SYLVA SYLVARUM (trad. Lasalle)/Centurie I

Sylva Sylvarum
Centurie I
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres7 (p. 73-258).

Centurie I.

1. UN peu au-dessus de l’endroit où viennent se briser les dernières vagues, creusez un puits, dont l’ouverture se trouve ainsi un peu plus élevée que le niveau de la haute-mer, et dont le fond soit un peu au-dessous du niveau de la mer-basse ; dans le temps de la haute-mer, ce puits se remplira peu à peu d’une eau douce et potable. Ce fait est constaté par la pratique qui s’observe constamment à la côte de Mauritanie, (de Maroc et d’Alger), où l’on supplée, par ce seul moyen, au défaut d’eau douce. Ce fut aussi une dernière ressource pour Jules-César dans le blocus qu’il soutint à Alexandrie. Ayant fait creuser des puits sur le rivage de la mer, il trompa, par ce moyen, tous les efforts des Alexandrins, qui avoient entrepris des travaux immenses pour faire couler l’eau de la mer dans les fontaines du lieu qu’il occupoit ; et il sauva ainsi son armée, qui, faute d’eau douce, sembloit perdue. César ignoroit la véritable cause de l’effet dont il profitoit ; il s’imaginoit que le sable marin contenoit quelque source d’eau douce ; mais il est clair que cette cause n’est autre que l’eau même de la mer, qui remplit un tel puits à mesure qu’elle monte, et en proportion de son accroissement ; parce qu’en se filtrant à travers le sable, elle y dépose sa salure.

2. J’ai lu quelque part une expérience consistant à filtrer l’eau à travers la terre, par le moyen de dix vaisseaux remplis de cette terre, et placés l’un sur l’autre. Cette eau, ajoutoit-on, ne se dépouilloit pas assez complètement de sa salure pour devenir potable. Mais le même auteur ajoute, sur le rapport d’autrui, que de l’eau salée qu’on avoit filtrée à travers vingt vases, étoit enfin devenue tout-à-fait douce. Cette dernière expérience semble être en contradiction avec celle des puits creusés sur le rivage de la mer. On nous dit cependant que la filtration réitérée dix-neuf fois, avoit eu son plein effet. Mais voyez combien toutes nos imitations sont impuissantes, du moins à la manière dont on s’y prend ordinairement pour faire des expériences, sur-tout lorsqu’en les faisant on n’est pas dirigé par un certain jugement, et l’on ne marche pas à la lumière des principes.

En effet, 1°. ce n’est pas une légère différence que celle qui se trouve entre l’épaisseur de vingt vaisseaux à travers lesquels on aura pu faire passer l’eau, et l’espace immense que laisse la mer entre le flot et le jusant[1].

En second lieu, il faut mettre aussi une grande différence entre le sable et la terre ; car il n’est point de terre qui ne contienne une sorte de sel nitreux, au lieu que le plus souvent le sable n’en contient pas un seul grain.

De plus, la terre n’est pas pour l’eau un filtre[2] aussi parfait, aussi fin que le sable.

Reste une troisième raison, qui me paroît tout aussi suspecte que les deux autres ; cette raison est que, dans l’expérience de la transmission de l’eau salée, à l’aide des puits, l’eau monte, au lieu que dans celle de la filtration à travers la terre contenue dans des vases, elle descend. Or, l’on conçoit aisément que les parties de l’eau les plus chargées de sel (dès que toute la terre de ces vases en est fortement imprégnée), doivent traverser tout le filtre, sans y déposer ce sel, et arriver ainsi au fond du vaisseau avec toute leur salure. Il n’est donc pas étonnant que la filtration de l’eau, opérée par sa seule chute, ne soit pas suffisante pour la rendre tout-à-fait douce.

Enfin, il me vient un soupçon ; c’est que les chocs réitérés qu’essuie l’eau poussée à travers le sable par une mer agitée, sont beaucoup plus propres pour en détacher les parties salines, que la filtration de la même eau, opérée par son mouvement propre, et en vertu de son seul poids.

3. La filtration ou transmission paroît être une sorte de séparation ou d’opération, non-seulement par laquelle les parties grossières se séparent d’avec les parties ténues ; et les fèces, d’avec les molécules de toute autre espèce, mais qui a des effets plus subtils et plus intimes ; effets qui varient à raison de la nature même des corps à travers lesquels passent les corps filtrés. Par exemple : si le filtre est une chausse de laine, la liqueur qu’on y passe y déposera son onctuosité, sa substance graisseuse ; et si cette liqueur traverse une masse de sable, elle y laissera sa salure. On est, dit-on, parvenu à séparer le vin d’avec l’eau, par le moyen d’un vaisseau de lierre, ou de quelqu’autre corps poreux de cette espèce ; mais Le fait n’est rien moins que certain.

4. Les gommes des arbres (substances qui ordinairement sont claires et transparentes) ne proviennent que d’une transmission ou filtration délicate de la sève à travers l’aubier et l’écorce.

De même les diamans hérissés d’angles, et les escarboucles tirés des rochers, ne sont que le produit de l’exsudation ; les sucs dont ils sont formés se filtrant peu à peu à travers la pierre.

5. Voulez-vous entendre une explication assez inepte, demandez à Aristote pourquoi les plumes des oiseaux sont teintes de couleurs plus vives et plus éclatantes que les poils des quadrupèdes (car il est assez vrai qu’on ne voit point de quadrupède dont le poil soit verd, bleu (d’outre-mer) ou couleur de chair). La raison de cette différence, vous répondra-t-il, c’est que les oiseaux sont plus souvent exposés aux rayons du soleil, que les animaux terrestres. Mais rien de plus faux que cette assertion, la vérité est que les derniers vont plus souvent au soleil que les oiseaux, qui la plupart du temps vivent dans les bois ou quelqu’autre lieu ombragé.

La véritable cause de cette différence qu’il veut expliquer, c’est que l’humor excrémentitiel dont se forment les plumes, dans les oiseaux ; et les poils, dans les quadrupèdes, trouve, dans les premiers, un filtre plus fin et plus délicat que dans les derniers ; car le suc dont se forment les barbes colorées des plumes, en traverse le tuyau ; au lieu que celui dont se forment les poils, traverse la peau[3].

6. La clarification des liqueurs, par voie d’adhésion, est une sorte de filtration interne ; elle a lieu, lorsqu’on agite avec les liqueurs qu’on veut clarifier, une substance glutineuse qu’on y a mêlée. L’effet de cette agitation est que les parties grossières de la liqueur s’attachent au corps glutineux ; et par ce moyen, les parties ténues se dégagent de ces parties grossières. C’est ainsi que les pharmaciens clarifient leurs sirops à l’aide du blanc d’œuf. Cette dernière substance ramasse toutes les parties fécales et grossières ; puis, quand le sirop est sur le feu, elle se durcit et on l’enlève, C’est encore ainsi que se clarifie l’hypocras ; on y mêle du lait, on agite ensemble ces deux liqueurs, et l’on passe le tout par la chausse de laine, appelée manche d’hippocrate. Ce qu’il y a de visqueux dans le lait, entraîne avec soi la poudre aromatique et les parties grossières des deux liqueurs.

7. La clarification de l’eau est une opération utile à la santé, sans compter qu’une eau limpide et crystalline plaît à la vue. Or, cette limpidité, on l’obtient en plaçant à la source de l’eau de petits cailloux, à travers lesquels elle se filtre et se clarifie.

8. Mais si la filtration donne aux liqueurs de la transparence et de l’éclat, peut-être leur donne-t-elle aussi de la saveur, ou une saveur plus douce ; car cette saveur vient avec la transparence, une fois que les parties grossières sont enlevées.

On a aussi observé que la sueur d’un homme, d’un tempérament chaud, qui fait beaucoup d’exercice, qui a la peau fine, et qui est d’une certaine propreté, rend une odeur suave ; c’est ce qu’on rapporte d’Alexandre ; et nous voyons aussi que la plupart des sommes exhalent des odeurs très agréables.

Expériences diverses sur les mouvemens résultant de la pression des corps.

9. Prenez un verre plein d’eau, et ayant mouillé votre doigt, promenez le circulairement sur le bord de ce verre, en appuyant un peu fort ; ce mouvement circulaire, avec pression, entretenu pendant quelque temps, fera crisper l’eau ; vous la verrez sautiller et s’élancer hors du verre, en formant une espèce de petite rosée. C’est le meilleur exemple qu’on puisse choisir pour montrer la force qu’exerce la compression[4] sur les corps solides. Car, lorsque l’on comprime un corps solide, soit bois, soit pierre, soit métal, il en résulte un mouvement intestin et tumultueux dans ses parties ; mouvement par lequel il tend à se délivrer de cette compression ; et telle est la véritable cause de tout mouvement violent. Mais ce qui nous étonne, c’est que ce mouvement n’ait jamais été observé : c’est pourtant le plus familier de tous, et le principe presque unique de toutes les opérations méchaniques.

Ce mouvement agit d’abord circulairement, comme s’il alloit cherchant un passage pour s’échapper ; ensuite il semble choisir le côté où (la pression étant la moindre) il trouve la plus facile issue[5].

Ce même mouvement est très sensible dans les liquides ; car tous les liquides agités forment des ondulations, des cercles, qui s’entre-choquent et se coupent réciproquement. Mais, dans les corps solides (qui ne se brisent pas), il est si foible et si subtil, qu’il échappe à l’observation. Cependant il se décèle alors par différens effets, sur-tout dans le fait que nous avons actuellement sous les yeux. La pression du doigt, facilitée par son humectation, qui le fait adhérer plus fortement au verre ; cette pression, dis-je, pour peu qu’elle dure, met en vibration toutes les particules du verre, qui alors frappent vivement celles de l’eau, percussion qui occasionne le sautillement de la liqueur.

10. Frappez on percez brusquement un corps solide et fragile, tel qu’un morceau de verre ou de sucre, non-seulement il se brisera dans la partie où vous ferez agir la pointe ou le marteau, mais il se rompra tout autour, et se partagera en un grand nombre de petits fragmens ; le mouvement occasionné par la pression, tâtant, pour ainsi dire, de tous les côtés, et brisant le corps dans les parties où il trouve le moins de résistance.

11. La poudre à canon qui, en prenant feu, forme, par sa subite expansion, une flamme d’un si grand volume, et qui résiste victorieusement à la compression, se meut circulairement (du centre à la circonférence, selon tous les rayons de la sphère dont elle occupe le centre) (car la flamme est de nature fort analogue à celle des corps liquides) ; tantôt produisant un recul, tantôt brisant la pièce d’artillerie, mais ordinairement chassant la balle devant elle, parce que c’est de ce côté-là qu’elle trouve le moins de résistance.

12. Le mouvement de compression (qui est diamétralement opposé à celui d’extension, et qu’ordinairement, en empruntant une expression populaire, nous appelons mouvement de liberté), a lieu lorsqu’un corps, après avoir été dilaté et étendu au delà de son volume naturel, se rétablit et recouvre ses premières dimensions. C’est ainsi qu’une vessie remplie d’air, après avoir été comprimée, réagit et se relève. C’est ce qu’on observe également dans le drap ou le cuir détiré avec force. On peut donner une infinité d’exemples de ces deux mouYemens ; et c’est ce que nous nous proposons de faire, lorsque nous traiterons ce même sujet en son lieu.

13. Ce mouvement qui naît de la pression, se décèle sur-tout dans les sons (dans les corps sonores) ; car lorsque l’on frappe sur un timbre, il rend des sons qui cessent de se faire entendre dès qu’on le touche avec la main. Le son d’un clavecin cesse également, dès qu’on jette sur les cordes la basque de son habit ; car ces différens sons dont nous parlons, sont produits par les petits chocs vifs et multipliés que les parties insensibles du timbre ou des cordes impriment à l’air, à peu près comme le sautillement de l’eau est occasionné par les petits chocs réitérés que les parties insensibles du verre impriment à l’eau (dans la neuvième expérience). Et qu’on ne s’imagine pas que le mouvement local de trépidation, ou de vibration du timbre ou des cordes soit la véritable cause du son ; nous prouverons bientôt le contraire fort amplement, en traitant ce même sujet (centur. II etIII).

Expériences diverses sur la séparation des corps, opérée par leur seul poids.

14. Prenez un vaisseau de verre, dont la panse ait une certaine capacité et dont le cou soit un peu long. Remplissez en partie d’eau cette capacité ; prenez un autre verre, et versez-y du vin d’un rouge foible et mêlé d’eau ; renversez le premier vaisseau en mettant le ventre en haut, et bouchez-en le cou avec le doigt puis introduisez l’orifice du premier vaisseau dans le second, et ôtez le doigt. Cela posé, si vous laissez ces deux vaisseaux pendant quelque temps dans cette situation, le vin se séparera d’avec l’eau ; vous le verrez monter peu à peu, et s’arrêter au sommet du vase supérieur, en s’étendant sur l’eau, dont une partie descendra peu à peu, et ira occuper le fond du vaisseau inférieur[6]. Ce double mouvement est sensible à l’œil ; on voit le vin former comme une petite veine, qui monte lentement. Pour donner un air de mystère À cette expérience, qui exige un peu de temps, on peut suspendre à un clou le vase supérieur ; car, dès qu’il y aura, au fond du vaisseau inférieur, assez d’eau pure pour que l’orifice du vaisseau supérieur soit plongé dans cette eau, le mouvement s’arrêtera.

15. Si vous mettez du vin dans le vase supérieur, et de l’eau dans le vase inférieur, vous ne verrez aucun mouvement. De même, si vous mettez de l’eau pure dans le vase supérieur ; et de l’eau simplement colorée, dans le vase inférieur (ou au contraire), vous ne verrez pas plus de mouvement. Mais, comme on s’en est assuré par l’expérience, quand même, dans le mélange d’eau et de vin qui remplit en partie le vase inférieur, il y auroit trois parties d’eau contre une de vin, cela n’empêcheroit pas que la séparation n’eût lieu.

Il est visible que la séparation du vin d’avec l’eau a ici pour cause le poids (l’excès de pesanteur spécifique) de ce dernier liquide ; car cette différence de pesanteur spécifique est une condition absolument nécessaire, sans cela l’effet n’a pas lieu ; et le liquide le plus pesant spécifiquement doit toujours être placé dans le vase supérieur. Mais observez qu’ici l’eau est suspendue, et qu’une masse très pesante de ce liquide est comme soutenue par la petite colonne d’eau qui occupe le cou de ce même vaisseau, Car, si vous mettez du vin et de l’eau mêlés ensemble dans un seul et même vaisseau, le temps le plus long suffit à peine pour les séparer[7].

16. Cette expérience dont nous venons de parler, pourroit être transportée des liqueurs de différente espèce aux liqueurs de la même espèce, mais telles que les parties de l’une, différentes des parties de l’autre, fussent semblables entr’elles. Par exemple : on pourroit employer, au lieu du vin et de l’eau de notre expérience, de la saumure ou eau salée et de l’eau douce, en mettant dans le vase supérieur l’eau salée, qui seroit la plus pesante, et voir si l’eau douce monteroit, Il faudroit tenter la même expérience avec de l’eau pure et de l’eau sucrée, et voir si l’eau qui monteroit alors, auroit perdu sa saveur douce. Or, pour s’en assurer, il seroit à propos d’ajuster un petit syphon au ventre du vase supérieur (ou un petit robinet).

Expériences diverses sur la manière de faire des infusions exactes, soit dans les liqueurs, soit dans l’air.

17. Quand vous voulez mettre en infusion des substances, contenant des esprits qui, étant très ténus, se dissipent aisément, n’oubliez pas la règle suivante. À l’aide d’une infusion de courte durée, on peut obtenir l’esprit dans toute sa pureté ; mais, si elle dure trop longtemps, on ne l’obtient plus que mêlé avec les parties terrestres qu’alors on extrait en même temps, et par conséquent fort altéré. Ainsi c’est s’abuser, en traitant les substances médicales, de ne faire fonds que sur la longue durée de l’infusion, et de croire qu’elle renforce la vertu des médicamens. Mais voulez-vous obtenir un extrait vigoureux, ayez pour règle de penser moins à faire durer beaucoup une infusion unique, qu’à réitérer souvent cette infusion.

Prenez, par exemple, des violettes ; faites-en infuser une bonne poignée dans deux pintes de vinaigre, qu’elles y restent l’espace de trois quarts d’heure, après quoi vous les ôterez ; et réitérez jusqu’à sept fois l’infusion, en renouvelant chaque fois les violettes, et en en mettant toujours la même quantité : vous aurez par ce moyen un vinaigre tellement chargé du principe odorant de ces fleurs, que, si, au bout d’un an, vous en faites apporter dans un vinaigrier, vous en sentirez l’odeur avant qu’on vous le serve. Remarquez que ce n’est pas dans les premiers jours que cette odeur se fait le plus sentir, mais qu’après un certain temps elle commence à prendre de la force, et devient ensuite de plus en plus forte.

