera de la simple exposition ; mais ceux du second genre ne doivent être exposés qu’avec remarques ; par exemple, on y joindra ces expressions : on dit, on rapporte, je tiens d’un auteur digne de foi, et autres semblables avertissemeus. Mais d’exposer plus amplement les raisons, pour adopter oit rejeter un fait, ce seroit trop entreprendre, et la narration seroit trop ralentie par de telles discussions. D’ailleurs, ces raisons pour ou contre un fait, importent assez peu à notre objet actuel. Car comme nous l’avons observé (dans l’aphorisme 118 de l’ouvrage précédent), la fausseté de ces faits controuvés, à moins qu’ils ne se présentent à chaque pas, et ne fourmillent dans la collection, sera démontrée peu après par la vérité même des axiomes. Cependant s’il s’agit d’un fait de quelque importance, soit par les conséquences qu’on en peut tirer, dans la théorie, soit par les applications qu’on en peut faire, dans la pratique, alors il faut désigner nommément l’auteur qui le rapporte, et cela non pas d’une manière nue et sèche, mais en entrant dans quelques détails à ce sujet par exemple, dire s’il le rapporte sur la foi d’autrui, et se contente de le transcrire et de ce genre sont la plupart de ceux que Pline a compilés) ou s’il l’affirme sciemment, et d’après ses propres observations ; on doit dire encore si c’est un événement qui se soit passé de son temps, ou dans les temps précédens ; si ce fait est de la nature de ceux qui, en les supposant vrais, ont nécessairement un grand nombre de témoins si cet auteur est un homme inconsidéré et qui parle souvent au hazard, ou un écrivain réservé, judicieux et circonspect ; toutes circonstances qui donnent plus ou moins de poids à un témoignage ; enfin, quant aux faits manifestement faux, mais qui n’ont pas laissé d’avoir cours, à force d’être répétés, tels que les suivans, qui, soit par une longue crédulité, soit à cause des similitudes qu’on en tiroit, ont pris pied durant tant de siècles : que le diamant diminue la vertu de l’aimant et la force de l’ail, que l’ambre jaune attire toute espèce de substances, à l’exception du basilic ; et une infinité de contes du même genre ; ces faits, dis-je ce n’est pas assez du simple silence pour les exclure de notre collection, il faut les proscrire formellement, afin qu’ils ne gênent plus la marche des sciences.

De plus, si l’on rencontre quelque fait qui en ait imposé à la crédulité, et qui ait donné naissance à de puériles opinions, il ne sera pas inutile d’en faire la remarque. Par exemple, on a attribué à la plante connue sous le nom de satyrion, la propriété d’exciter l’appétit vénérien, parce que sa racine est figurée à peu près comme des testicules ; mais on pourra observer que la véritable cause de cette configuration est que, chaque année, au pied de cette plante, naît une nouvelle racine de forme bulbeuse, la dernière venue adhérant à celle de l’année précédente ; assemblage d’où résulte cette apparence de testicules ; et une preuve de ce que nous avançons ici, c’est qu’en examinant plus attentivement cette nouvelle racine, on trouve qu’elle est solide et pleine de suc, au lieu que l’ancienne est flasque et spongieuse. Ainsi, il n’est nullement étonnant que si on les jette dans l’eau toutes deux, l’une surnage, tandis que l’autre va au fond : voilà pourtant à quoi se réduit tout le merveilleux qui a fait ajouter foi à toutes les autres vertus chimériques de cette plante.

IX.

Reste à parler de certaines appendices ou additions qu’on peut faire à l’histoire naturelle, et qui peuvent être utiles, en la disposant à s’ajuster, à se plier plus aisément à l’œuvre de l’interprétation qui doit succéder. Ces additions sont de cinq espèces.

1°. Il faut joindre à cette histoire diverses questions ; non pas des questions sur les causes, mais de simples questions de fait, afin de solliciter l’esprit, de l’agacer, et de l’exciter à étendre ses recherches. Par exemple, dans l’histoire de la terre et de la mer, cette question : la mer caspienne a-t-elle aussi un flux et un reflux ? et quelle est la durée de l’un et de l’autre ? Ou cette autre : les terres australes sont-elles un continent, ou n’est-ce qu’une île[13] ? et autres questions semblables.

En second lieu, quand on rapportera une expérience nouvelle et délicate, il sera bon d’exposer en détail le procédé qu’on aura suivi en la faisant, afin que les lecteurs, suffisamment avertis des précautions avec lesquelles ils doivent la répéter, puissent juger par eux-mêmes si l’information qu’ils voudront en tirer, sera sûre ou trompeuse ; et même afin d’exciter leur industrie à chercher d’autres procédés encore plus exacts et plus précis, s’il en est de tels.

En troisième lieu, si l’écrivain a quelque doute sur l’observation ou l’expérience qu’il rapporte, il ne doit point du tout le dissimuler, ni user de réticence sur ce point, mais l’exprimer franchement et tel qu’il est, sous forme de note ou d’avertissement. Nous souhaitons que cette histoire primaire soit écrite avec la plus religieuse exactitude, et avec autant de scrupule que si l’auteur eût prêté serment pour chaque article. Car le volume des œuvres de Dieu (autant du moins qu’il est permis de comparer la majesté des choses divines avec la nature basse des choses terrestres) est comme le second volume des saintes écritures.