18. Cette règle, que nous venons de prescrire, est de la plus grande utilité pour la préparation des médicamens, et pour les infusions de toute autre espèce. Par exemple, les feuilles de bourrache contiennent un esprit éminemment doté de la propriété de dissiper les vapeurs de la mélancholie[8] ; aussi est-ce un excellent remède pour la folie. Cependant, si ces feuilles restent trop longtemps en infusion, l’on n’en tire plus qu’une substance crue et dénuée de toute vertu. Supposons donc que je fasse macérer, pendant très peu de temps, ces feuilles de bourrache dans le moût ou le marc de cervoise, tandis qu’ils fermentent, et en renouvelant les feuilles assez fréquemment, je présume que je composerai un puissant remède contre l’affection mélancholique. Il en faut dire autant de la fleur d’orange, etc.

19. La rhubarbe contient des principes dont les effets sont diamétralement opposés ; savoir : des parties purgatives et des parties astringentes. Les premières sont faciles à extraire, mais les dernières sont plus tenaces : en sorte que, si vous avez soin de ne tenir cette drogue en infusion que pendant une heure, après l’avoir bien pilée, elle purgera beaucoup mieux, et resserrera beaucoup moins après la purgation. C’est ce dont on s’est assuré par l’expérience.

Je conçois aussi qu’en réitérant fréquemment l’infusion de la rhubarbe, et en ne la laissant à chaque fois que fort peu de temps, comme nous l’avons recommandé pour les violettes, on aura un purgatif aussi puissant que la scammonée. Et ce ne sera pas faire peu pour la médecine, que de rendre la rhubarbe et autres médicamens de qualité bénigne, aussi actifs que ceux qui ont quelque teinte de malignité.

20. La partie des purgatifs qui a le plus d’action, réside dans l’esprit le plus ténu ; ce dont on cessera de douter, si l’on considère que la simple ébullition leur fait perdre une grande partie de leur vertu. Ce seroit donc aussi beaucoup faire en médecine, que de conserver dans les médicamens de ce genre, la vertu purgative, en leur enlevant leur saveur rebutante. Or, cet effet, il paroît qu’on peut l’obtenir en les faisant infuser pendant fort peu de temps, et réitérant un grand nombre de fois l’infusion ; car, selon toute apparence, cette saveur repoussante est inhérente aux parties les plus grossières.

21. En général, cette partie de la pratique, qui a pour objet les infusions, est tout-à-fait vague et aveugle, si l’on n’a soin de distinguer quelles sont, dans chaque espèce de corps, les parties qui se détachent les premières, d’avec celles qui se séparent plus lentement et plus difficilement ; afin que, proportionnant le temps de l’infusion au plus ou moins d’adhérence de chaque espèce de principe, on puisse à volonté enlever la qualité qu’on redoute, en y laissant celle dont on a besoin. Or, il est deux méthodes pour déterminer ces différences ; la première, est de s’assurer de ce que peut la longue ou courte durée de l’infusion, comme nous l’avons déjà dit ; la seconde, est d’observer par ordre les produits de plusieurs infusions successives d’une seule et même substance dans différentes liqueurs ou différentes portions d’une même liqueur. Prenez, par exemple, des écorces d’orange, du romarain, ou de la cannelle ; faites-les infuser dans de l’eau l’espace d’une demi-heure ; enlevez-les et mettez-les dans une autre eau ; puis dans une troisième eau, et ainsi de suite. Enfin, examinez, à l’aide de la vue, du goût et de l’odorat, la première, la seconde et la troisième eau, etc. vous trouverez qu’elles ne diffèrent pas seulement par l’espèce ou l’intensité de leur vertu, mais encore par leur couleur, leur odeur et leur saveur. Car, selon toute apparence, la première aura plus d’odeur, comme étant plus chargée du principe odorant, et la seconde, plus de saveur, parce qu’elle est plus chargée de parties amères et mordicantes.

22. Les infusions dans l’air (qu’il nous soit permis d’employer cette dénomination pour désigner les odeurs) sont susceptibles des mêmes différences que les infusions dans l’eau. Car les diverses odeurs résidantes dans les fleurs ou dans toute autre espèce de corps, ne s’exhalent pas toutes en même temps ; mais les unes plutôt, les autres plus tard. C’est ainsi que nous nous sommes assurés que la violette, le chevre-feuille et la fraise, qui rendent d’abord une odeur suave, en exhalent ensuite une fort différente, et fort désagréable, qui est moins l’effet de la macération, que de la lenteur avec laquelle se détachent les esprits les plus grossiers[9].

23. S’il est quelquefois utile d’extraire les esprits les plus ténus, il l’est aussi de se débarrasser de ces mêmes esprits, dans d’autres cas où ils seroient pernicieux. Le vin cuit[10], par exemple, est moins inflammatoire que le vin ordinaire, et on le recommande dans les fièvres ; parce que cette cuisson lui enlève les esprits les plus ténus. L’opium perd un peu de sa qualité vénéneuse, lorsqu’on fait évaporer une partie de ses esprits, après l’avoir mêlé avec l’esprit de vin, ou quelque autre substance analogue. Les feuilles de séné, mises en décoction, perdent une partie de leur flatuosité. En général, la combustion et l’évaporation sont deux moyens pour enlever aux substances leurs esprits subtils et flatueux. Aussi en traitant les substances naturellement douées de principes très actifs, vaut-il mieux, après une infusion de courte durée, en jeter le produit, et n’employer que ceux des suivantes.

Observation sur la force de cohésion résidante dans les liquides.

24. Les bulles ont une forme hémisphérique ; au dedans, ce n’est que de l’air ; au dehors, une simple pellicule (vésicule) d’eau ; et ce qui est fait pour exciter l’étonnement, c’est que l’air, ainsi emprisonné et comprimé par l’eau, puisse acquérir un si grand volume, et si promptement[11]. Mais ce qui n’est pas moins surprenant, c’est que, lorsqu’il est arrivé à la surface de l’eau, il puisse être retenu par une enveloppe aussi fragile que l’est celle de cette bulle. Quant à la vitesse avec laquelle s’élève l’air renfermé dans l’eau, ce n’est qu’une conséquence naturelle du mouvement occasionné par la percussion de l’eau qui, descendant elle-même avec plus de force que l’air, chasse ainsi ce fluide vers la partie supérieure, et non l’effet d’un mouvement occasionné par la légèreté naturelle de l’air. Ce dernier est celui que Démocrite appelle mouvement de plaie.

La cause, en vertu de laquelle cette bulle d’air reste ainsi emprisonnée dans la vésicule d’eau qui le comprime en tout sens, n’est autre que cette tendance par laquelle tout corps résiste à la séparation de ses parties, et à la solution de sa continuité (tendance qui est très forte dans les corps solides) ; mais qu’on ne laisse pas d’observer aussi dans les fluides, quoiqu’elle y soit plus foible et plus languissante, comme le prouve l’exemple même de cette bulle dont nous parlons. C’est ce que prouvent également ces espèces de petits miroirs que forment les enfans avec leur salive, et à l’aide de petits tuyaux de jonc ; ainsi que ces chateaux de bulles qu’ils forment dans l’eau, en y soufflant fortement et à plusieurs reprises, à l’aide d’un chalumeau ; assemblages qui doivent au savon qu’ils ont auparavant fait dissoudre dans cette eau, un certain degré de viscosité et de ténacité. On observe le même phénomène dans l’eau des gouttières ; lorsqu’elle s’y trouve en assez grande quantité pour pouvoir fournir à un écoulement continu, elle se resserre et prend la forme d’un filet fort délié, pour éviter sa solution de continuité ; mais, s’il n’y a pas assez d’eau, alors ce fluide se contracte, se pelotonne, pour ainsi dire, et tombe par gouttes de forme arrondie, celle de toutes les formes qui peut le mieux empêcher la séparation de ses parties.

La cause de la rondeur de cette bulle est, et dans la vésicule d’eau et dans l’air qu’elle enveloppe, absolument la même. Car l’air, ainsi que l’eau, résiste à la solution de sa continuité ; c’est en vertu de cette tendance qu’il s’enveloppe ainsi et affecte la figure sphérique. Enfin, si l’on voit l’air se soutenir et s’arrêter un instant à la surface de l’eau, cette circonstance prouve assez que ce fluide n’a point ou n’a que très peu de tendance naturelle à s’élever[12].

Une seule expérience sur les fontaines artificielles.

25. Quoique la méthode que je suis, en rejetant certaines expériences, soit peu sensible, elle n’en est pas moins réelle ni moins variée. Quand une expérience me paroît pouvoir fournir quelque application utile, je lui donne place dans cette collection ; mais si le fait est douteux, je le donne pour ce qu’il est ; le suivant est de ce genre. Un homme peu connu indique ce procédé pour faire une source artificielle. Choisissez, dit-il, un terrein qui ait beaucoup de pente, et où les eaux de pluie aient un écoulement très rapide. Formez-y une espèce de lit, à moitié rempli de pierres de grandeur convenable, et à la profondeur de trois ou quatre pieds dans la même terre. Qu’une extrémité de ce lit soit vers le haut de la montagne, et l’autre vers le bas. Remplissez-le de cailloux en suffisante quantité, jetez du sable par dessus, et vous verrez, ajoute-t-il, après des pluies réitérées, l’eau sortir de la partie de ce lit qui est vers le bas, comme d’une source naturelle[13].

Que cet effet ait lieu tant que la pluie dure, c’est ce qui n’a rien de fort étonnant ; mais il prétend que cette source continue à fournir de l’eau long-temps après que les pluies ont cessé. Il paroît que cette source est entretenue par l’air même qui se convertit en eau ; conversion qui a pour cause la condensation opérée par le froid de la terre, et l’affinité de l’air avec l’eau déjà formée.

Une seule expérience sur la qualité vénéneuse de la chair humaine

26. Les Français, nation dont la maladie vénérienne a tiré son nom[14], pré- tendent qu’il y eut, durant le siège de Naples, d’odieux marchands qui vendirent pour du thon mariné de la chair d’hommes (tués depuis peu sur la côte d’Afrique), chair qu’ils avoient salée et arrangée proprement dans des vases, et qu’on regardoit cet horrible aliment comme la première cause de cette maladie. Ce fait n’est pas tout-à-fait invraisemblable ; car on sait que les cannibales du nouveau monde se nourrissent de chair humaine, et qu’à l’époque de la découverte de l’Amérique, cette maladie y étoit fort commune[15]. De notre temps même, les poisons qui, aux indes occidentales, sont regardés comme les plus actifs et les plus prompts, paroissent être composés d’un mélange de sang, de graisse et de chair tirés du corps humain. On parle aussi de certaines magiciennes ou sorcières, tant chez les chrétiens que chez les païens, lesquelles se nourrissoient de chair humaine. C’étoit sans doute afin de fortifier leur imagination par les actives et abominables vapeurs de cette substance[16].

Une seule expérience sur la conversion de l’air en eau.

27. De toutes les causes auxquelles on peut attribuer la conversion de l’air en eau, les plus vraisemblables nous paroissent être les suivantes.

La première de ces causes, c’est le froid ; dont l’effet propre est de condenser, comme le prouve très sensiblement la condensation de l’air dans le thermomètre[17]. C’est ce dont on voit encore un exemple dans la génération des fontaines, qui a paru aux anciens n’être qu’un effet de la conversion de l’air en eau ; transformation facilitée par le repos dont l’air jouit dans ces parties intérieures de la terre où elles se forment, et qui l’empêche de se dissiper, à quoi il faut ajouter le froid des rochers ; car c’est parmi les rochers que les sources naissent le plus ordinairement. On peut tirer les mêmes conséquences des effets du froid qui règne dans ce qu’on appelle la moyenne région de l’air (région où se forment les pluies et les rosées), ainsi que d’une autre expérience connue ; savoir : de la conversion de l’eau en glace, par le moyen d’un mélange de neige, de sel et de nitre, dont nous parlerons ci-après ; expérience qui pourroit être appliquée à cette conversion de l’air en eau.

La seconde cause est la compression : telle est celle qui a lieu dans les alambics, où les parties du liquide réduit en vapeurs sont repoussées et serrées les unes contre les autres par les parois du vaisseau qui s’opposent à leur expansion. On peut regarder comme des effets de la même cause cette rosée qui s’attache an couvercle d’une marmite remplie d’eau bouillante, et cette humidité qu’on voit, dans un temps pluvieux, ou simplement nébuleux, sur le marbre et sur les boiseries ; mais toutes ces explications seront insuffisantes, si l’on ne suppose qu’à ces vapeurs se mêle un air grossier, qui est dans un état fort voisin de l’état aqueux.

La troisième cause, qui n’est pas encore assez connue, et qui mérite d’être approfondie, c’est le mélange des vapeurs très humides avec l’air. Il faut tenter quelque expérience pour savoir si, après que la vapeur est revenue à l’état aqueux, la quantité d’eau de la masse d’air dont il s’agit, est réellement augmentée ; car, si cette augmentation a lieu, elle a pour cause la conversion de l’air en eau. Remplissez d’eau un alambic, et bouchez-en le cou ; mais après avoir pesé l’eau exactement, suspendez une éponge au milieu de ce vaisseau, et voyez quelle quantité d’eau vous pourrez en exprimer ; pesez ensuite ce qu’il s’y en trouvera de plus ou de moins qu’auparavant ; enfin, comparez ce poids avec celui de l’eau qui a été absorbée[18]. Car il faut savoir que, s’il est possible d’opérer quelque transformation de ce genre, ce sera sur-tout dans les vuides d’un corps extrêmement poreux ; et c’est par cette raison que nous avons recommandé d’employer une éponge.

Il est une quatrième cause non moins probable que les trois autres, mais qui n’a pas non plus été assez examinée ; c’est celle qui agit lorsque l’air s’insinue dans les pores les plus étroits des corps ; car on sait que toute substance est plus aisée à transformer, lorsqu’elle est en petite quantité. Les corps tangibles n’aiment point le voisinage de l’air[19] ; lorsqu’il s’en approche trop, ils le travaillent et font effort pour le convertir en un corps dense. Dans les corps entiers, cette transmutation ne peut avoir lieu, parce que, si l’air s’y transformoit, il n’y resteroit plus rien qui pût remplir le vuide qu’il y auroit laissé par cette transformation. Mais l’expérience réussiroit peut-être dans des corps d’un tissu plus lâche, comme le sable et la poussière : aussi voit-on que lorsqu’on les tient renfermés, ils contractent une certaine humidité [20].

Expérience d’où l’on peut tirer des indications pour embellir la forme du corps humain, tant celle du tout, que celle des parties.

28. Au rapport de quelques anciens, si l’on prend des chiens ou d’autres animaux, presque naissans, et qu’on les renferme dans une cage ou dans une boîte qui les tienne resserrés de telle manière qu’ils ne puissent acquérir la taille propre à leur espèce, et ne puissent croître que selon une seule dimension, soit en largeur, soit en hauteur, leur corps prend la forme de cette espèce de moule où on les a jetés, et où on les tient emprisonnés. Pour peu que cette relation des anciens ne nous en impose point, et qu’il soit possible que des animaux encore si tendres, et si fortement comprimés, si étroitement emprisonnés, ne meurent pas, voilà certes un moyen pour avoir des nains d’une forme bizarre, monstrueuse et tout-à-fait extraordinaire [21], Mais ce qu’une longue expérience a mis hors de doute, c’est que, par l’effet de la seule pression, les parties d’un fœtus déjà formé sont encore susceptibles de s’éloigner prodigieusement de leur forme naturelle. C’est ainsi, au rapport des anciens, que, de l’habitude où l’on étoit de presser avec les mains le front des enfans, sont provenus les macrocéphales, forme de tête qui, en certains lieux et en certains temps, passoit pour une perfection[22]. Un chevalet de hauteur médiocre, placé sur le nez, empêche qu’il ne devienne camard, où diminue beaucoup ce genre de difformité[23]. Cette même observation fournit des indications pour embellir la taille, ou les traits des individus, encore jeunes, des deux sexes, et leur donner des agrémens qu’ils n’auroient pas eus naturellement. Par exemple, la simple attention de retirer fréquemment les mollets vers le haut de la jambe, fait qu’ils tombent moins, et se soutiennent mieux[24]. De même, en retirant fréquemment la peau du front vers la partie supérieure de la tête, on se procure un front spacieux et élevé[25]. La coutume où l’on est d’envelopper de langes les enfans, les fait devenir plus sveltes et de plus belle taille. Aussi voyons-nous les jeunes personnes se serrer le corps tant qu’elles peuvent, de peur d’avoir la taille épaisse[26].