En quatrième lieu, il ne sera pas inutile de semer dans l’ouvrage, à l’exemple de Pline, quelques observations sur différens sujets par exemple, d’observer, dans l’histoire de la terre et de la mer, que la figure des deux continens (si toutefois on peut faire fond sur les relations des navigateurs) va en se rétrécissant et comme en s’aiguisant vers le sud ; qu’au contraire elle va en s’étendant et s’élargissant vers le nord ; qu’en conséquence le contraire a lieu par rapport aux mers : que ces grandes mers qui pénètrent fort avant dans les terres, et qui en rompent la continuité, s’étendent du nord au midi, et non de l’est à l’ouest[14], à l’exception peut-être de ces régions extrêmes qui sont voisines des pôles. Il est un autre genre d’additions qui ne seront pas non plus déplacées dans notre histoire je veux parler de certaines règles qui ne sont, à proprement parler, que des observations générales, universelles par exemple, les suivantes : que vénus ne s’éloigne jamais du soleil de plus de 46 degrés, ni mercure de plus de 25 : que les planètes, plus élevées que le soleil, ont un mouvement extrêmement lent[15], parce qu’elles sont à une très grande distance de la terre ; et que les planètes situées en deçà de cet astre, ont un mouvement plus rapide, par la raison des contraires. Il est encore un genre d’observations auxquelles jusqu’ici on n’a pas pensé, et qui ne laissent pas d’être importantes je veux dire qu’il faudroit joindre aux remarques sur ce qui est, d’autres remarques sur ce qui n’est pas ; par exemple, remarquer, dans l’histoire des corps célestes, qu’on n’en trouve point qui soit de figure oblongue ou triangulaire ; mais que tous sont de figure sphérique ; c’est-à-dire, ou simplement sphérique comme la lune, ou anguleuse à la circonférence, et ronde dans le milieu, comme les étoiles ou ronde au milieu et environnée d’une sorte de chevelure, comme le soleil ou encore observer qu’on ne voit point d’étoiles qui, par leur arrangement et leurs situations respectives, forment quelque figure tout-à-fait régulière ; par exemple, qu’on n’en trouve point qui forment un quinconce, un quarré exact, ou toute autre figure parfaite[16], quoiqu’on ait donné à ces assemblages d’étoiles les noms de delta, de couronne, de croix, de charriot, etc. à peine même y trouveroit-on une ligne parfaitement droite, si ce n’est la ceinture et l’épée d’Orion[17].

En cinquième lieu, il est d’autres additions qui, pouvant être utiles à des hommes inventifs, seroient très nuisibles à des hommes crédules, et qui, en donnant aux premiers l’impulsion nécessaire, ne feroient qu’égarer les derniers : je veux dire que si, dans l’histoire naturelle dont nons parlons, on exposoit en peu de mots, et comme en passant, les opinions reçues, avec leurs variations et les différentes sectes auxquelles elles ont donné naissance, un tel exposé pourroit servir à agacer l’entendement, et à donner des idées ; mais pourvu qu’on n’y cherchât que cela et rien de plus.

X.

On peut se contenter de ce petit nombre d’aphorismes ou préceptes généraux : pour peu qu’on observe constamment ces règles, l’histoire que nous proposons ira droit au but, et ne prendra point un volume excessif. Que si, malgré le soin que nous avons de la circonscrire et de la limiter, elle semble encore trop vaste à tel esprit timide et pusillanime, qu’il jette les yeux sur nos bibliothèques, et considère d’une part le corps du droit civil ou du droit canon de l’autre, celui que forme ce nombre infini de commentaires qu’y ont ajoutés les docteurs et les jurisconsultes, et qu’il voie la différence prodigieuse qui se trouve entre l’un et l’autre, pour la masse et le volume. Il en est de même de l’histoire naturelle ; car ce qui nous sied à nous, espèces de greffiers ou de scribes fidèles qui ne faisons que recueillir et transcrire les loix mêmes de la nature, c’est la brièveté, la précision ; et ce sont les choses mêmes qui nous imposent la loi d’être concis. Quant aux opinions, aux décisions et aux spéculations, elles sont sans nombre et sans fin[18].

Dans la distribution de notre ouvrage, nous avons fait mention des vertus cardinales (des forces primordiales et universelles) de la nature ; nous avons dit alors qu’on devoit composer l’histoire de ces forces ou qualités actives, avant de passer à l’œuvre même de l’interprétation et c’est ce que nous n’avons point du tout perdu de vue : mais ce travail difficile, nous avons eu l’attention de le réserver pour nous-mêmes ; car avant que les hommes se soient un peu plus familiarisés avec la nature, et accoutumés à la suivre de plus près, nous n’oserions encore faire fonds sur l’intelligence et l’exactitude des autres dans une telle recherche. Ainsi, nous commencerons par donner l’esquisse et quelques exemples des histoires particulières.

Mais les circonstances difficiles où nous nous trouvons, et le peu de loisir dont nous jouissons en ce moment, nous permettent tout au plus de publier un catalogue d’histoires particulières, dont on ne trouvera ici que les seuls titres. Dès qu’il nous sera possible de nous occuper plus particulièrement de cet objet, nous aurons soin de montrer, comme en nous interrogeant nous mêmes dans le plus grand détail, quels sont, par rapport à chacune de ces histoires, les points vers lesquels on doit principalement diriger les recherches et l’exposition de leurs résultats ; c’est à dire quels sont les points qui, dans chaque espèce de sujet, étant bien éclaircis, mènent le plus directement à notre but (à la découverte des causes essentielles) ; ces indications réunies formeront comme autant de topiques particulières (collections de lieux communs relatifs à des sujets particuliers) et si l’on nous permet d’emprunter un moment quelques termes du barreau, dans ce grand procès, dont la divine providence a daigné nous accorder la connoissance et l’instruction ; procès par lequel le genre humain s’efforce de recouvrer ses droits sur la nature, ces topiques nous aideront à interroger cette nature même et tous les arts humains, article par article.

Nous n’avons pas voulu retrancher la fin de cette préface, afin qu’on apprît de l’auteur même les raisons qui l’ont empêché de suivre, dans la publication de ses écrits, l’ordre le plus naturel. Mais nous devons prévenir nos lecteurs que la plupart des ouvrages dont il vient de montrer la nécessité, se trouveront dans cette collection ; et nous croyons devoir joindre à cette préface trois divisions, à l’aide desquelles on classera plus aisément les parties de la grande restauration.

Ces divisions se rapportent ou à la nature du sujet, ou à son étendue ou à la manière de le traiter.

Histoire des substances et histoire des modes.

Histoire générale et histoire particulière.

Histoire pure et histoire raisonnée, ou avec des indications sur les causes.

Par exemple, l’histoire des vents étant l’histoire raisonnée d’une certaine espèce de substance (savoir de l’air en mouvement) se rapporte au premier membre de la première division, au second membre de la seconde et au second membre de la troisième ; et il en est de même de l’histoire de la vie et de la mort, qui n’est que l’histoire particulière et raisonnée de l’homme considéré comme pouvant vivre beaucoup plus long-temps qu’il ne vit ordinairement.

L’histoire du chaud et du froid, celle de la densité et de la rarité ; ou celle de la pesanteur et de la légèreté étant des histoires raisonnées de certains modes, se rapportent donc aux seconds membres des trois divisions ; et il en est de même des autres.

L’histoire naturelle dont nous publions actuellement la traduction, est un mélange des six genres indiqués dans notre division : on n’y trouve ni préface[19] ni plan général mais on trouvera beaucoup d’ordre dans presque toutes ses parties. Notre auteur est ennemi de la confusion ; et lorsqu’il a mal commencé, il ne tarde pas à rentrer dans l’ordre dont il s’est écarté un instant.

Au reste, il ne faut pas donner à ces divisions plus d’attention qu’elles n’en méritent, elles sont purement arbitraires ; il importe beaucoup plus de choisir une division quelconque, que de préférer telle division à telle autre ; et de s’en tenir à une division passable, que de flotter long-temps entre plusieurs autres divisions beaucoup meilleures.

Catalogue des histoires particulières.

1°. Histoire du ciel, ou histoire astronomique.

2°. Histoire de la configuration du ciel et de ses parties, en rapport avec la terre et ses parties, ou histoire cosmographique.

3°. Histoire des comètes.

4°. Histoire des météores ignées.

5°. Histoire des éclairs, des foudres, des tonnerres, et autres météores lumineux.

6°. Histoire des vents, continus ou instantanées, et des ondulations de l’air.

7°. Histoire des iris on arc-en-ciels.

8°. Histoire des nuages, considérés à cette élévation où on les voit ordinairement.

9°. Histoire de la couleur bleue de la partie supérieure de l’atmosphère, du crépuscule, des parhélies, des parasélines[20], des différentes couleurs des images de ces deux astres ; de toutes les variations apparentes des corps célestes, et occasionnées par les variations du milieu.

10°. Histoire des pluies ordinaires, des pluies d’orages, des pluies extraordinaires, et même de ce qu’on appelle les cataractes du ciel, ou de tout autre phénomène de ce genre.

11°. Histoire de la neige, de la grêle de la gelée, des frimats, des brumes, de la rosée, et d’autres phénomènes analogues.

12°. Histoire de tous les corps qui tombent ou descendent de la région supérieure, et qui s’y sont formés.

13° Histoire des sons ou bruits venant de la région élevée, en supposant qu’il y en ait d’autres que celui du tonnerre.

14°. Histoire de l’air, considéré par rapport à son tout et à la configuration, ou à l’ensemble de l’univers.

15°. Histoire des saisons et des températures ou constitutions de l’année, considérées par rapport aux variations des lieux ou des temps, et aux périodes d’années ainsi que des déluges, des chaleurs, des sécheresses, et d’autres semblables phénomènes.

16°. Histoire de la terre et de la mer, de leur figure et de leur contour ; de leur configuration respective, et de leur figure allant en s’élargissant ou se rétrécissant et se terminant en pointe ; des îles en mer, des golphes, des lacs d’eau salée, situés dans les terres, des isthmes, des promontoires, etc.

17°. Histoire des mouvemens du globe de la terre et de la mer (de l’orbe supérieur, composé en partie de terre et en partie d’eau), s’il en est de tels ; et indication des observations par lesquelles on peut s’en assurer.

18°. Histoire des grands mouvemens et des grandes perturbations de la terre et de la mer ; savoir : des tremblemens de terre, des ouvertures qui se font à sa surface, des nouvelles îles qui s’y forment, des îles flottantes[21] ; des terres que la mer détache en pénétrant dans les continens ; des invasions et des débordemens de la mer, et au contraire, des rivages qu’elle abandonne ; des éruptions de feux et d’eaux qui s’élancent du sein de la terre, et d’autres phénomènes de même nature.