Expérience sur la condensation de l’air, tendant à le rendre nutritif et assez dense pour pouvoir être pesé.

29. Des oignons[27] suspendus, germent spontanément ; il en est de même du pouliot[28] et d’une certaine plante herbacée, connue chez les Latins sous le nom d’orpinagria, plante qui, à la campagne, sert d’ornement aux édifices, et qui, suspendue à une perche le long d’un mur, présente des effets assez semblables à ceux dont nous venons de parler. C’est ce qu’on observe encore mieux. dans l’immortelle, de la grande espèce ; qui portera quelquefois des fleurs, pendant deux ou trois ans, même étant hors de terre ; mais à condition qu’on enveloppera sa racine d’un linge huilé, qu’on renouvellera tous les six mois. Si nous en croyons quelques anciens, il en faut dire autant des racines et de la tige du lys. La cause de ces végétations si singulières n’est autre qu’une sêve très abondante, très dense et très vigoureuse, qui ne se dissipe pas aisément, et qui, même lorsque la plante ne peut plus tirer de la terre aucun nouveau suc, ne laisse pas de la mettre en état de pousser de nouveaux boutons à fleur, à la fin du printemps et au commencement de l’été, les deux temps les plus favorables à la germination et au développement des plantes. Nous voyons aussi que des troncs d’arbres renversés par terre, ne laissent pas de pousser encore des rejetons durant un certain temps.

Mais il est ici une observation à faire, et qui, bien faite, pourroit mener fort loin ; il faudroit, dis-je, tâcher de savoir si, durant le nouveau développement de ces plantes, leur poids augmente. Pour vous en assurer, ayez soin de les peser, et avant de les suspendre, et après qu’elles auront poussé les nouveaux boutons[29]. Si leur poids n’augmente pas, tout ce qu’on peut conclure de la nouvelle pousse, c’est que, par l’action nouvelle dont elle est l’effet, certaines parties de la plante gagnent ce que d’autres perdent. Mais si elles augmentent de poids, c’est-là une des grandes opérations, un des grands mystères de la nature. Ce fait prouveroit que l’air peut se condenser au point de se convertir en un corps dense proprement dit[30], quoique cette espèce de cercle où se trouvent circonscrites toutes les transformations alternatives qui ont lieu à la surface du globe, ou dans la région voisine, semble avoir pour terme l’atténuation des corps ; et que les choses, généralement parlant, tendent plutôt à multiplier les substances rares et aériformes, qu’à convertir, par une marche rétrograde, les substances aériformes en corps solides. Ce même fait prouveroit encore que l’air est doué d’une certaine qualité nutritive, ce qui meneroit à une infinité de conséquences importantes.

N. B. Qu’il faut tenter cette expérience sur une immortelle, dont la racine ne soit pas enveloppée d’un linge huilé ; autrement on pourroit croire que la plante tire de cette huile quelque nourriture[31].

Observation sur le mélange de la flamme avec l’air, et sur sa force prodigieuse.

La flamme et l’air ne se mêlent pas aisément ensemble ; lorsque cette combinaison a lieu, elle n’est que momentanée ; ou, si elle est quelquefois d’une certaine durée, c’est tout au plus dans les esprits vitaux et dans les animaux vivans. Cette force prodigieuse qu’elle déploie dans la poudre à canon, on l’attribue ordinairement à la raréfaction de la substance terrestre et à sa conversion en flamme. Jusqu’ici l’explication est bonne ; et alors sans doute cette substance devient un autre élément, dont la forme occupe un plus grand espace[32], d’où s’ensuit nécessairement la dilatation, et d’où (en vertu de l’impénétrabilité de la matière, qui ne permet pas à deux corps d’occuper un même lieu individuel) s’ensuit tout aussi nécessairement l’expulsion de la balle (de l’arme à feu), ou l’explosion de la mine. Mais cette explication a je ne sais quoi de brute et de stupide. Car, si aucune autre cause n’agissoit ici, dans les cas où la flamme n’est pas en assez grande quantité pour surmonter tous les obstacles, elle seroit aisément étouffée à sa naissance par des corps aussi durs que le sont la balle et le canon d’une arme à feu ; et loin que la flamme seule suffise pour chasser un corps dur, c’est plutôt le corps dur qui est plus que suffisant pour éteindre la flamme, il s’oppose naturellement à sa formation et à son expansion. Mais la véritable cause de ce mouvement si violent est dans le nitre (connu aussi sous le nom de salpêtre), qui contient un esprit crud et flatueux[33]. Ce nitre est d’abord dilaté par la chaleur du feu (car l’on sait que l’air seul, excessivement raréfié par la chaleur, se fait jour selon toutes les directions ; qu’il a assez de force pour rompre ou chasser devant lui tout ce qui lui fait obstacle) ; puis de la dilatation du nitre résulte une sorte de souffle ou de vent qui chasse la flamme du centre à la circonférence ; c’est une sorte de soufflet interne[34]. Aussi voyons-nous que le soufre, la poix, le camphre, le bitume, qui entre dans la composition des feux d’artifices, et une infinité d’autres substances, capables de produire une flamme d’une prodigieuse activité, et presque inextinguible, n’excitent pour tant pas un souffle ignée d’un aussi grand volume, ni d’une aussi grande force que celui de la poudre à canon. Au contraire, nous voyons que le mercure (substance très crue et très aqueuse), lorsqu’il est fortement chauffé et étroitement emprisonné, déploie une force très analogue à celle de la poudre[35].

Quant à ce qui regarde les animaux, il est certain que les esprits vitaux sont composés d’une substance de nature analogue à celle de la flamme. Car, quoique la flamme et l’air ne se mêlent pas aisément par eux-mêmes, ils ne laissent pas de s’unir assez bien, lorsqu’ils sont fixés dans un corps qui a de la consistance. C’est ce dont il est aisé de se convaincre par la considération des deux substances qui leur servent d’alimens ; je veux parler de l’eau et de l’huile. On sait que ces deux substances ne s’unissent pas non plus trop aisément par elles-mêmes ; mais, dans le corps d une plante ou d’un animal, elles se combinent assez exactement. Il n’est donc pas étonnant qu’une petite quantité d’esprit contenue dans les ventricules du cerveau et dans les conduits des nerfs, puisse mouvoir une masse aussi grande que celle du corps humain, avec autant de force qu’en supposent les mouvemens qui s’exécutent dans la course, dans la lutte, etc. et avec la prodigieuse vitesse qu’exigent ces cadences qu’on fait sur un instrument de musique ; tant l’air et la flamme, bien incorporés ensemble, ont de force et d’activité[36].

Expérience tendant à dévoiler la nature de la flamme.

Ajustez une bougie dans un petit tube de fer ou de cuivre ; fixez-la ensuite dans une écuelle, remplie d’esprit de vin et chauffée. Puis, ayant mis le tout sur le

feu[37], vous verrez la flamme de la bougie se dilater, et acquérir un volume quatre ou cinq fois plus grand que son volume ordinaire, Elle prendra une figure arrondie, et non la figure pyramidale qu’elle a ordinairement : la flamme de la bougie, qui sera au centre, n’aura aucune teinte de bleu ; couleur qui, comme l’on sait, est celle de flamme de l’esprit de vin, avec laquelle elle est ici en contact.

Cet exemple intéressant fournit deux observations, qui méritent de fixer l’attention. La première est qu’une flamme, quoique environnée ; enveloppée d’une autre flamme, ne s’éteint point, mais devient un corps fixe et continu, comme l’air et l’eau. D’où l’on peut conclure que la flamme ordinaire, en s’élevant, conserveroit par-tout la même largeur, si l’air qui la presse latéralement, ne l’éteignoit à mesure qu’elle s’élève ; (et alors la hauteur de cette flamme est proportionnelle à la largeur de sa base.)

L’autre observation est qu’une flamme ne se mêle point avec une autre flamme, comme l’air se mêle avec d’autre air, ou l’eau avec d’autre eau) mais qu’elle subsiste à part (toutes ses parties demeurant contiguës), comme les corps qui ont de la consistance.

On voit aussi que cette figure pyramidale, sous laquelle la flamme ordinaire se présente, n’est qu’un effet purement accidentel, et qui vient de ce que l’air extérieur attaquant la flamme par les côtés, la comprime, la resserre de plus en plus, et aiguise ainsi sa forme, sans quoi elle prendroit naturellement une figure sphérique ; c’est par la même raison appliquée en sens contraire, que la fumée prend ordinairement la forme d’une pyramide renversée, ce même air qui éteint la flamme, livrant plus aisément passage à la fumée.

De plus, faites attention que la flamme de la bougie, quoique renferméc dans celle de l’esprit de vin, n’en est pas moins agitée ; que non-seulement elle prend beaucoup de volume, et se porte vers le haut, mais que de plus elle va et vient sans cesse, et est dans un état de fluctuation[38] ; ce qui porteroit à penser que si la flamme ordinaire ne s’éteignoit pas à mesure qu’elle se forme, elle prendroit naturellement un mouvement de fluctuation semblable à celui dont nous parlons, et selon toutes sortes de directions, comme elle se porte naturellement de bas en haut.

Toutes ces observations prouvent assez que les corps célestes, du moins pour la plupart, sont de vrais feux, de vraies flammes, comme le pensoient les stoïciens ; flammes qui peut-être sont plus ténues et plus rares que celles d’ici bas. Car ces flammes de la région supérieure ont aussi une figure sphérique ; elles sont également circonscrites dans certaines limites ; elles ont aussi un mouvement circulaire enfin, elles ont de la couleur et de l’éclat, comme celle de cette bougie : en sorte que, dans la région céleste, la flamme est d’une nature durable, fixe et permanente ; au lieu qu’ici bas elle est étrangère, momentanée, impure : c’est, en quelque manière, Vulcain boitant après sa chûte[39].

Expérience tendant à prouver que les parties latérales de la flamme ont plus de force et d’activité que le milieu.

Plongez une flèche dans la flamme d’une bougie, et tenez-la dans cette situation pendant un temps égal à celui de dix battemens de pouls ; puis, l’en ayant tirée, vous verrez que les parties de cette flèche qui étoient plongées dans les parties extérieures et latérales de la flamme, sont plus brûlées, plus noircies que toutes les autres, et presque entièrement réduites en charbon ; au lieu que celles qui ont été placées vers le centre de la flamme, sont les moins endommagées de toutes ; il semble même que le feu n’ait fait que les lécher[40].

Cet exemple si simple nous conduit à plusieurs observations qui aident à rendre raison de la figure pyramidale de la flamme ordinaire et prouve manifestement que ses parties extérieures et latérales brûlent avec plus de force que son centre mais (ce qui nous importe beaucoup plus) cet exemple prouve que la chaleur ou le feu n’a de violence et d’âpreté que dans les parties où il est resserré par l’action de l’air extérieur qui le comprime. Ainsi les Péripatéticiens (quoique leur hypothèse d’un feu élémentaire, dont la région, selon eux, est placée au-dessus de la région de l’air, ait été rejetée avec raison) ne laissent pas de se tirer assez bien d’affaire dans cette question. Leur objecte-t-on, par exemple, que s’il étoit vrai qu’une sphère immense de feu environnât, enveloppât même le monde entier, comme ils le prétendent, tous les corps, ainsi exposés à son action, seroient bientôt consumés, ils répondent que le feu pur et élémentaire, placé dans son lieu naturel, et n’éprouvant aucune irritation, n’a qu’une chaleur modérée.

Observation sur la diminution que doit éprouver le mouvement naturel de la gravité, à une grande distance de la terre ; et dans son intérieur, à une certaine profondeur.

33. Une opinion constante et appuyée sur des expériences faciles à vérifier, est qu’au fond d’une mine, deux hommes suffisent pour mouvoir et rouler un bloc de métal brut, qui, transporté à la surface de la terre, pourroit à peine être déplacé par les forces réunies de six hommes. Cet exemple est précieux ; mais il seroit nécessaire de réitérer cette expérience avec plus d’attention, et de déterminer avec plus d’exactitude les proportions dont nous venons de parler. Car il est très probable que le mouvement de la gravité a moins de force (que la force de pesanteur a moins d’intensité) soit à une grande distance de la terre, soit dans son intérieur, et un peu loin de sa surface. Cette diminution de force a lieu dans le premier cas, parce que la tendance des corps denses et compacts à s’unir avec la terre qui est comme leur tout, doit devenir plus foible à une certaine distance du globe et dans le second cas, parce que le corps étant placé à une certaine profondeur au-dessous de la surface, cette même tendance a déjà, en partie, obtenu son effet[41]. Mais, quant à ce mouvement vers un certain point, vers un certain lieu (savoir le centre du globe), qu’ont supposé les anciens, c’est une opinion tout-à-fait dénuée de fondement.

Expérience sur la diminution de volume, résultant du mélange de certains fluides avec certains solides.

34. Il est assez étonnant que les anciens, qui adoptoient si aisément des résultats d’expérience sur la foi d’autrui, aient osé établir, sur une telle base, des opinions de la plus grande importance. Par exemple il est parmi eux tel auteur, très digne de foi, dans tout autre cas, qui soutient hardiment qu’un vaisseau rempli de cendres peut encore recevoir autant d’eau que s’il étoit entièrement vuide ce qui est absolument faux : la vérité est que la quantité d’eau dont les cendres peuvent s’imbiber, dans le premier cas, n’égale pas la cinquième partie de celle que le vaisseau pourroit contenir, s’il étoit vuide. Or, cette différence[42], je dis qu’elle dépend du volume des cendres qui peuvent être plus ou moins resserrées par le fluide avec lequel elles se trouvent mêlées. Car, de même que les cendres seules et non mêlées avec un fluide quelconque, occuperoient moins d’espace, si on les comprimoit ; de même aussi, lorsqu’elles sont mêlées avec de l’eau, elles occupent moins d’espace que lorsqu’elles sont mêlées avec de l’air[43]. Mais je ne me suis pas encore assuré si l’eau elle-même, mêlée avec de la cendre ou de la poussière, se resserre dans un moindre espace, et perd une partie de son volume.

Expérience tendant à rendre les vignes d’un plus grand rapport.

35. Des relations non suspectes nous apprennent que si l’on met autour des racines de la vigne une grande quantité de pépins de raisin, elle pousse plus vîte et rapporte davantage. On pourroit varier cette expérience, en appliquant des pépins ou grains, d’un autre genre, aux racines de leurs plantes respectives ; par exemple, appliquer des pépins de figues aux racines d’un figuier ; des pépins de pomme, aux racines d’un pommier, etc. Pour rendre raison de l’effet qu’on leur attribue, on pourroit dire que ces pépins ou grains tirent de la terre les sucs propres pour nourrir l’arbre ; ce qui est d’autant plus vraisemblable, que ces grains ou pépins, quoique sans racines, deviendroient eux-mêmes des arbres avec le temps. Mais ces racines ayant plus de force, et attirant tout le suc alimentaire, se l’approprient et se l’assimilent, après l’avoir attiré ; à peu près comme les grands poissons dévorent les petits[44].

Diverses observations ou expériences sur les médicamens purgatifs.

36. L’action des purgatifs et ses causes ont été jusqu’ici regardées comme des secrets, comme des mystères de la nature et c’est dans cet esprit que l’ignorance paresseuse a attribué leurs effets à des propriétés occultes, à des vertus spécifiques, à une quatrième classe de qualités[45] ; genre d’explication qu’on n’a imaginé que pour voiler cette ignorance même. Cependant, les causes de cette action des purgatifs sont toutes sensibles, faciles à voir, et très bien établies par l’observation et l’expérience.