19°. Histoire naturelle et géographique, qui comprend la description des montagnes, des vallées, des forêts, des plaines, des sables, des marais, des lacs, fleuves, torrens, fontaines ; de toutes les variétés que présentent leurs sources, et d’autres choses semblables ; abstraction faite des nations, provinces, villes, et autres relations à l’homme.

20°. Histoire du flux et reflux de la mer, des euripes, des ondulations et autres mouvemens de ses eaux.

21°. Histoire des autres modifications accidentelles de la mer, de sa salure, de ses diverses couleurs, de ses différentes profondeurs, des roches, montagnes et vallées qui se trouvent sous ses eaux.

Viennent ensuite les histoires des grandes masses.

22°. Histoire de la flamme et des corps dont la chaleur est poussée jusqu’au rouge ou jusqu’à l’incandescence.

23°. Histoire de l’air, envisagé par rapport à la nature de sa substance, et abstraction faite du tout dont il fait partie.

24°. Histoire de l’eau, envisagée de la même manière.

25°. Histoire des différentes espèces de terre de leur substance, dis-je et non de leur rapport avec le tout.

Suivent les histoires des espèces.

26°. Histoire des métaux parfaits, de l’or et de l’argent, de leurs mines de leurs veines, de leurs marcassites ; et des différentes opérations qu’on fait subir à leurs mines.

27°. Histoire du mercure.

28°. Histoire des fossiles tels que le vitriol, le soufre etc.

29°. Histoire des pierres précieuses ; comme brillans, rubis, etc.

30°. Histoire des pierres, comme marbre, pierre de touche, caillou, etc.

31°. Histoire de l’aimant.

32°. Histoire de certaines substances de nature équivoque qui ne sont ni tout-à-fait fossiles, ni tout-à-fait végétales, comme les sels, l’ambre jaune, l’ambre gris, etc.

33°. Histoire chymique des métaux et des minéraux.

34°. Histoire des plantes, arbres arbrisseaux, arbustes herbes, etc. et de leurs différentes parties, comme racines, tige, branches, aubier, écorce, feuilles, fleurs, fruits, semences, larmes, etc.

35°. Histoire chymique des végétaux.

36°. Histoire des poissons, de leurs différentes parties, et de leur génération.

37°. Histoire des oiseaux, de leurs différentes parties, et de leur génération.

38°. Histoire des quadrupèdes, de leurs parties, et de leur génération.

39°. Histoire des serpens, vers, mouches, et autres insectes, de leurs parties, et de leur génération.

40°. Histoire chymique de toutes les substances animales.

Viennent ensuite les différentes histoires relatives à l’homme.

41°. Histoire de la forme et des parties extérieures de l’homme, de sa stature, et du tout ensemble ; de son visage, de ses linéamens, des différences et des variations dont toutes ces choses sont susceptibles, et qui peuvent avoir pour causes celles des races, ou celles des climats, ou des différences moins sensibles.

42°. Histoire physiognomique de ces mêmes choses (c’est-à-dire, ayant pour objet les pronostics qu’on en peut tirer.)

43°. Histoire anatomique, ou histoire des parties intérieures de l’homme, et de toutes leurs variétés telles qu’on les peut observer dans sa structure ou sa conformation naturelle, et non envisagées seulement comme vices de conformation, comme maladies, comme modifications accidentelles et præter-naturelles[22].

44°. Histoire des parties similaires de l’homme, telles que chair, os, membranes, etc.

45°. Histoire des humeurs, et en général des fluides qui se trouvent dans le corps humain, tels que sang, bile, sperme, etc.

46°. Histoire des matières excrémentitielles, de la salive, des urines, sueurs, déjections, sédimens etc. des cheveux, poils, ongles, et autres parties semblables qui se renouvellent.

47°. Histoire des facultés, attractive, digestive, rétentive, expulsive ; de la sanguification, de l’assimilation des alimens aux différens membres, de la conversion du sang, et de sa fleur[23] en esprit, etc.

48°. Histoire des mouvemens naturels et involontaires, tels que ceux du cœur, du pouls ou des artères de l’éternument, des poumons, celui de l’érection de la verge, etc.

49°. Histoire des mouvemens mixtes, ou en partie naturels et en partie volontaires, tels que la respiration, la toux l’action d’uriner, de débarrasser le ventre, etc.

50°. Histoire des mouvemens volontaires ; par exemple, de ceux des instrumens nécessaires pour produire les sons articulés[24], et de ceux des yeux, de la langue, du gosier, des mains, des doigts, de la déglutition, etc.

51°. Histoire du sommeil et des songes.

52°. Histoire des diverses habitudes du corps, de l’embonpoint, de la maigreur, des diverses complexions, etc.

53°. Histoire de la génération de l’homme.

54°. Histoire de la conception, de la vivification, de la gestation dans la matrice, de l’enfantement, etc.

55°. Histoire de l’alimentation et de toutes les espèces d’alimens tant solides que liquides, des différentes espèces de régime alimentaire, de leurs variétés et variations, selon les nations, les individus, les temps, les lieux, etc.

56°. Histoire de l’accroissement et du décroissement du corps humain, dans son tout et ses parties.