La première est celle-ci : tout ce qui ne peut être digéré et converti en aliment par l’estomac, ce viscère le repousse et s’en débarrasse, soit par le vomissement, soit en le précipitant par les intestins ; ce mouvement expulsif de l’estomac et des intestins provoquant à l’expulsion (par une corrélation harmonique[46], les autres parties du corps, telles que les orifices des veines et autres semblables. Car rien n’est plus ordinaire, plus fréquent, dans le corps humain, que ces corrélations et ces affections ainsi communiquées. Or, l’estomac peut être surchargé par deux causes différentes ; savoir : par la qualité ou par la quantité des alimens, La qualité est susceptible de trois différences : c’est ou une excessive amertume, comme dans l’aloës et la coloquinte ; on une saveur nauséabonde, comme celle de l’agaric, de l’ellébore noir, etc. ou enfin c’est une certaine qualité maligne et pernicieuse au corps humain, laquelle ne se manifeste par aucune saveur particulière, comme dans la scammonée, le méchoacan, l’antimoine, etc. Or, il faut observer que tout médicament où ne se manifeste point l’une ou l’autre des deux premières qualités, est, par cela seul, suspect de qualité vénéneuse ; car alors il opère, ou par une sorte de corrosion, ou par une secrète malignité, et en vertu d’une certaine antipathie, ou opposition avec la nature[47]. Aussi doit-on prendre certaines précautions, soit en préparant les médicamens de cette espèce, soit en en faisant usage. Certains alimens pris en grande quantité occasionnent une sorte de purgation ; comme on l’éprouve lorsqu’on boit trop de lait récemment trait : il est aussi des alimens solides qui, pris sans discrétion, produisent le même effet ; et même des alimens quelconques de l’une ou de l’autre espèce, pris en trop grande quantité ou avec trop d’avidité deviennent un vrai purgatif, qui opère tant par haut que par bas[48]. Aussi voyons-nous qu’en général l’effet des purgatifs n’a lieu qu’environ deux ou trois heures après qu’on les a pris, parce que l’estomac tente d’abord de les digérer ; on éprouve quelque chose de semblable, lorsque l’estomac est surchargé, ou lorsqu’on a bu du lait en trop grande quantité[49] ; l’estomac, après avoir aussi tenté de digérer ces alimens, les rejette par bas.

37. La seconde cause est l’action de toute substance âcre et mordicante qui agace les orifices des vaisseaux, et principalement ceux des veines mésaraïques. Par exemple, il est constant qu’un sel, ou telle autre substance de même nature agaçante et mordicante, insérée dans l’anus, provoque cette partie à l’expulsion ; que la moutarde excite l’éternuement, etc. que toute substance qui, par son acrimonie, irrite l’organe de la vue, tire les larmes. Aussi voit-on que tous les purgatifs doivent leur effet à une certaine irritation, outre le tiraillement occasionné par les flatuosités. Or, l’effet de cette irritation, lorsqu’elle est portée au plus haut degré, ne vaut guère mieux que cette corrosion, qui est l’effet des substances vénéneuses ; et c’est ce qu’on éprouve quelquefois lorsqu’on fait usage de l’antimoine, sur-tout quand on l’administre à des sujets dont le corps n’est pas rempli d’humeurs ; car, lorsque les humeurs abondent, elles garantissent les parties[50].

38. La troisième cause est l’attraction ; car nous ne doutons nullement que certains médicamens ne recèlent une certaine force attractive, proprement dite, et directe. De ce genre sont, en chirurgie, les emplâtres attractifs. On sait aussi que la sauge et la bétoine, pilées, la poudre sternutatoire, et ces autres poudres ou liqueurs que les médecins qualifioient autrefois d’errines, prises par les narines, provoquent l’évacuation de la pituite et l’extraction des humeurs de la tête. C’est ce que prouve également l’effet des apophlegmatismes et des gargarismes, qui font évacuer par la bouche les humeurs catarreuses[51]. Et telle est sans doute la véritable cause en vertu de laquelle, suivant l’opinion commune, tel médicament tire telle humeur, et tel autre, une autre ; par exemple, la rhubarbe tire la bile jaune ; les feuilles de séné, la bile noire ; l’agaric, la pituite, etc. Cependant, tous attirent ces humeurs indistinctement ; les uns plus, les autres moins. Remarquez aussi qu’outre cette espèce de sympathie (d’affinité, d’analogie), entre le purgatif et l’humeur qu’il attire il est encore une autre cause en vertu de laquelle chaque médicament attire l’humeur qui lui est propre et analogue, plutôt que toute autre. Cette cause est que, parmi les médicamens, les uns opèrent plus vite que les autres, et que ceux dont l’action est plus prompte, ne tirent que les humeurs les plus ténues et les plus fluides ; au lieu que ceux qui opèrent plus lentement, exercent leur action sur les humeurs plus visqueuses et plus tenaces. Ainsi, quand on fait usage de la rhubarbe, et d’autres substances de ce genre, ce ne doit être qu’avec certaines précautions ; je veux dire, en ayant égard à la manière dont on les emploie ; il ne faut pas les employer seules et sans mélange d’autres substances, ou trop fréquemment. Car ces substances emportent d’abord la partie la plus ténue de l’humeur, en laissant derrière la partie la plus épaisse et la plus réfractaire. On en peut dire à peu près autant de l’absynthe, de ce remède si vanté.

39. La quatrième cause est la flatuosité des purgatifs. Car les substances ou les moyens qui excitent des flatuosités, provoquent l’expulsion. Et l’on s’est assuré par l’expérience que tous les purgatifs contiennent un certain esprit crud et flatueux, qui est la principale cause de ces tranchées qu’ils occasionnent dans le ventre et l’abdomen. Voilà pourquoi la plupart de ces substances, mises en décoction, perdent une partie de leur qualité purgative ; et c’est par cette même raison qu’on les administre le plus ordinairement, ou après les avoir fait simplement infuser, ou dans un bouillon, ou en poudre[52].

La cinquième cause est la compression, qui a lieu par un effet assez semblable à celui d’une éponge dont on exprime l’eau. C’est ainsi que l’eau froide occasionne un cours de ventre, par l’effet de la contraction de la peau[53]) et des parties extérieures. C’est à peu près de la même manière que le froid occasionne des catharres, des rhumes ou des fluxions ; et que certains emplâtres astringens expriment la matière purulente. Il est plusieurs médicamens doués de ce genre d’action et c’est à cette action que les myrobolans et la peau des pêches doivent leurs effets. Car ce genre d’action dont nous parlons, exige une certaine astriction, mais une astriction désagréable ; l’effet d’une astriction agréable étant plutôt de coaguler et de retenir les humeurs, que de les expulser. Aussi cette espèce d’astriction que nous avons en vue, se manifeste-t-elle dans les substances d’une saveur âpre ou acerbe[54].

La sixième cause est la lubrifaction et le relâchement[55], comme on le voit par l’effet des émolliens, tels que le lait, le miel, la mauve, la laitue, la pariétaire, etc. Le froid a aussi une force secrète, en vertu de laquelle il relâche. Au lieu que la chaleur resserre les solides et les fluides[56] relâchés par le froid, comme on peut l’observer dans l’urine, le sang, les jus de viande et autres semblables liquides, toutes substances qui, en se refroidissant, se dissolvent ; c’est par une action de cette espèce que la crainte lâche lLe ventre ; car alors la chaleur se réfugiant vers le cœur, et se concentrant dans cette partie, fait ainsi que les intestins et les autres parties qu’elle abandonne, se relâchent. C’est encore ainsi que la crainte occasionne un tremblement dans les nerfs[57]. Or, dans cette classe de purgatifs, il faut ranger également les médicamens mercuriels.

La septième cause est l’abstersion, qui n’est autre chose qu’une dépuration, ou une espèce d’incision (de division) des humeurs les plus visqueuses et les plus tenaces ; ce qui les rend plus fluides : l’efet propre de ce genre d’action est de séparer les matières d’avec les parties qui en étoient revêtues, de les en détacher ; effet dont on voit un exemple dans celui de l’eau de nitre qui blanchit les toiles, et qui, en en balayant, pour ainsi dire, les ordures, leur donne de l’éclat. Or, cette action incisive a nécessairement pour cause une acrimonie sans astriction ; propriété que nous observons dans le sel, l’absynthe, l’oxymèle et autres substances de cette nature.

43. Il est des médicamens qui provoquent les selles et non les urines ; et d’autres qui provoquent les urines et non les selles. Ceux qui évacuent par les selles, sont de telle nature qu’ils n’entrent point ou presque point dans les veines mésentériques ; ou encore certaines parties de ces substances n’ayant pu être digérées par l’action de l’estomac, elles se portent immédiatement dans les intestins, et provoquent ainsi l’évacuation par bas : ou bien, après un commencement de digestion, elles sont ensuite rejetées par les veines mésentériques, et reviennent ainsi aux intestins. Or, la plupart des médicamens sont de l’une ou de l’autre de ces deux espèces. Mais ceux qui provoquent les urines, sont de nature à être aisément digérés par l’estomac, et à être reçus par les veines mésentériques ; enfin, ils parviennent jusqu’au foie, qui transmet à la vessie les urines, qui sont, en quelque manière, la sérosité du sang. Ces médicamens apéritifs et pénétrans renforcent l’opération de la rate, lorsqu’elle détermine vers le bas les parties séreuses du sang, et les pousse vers les reins. Or, les médicamens qui provoquent les urines, n’opèrent point par rejection ou par indigestion, comme ceux qui lâchent le ventre et provoquent les selles.

44. Il est différentes espèces de médicamens, qui, pris en grande quantité, provoquent les selles, et, pris à petite dose, provoquent les urines ; il en est d’autres, au contraire, qui, pris à grande dose, provoquent les urines, et, pris à petite dose, provoquent les selles[58]. Du premier genre sont la rhubarbe et quelques autres substances analogues. La cause de ces différences est que la rhubarbe, lorsqu’elle n’est prise qu’en petite quantité, est digérée par l’estomac (cette substance n’étant ni flatueuse ni d’une saveur rebutante), puis l’estomac la transmet aux veines mésentériques ; et alors, par sa qualité apéritive, elle facilite la détermination de l’urine vers le bas. Mais, lorsqu’elle est prise en plus grande quantité, l’estomac ne la digère plus, et alors elle passe immédiatement aux intestins. Le poivre, comme l’ont observé quelques anciens, est de la seconde espèce ; pris en petite quantité, il excite des flatuosités dans l’estomac, et en conséquence provoque l’expulsion par les selles ; mais, pris en plus grande quantité, il dissipe ces flatuosités ; puis il se porte jusqu’aux veines mésentériques, d’où il passe au foie et aux reins ; où, en échauffant et en dilatant les couloirs, il détermine par bas l’urine en très grande quantité.

Expériences diverses concernant les alimens les plus nutritifs, soit solides, soit liquides.

45. Dans l’article précédent nous avons traité de l’évacuation du corps, parlons actuellement de sa réplétion par le moyen des restaurans, dans la consomption et les maladies amaigrissantes. Parmi les végétaux, il en est qui l’emportent sur tous les autres par leur faculté nutritive. Par exemple, les graines et les racines ont plus de substance nutritive que les feuilles. C’est sans doute cette raison qui a déterminé le pape à séculariser l’ordre des feuillans ; il a jugé que les feuilles n’étoient pas, pour le corps humain, une nourriture suffisante. Mais la chair des animaux est-elle susceptible des mêmes différences ? c’est ce qu’on n’a pas encore suffisamment vérifié. On peut demander, par exemple, s’il est vrai que le foie et les autres viscères sont plus nourrissans que les parties extérieures ; je n’ignore pas que, chez les Romains, le foie de l’oie étoit regardé comme un mets délicat, et qu’ils avoient même emprunté de la médecine des méthodes pour s’en procurer de plus grands et d’une saveur plus exquise ; mais cette partie de l’animal est-elle plus nourrissante ? C’est un point qui n’a pas encore été éclairci. Il est constant que la moelle a plus de substance alimentaire que la graisse ; et je conçois qu’une décoction d’os et de nerfs, pilés et ensuite bien passés, fourniroit un bouillon très nourrissant. Car le scoth-schink, mets très succulent, et composé de pieds et de nerfs de bœufs qui ont subi une longue coction, est éminemment nutritif ; il en est de même de cette gelée qu’on fait avec des jarrets de veau, et qu’on emploie comme restaurant. Cette pulpe qu’on trouve dans le corps des crabes et des écrevisses, étant assaisonnée avec du beurre et des épices, est aussi plus nourrissante que cette substance qu’on trouve dans les pattes. Enfin, le jaune d’œuf nourrit plus que le blanc. En sorte que les parties intérieures des animaux paroissent plus nourrissantes que la chair extérieure ; si l’on en excepte la cervelle, partie sur laquelle l’esprit agit trop fréquemment, pour y laisser beaucoup de substance alimentaire. On pourra employer, à titre de restaurant, pour les vieillards ou les personnes excessivement maigres, les substances dont nous venons de parler, et dont la nature a beaucoup d’affinité avec celle du chyle, même avant qu’elles soient dans l’estomac.

46. Prenez deux grands chapons ; faites les cuire à un feu doux pendant une demi-heure au plus, et seulement jusqu’à ce que le sang soit absorbé. Ajoutez à cette décoction une écorce de limon doux et une écorce de citron presque entière, avec un peu de macis. Coupez les pattes et jetez-les. Ensuite hachez fort menu, avec un couteau, les deux chapons, y compris les os ; et à peu près comme on s’y prend ordinairement pour faire un hachis. Mettez le tout sur un grand tamis bien net. Prenez un barril de grandeur convenable pour contenir aisément quatre gallons (quinze à seize pintes de Paris) de bière nouvelle et forte que vous y mettrez. Faites à ce vaisseau une ouverture de grandeur suffisante, et ajustez-y le crible où est le hachis de chapon, que vous étendrez en longueur. Faites-le ainsi macérer pendant trois jours et trois nuits, en laissant débouchée l’ouverture du baril, pour faciliter l’opération. Puis bouchez-le et laissez-le en cet état pendant un jour et demi. Enfin, mettez en bouteille cette liqueur ; le troisième jour elle sera bonne à boire, et le sera pendant six semaines, comme on s’en est assuré par l’expérience ; elle sera forte et mousseuse ; elle aura même du bouquet, et il ne paroîtra pas qu’elle soit nouvellement faite. Cette boisson, ou seule, ou mêlée avec d’autre bière est excellente pour les personnes attaquées de consomption : elle étanche la soif et ne donne point de vents. Il est difficile de se persuader que du pain, ou tout autre aliment solide, trempé dans du bouillon ou quelque autre boisson, comme on le fait ordinairement, puisse être aussi atténué, s’insinuer aussi promptement dans les vaisseaux absorbans, et passer aussi aisément jusqu’aux extrémités du corps, qu’après avoir été incorporé de cette manière, et converti en une espèce de chyle.

47. On pourroit aussi faire l’essai de bouillons ou de boissons mélangées de cette espèce, mais où l’on mettroit des patades ou autres plantes bulbeuses, ou des racines de bardane, ou des culs d’artichaut. On pourroit de même substituer aux chapons des cochons de lait, des faisans, des perdrix, et en général de la venaison, pourvu qu’elle fût tendre.

48. On pourroit encore faire un coulis avec de la chair de chapons, pilée et bien passée au tamis, en y mêlant, lorsqu’il seroit fait, au moins parties égales de beurre d’amandes douces ; ce genre d’alimens est singulièrement propre pour nourrir les sujets foibles ; et on le préfère à ce qu’on appelle blanc-manger, ou à la gelée de viande. On en peut dire autant des entrailles de coqs, bien cuites et assaisonnées aussi avec le beurre d’amandes douces. Car les entrailles et les coulis ayant par eux-mêmes plus de saveur et de force que les autres substances alimentaires, ne seroient pas très propres pour la nourriture des sujets foibles ; mais les amandes douces, qui ont beaucoup moins de saveur que la chair, lui communiquent une excellente qualité.

49. Il n’est pas douteux que le maïs ou bled d’Inde (de Turquie) renferme un esprit éminemment alimentaire ; mais il faut qu’il soit bien cuit, et réduit à l’état de crème, à peu près comme on prépare la crème d’orge. J’en dirai autant du riz, dont on fait la crème connue sous ce nom même. Car en Turquie, et dans toutes les autres contrées orientales, le riz est la nourriture la plus commune[59]. Mais il faut qu’il soit bien cuit, vu sa dureté naturelle, et par la raison aussi que, sans cette condition, il constipe.

50. Les pistaches (pourvu qu’elles soient de bonne qualité, et ne soient point rances), mêlées avec le lait d’amandes douces, où même seules, et réduites en une espèce de lait semblable à celui d’amandes, mais ayant plus de verdeur, sont un aliment excellent ; et, pour le rendre encore meilleur, il faut y ajouter un peu de gingembre pilé, car il ne laisse pas d’exciter quelques petites flatuosités.