57°. Histoire du cours entier de la vie humaine[25] (de l’enfance, de l’adolescence, de la jeunesse, de la vieillesse), de sa longue ou de sa courte durée, et d’autres choses semblables suivant les races et autres moindres différences.

58°. Histoire de la vie et de la mort.

59°. Histoire médicinale[26] des maladies, de leurs symptômes et de leurs signes.

60°. Histoire médicinale des différentes espèces de cures et de remèdes ; en un mot, de tous les moyens de guérison.

61°. Histoire médicinale des substances et des moyens qui peuvent concourir à la conservation du corps et de la santé.

62°. Histoire médicinale de tout ce qui peut contribuer à la beauté et aux agrémens du corps humain.

63°. Histoire médicinale des substances ou des moyens qui peuvent produire quelque altération dans le corps humain, et de tout ce qui appartient au régime altérant.

64°. Histoire de l’art du pharmacien.

65°. Histoire chirurgicale.

66°. Histoire chymique des différentes espèces de médicamens.

67°. Histoire de l’œil, de la vue et des choses visibles, ou histoire optique.

68°. Histoire de la peinture, de la sculpture, de l’art de modeler, etc.

69°. Histoire de l’ouïe et des sons.

70°. Histoire de la musique.

71°. Histoire de l’odorat et des odeurs.

72°. Histoire du goût et des saveurs.

73°. Histoire du tact et de ses objets.

74°. Histoire du plaisir de la génération, considéré comme une espèce de tact.

75°. Histoire des douleurs corporelles, envisagées aussi comme différentes espèces de tact.

76°. Histoire du plaisir et de la douleur en général.

77°. Histoire des affections, telles que la colère, l’amour, la honte, etc.

78°. Histoire des facultés intellectuelles c’est-à-dire, de la faculté, de penser.

79°. Histoire des divinations naturelles [27].

80°. Histoire de l’art de découvrir les choses cachées, mais de l’ordre naturel.

81°. Histoire de l’art du cuisinier et des arts qui y sont subordonnés, tels que ceux du boucher, du pêcheur, du chasseur, de l’oiseleur, etc.

82°. Histoire de l’art du boulanger, de toutes les substances et de tous les procédés relatifs à la panification enfin, de tous les arts qui se rapportent à celui-là, tels que celui du meunier etc.

83°. Histoire de l’art de faire le vin.

84°. Histoire de l’art de composer les différens genres de boissons.

85°. Histoire de l’art du confiseur, de la confection des sucreries, et autres douceurs de ce genre.

86°. Histoire du miel.

87°. Histoire du sucre.

88°. Histoire des différentes espèces de laitages.

89°. Histoire des différens genres de bains et d’onctions.

90°. Histoire mélangée de tous les arts qui ont pour objet le soin ou les agrémens du corps, tels que celui du perruquier, du parfumeur, etc.

91°. Histoire de l’orfèvrerie, et des arts qui s’y rapportent.

92°. Histoire de l’art de fabriquer les étoffes de laine, et des arts qui en dépendent.

93°. Histoire de l’art de fabriquer les étoffes de soie, et de tous les arts corrélatifs.

94°. Histoire des différentes manipulations et matières nécessaires pour fabriquer toutes les espèces de toiles ou d’étoffes de lin, de chanvre, de coton, de soie, ou poils d’animaux, ou d’autres substances filamenteuses et de tous les arts qui s’y rapportent.

95°. Histoire de l’art du plumassier.

96°. Histoire de l’art du tisserand, et des autres arts qui y sont subordonnés.

97°. Histoire de l’art du teinturier.

98°. Histoire de l’art de préparer les cuirs, ou de celui du corroyeur, et des arts correspondans.

99°. Histoire de l’art de fabriquer les oreillers, lits de plume, etc.

100°. Histoire de l’art du forgeron, du taillandier, etc.

101°. Histoire de l’art de tailler la pierre.

102°. Histoire de l’art du tuilier, briquier, etc.

103°. Histoire de l’art du potier.

104°. Histoire de l’art de fabriquer le ciment, le stuc ; de l’art d’incruster, de celui du plâtrier, etc.

105°. Histoire des arts du charpentier et du menuisier.

106°. Histoire de l’art du plombier.

107°. Histoire du verre, de toutes les matières vitrescibles, et de l’art du verrier, du vitrier, etc.

108°. Histoire de l’architecture en général.

109°. Histoire de l’art de construire les charrettes, chariots, chaises roulantes, litières et voitures de toute espèce.

110°. Histoire de l’art typographique ; de la librairie, de l’art d’écrire (méchanique), et de tous les arts qui ont pour objet les différens moyens employés pour sceller, cacheter, etc. la fabrique de l’encre, du papier, du parchemin, des membranes ; les plumes, etc.

111. Histoire de la cire et de l’art du cirier.

112°. Histoire de l’art de fabriquer les ouvrages d’osier, de l’art du vannier, etc.

113°. Histoire de l’art du nattier, et en général de l’art de fabriquer tous les ouvrages en paille, en jonc, etc.

114°. Art de fabriquer les balais, les vergettes, brosses, etc.

115°. Histoire de l’agriculture, champs, vignobles, pâturages, bois, etc.

116°. Histoire de l’art du jardinier.

117°. Histoire de l’art du pêcheur.

118°. Histoire de l’art du chasseur, de l’oiseleur, etc.

119°. Histoire de l’art militaire, et des arts qui s’y rapportent, tels que ceux qui ont pour objet la fabrique des armes blanches, des arcs, des flèches, des fusils, des pistolets des canons de l’art de construire les balistes, catapultes, scorpions, et les machines de toute espèce[28].

120°. Histoire de l’art de la navigation, ainsi que de toutes les pratiques et de tous les arts qui s’y rapportent.

121°. Histoire de l’athlétique et de tous les exercices du corps.

122°. Histoire de l’équitation.

123°. Histoire des jeux de toute espèce.

124°. Histoire de l’art des faiseurs de tours, de prestiges, etc.

125°. Histoire mélangée, ayant pour objet différentes espèces de matières employées dans les arts ou métiers, telles que l’émail, la porcelaine, différentes espèces de ciment, etc.

126°. Histoire des sels.

127°. Histoire mixte ayant pour objet les différentes espèces de machines et de mouvemens méchaniques.

128°. Histoire générale et composée de la description et des résultats de toutes les expériences connues, qui ne font encore partie d’aucun art proprement dit, ni d’aucune collection.

On doit aussi composer des histoires relatives aux mathématiques pures, quoique les matériaux d’une telle histoire soient plutôt des réflexions que des observations ou des expériences, et composent plutôt une science d’idées qu’une science de faits[29].

129°. Histoire arithmétique, ou de la nature et de la puissance (des propriétés) des nombres.

130°. Histoire géométrique, ou de la nature et des propriétés des figures[30].


AVERTISSEMENT DE L’AUTEUR.

Il ne sera pas inutile d’avertir qu’un grand nombre d’expériences devant nécessairement tomber sous 2, 3, 4, etc. titres différens, par exemple, que l’histoire des plantes et l’histoire de l’art du jardinier devant avoir un grand nombre d’articles communs, il est à propos, dans les recherches qu’on veut faire sur les différentes espèces de corps, de les envisager successivement selon l’ordre qui les distribue dans les différens arts où ils sont employés ; et dans l’exposition, de les envisager par rapport à leurs natures, analogues ou différentes ; pour les classer plus méthodiquement ; c’est-à-dire, d’une manière mieux appropriée à notre principal but. Car ce qui nous intéresse dans cette histoire des arts, ce sont beaucoup moins ces arts eux-mêmes, que les lumières qu’on en peut tirer pour éclairer les différentes parties de la philosophie auxquelles ils se rapportent. Mais le meilleur ordre, dans tous les cas, sera celui qui naîtra des choses mêmes, et de la connoissance de leur destination.