51. On s’est assuré que le lait récemment trait est doué d’une grande force nutritive ; ainsi, c’est un excellent préservatif ou remède contre l’excessif amaigrissement. Mais il faut mettre au-dessus du vaisseau, tandis qu’on trait la vache, deux sachets, l’un rempli de menthe, l’autre de roses rouges réduites en poudre ; deux substances qui empêchent, jusqu’à un certain point, le lait de se coaguler dans l’estomac : ajoutez-y encore du sucre dans la même vue, et pour lui donner une saveur plus agréable. Mais il n’en faut boire que la quantité suffisante, de peur qu’il ne séjourne trop long-temps dans l’estomac, et ne s’y coagule. Mettez le vaisseau qui contient le lait dans un autre vaisseau rempli d’eau chaude, afin de le boire chaud. Je regarde le lait de vache ainsi préparé, comme préférable au lait d’ânesse, qui, à la vérité, ne tourne pas si aisément, mais qui a une légère acidité. Le lait de jument est un remède plus efficace à l’acrimonie des urines et à l’ulcération de la vessie, que celui d’ânesse ou de vache, et que toute espèce d’adoucissans. On recommande aussi, pour cette maladie, le lait de femme, lorsqu’on ne peut s’en procurer d’autres. Mais je ne le regarde point comme un bon aliment, parce qu’il a trop d’analogie avec les humeurs du corps humain ; si l’on en excepte toutefois les enfans, dont il est l’aliment naturel.

52. L’huile d’amandes douces, récemment extraite, où l’on a mis un peu de sucre et d’épices, et répandue sur un morceau de pain rôti, est un bon aliment. Mais, pour empêcher que cette huile ne se rancisse dans l’estomac, il faut boire ensuite de la bière en certaine quantité ; et, de peur qu’elle ne relâche trop l’estomac, y mêler un peu de canelle en poudre.

53. Les jaunes d’œufs ont tant d’analogie naturelle avec la substance qui doit alimenter, et une telle faculté nutritive, qu’ils n’ont besoin d’aucune préparation, et qu’il est inutile d’y rien ajouter, lorsqu’on mange ces œufs ou pochés ou à la coque[60]. On peut aussi se nourrir d’œufs cruds ; mais il faut les manger frais, et y joindre de la malvoisie fort douce. Le mieux seroit d’y ajouter quelques segmens orbiculaires d’orange, et un peu d’ambre gris, Par ce moyen, outre la faculté nutritive qu’ils ont par eux-mêmes, une telle boisson sera fortifiante, et elle diminuera la quantité des urines, car des urines trop fréquentes nuisent beaucoup à l’alimentation[61].

54. Le soin de piler ou de hacher la viande et autres alimens (comme on a coutume de le pratiquer pour faire ce qu’on appelle un hachis, ou la fourniture d’un pâté), et d’y ajouter du beurre, épargne de l’ouvrage aux dents, et dispense de la mastication[62]. Ainsi, il n’est pas douteux que, par ce genre de préparation, ces substances ne deviennent plus nutritives, sur-tout pour les vieillards, et en général, pour tous les individus qui n’ont plus assez de dents, ou les dents assez fermes. Or, le beurre n’est pas très convenable aux estomacs foibles, à moins qu’on ne l’humecte avec un peu de vin clairet, en y joignant des écorces de citron et d’orange coupées par tranches fort petites, avec du sucre et un peu de cannelle on de muscade. Quant aux hachis, on doit les ranger dans cette classe d’alimens dont nous parlons ; mais au lieu de les assaisonner avec le beurre ou la graisse, il vaudroit mieux employer en partie pour assaisonnement la crème d’amandes douces, ou le lait de pistaches, ou encore la crème d’orge, ou enfin celle de maïs, en y ajoutant un peu de semence de coriandre et de carvi, avec une très petite quantité de safran. Nous nous proposons de donner dans la suite sur ce même sujet ; savoir : sur le choix et la préparation des alimens, un traité ex-professo que nous placerons dans le lieu convenable.

Nous avons jusqu’ici traité en détail des moyens de se procurer des alimens de la meilleure qualité, faciles à trouver et très substantiels ; actuellement nous allons parler des méthodes à observer pour dériver les sucs nourriciers, et les conduire de manière à nourrir les parties autant qu’il est possible, et à convertir cette substance alimentaire en sa propre substance.

55. Le premier moyen c’est d’empêcher que la substance alimentaire ne se dissipe et ne soit dérobée ; but auquel s’applique naturellement une observation que nous avons déjà faite ; savoir : qu’il faut empêcher, autant qu’il est possible, que les reins ne tirent à eux avec trop de force, et n’évacuent sous forme d’urine, une trop grande portion du sang. À quoi il faut ajouter ce précepte d’Aristote, qui défend l’usage du vin, dans toute espèce d’état qui tient de la comsomption ; parce que les esprits de cette liqueur se mêlant aux esprits animaux, dérobent les sucs onctueux du corps, et frustrent ainsi ses parties de la substance qu’elles ont déjà ou qu’elles auroient attirée. Ainsi, lorsqu’on permet l’usage du vin dans ce genre de consomption qui a pour cause la faiblesse de l’estomac, on ne doit l’administrer qu’après l’avoir brûlé (chauffé), pour en faire évaporer les esprits les plus mobiles et les plus actifs ou il faut du moins les éteindre à l’aide de deux petites masses d’or, en réitérant jusqu’à sept fois l’opération[63].

Il faut, par surcroît de précaution, empêcher que la substance alimentaire ne se dissipe trop par les sueurs ou la transpiration insensible. C’est pourquoi, si le malade est trop disposé à suer, on tâchera de diminuer quelque peu cette disposition. Mais on doit sur-tout s’attacher à certain précepte d’Hippocrate, diamétralement opposé à la méthode qu’on suit ordinairement, Il veut que, durant l’hiver, les vêtemens qui sont en contact immédiat avec le corps, soient toujours secs, et que, dans cette saison, on en change souvent ; mais qu’au contraire, durant l’été, on en change rarement, et qu’on les imbibe d’huile[64]. Car il n’est pas douteux que toute substance grasse ne bouche quelque peu les pores de la peau, et n’empêche, jusqu’à un certain point, de suer. Mais, afin de se tenir propre, en pourvoyant à sa santé, il vaut mieux se contenter d’imbiber légèrement d’huile d’amandes douces le linge qui touche à la peau, et en changer aussi souvent qu’il est nécessaire.

56. Le second moyen est de transmettre, avec plus de force, l’aliment aux parties à nourrir ; et, dans cette vue, de s’attacher à renforcer l’action concoctrice de l’estomac ; mais comme les substances qui le fortifient le plus sont le vin et autres échauffans, ce qui nuiroit ici, il vaut mieux recourir aux topiques appliqués sur cette partie. Or, on s’est assuré par l’expérience, que tous les sachets imaginables, remplis de roses, de substances aromatiques, de mastic, d’absynthe, de menthe, etc. ne valent pas une simple mie de pain frais, un peu pétrie, figurée en gâteau, et arrosée d’un peu de vin sec, ou de vin d’Espagne ; mais il faut donner à cette mie de pain le temps de sécher ; et après l’avoir un peu grillée, l’envelopper dans un mouchoir bien net, enfin, l’appliquer sur l’estomac. Car il est constant que toute espèce de fleur sèche est un si puissant astringent, que si l’on met dessus un morceau de viande où une fleur fraîche, elle dessèche et durcit l’un et l’autre.

57. Le troisième moyen, qui n’est qu’une suite, qu’une branche du précédent, c’est le sommeil, considéré comme pouvant faciliter et perfectionner la digestion. Nous voyons en effet que les ours, et autres animaux de cette classe, qui dorment durant presque tout l’hiver, engraissent considérablement dans cette saison-là[65]. Et il est vrai, comme le dit un proverbe, que le sommeil nourrit beaucoup ; soit parce que, durant le sommeil, les esprits consument moins la substance alimentaire ; soit encore (et c’est ici le point essentiel) parce que le sommeil provoque et facilite la distribution des sucs alimentaires dans les différentes parties. Aussi, dans les vieillards et dans les sujets foibles, chez qui la bile n’est pas fort abondante, un court sommeil après le dîner est-il favorable à la nutrition[66]. Car, dans les sujets foibles, on n’a pas lieu de craindre une digestion trop prompte ; l’unique inconvénient qui pourroit résulter de ce sommeil, pris après le dîner[67]. De même le matin, un léger sommeil, après avoir pris quelque aliment de facile digestion, comme du lait de vache, un bouillon substantiel, etc. accélère la digestion. Mais alors il faut dormir le corps droit, afin que le lait ou le bouillon puisse descendre plus vite au fond de l’estomac[68].

58. Le quatrième moyen est de faire en sorte que ces parties à nourrir attirent avec beaucoup de force la substance alimentaire. Ce qui nous rappelle une autre observation très judicieuse d’Aristote sur ce même sujet : la raison, dit-il, pour laquelle certaines plantes vivent beaucoup plus que les animaux, est que ces plantes poussent chaque année de nouvelles branches et de nouvelles feuilles ; au lieu que les animaux, le temps de leur adolescence une fois passé, n’acquièrent plus de nouvelles parties, à l’exception des ongles et des poils, qui sont des espèces d’excrémens, et non de vraies parties. Or, il n’est pas douteux que, dans les deux règnes, les sujets encore tendres ne tirent les sucs alimentaires avec plus de force, et en plus grande quantité, que les sujets adultes ; et une autre circonstance qui est de nature à échapper plus aisément à l’observation, mais qui n’en est pas moins réelle, c’est que les nouvelles branches et les nouvelles feuilles, en attirant la sève, font que cette sève, en passant, nourrit la tige, les branches, et toutes les autres parties de la plante. C’est ce que prouve l’effet de la pratique où l’on est d’élaguer les haies, les arbres et les plantes herbacées ; soin qui, comme l’on sait, contribue à leur durée. Ainsi, appliquez cette observation à notre but actuel, je veux dire à celui d’augmenter l’aptitude, à attirer la substance alimentaire, dans les animaux, où la principale et la plus importante fin est la prolongation de la vie, la restauration, du moins partielle, des forces perdues, et l'assouplissement de toute l’habitude du corps. Car il est hors de doute que, dans les animaux, certaines parties sont plus que les autres susceptibles de nutrition et de réparation. Ainsi, il faut tâcher de restaurer et de refaire, pour ainsi dire, les premières, afin que le même suc qui les restaure, puisse en passant restaurer aussi les dernières, et que celles-ci sucent, pompent, en quelque manière, les sucs alimentaires. Nous voyons en effet que les bestiaux, lorsqu’on les met dans de bons pâturages, ont la chair plus tendre et plus délicate, comme s’ils étoient rajeunis ; et que les hommes amaigris par une longue diète, prenant ensuite de l’embonpoint, semblent aussi rajeunir et devenir des hommes tout neufs[69]. En sorte que nous serions assez fondés à conclure de toutes ces observations, que c’est sur l’usage fréquent et méthodique du régime amaigrissant (en y joignant peut-être quelques saignées de loin en loin), que roule principalement le dessein de prolonger la vie humaine, et d’opérer une espèce de rajeunissement. Car, comme nous l’avons souvent observé, la manière dont la mort survient aux créatures vivantes, ressemble assez au supplice de Mézence :

Il unissoit le mort au vivant,
Appliguant main contre main, face contre face, etc.

Les parties du corps les plus faciles à restaurer, telles que l’esprit, le sang, la chair, mourant, pour ainsi dire, dans leurs embrassemens avec les parties plus difficiles à restaurer, telles que les os, les nerfs et les membranes : de même, certains viscères (qu’on peut mettre au nombre des parties spermatiques) se réparent très difficilement, quoique, pour le dire en passant, cette division des parties du corps humain en spermatiques et menstruelles, soit tout-à-fait dénuée de fondement. Quoi qu’il en soit, cette observation peut être dirigée vers la fin que nous nous proposons ici, et appliquée à la nutrition des corps excessivement amaigris.

Par exemple, de légères frictions provoquent l’attraction de la substance alimentaire, en rendant les parties comme affamées pendant quelque temps, et en les échauffant ; ce moyen fait aussi qu’elles attirent l’aliment avec plus de force. Or, ces frictions, il faut les faire le matin, et afin que le frottement soit plus doux, enduire sa main, ou un morceau d’écarlate, d’un peu d’huile d’amandes douces, en y ajoutant quelque peu de sel commun ou de safran. Nous voyons en effet que les chevaux soigneusement étrillés, prennent plus d’embonpoint et de luisant.

69. Le cinquième moyen est de faciliter l’acte même de l’assimilation, but auquel on parvient, en appliquant extérieurement certains émolliens, qui donnent aux parties plus d’aptitude à s’assimiler la substance alimentaire. C’est dans cette vue que nous avons composé certain onguent, d’une odeur très agréable, auquel nous donnons ordinairement le nom d’onguent romain[70]. C’est pour le temps du sommeil qu’il faut en faire usage ; car c’est durant le dernier sommeil que les parties s’assimilent le mieux la substance alimentaire.

Expérience relative au fil médicinal (à la méthode à suivre dans le traitement des maladies.)

60. Il est bien des médicamens qui, employés seuls, ne sont nullement curatifs, et peut-être même sont nuisibles ; mais qui, employés l’un après l’autre dans un certain ordre, ne laissent pas d’opérer une grande cure. C’est ce dont je me suis assuré par moi-même, par l’expérience, en faisant usage de certain remède pour la goutte, remède qui a rarement trompé mon attente, et qui, à chaque épreuve, l’a enlevée en vingt-quatre heures[71],

1°. Il faut appliquer certain cataplasme, (dont vous trouverez la composition dans la note ci-dessous), auquel doit succéder un bain ou une fomentation, dont le procédé est décrit dans cette même note ; enfin, un emplâtre ou onguent dont vous trouverez la recette au même lieu.

Le cataplasme relâche la fibre, ouvre les pores, et donne à l’humeur morbifique plus d’aptitude à s’exhaler. La fomentation tire les humeurs, en les réduisant pour ainsi dire en vapeurs[72] ; mais elle en tire peu, et seulement par le moyen, et à raison du passage qu’a frayé le cataplasme ; elle n’en tire point des autres parties à celle-là ; car cette fomentation est douce ; elle est stupéfiante, et son effet tient de l’engourdissement ; elle diminue la sensibilité de la partie, mais fort peu[73]. L’emplâtre est médiocrement astringent, ce qui opère une sorte de répulsion, et empêche que de nouvelle humeur n’aborde à la partie. Le cataplasme seul rendant la partie plus molle, lui donne ainsi plus d’aptitude pour recevoir l’humeur qui s’y rend, et pour obéir à son action. La fomentation seule, si elle étoit très foible, et n’étoit point aidée par ce cataplasme qui ouvre d’abord le passage, ne tireroit que fort peu ; si elle étoit très forte, son effet ne seroit pas seulement de tirer de la partie au dehors, mais encore des autres parties à celle-là[74]. L’emplâtre seul fixeroit dans la partie l’humeur qui s’y trouveroit déjà, et il auroit le double inconvénient d’exaspérer cette humeur[75], et d’empêcher l’abord d’une nouvelle quantité d’humeur. Ainsi, il faut appliquer ces trois remèdes successivement, et selon l’ordre même que nous avons prescrit. Le cataplasme doit être pendant deux ou trois heures ; la fomentation doit être employée extrêmement chaude durant un quart d’heure, ou un peu plus, et réitérée sept à huit fois. Enfin, l’emplâtre doit être tenu sur la partie jusqu’à ce qu’elle se soit raffermie, et qu’elle ait recouvré toute sa force.

Observation sur les cures qui sont l’effet de la simple habitude.

61. Il est un certain genre de traitement, dont les effets ont des causes difficiles à découvrir, qui n’est pas encore passé en usage, et qui se réduit à compter sur le pouvoir immense de l’habitude, qui, à la longue, émousse l’action d’une chose naturellement nuisible. L’histoire atteste que certains individus se sont accoutumés aux poisons mêmes. Ceux dont l’occupation journalière est de secourir les pestiférés, sont rarement infectés de la contagion. L’habitude d’endurer les tourmens, les rend plus faciles à supporter. L’habitude de dévorer une quantité excessive d’alimens solides, préserve des indigestions, et celle de boire à l’excès préserve de l’ivresse. En général, c’est dans les commencemens que les maladies chroniques, comme rhumes, phthisies, certaines espèces de paralysie, l’affection des lunatiques, etc. sont le plus dangereuses. Aussi tout médecin ne manque-t-il point de considérer si un traitement trop à fond est sans danger. Dans le cas où il y aurait du risque à entreprendre une cure radicale, qu’il ait recours aux palliatifs, et se contente d’adoucir les symptômes, sans trop s’occuper de la cure complète. Souvent cette méthode (pourvu que le malade ne manque pas de patience) a de plus heureux effets qu’on n’eût osé se le promettre ; effets qu’elle aura encore, si le malade peut endurer la violence des symptômes dans le paroxisme, tourner ainsi sa patience au profit de la nature[76], et se rendre ses souffrances comme naturelles.

62. Souvent des excès mêmes guérissent certaines maladies chroniques, entr’autres la fièvre quarte ; tel est, par exemple, l’effet des alimens solides et liquides, pris en trop grande quantité, des jeûnes réitérés[77], des exercices violens, de la lassitude et d’autres moyens semblables.

La vraie cause ici est que les maladies continues acquièrent, par l’effet de la seule habitude, un surcroît de force et de violence ; outre l’effet propre et direct de la cause matérielle résidante dans les humeurs ; en sorte que si l’on rompt à propos cette habitude, il ne reste plus que cette dernière cause qui agisse, et que, si elle est foible, elle a bientôt le dessous.

De plus, un autre effet des excès de cette espèce, est d’irriter, d’éveiller la nature, et de lui donner ainsi plus de force pour combattre la maladie.

Observation sur les guérisons qui s’opèrent à l’aide des corrélations harmoniques.

63. On observe, dans le corps humain, des relations très étroites, des corrélations, en quelque manière, harmoniques, entre les mouvemens de ses différentes parties. Nous voyons que, dans certain jeu des enfans, lequel consiste à se frotter la poitrine avec une main, en même temps qu’on se frappe légèrement le front avec l’autre main, ces deux mouvemens conservant toujours leur différence, on frotte, ou frappe involontairement des deux mains à la fois. On sait aussi que, lorsque les émanations de quelque substance fétide frappent les narines, l’estomac éprouve une irritation violente, et est alors excité au vomissement. L’on sait encore qu’au moment où les poumons étant tout-à-fait consumés, il ne se fait plus d’expectoration par la toux, il survient un cours de ventre bientôt suivi de la mort du malade, L’on sait enfin que les maladies contagieuses, lorsqu’elles ne cèdent pas à des sueurs abondantes, se terminent aussi par un cours de ventre qui est presque toujours mortel. Ainsi, tout médecin qui a de la sagacité, tâchera d’exciter, par le moyen des mouvemens sur lesquels il peut quelque chose, ces autres mouvemens sur lesquels il ne peut rien, sinon à l’aide de ces corrélations dont nous parlons[78]. C’est ainsi que, par le moyen de la seule odeur des plumes brûlées, ou d’antres substances semblables, on guérit une suffocation de matrice.

Observation sur les maladies de nature opposée à la disposition naturelle du corps.

64. L’aphorisme d’Hippocrate, qui commence par ces mots : in morbis minus, etc. renferme une judicieuse et profonde théorie. Il nous apprend que les maladies de nature opposée à celle de la constitution du sujet, de son âge, de son sexe, de son régime, ou de la saison, sont plus dangereuses que celles qui y sont analogues. On seroit porté à penser au contraire que, dans le cas où la maladie et la disposition naturelle du sujet se prêtent, pour ainsi dire, un mutuel secours, la maladie doit être plus grave ; et elle l’est en effet, la quantité de la matière morbifique étant supposée la même dans les deux cas : mais ce qui appuie l’aphorisme, c’est que les maladies de ce genre indiquent l’accumulation d’une excessive quantité de matière ; cause dont l’effet peut être de changer la disposition naturelle du sujet en une toute opposée. Ainsi, dans une telle constitution de maladie, le médecin doit plutôt avoir en vue la purgation que l’altération[79].

Observation sur les préparations nécessaires avant la purgation, et sur la manière de rétablir complètement la santé.

65. Les médecins ont soin ordinairement de préparer le corps avant de le purger à fond ; précaution fort sage, car l’expérience prouve que les purgatifs sont très nuisibles, si l’on néglige certaines précautions, soit avant, soit après la purgation. L’inconvénient principal du défaut de préparation est la ténacité des humeurs, leur défaut de fluidité qui rend l’évacuation plus difficile ; ce qui occasionne dans toute l’habitude du corps de grandes perturbations, et quelquefois des accidens fâcheux, au moment où le purgatif agit. Un autre effet de cette négligence est que ce purgatif n’exerce pas toute sa force, et n’opère pas assez. Ainsi la préparation a deux objets : l’un, de mûrir les humeurs et de les rendre plus fluides ; l’autre, de relâcher la fibre, et d’ouvrir les émonctoires : double effet qui facilite l’évacuation. Les sirops sont ce qui va le plus directement au premier but ; et les apozémes, les bouillons prépaæatoires remplissent le second objet. Les lavemens ont aussi un double avantages ; ils font que les médicamens s’attachent moins aux intestins, et qu’ils détachent les matières avec moins de violence ; qu’ils ne les arrachent pas[80]. Mais la vérité est que la constitution des sujets gras et pleins d’humeurs, ainsi qu’un temps sec et serein, sont des préparations naturelles, ces causes rendant les humeurs plus fluides. Mais le médecin doit avoir l’attention de ne pas purger, par un temps de gelée, des sujets maigres et non préparés. Tous ces accidens fâcheux qui ont quelquefois lieu après la purgation, viennent de ce que les humeurs qui avoient trop de viscosité, se sont fixées dans des lieux différens des voies de la purgation. Car il est encore vrai que telles humeurs qui s’attachent à telles parties du corps, peuvent sans inconvénient s’y arrêter ; tandis que d’autres humeurs qui s’arrêteroient dans d’autres parties, et sur-tout dans les couloirs les plus étroits, y seroient très nuisibles. Ainsi, il sera bon, après la purgation, de faire usage d’apozêmes et de bouillons, mais un peu moins apéritifs que ceux dont on usoit avant la purgation, et de finir par des lavemens abstersifs, pour enlever les restes d’humeurs qui auront pu se porter dans la région inférieure du corps, et s’y attacher[81].

Expérience sur Les moyens d’arrêter le sang.

66. Il est divers moyens pour arrêter le sang. 1°. Les astringens et les répercussifs. 2°. En déterminant le sang et les esprits à l’intérieur ; effet qu’on obtient à l’aide d’un refroidissement subit ; c’est ainsi qu’on arrête un saignement de nez, en appliquant un morceau de fer ou une pierre sur la nuque du cou. On s’est aussi assuré par l’expérience qu’il suffit de plonger ses testicules dans de fort vinaigre, pour repousser vivement les esprits à l’intérieur, et arrêter le sang. Le troisième moyen est le mouvement rétrograde du sang, en vertu de la sympathie ; par exemple, on s’est assuré par l’expérience, que la partie qui saigne étant insérée dans le corps d’un chapon ou d’une brebis récemment tués et encore saignans, celui de la partie saignante s’arrête aussi-tôt ; effet qu’on peut expliquer on disant que le sang de cette partie suçant, pour ainsi dire, et absorbant celui de l’animal, qui vient à sa rencontre, et en vertu de l’analogie de ces deux substances, rétrograde par ce moyen, et s’arrête ensuite. 4°, L’habitude et le laps de temps ; ce fut ainsi que la première fois que le prince d’Orange fut assassiné par certain Espagnol, le sang qui sortoit de la plaie ayant surmonté tous les médicamens et toutes les ligatures, on parvint à l’arrêter à l’aide de plusieurs hommes qui tenoient le pouce appliqué sur la plaie, et qui se relayoient. Le cinquième moyen est de faire révulsion, en tirant le sang à la partie opposée.

Observation sur l’effet du changement d’alimens et de médicamens.

67. Le changement soit de médicamens, soit d’alimens, est utile, et il ne faut pas faire trop long-temps usage des mêmes. Le véritable inconvénient de l’uniformité est que la nature (le principe vital) éprouve alors une sorte de satiété ; ce qui émousse son appétit et son action. Nous voyons en effet que la seule habitude suffit pour ôter aux substances les plus nuisibles, par exemple, aux poisons mêmes, la faculté de nuire ; et il y a des individus qui, pour en avoir fait un fréquent usage, ont un estomac capable de les digérer. Il n’est donc point étonnant que les substances salutaires perdent, par le trop fréquent usage qu’on en fait, toute leur force auxiliatrice. Or, nous qui parlons ici, nous ne mettons aucune différence entre le changement et l’interruption ; car ce qu’on interrompt redevient nouveau au bout d’un certain temps.

Observation sur la diète.

68. L’expérience nous apprend que ce genre de traitement, où l’on administre le gayac, la salse-pareille, et d’autres substances analogues, incommode plus les malades dans les commencemens, que dans la continuation. Aussi voit-on alors la plupart des personnes susceptibles et délicates s’arrêter à moitié chemin, trompées par ce préjugé : que si les commencemens les font tant souffrir, beaucoup moins encore pourront-elles endurer un tel régime jusqu’à la fin. Mais la cause de ces douleurs ou incommodités qu’elles éprouvent d’abord, est que l’effet de ce genre de régime est d’évacuer les humeurs, les matières catarreuses ou autres semblables ; et il ne peut opérer l’évacuation de ces humeurs, s’il ne commence par les atténuer. Or, tant que l’humeur est atténuée, elle est plus fluide, et occasionne ces douleurs ou ces incommodités dont les malades se plaignent, et qui durent jusqu’à ce que l’humeur soit évacuée ou consumée. Ainsi, ils doivent attendre suffisamment, et il ne faut pas que les commencemens leur fassent perdre patience[82].

Expériences et observations diverses sur les moyens de produire le froid.

La production du froid est, sous plus d’un rapport, un objet digne de notre attention et de nos recherches, soit à cause des différens genres d’utilité qu’on en peut tirer, soit en vue de la simple connoissance des causes à laquelle peuvent conduire de telles recherches. Car le chaud et le froid sont les deux grands instrumens de la nature, et comme les deux mains avec lesquelles elle fait presque tout. La chaleur est, pour ainsi dire, sous notre main ; vu qu’à l’aide du feu, nous pouvons nous la procurer à volonté. Quant au froid, nous sommes réduits à l’attendre, ou à le chercher, soit dans les souterreins, soit sur les plus hautes montagnes ; et après avoir épuisé tous les genres de moyens que nous connoissons, encore ne pouvons-nous l’obtenir au plus haut degré. Car la chaleur des fournaises les plus ardentes surpasse infiniment celle du soleil ; mais le froid des glacières, ou des lieux les plus élevés, ne l’emporte que de bien peu sur celui d’un temps de gelée durant l’hiver.

69. Le premier moyen pour produire le froid, c’est celui que nous fournit la nature même ; je veux dire cette expiration (émanation) froide qui vient de l’intérieur de La terre, durant l’hiver, et dans les temps où la chaleur du soleil ne peut la surmonter. Car la terre (comme on l’a judicieusement observé) est le premier froid[83]. C’est un sentiment que prennent pour base les philosophes, tant anciens que modernes, Tel étoit du moins celui de Parménide, et de l’auteur de cette dissertation sur le premier froid, qu’on trouve parmi les œuvres de Plutarque (car nous ne reconnoissons point cet écrivain pour l’auteur de ce traité). Tel étoit aussi le sentiment de Télèze, qui a renouvelé la philosophie de Parménide, et que, dans cette partie de la philosophie, on met au premier rang parmi les modernes.

70. La seconde cause de la production du froid, c’est le contact d’un corps actuellement froid ; car le froid est actif, et passe, ainsi que la chaleur, dans les corps adjacens ; comme le prouve le refroidissement de tout corps qui est en contact avec la neige ou tout autre corps froid. Ainsi, tout homme qui s’est consacré à l’étude de la nature, doit tourner ses regards et son attention vers ces souterreins où l’on conserve de la neige ou de la glace, et dont se prévaut un luxe raffiné, pour se procurer à volonté du rafraîchissement durant l’été ; genre d’utilité qui n’est rien moins que précieux, et que nous devons perdre de vue, pour nous attacher uniquement à ces autres usages plus importans et plus philosophiques qu’on peut tirer des glacières.

71. La troisième cause de froid, c’est la nature primaire de tout corps tangible. En effet, une observation qui mérite de fixer l’attention, c’est que tout corps tangible est naturellement froid, et que, lorsqu’il devient chaud, il doit cette chaleur, qui lui est étrangère, au feu, à l’action vitale, au mouvement. Car l’esprit de vin même, et les huiles chymiques (les acides minéraux, végétaux et animaux), dont la vertu se manifeste par une action si puissante, ne laissent pas d’être froids au tact. Et l’air comprimé, condensé par le souffle de la bouche, contracte aussi quelque foible degré de froid.

72. La quatrième cause est la densité des corps ; car les corps denses, tels que les métaux, les pierres et le verre, sont plus froids que les corps rares, et sont aussi plus lents à s’échauffer que les corps de la dernière espèce. En un mot, il n’est pas douteux que la terre, que tout corps dense et tangible participe naturellement de la nature du froid ; et la raison en est que toute matière tangible étant naturellement froide, il s’ensuit nécessairement que toute matière plus compacte doit aussi produire un plus grand froid[84].

73. La cinquième cause du froid, ou plutôt une cause qui lui donne plus d’intensité, ce sont des esprits très vifs et très mobiles, renfermés dans le corps froid ; comme tout homme capable de contempler la nature avec des yeux attentifs, peut s’en assurer par une infinité d’exemples, C’est ainsi que le nitre, qui est doué d’un esprit actif et vigoureux, est froid, et produit sur la langue une sensation de froid plus intense que la pierre. L’eau est plus froide que l’huile, parce qu’elle contient des esprits plus mobiles[85]. Toutes les huiles, quoiqu’elles aient des parties tangibles mieux digérées[86] que celles de l’eau, ont cependant des esprits moins mobiles et moins actifs. La neige est aussi plus froide que l’eau, parce qu’elle contient une plus grande quantité de ces esprits[87].

Il n’est pas moine évident que le sel mêlé avec la glace (comme il l’est dans l’expérience de la congélation artificielle) ; augmente l’intensité et les effets du froid. De même encore certains insectes qui ont des esprits vitaux fort actifs, tels que les anguilles, les vers à soie, paroissent froids au tact ; de même encore le mercure, qui abonde en esprits, est le plus froid de tous les métaux.

74. La sixième cause du froid est la répulsion et la fuite des esprits qui ont un certain degré de chaleur ; car la conséquence nécessaire de l’expulsion de la chaleur, est de laisser froid le corps d’où on l’a expulsée[88]. Cette conséquence devient sensible à la vue, par l’effet que produisent l’opium et les substances narcotiques, lorsqu’ils agissent sur les esprits animaux. Une autre expérience qu’on pourroit faire à ce sujet, ce seroit de mettre de l’opium sur la partie supérieure d’un thermomètre[89], afin de voir si l’air ne se contracteroit pas ; mais je doute fort du succès. Car outre que l’opium ne pénétreroit pas aisément à travers l’épaisseur d’un vaisseau d’une telle matière, mon sentiment est que si l’opium et les autres substances analogues repoussent et chassent les esprits, c’est plutôt en vertu d’un certain caractère de malignité, que par leur extrême froideur.

75. La septième cause est l’évaporation et l’extraction des esprits ; effet entièrement semblable à celui qui résulte de leur répulsion. Il est un préjugé fort accrédité qui a fait croire que la lune est douée d’une certaine vertu magnétique qu’elle exerce sur la chaleur, comme le soleil exerce la sienne sur le froid et l’humidité. C’est une conjecture qu’on pourroit vérifier, à l’aide de deux quantités d’eau parfaitement égales et également chaudes, en exposant l’une aux rayons lunaires, et en plaçant entre l’autre et ces rayons, un corps qui fit ombre, et équivalent à un parasol ; puis il faudroit voir laquelle de ces deux eaux se refroidiroit le plus vite. Enfin, il faut tâcher de découvrir un moyen pour extraire de l’air ce foible degré de chaleur qui s’y trouve naturellement. Ce seroit une découverte admirable, et qui serviroit à refroidir à volonté la température de l’atmosphère.

Expériences et observations diverses sur la conversion de l’air en eau.

Dans les articles précédens (n°. 27), nous avons décrit un procédé pour convertir l’air en eau. Mais, comme il s’agit ici d’un des plus profonds mystères de la nature, et qui, une fois dévoilé, mettroit en état de produire de puissans effets, et seroit susceptible d’une infinité d’applications utiles, nous allons donner quelques exemples qui répandront plus de jour sur cette matière.

76. Au rapport de quelques anciens, les marins avoient coutume de suspendre chaque nuit, des toisons aux côtés de leurs vaisseaux, en tournant la laine du côté de l’eau, et le matin ils en exprimoient de l’eau douce pour leurs usages[90]. Nous nous sommes assurés, par notre propre expérience, que si l’on descend dans un puits un peu profond une certaine quantité de laine médiocrement pressée, et que, pendant une nuit d’hiver, on la tienne suspendue à trois brasses de la surface de l’eau, son poids augmente d’un cinquième, si notre mémoire ne nous trompe point.