Fin de la préface
  1. Le moyen d’éviter les deux extrêmes, est de placer chaque vérité dans le lieu où elle est le plus nécessaire et de renvoyer ensuite des lieux où elle l’est moins, à celui-là.
  2. De celle qui se flatte ou qui promet d’opérer des effets physiques, en traçant certaines figures, en faisant certains gestes, en prononçant des formules inintelligibles, en tels temps, en tels lieux, etc.
  3. Historia aetheris et cœlestium ; quoique, dans le langage figuré, aether soit pris pour le ciel ou les espaces célestes, j’ai été tenté de traduire ainsi : Histoire de l’éther et des corps célestes ; car le chancelier Bacon n’admettant point de vuide dans l’univers, il est forcé de supposer dans les espaces immenses un fluide destiné à les remplir, et désigné assez ordinairement par ce mot d’éther ; mais comme, dans une histoire naturelle on ne doit rien trouver qui ait l’air d’un système, nous préférons le mot espaces, pour éviter toute discussion.
  4. Il est impossible de bien traduire ces deux expressions, collegia majora, collegia minora ; parce que cette division ayant pour base une idée fausse, ne peut être exacte : les grandes masses d’élémens sont des masses réellement existantes ; au lieu que les classes d’animaux de végétaux et de minéraux, ne sont que des collections purement idéales. Or, une division dont un membre est une collection de choses réelles ; et l’autre, une collection d’idées, est certainement vicieuse : celle-ci vaudrait peut-être un peu mieux. Êtres et modes, élémens et composés ; élémens considérés dans les masses où ils sont réunis ; élémens considérés dans les composés dont ils font partie : composés, animaux, végétaux, minéraux, subdivisés ensuite en classes ou genres, espèces, sous-espèces, variétés, etc. modes, simples ou généraux et modes composés ou particuliers, etc. Cette division n’est pas non plus d’une parfaite exactitude, attendu qu’elle a pour base les idées du traducteur, c’est-à-dire, des idées humaines et par conséquent inexactes ; mais elle semble être du moins plus conforme à la loi de l’analogie et de la convenance.
  5. Cette distinction ne détruit pas celle que nous avons faite dans la note précédente.
  6. N’est-il pas surprenant qu’on ait fait un métier de l’art de friser, et qu’on n’en ait pas fait un de l’art de penser ? Il est vrai que l’art de penser semble être le métier de tout le monde, et que ce métier de tout le monde, que personne ne sait, personne n’ose l’enseigner, parce que tout le monde croit le savoir. Cependant le vrai moyen de perfectionner cet art, seroit d’en faire un métier, comme de celui qui s’exerce sur les têtes à perruque.
  7. Il entend par mouvement de translation, ce mouvement simple par lequel un corps est transporté d’un point à un autre point, et surtout celui de projection, tel que celui d’un boulet de canon, d’une pierre lancée avec la main, etc.
  8. Et dans certains fruits, tels que la fraise, la groseille, la cerise, la framboise, la pèche, la pomme, etc. qui deviennent de plus en plus rouges, à mesure que le soleil les cuit, comme les écrivisses le deviennent à mesure que le feu les mûrit.
  9. Moïse ayant divisé les animaux en purs et immondes, avoit défendu aux Juifs, peuple fort sale, de se nourrir des derniers ; mais cette loi, établie après une vision, fut abolie, d’après une autre rapportée dans les actes des Apôtres.
  10. Vespasien, Empereur maltôtier avoit mis des impôts sur tout, même sur les urines ; son fils témoignant beaucoup de dégoût pour ces derniers, il se fit apporter le premier argent provenant de la taxe, et le lui donnant à flairer, cet argent, lui dit-il, sent-il mauvais ? – Non : – c’est pourtant l’urine qui a produit cela.
  11. De renoncer à toutes ses opinions, de faire abstraction de tout ce qu’on sait, et de recommencer toutes ses études, en considérant tous les objets, sans prévention et avec un esprit vierge comme celui d’un enfant.
  12. Les quantités moyennes sont des moyennes proportionnelles, arithmétiques, ou géométriques, etc. entre les quantités extrêmes : selon toute apparence il veut dire les quantités intermédiaires.
  13. Question peu digne d’un si grand génie ! Car un continent n’est qu’une grande île, et une île n’est qu’un petit continent. L’ancien et le nouveau continent, soit qu’ils se joignent par le nord, ou qu’ils soient séparés (ce qui est le plus probable), sont certainement environnés d’eau : or, une terre environnée d’eau est une île. Voici une question plus raisonnable : les terres australes tiennent-elles à l’ancien continent, ou en sont-elles séparées ?
  14. Assertion manifestement fausse par rapport aux mers de très grande ou de moyenne étendue car la mer méditerranée, proprement dite est à peu près est et ouest comme on peut s’en assurer en jetant les yeux sur une mappemonde, ou sur une carte marine et comme nous l’avons nous-mêmes appris à nos dépens, ayant été obligés, dans l’hiver de 1772, à louvoyer durant deux mois entre Gibraltar et Malaga à cause d’un vent d’ouest très opiniâtre qui nous fit manquer trois fois le débouquement, et nous rejetoit toujours en dedans. Il en faut dire autant de la mer pacifique : la traversée d’Acapulco à Manille, est la plus longue que puisse faire un navigateur en se tenant toujours à peu près sur le même parallèle.
  15. Sans doute, et ce n’est pas parce qu’elles sont plus éloignées de la terre qu’il regarde comme le centre de leur mouvement, mais parce qu’elles sont plus éloignées du soleil qui est leur véritable centre et, conformément à cette loi, les quarrés des temps périodiques des différentes planètes sont entr’eux comme les cubes de leurs distances moyennes à l’astre central.
  16. Le quarré exact est un cas unique, et il est une infinité de quadrilatères possibles dont les quatre côtés ne seroient pas parfaitement égaux. En supposant que ces luminaires aient été jetés au hazard dans l’espace, ou que celui qui a allumé ces lampions les ait laissés s’arranger d’eux-mêmes la probabilité que quatre lampions formeroient un quarré parfait, étoit à la probabilité qu’ils n’en formeroient pas un, comme l’unité est au nombre de quadrilatères d’une autre espèce qu’ils pouvoient former : or, ce dernier nombre est beaucoup plus grand que celui de toutes les étoiles visibles, et il seroit beaucoup plus étonnant de voir dans les cieux un quarré parfait, qu’il ne l’est de n’y en point trouver.
  17. Ce que le vulgaire appelle les trois rois, et les trois petites étoiles situées plus au sud.
  18. On est prolixe quand on croit avoir besoin d’alonger le discours ; mais quand on veut finir on est précis.
  19. Cette préface qu’on vient de lire, n’est pas celle de l’histoire naturelle que Bacon a composée et dont nous donnons la traduction, mais celle de l’histoire dont il avoit conçu le projet ; cependant la plupart des règles qu’il vient de prescrire sont très exactement observées dans les mélanges qu’on va lire et dans les histoires suivantes.
  20. De l’apparente pluralité de soleils et de lunes ; phénomènes qui paroissent dépendre d’une ou de plusieurs réfractions occasionnées par les densités inégales des différentes parties d’un nuage.
  21. En 1774 sur le vaisseau le Superbe de l’Orient, qui faisait route pour Canton en Chine et qui étoit dans le détroit de la Sonde, le capitaine m’ayant mis en vigie à la tête du grand mât, je criai : vaisseau à trois mâts ; je reçus pour réponse un rire universel ; en considérant l’objet avec plus d’attention, je reconnus que c’était une île flottante portant trois arbres alignés qui avoient l’apparence de trois mats. Nous étions alors entre Sumatra et Banca, parage où ces îles sont assez communes ; on peut conjecturer qu’elles sont composées d’une terre poreuse, spongieuse et remplie de grandes cavités, à laquelle les racines des arbres qu’elle porte donnent plus de consistance.
  22. Nous transportons cette expression de la langue latine des médecins dans la nôtre, n’ayant jamais pu nous résoudre à employer celle-ci, contre nature, qui nous paroît très peu philosophique. Tout ce qui est dans la nature est naturel ; et les phénomènes rares ne sont pas pour cela contre nature, mais seulement hors de son cours ordinaire. Si par la suite nous rencontrions dans l’obscurité quelque miracle, nous adopterions volontiers cette expression que nous rejetons. Quand l’usage est raisonnable, tout homme de jugement se conforme à ses loix avec une religieuse docilité. Mais lorsqu’il heurte de front la raison et le sens commun alors la raison et le sens commun consistent à le heurter de front lui-même.)
  23. Il veut parler de cette partie qui surnage, quand le sang se décompose ; car il donne ce même nom de fleur à cette partie qui surnage dans le lait, et qui répond à celle dont il est ici question.
  24. Car les mouvement d’où résultent cette espèce de sons qu’on peut regarder comme le cri naturel du besoin, des passions, des affections, et qu’on désigne dans la grammaire par le nom d’interjection, ne sont rien moins que volontaires : c’est une action purement machinale qui est commune aux hommes de tous les temps et de tous les lieux, et même à tous les animaux que la nature n’a pas rendus entièrement muets ; par exemple, la voix d’un chien ou d’un, chat qui demande qu’on lui ouvre la porte se module à peu pris comme celle d’un enfant qui fait la même demande : au lieu que la totalité, ou du moins la plus grande partie des mouvemens nécessaires pour produire les sons articulés, est actuellement ou originellement volontaire.
  25. C’est le sujet de l’ouvrage que nous publierons immédiatement après celui-ci : c’est le plus utile et le plus parfait qui soit sorti d’un cerveau humain.
  26. Il ajoute cette expression qualificative, pour mettre une différence entre les histoires qui ont pour principal but la guérison des maladies, ou la conservation de la santé, etc. et celles qui ont un but purement philosophique, c’est-à-dire, la découverte des causes formelles et des vrais axiomes.
  27. De l’art de conjecturer, c’est-à-dire, de perfectionner et de pointer la lunette de l’analogie.
  28. On a peut-être eu tort d’abandonner entièrement cette artillerie des anciens. Si, dans une place assiégée, au moment où l’ennemi fait les approches, on établissoit derrière les remparts, et tout le long des rues droites qui y aboutissent, un grand nombre de ces machines connues chez les anciens sous le nom de scorpions, et dont on trouve la description dans Vitruve, dans Juste Lipse, etc. sur-tout de celles qui sont terminées par une grande cuiller de fer, il seroit peut-être impossible d’ouvrir la tranchée ou de s’y tenir quand elle seroit ouverte ; elles produiraient une pluie continuelle de pierres. Une telle machine ne vaut certainement pas un canon ni un mortier mais elle a, sur le premier, l’avantage de faire tomber d’en haut les corps qu’elle lance et sur le second celui d’être peu dispendieuse et de pouvoir être multipliée à l’infini. Il ne faut, pour la construire, que deux grandes pièces de bois, un pivot de fer, une cuiller de même métal, deux caisses de bois, deux piquets, une clavette et une corde ; une fois construite, elle ne coûte plus rien. Toute invention ou application tendant à donner à la défense sur l’attaque, un avantage qu’elle n’a certainement pas aujourd’hui n’est pas déplacée dans cet ouvrage.
  29. S’il existoit des lignes sans largeur, des surfaces sans épaisseur, des figures parfaitement régulières, et des solides également réguliers, quelles seroient leurs propriétés ? Tel est l’état de la question en géométrie. Ainsi, tout le corps de cette science n’est qu’une vaste hypothèse dont les conséquences s’appliquent d’autant mieux à la pratique, que les lignes, les figures ou les solides réels à construire ou à mesurer, approchent plus de ces suppositions. Mais, quoique les objets que considère la géométrie, les figures, par exemple, soient purement idéales, elles sont pourtant originaires des figures réelles qui en ont donné l’idée, et auxquelles l’homme a fait, pour sa commodité, quelques changemens en y supposant l’égalité et la symétrie qu’il auroit voulu y trouver ; à peu près comme les hommes imaginaires qui sont l’objet de la morale à perte de vue sont originaires des hommes réels, dans lesquels on n’a pas trouvé les qualités sublimes qu’on y souhaitoit et qu’on voudroit leur donner, à force de sermons religieux, oratoires ou poétiques, au profit du prédicateur. Ainsi, la géométrie et toutes les autres sciences d’idées sont originairement des sciences de faits.
  30. Nous espérons que nos lecteurs nous sauront gré d’avoir donné ce catalogue ; c’est un répertoire très précieux, qui a souvent servi de guide aux autours des deux encyclopédies françaises ; c’est de plus un aiguillon et un stimulant. La maladie la plus commune des esprits, c’est l’inertie, et ils ont encore plus besoin d’impulsion, que de direction. Le plus difficile en chaque genre, n’est pas de résoudre des questions déjà proposées, mais de s’aviser le premier du problème, et d’inventer le sujet même de l’invention. Il est beaucoup d’hommes qui, incapables de s’ouvrir eux-mêmes une nouvelle route, ne laissent pas de marcher rapidement dans une route déjà ouverte, souvent même avec plus de vigueur que celui qui l’a frayée ; le pays qu’ils habitent est fort voisin de l’Angleterre ; ce catalogue leur est dédié.