77. Un ancien auteur rapporte qu’en Lydie, près de Pergame, certains ouvriers, durant la guerre, s’étant réfugiés dans des grottes, dont l’entrée fut ensuite bouchée par les ennemis, ils y moururent de faim ; mais que long-temps après, leurs os et les vases qu’ils avoient portés avec eux, se trouvèrent remplis d’eau ; enfin, que cette eau étoit plus épaisse que l’eau ordinaire, et avoit plus d’analogie avec la glace. C’est un exemple frappant de condensation, et de ce genre de durcissement qu’on peut opérer en tenant des corps dans des souterreins pendant un long espace de temps. C’en est un aussi (du moins selon nous) de la conversion de l’air en eau ; en supposant toutefois que ces vaisseaux fussent vuides au moment qu’ils furent apportés dans la grotte[91]. Ainsi, pour faire une expérience équivalente à celle-là, suspendez dans la neige une petite vessie, et une autre vessie égale dans le nitre ; enfin, une troisième encore égale dans le mercure ; et alors si vous trouvez que ces vessies se soient désenflées ou contractées, tenez pour certain que l’air y a été condensé par le froid de ces corps, comme il pourroit arriver dans un souterrein[92].

78. Des auteurs dignes de foi prétendent qu’un vase rempli d’eau et sans couvercle, placé dans un endroit où l’on tient des clous de girofle, se trouvera, au bout de ving-quatre heures, entièrement vuide ; en supposant même qu’il soit placé à quelque distance des clous de girofle. Souvent les gens de la campagne suspendent des seaux pleins d’eau parmi des tas de laine récemment tonte, pour augmenter le poids de cette laine, et tromper les acheteurs, Mais il se pourroit que les parties aqueuses fussent attirées par un reste de chaleur venant du corps de la brebis, et qui se seroit conservée dans la laine ; ou encore par ce foible degré de chaleur que l’air contracte lorsqu’il est un peu à l’aise, comme dans cette laine ; mais alors cet effet n’auroit plus rien de commun avec la transmutation dont nous parlons.

79. Un autre auteur, également digne de foi, rapporte que de la laine récemment tonte ayant été mise par hazard sur un vaisseau rempli de verjus, en absorba, en fort peu de temps, la plus grande partie, quoiqu’il n’y eût aucune fente au vaisseau, et que son ouverture fût bien fermée. Ce qu’il y a de plus remarquable dans ce dernier exemple, c’est la filtration, la succion du verjus à travers le bois ; car de lui-même ce verjus n’auroit pu pénétrer dans ce bois ; mais il paroît que, pour pouvoir passer à travers, il falloit qu’il se fût d’abord converti en une espèce de vapeur.

80. Ce qu’il faut principalement chercher, en analysant toutes ces observations, c’est la cause qui opère cette conversion de l’air en eau ; vu que l’air renfermé dans les corps tangibles n’y est point dans un état de densité, mais qu’il y est disséminé et distribué par petites parties (comme nous l’avons souvent observé), parce qu’il règne entre l’air et les corps tangibles une telle antipathie, que si ces derniers trouvent à leur portée un autre corps plus dense que ce fluide, ils l’attirent ; puis, après l’avoir attiré, le rendent encore plus dense, et enfin se l’incorporent réellement. Nous voyons en effet qu’une éponge, de la laine, un morceau de sucre, une lisière de drap, qu’on plonge par l’une de ses extrémités dans du vin ou de l’eau, pompe une partie de cette liqueur, et élève au-dessus de son niveau cette partie qu’elle a ainsi attirée. Un autre effet non moins sensible, c’est l’augmentation de volume et le renflement du bois, des cordes de luth, et d’autres corps de cette nature, occasionnés par l’humidité[93] ; comme le prouve la rupture des cordes, la difficulté de tourner les chevilles, de lever le couvercle de certaines boîtes, d’ouvrir les fenêtres et les portes à coulisses dans les temps humides ; tous effets d’une sorte d’infusion dans l’air humide ; effets très analogues à ceux de l’infusion dans l’eau ; l’eau alors répandue dans l’air faisant renfler le bois, comme nous en sommes assurés en voyant les fentes et les gerçures des boules disparoître, lorsqu’on les tient plongées dans l’eau pendant un certain temps. Mais cette partie de notre expérience se rapporte à l’altération, et doit être renvoyée au chapitre où ce sujet sera traité ex-professo.

81. La conversion de l’air en eau est encore sensible dans l’exemple des marbres, ou pierres d’une autre espèce, et dans les portes, lambris, parquets, etc. qui suent dans un temps humide.

La vraie cause de ce phénomène paroît être ou l’humidité que fournit le corps même, ou l’air humide et condensé dans un corps solide ; mais on doit plutôt l’attribuer à cette dernière cause ; car durant les nuits fort humides, le bois peint à l’huile se couvre plus promptement de gouttes d’eau que le bois ordinaire ; ce qui vient du poli et de la densité de l’enduit, qui n’admet aucune vapeur, et qui, après avoir repoussé les parties aqueuses, les condense sous la forme d’une rosée[94]. On sait de plus que l’haleine poussée contre le verre, ou tout autre corps poli, y forme également une espèce de rosée, et que, durant ces gelées du matin, connues sous le nom de gelées blanches, de petites gouttes d’une semblable rosée s’attachent au côté intérieur des carreaux de vitre, Et ces frimats mêmes dont la terre est alors couverte, ne sont autre chose qu’une transformation, une condensation par laquelle les vapeurs humides de la nuit se convertissent en une substance aqueuse. De même la pluie et la rosée ne sont qu’une espèce de transformation inverse, de retour des vapeurs humides à l’état aqueux, par l’effet de la simple condensation. La rosée ne vient que de l’absence du soleil, d’où résulte un froid médiocre ; mais la pluie a pour cause ce froid plus âpre qui règne dans ce qu’on appelle la moyenne région de l’air.

82. Il est très probable, comme nous l’avons dit, que tout ce qui peut convertir l’eau en glace, peut aussi, jusqu’à un certain point, convertir l’air en eau, en rapprochant encore davantage les parties de ce fluide, Ainsi cette expérience de la conversion artificielle de l’eau en glace (dont nous avons parlé ailleurs), on peut l’appliquer à l’air, en le substituant à l’eau, et l’environnant aussi de glace. Et quoique la conversion de l’air en eau soit un genre d’altération beaucoup plus grande que la conversion de l’eau en glace, cependant il ne faut pas désespérer qu’à force de temps la première ne puisse aussi être opérée ; car cette conversion de l’eau en glace étant l’affaire de quelques heures, on pourroit tenter la conversion de l’air, en y employant un ou plusieurs mois.

Expériences et observations diverses sur le durcissement des corps.

Un autre genre de consolidation dont nous devons parler, c’est le durcissement et la pétrification des substances molles ; genre d’altération qui est d’une grande influence dans la nature. Or, cet effet, et les différens moyens de l’accélérer, méritent aussi d’être l’objet de nos recherches. On peut l’opérer par trois genres de moyens. 1°. Par le froid, dont l’effet propre et direct est de condenser, de resserrer, de contracter, comme nous l’avons déjà observé, 2°. Par la chaleur, dont ce durcissement n’est pas l’effet propre et direct, mais seulement l’effet médiat et la simple conséquence ; car la chaleur atténue ; après avoir atténué, elle chasse au dehors les esprits et les parties les plus humides du composé : puis les parties les plus tangibles et les plus grossières se rapprochent les unes des autres, de peur que le vuide n’ait lieu (pour nous servir de l’expression reçue), et afin de se fortifier, pour ainsi dire, contre la violence du feu qu’elles ont déjà enduré. 3°. Par l’assimilation, qui a lieu lorsqu’un corps dur s’assimile un corps mou et contigu. Les exemples de durcissement pris au hazard, sont assez variés : telle est la génération des pierres dans le sein de la terre ; pierres qui n’étoient d’abord qu’une terre grasse, qu’une argile grossière, Il en faut dire autant des minéraux qui proviennent d’abord (comme on n’en peut douter) de la concrétion de certains sucs : composé qui ensuite se durcit par degrés ; ainsi que des vases de porcelaine, matière qui n’est autre chose qu’un ciment artificiel, qui a été long-temps enfoui[95]. Telles sont aussi les briques, les tuiles, et le verre qui est formé d’un certain sable, de racines concassées et d’autres matières. Tels sont encore les diamans qu’on trouve dans les roches, et qui ne sont que des espèces d’exsudations, ainsi que les crystaux qui n’acquièrent cette grande dureté qu’à force de temps ; tel enfin l’ambre jaune, lequel ne fut d’abord qu’une substance molle, qui s’est ensuite durcie, comme on le voit par ces mouches et ces araignées qu’on y trouve renfermées ; et il en est de même d’une infinité d’autres substances. Mais ces cinq points méritent d’être traités plus en détail, et chacun à part.

83, Quant à ce genre de durcissement, qui est l’effet du froid, on en voit peu d’exemples ; car, à la surface de notre globe, continuellement exposée aux rayons du soleil, on ne trouve point de froid qui ait beaucoup d’âpreté et d’intensité. L’expérience qui convient le mieux ici, c’est celle qu’on peut faire à l’aide de la neige et de la glace ; deux substances qui, pour peu qu’on renforce leur action, en y mêlant du nitre ou du sel commun, suffisent pour convertir l’eau en glace[96], et cela en peu d’heures. Peut-être même, si l’on y mettoit un peu plus de temps, pourroient-elles convertir en pierre le bois ou l’argile dure. Ainsi, dans un de ces puits où l’on conserve de la neige et de la glace (dans une glacière), en ajoutant à ces deux matières une certaine quantité de nitre et de sel commun, mettez un petit morceau de bois ou d’argile très visqueuse, et laissez-les dans ce lieu pendant un mois, on plus[97].

84. Faites un autre essai tendant au même but, à l’aide des eaux métalliques, qui sont douées d’une sorte de froid potentiel (qui ont la faculté de refroidir, ou de produire des effets analogues à ceux du froid). Plongez, par exemple, un morceau de bois ou d’argile dans une eau où vous aurez fait éteindre du fer ou quelque autre métal, et voyez si, après un espace de temps raisonnable, il s’est durci sensiblement. Mais quand je dis des eaux métalliques, je ne parle que de celles qu’on peut obtenir par voie de lotion ou d’extinction, et point du tout de ces eaux beaucoup plus chargées de parties métalliques, qu’on obtient par voie de corrosion ou de dissolution ; ces dernières étant trop corrosives pour avoir la faculté de consolider.

85. C’est un fait désormais bien constaté qu’il existe des sources naturelles qui ont la propriété de pétrifier le bois ; comme il est aisé de s’en assurer par soi-même, en observant ce qui arrive à une petite verge de bois, en partie plongée dans une telle eau ; car on voit alors que la partie qui reste hors de l’eau, conserve sa nature ligneuse, tandis que celle qui est plongée, se convertit en une sorte de pierre sabloneuse : selon toute apparence, les eaux de cette espèce contiennent des particules métalliques[98]. Mais, pour faire, sur un tel sujet, une recherche vraiment complète, il faudroit descendre aux plus petits détails, et avoir égard aux plus légères différences[99]. Au reste, un autre fait suffisamment vérifié, c’est qu’un œuf qui étoit resté au fond d’un fossé, durant plusieurs années, et qu’un peu de terre qu’on avoit jeté dessus par hazard, avoit dérobé à la vue, étoit devenu d’une dureté égale à celle de la pierre ; les couleurs distinctes du blanc et du jaune s’y étoient conservées ; et la coque, toute éclatante, présentoit une infinité de petits points brillans, comme le sucre ou l’albâtre.

86. Un autre exemple de ce durcissement des corps par le moyen du froid, mais qui est déjà connu, c’est celui de la trempe des métaux, qui consiste à les chauffer d’abord, et à les plonger en suite dans l’eau froide[100], opération qui augmente considérablement leur dureté, car alors l’action du froid est singulièrement renforcée par la chaleur qui l’a précédée[101].

87. Il faut fixer aussi son attention sur ce genre de durcissement, qui est produit par la chaleur, dont l’effet est ou de durcir le corps, en faisant évaporer ses parties humides, comme on en voit un exemple dans les briques ou les tuiles ; ou, si elle est plus forte, de liquéfier même les parties les plus dures, comme on l’observe dans le produit ordinaire du travail des verreries, ainsi que dans la vitrification des parties intérieures des fourneaux ; enfin, dans celles des briques et des métaux. Dans la première de ces deux opérations, qui est un durcissement par voie de coction, sans liquéfaction, la chaleur produit graduellement trois effets différens ; 1°. elle durcit ; 2°. elle rend fragile ; 3°. elle réduit en cendres et calcine.

88. Mais voulez-vous obtenir un durcissement joint à un certain degré de tenacité ; c’est-à-dire, à une moindre fragilité, il faut prendre une sorte de milieu entre le chaud et le froid, voie moyenne qu’Aristote a indiquée, mais sans l’avoir tentée lui-même ; je veux dire qu’il faut faire subir aux corps une sorte de coction dans l’eau bouillante, pendant trois ou quatre jours. Mais il faut choisir pour cela des corps tout-à-fait impénétrables à l’eau, comme les pierres, les métaux, etc. car si l’on prenoit des corps où l’eau pût s’insinuer, l’effet de cette longue coction seroit plutôt de les amollir que de les durcir. C’est pourquoi il faut mettre les corps mous dans des bouteilles de terre, et suspendre ces bouteilles dans l’eau bouillante, en laissant leurs orifices débouchés, et les tenant suffisamment élevés au-dessus de l’eau, de peur que ce fluide ne puisse s’y glisser ; à l’aide de cette précaution, ce qui entrera dans les bouteilles, ce sera seulement la chaleur potentielle de l’eau, chaleur dont l’effet n’est rien moins que d’augmenter la fragilité des corps ; mais la substance même de l’eau n’y entrera point.

Or, cette expérience que nous indiquons ici, nous l’avons autrefois tentée nous-mêmes, et tels en furent les résultats. Ayant mis dans une marmite remplie d’eau bouillante, un fragment de pierre de taille et un morceau d’étain, nous trouvâmes que la pierre s’étoit un peu pénétrée d’eau ; car elle étoit plus molle et plus aisée à entamer en grattant, qu’un autre morceau de la même pierre qui étoit resté sec ; l’étain, qui étoit demeuré impénétrable à l’eau, étoit devenu plus blanc et d’une couleur qui approchoit de celle de l’argent ; mais il étoit beaucoup moins flexible qu’auparavant. De même ayant mis dans une bouteille, suspendue comme nous venons de le dire, une boule d’argile de grandeur raisonnable, et un morceau de fromage, avec un petit morceau de craie et un fragment de pierre de taille, nous fîmes les observations suivantes : l’argile égaloit en dureté la pierre même ; le fromage étoit aussi devenu beaucoup plus dur et assez difficile à couper ; et il en étoit de même de la craie et du fragment de pierre de taille. La couleur de l’argile ne ressembloit point du tout à celle de la brique cuite ; elle approchoit plutôt de ce blanc que produit ordinairement l’insolation.

N. B. Que toutes ces expériences dont nous parlons furent faites à un feu assez vif et assez grand : lorsque toute l’eau étoit consumée, on remettoit de nouvelle eau, mais déjà chaude. La coction fut soutenue pendant douze heures ; et il est assez probable que si on l’eût fait durer deux ou trois jours, on auroit obtenu des effets encore plus marqués, comme nous l’avons dit dans les numéros précédens[102].

89. Quant au durcissement, par voie d’assimilation (car on observe, même dans les corps inanimés, un certain degré d’assimilation), on en peut juger par l’exemple de ces pierres qui se trouvent enchâssées dans une terre argileuse, près de la surface du sol ; région où l’on trouve quelquefois des cailloux dans lesquels on distingue trés bien des assemblages d’autres cailloux séparés seulement par une croûte de ciment ou de substance pierreuse, dont la dureté égale presque celle du caillou. Il seroit bon de faire quelque tentative sur ce sujet, afin de voir si une masse d’argile, de grandeur convenable, et où l’on auroit inséré différens cailloux, deviendroit, après un long espace de temps, plus dure qu’une autre portion d’argile prise dans la même masse, et où l’on n’auroit pas mis de cailloux. Nous voyons aussi, dans les débris des vieux murs et sur-tout dans la partie inférieure, que le ciment devient aussi dur que la pierre. On observe encore que les parois des futailles et autres vaisseaux de bois qui ont été remplis de vin, sont couverts d’une croûte de tartre qui l’emporte par sa dureté sur le bois même. Enfin, certaines écailles qui se forment sur les dents, paroissent être d’une substance plus dure que la dent même.

90. Mais les sujets où ce genre de durcissement, qui résulte de l’assimilation, se manifeste le plus sensiblement, ce sont les corps animés. Car aucune des substances dont se nourrissent les arbres et les animaux, n’égale en dureté le bois, les os, la corne, etc. Cependant une partie de ces substances se durcit ensuite par le seul effet de l’assimilation[103].

Observation relative à la conversion de l’eau en air.

91. L’œil de l’entendement ressemble, sous plus d’un rapport, à l’œil du corps ; et comme, dans un instrument d’optique ou de mathématique, on peut, par une fente très étroite ou un trou fort petit, apercevoir les plus grands objets, ce sont aussi les faits en apparence les plus vils et les plus méprisables, qui rendent le plus sensibles à l’œil de la raison, les principes les plus élevés et les plus profonds mystères de la nature. Parmi les objets visibles, il n’en est point où cette soudaine déprédation que l’air exerce sur l’humor aqueux, soit aussi sensible qu’elle le devient par la promptitude étonnante avec laquelle se résout et s’évanouit cette espèce de petit nuage qui se forme quand on pousse son haleine, ou toute autre vapeur, contre le verre ou une lame d’épée, ou tout autre corps poli qui n’est pas susceptible de retenir cette vapeur et de s’en pénétrer ; car ce petit nuage, ce brouillard si léger est enlevé rapidement et se dissipe aussitôt. Or, si une vapeur de cette espèce, lorsqu’elle est grasse et huileuse, ne se dissipe pas de même, ce n’est pas qu’elle adhère avec plus de force que la vapeur aqueuse, à la surface du corps poli, mais parce que, dans ces déprédations dont nous parlons, c’est l’air qui s’empare de l’eau, au lieu que c’est le feu ou la flamme qui s’empare de l’huile. Aussi voyons-nous que, pour lever une tache d’huile ou de graisse, on emploie un charbon enveloppé dans du papier brouillard[104] ; car alors le feu agit sur la substance grasse comme l’air agit sur l’eau. Nous voyons aussi que le papier imbibé d’huile, ou le bois qui en est enduit, ou tout autre corps semblable dont la surface est grasse, conserve très long-temps son humidité ; au lieu que, s’il est imbibé d’eau, il se sèche ou se putréfie plus promptement. La vraie cause de cette différence est que l’air se mêle difficilement avec l’humor huileux.

Observation sur la force de cohésion.

92. Ce qui est vraiment fait pour exciter l’étonnement, c’est que cet exemple, en apparence si peu important, du petit nuage qui se forme sur le verre, sur le diamant, ou sur une lame d’épée, soit suffisant pour démontrer l’énergie de la force de cohésion, même dans la plus petite quantité de matière, dans les corps les plus ténus, et pour montrer combien elle contribue à la conservation de la forme actuelle dans un corps, et à la résistance qu’il oppose à l’introduction d’une nouvelle. Car, si vous observez avec un peu plus d’attention ce petit nuage dont nous parlons, vous verrez que c’est toujours par les bords qu’il commence à se dissiper, et que la partie qui se dissipe la dernière est celle du milieu. Nous voyons encore que l’eau, employée en grande quantité dans une infusion, extrait le suc du corps qu’on y fait infuser, mais que ce corps se pénètre et s’imbibe aussi d’une partie de cette eau. Et c’est principalement par cette raison que, dans l’opération où les corps sont transformés ou altérés, les résultats de l’expérience faite en grand, sont tout autres que ceux de la même expérience faite en petit ; ce qui trompe souvent l’attente, ou fait illusion[105]. Car un corps d’une plus grande masse, comme nous l’avons dit, résiste davantage à l’altération de sa forme, et exige de la part de l’agent une plus grande force pour surmonter cette réaction.

Expérience tendant à changer la couleur des poils dans les animaux terrestres ; et celle des plumes dans les oiseaux.

93. Dans l’expérience, n°. 5, nous avons attribué les couleurs vives du plumage des oiseaux à la finesse du filtre à travers lequel passe l’humeur excrémentitielle dont ces plumes sont formées ; dans celle-ci, nous tâcherons d’appliquer ce principe à la pratique. Car notre Sylva Sylyarum n’est point, à proprement parler, une histoire naturelle, mais plutôt une sorte de magie naturelle d’un genre plus élevé, attendu que, non contente de décrire la nature, elle analyse ses plus grandes opérations pour mettre l’homme en état de les imiter[106]. Ainsi, pour revenir à notre sujet, vous oindrez des pigeons ou d’autres oiseaux, quand ils n’auront encore que le duvet, ou des animaux terrestres presque naissans, par exemple de petits chiens, en les tondant autant qu’il sera possible ; mais ayez soin d’employer, pour cette onction, une substance qui n’ait aucune qualité nuisible à la chair de l’animal, et qui de plus soit de nature à se durcir et à adhérer fortement ; puis voyez si ce moyen suffit pour changer la couleur des plumes ou des poils. C’est un fait désormais constaté que, si l’on arrache aux oiseaux les premières plumes qui paroissent, il en repousse de nouvelles et de couleur blanche. Il est certain aussi que cette couleur blanche vient d’un certain appauvrissement et d’un défaut d’humidité ; c’est ainsi que les violettes, dont la couleur naturelle est le bleu, pâlissent et deviennent blanches quand elles se fannent. L’âge et des cicatrices font blanchir les plumes des oiseaux et le crin des chevaux ; les mêmes causes, dans l’homme, produisent le même effet. Il est donc fort probable que, si les premières plumes des oiseaux sont souvent de couleurs si différentes, cette diversité dépend de celle de leur tempérament et du plus ou moins de porosité de leur peau. Mais lorsque cette peau est plus ferme, alors les plumes deviennent blanches. Cette expérience que nous venons d’indiquer, seroit d’une grande utilité, non-seulement pour varier à volonté, et d’une manière très curieuse, la couleur des oiseaux et des animaux terrestres, mais encore pour pénétrer plus profondément dans la nature de la couleur en général, et pour distinguer celles qui exigent des pores plus grands ou plus étroits.

Observation sur les différentes manières dont se nourrissent les animaux avant de naître.

94. En vertu d’une admirable disposition de la divine providence, disposition judicieusement observée par certains auteurs, le jaune de l’œuf contribue peu à la génération de l’oiseau, et est presque uniquement destiné à sa nourriture ; car si l’on dissèque un poulet nouvellement éclos, on y trouve une grande partie de ce jaune ; de plus, il est de toute nécessité que les oiseaux, qui sont engendrés hors de la matrice, trouvent dans l’œuf et une substance dont leurs corps puissent se former, et une autre substance dont ils puissent se nourrir. Car une fois que l’œuf est pondu et séparé du corps de la femelle, il n’en tire plus aucun aliment, mais seulement une chaleur vivifiante qu’elle lui communique par l’incubation. Au lieu que l’homme et les autres animaux terrestres n’ont besoin d’aucun aliment intérieur, vu qu’ils sont engendrés dans la matrice même de la femelle, d’où ils tirent, par une action continue, la substance qui les nourrit.

Observations et expériences diverses sur la sympathie et l’antipathie, appliquées aux usages de la médecine.

95. C’est une opinion reçue et fort ancienne, que les cantharides appliquées à telle ou telle partie du corps, affectent la vessie, et peuvent même l’ulcérer, si on les tient trop long-temps dessus. Un fait auquel on ajoute foi aussi, c’est qu’une certaine pierre apportée des Indes orientales, en Angletere, avoit une vertu particulière pour pousser hors des rheins ces calculs qui s’y forment, et même pour les dissoudre : en sorte qu’appliquée au carpe de la main, elle chassoit par bas ces calculs avec tant de force, que la violence même de cette action obligeoit de l’ôter de temps en temps.

96. Une autre opinion également reçue et confirmée par une expérience journalière, c’est que les plantes des pieds ont une relation très étroite avec la tête et l’orifice de l’estomac, Aussi, lorsque les personnes accoutumées à porter des chaussures, marchent nuds pieds, ces deux autres parties sont-elles affectées[107]. Les poudres de nature chaude, appliquées aux plantes des pieds, ont le double effet d’atténuer d’abord la matière d’un rhume, et d’en provoquer ensuite l’évacuation. C’étoit d’après la connoissance de cette relation, qu’un médecin, un peu charlatan, qui, par des airs mystérieux, tâchoit de faire valoir les secrets de l’art, recommandoit pour le rhume, de se promener continuellement dans une allée semée de camomille, faisant entendre couvertement qu’il falloit mettre de la camomille dans ses pantoufles. C’est en vertu de cette même relation, que des pigeons récemment ouverts et encore saignans, étant appliqués à la plante des pieds, guérissent le mal de tête ; et que les narcotiques appliqués à la même partie, provoquent le sommeil.

97. Il paroît que cette même sympathie qui existe entre les plantes des pieds et la tête, a lieu également entre les mains (sur-tout les carpes) et le cœur, puisque le pouls indique très sensiblement les affections et les maladies du cœur ou des esprits. On s’est également assuré par l’expérience que le suc de giroflée, de rose-campian, d’ail, ou d’autres plantes analogues, appliqué aux carpes des mains, et renouvelé de temps en temps, peut guérir des maladies chroniques. Nous pensons qu’il seroit encore utile de se laver les mains dans certaines liqueurs ; et c’est aussi un assez bon remède pour les fièvres-chaudes, que de tenir dans ses mains des œufs d’albâtre ou des boules de crystal. Mais nous entrerons dans de plus grands détails sur ce sujet, lorsque nous traiterons ex-professo de la sympathie et de l’antipathie.

Observation sur les procédés les plus secrets de la nature.

98. Les connoissances humaines ont été jusqu’ici bornées aux choses qu’on peut voir et observer ; en sorte que tout ce qui échappe à la vue, à cause de la petitesse d’un corps pris entier, ou de ses parties, et de la subtilité des mouvemens, a été mal approfondi. Ces objets imperceptibles sont pourtant ce qui joue le principal rôle dans la nature ; si on les néglige, il est impossible de faire l’analyse complète des phénomènes, de connoître la vraie marche de la nature, et de l’imiter. Les esprits, ou substances pneumatiques, qui résident dans tous les corps tangibles, sont à peine connus. Tantôt on leur donne le nom de vuide, quoiqu’ils soient, dans chaque composé matériel, ce qu’il y a de plus actif ; tantôt on les prend pour l’air, dont ils diffèrent étonnamment, et autant que le vin diffère de l’eau ; ou l’eau, de la terre. Quelquefois on s’imagine que c’est le feu naturel, ou une portion du feu élémentaire, quoique tel de ces esprits soit d’une nature crue et froide. D’autres fois, enfin, on les qualifie de vertus ou de qualités invisibles des corps tangibles et visibles, quoique ces esprits soient de vraies substances ; et lorsqu’il est question des plantes ou des animaux, on leur donne le nom d’âmes[108]. On s’amuse de ces spéculations superficielles, comme d’une perspective qui montre les objets dans l’éloignement, mais seulement en peinture ; et cette question ne s’arrête point aux mots, mais elle envisage un sujet très réel, très matériel, et qui a un fondement très solide dans la nature. Car ces esprits, après tout, ne sont autre chose que les corps naturels mêmes, mais plus ou moins raréfiés et renfermés dans les corps tangibles, qui leur servent comme d’enveloppe, de vêtement. Ils ne diffèrent pas moins les uns des autres que ces parties mêmes qui sont denses et tangibles ; ils résident dans tous les corps tangibles, et dans la plupart de ces corps ils sont toujours en action. Ces esprits sont le principal agent qui opère la dessiccation, la liquéfaction, la concoction, la maturation, la putréfaction, et les principaux effets de la nature. Car, comme dans l’ouvrage portant pour titre : de la Sagesse des anciens, nous avons figuré allégoriquement ces esprits sous la fable de Proserpine ; vous trouverez que, dans la région infernale, Pluton ne fait presque rien, et que c’est Proserpine qui fait presque tout[109], attendu que les parties tangibles des corps sont inertes et comme stupides, et que ce sont les esprits qui font tout. Lorsqu’il a été nécessaire de marquer les différences des parties tangibles, l’industrie des chymistes a su répandre quelque jour sur cette matière, en séparant, à l’aide des distillations et autres procédés de décomposition, les parties huileuses, d’avec les parties crues ; les pures, d’avec les impures ; les parties ténues, d’avec les plus grossières ; et ainsi des autres élémens constitutifs. Les médecins se contentent de savoir que les simples et les drogues sont composés de parties de différente espèce ; que l’opium a des parties qui diminuent la sensibilité, et d’autres qui échauffent ; que les dernières provoquent les sueurs, et les premières, le sommeil ; que la rhubarbe est composée de parties purgatives et de parties astringentes, Quant à des recherches approfondies et complètes sur ce sujet, c’est ce qu’on a fort négligé : et ce que nous avons en ce genre se réduit à bien peu de chose, Il en faut dire autant des différences plus délicates des petites parties de chaque composé, et de leur arrangement dans le tout ; deux causes qui produisent de si puissans effets ; on n’a observé ni toutes ces parties, ni tous leurs mouvemens, qui ont tant d’influence ; omission qui vient de ce que ces mouvemens et ces parties sont invisibles et échappent à l’observation : ce n’est qu’à l’aide d’expériences imaginées ad hoc, qu’on peut les rendre sensibles par leurs effets : conformément à cette réponse fameuse de Démocrite ; comme on lui reprochoit d’avoir avancé que le monde est composé d’atomes semblables à ceux qu’on voit voltiger au soleil : l’existence de l’atome, répondit-il, est invinciblement démontrée par l’expérience et la raison ; quant à l’atome lui-même, jamais mortel ne le vit. Ainsi, ce mouvement tumultueux qui s’excite dans les parties des solides, lorsqu’on les comprime, et d’où résulte l’expulsion des petites parties, qui ensuite se répandent dans l’air ; mouvement qui est aussi la cause des autres mouvemens méchaniques, comme nous l’avons déjà fait entendre, et comme nous l’expliquerons plus amplement dans le lieu convenable ; ce mouvement intestin, dis-je, n’est pas sensible à la vue. C’est pourtant l’ignorance sur tous ces points, c’est cette insonciance et cet esprit superficiel qu’on porte dans de telles recherches, qui fera que vous ne pourrez jamais découvrir, et beaucoup moins encore produire grand nombre de mouvemens méchaniques. Quant à ce qui regarde ces mouvemens qui ont lieu dans l’intérieur des corps, mouvemens d’où résultent les effets dont nous venons de parler, ainsi que ces actions que les esprits exercent sur les parties tangibles, et d’où résultent la dessiccation, la liquéfaction, la concoction, la maturation, etc. c’est un sujet qu’on n’a pas encore traité complètement. Mais on se tire d’affaire ordinairement en les désignant par les noms de facultés naturelles, d’actions, de passions, ou d’autres semblables, qui ne sont que des termes de logique, et l’on en reste là.

Observation sur l’action puissante du feu et de la chaleur.

99. Il est certain que la chaleur est la plus grande de toutes les puissances physiques, et le premier de tous les instrumens, soit dans l’immense atelier de la nature, soit dans ceux de l’art. Il n’est pas moins évident que les cas où la chaleur est portée au plus haut degré, sont ceux où elle exerce son action sur les corps, sans qu’il y ait aucune dissipation, aucun déchet de substance ; déchet qui rend toutes les proportions incertaines. Ainsi, rien n’est plus propre pour manifester son énergie, son action puissante, que les distillations dans les vaisseaux clos, et dans les récipiens exactement fermés. Mais cette altération que nous avons en vue, peut être poussée encore plus loin ; car, quoique ces distillations, dont nous venons de parler, retiennent Les corps dans une espèce de prison, et empêchent ainsi toute dissipation de leur substance, elles ne laissent pas de leur laisser encore un espace suffisant pour se convertir en vapeurs, revenir à l’état de liqueur, et se séparer de nouveau les unes des autres. Comme, dans de tels vaisseaux, la nature peut encore se donner carrière, quoiqu’elle ne jouisse pas d’une entière liberté, il arrive de là qu’on ne peut y observer les vrais, les plus puissans effets de la chaleur. Mais si les corps pouvoient être altérés par la chaleur, de manière qu’ils ne pussent, en allant et revenant ainsi d’un état à l’état opposé, se raréfier, se condenser et se dilater encore, il est probable qu’alors ce protée de la matière étant bien lié, bien garotté, il seroit forcé de changer de formes et de subir une infinité de métamorphoses. Pour parvenir à ce but, prenez un vaisseau de fer de forme cubique, dont les côtés soient très épais et très solides ; mettez-y un cube de bois qui le remplisse exactement. Ajustez à ce vaisseau un couvercle également de fer et aussi épais que les côtés ; pour le boucher encore plus exactement, luttez ce couvercle à la manière des chymistes. Enfin, mettez ce vaisseau sur des charbons ardens, ayant soin de bien entretenir le feu, et laissez-le tout en cet état pendant quelques heures. Je présume que, l’inflammation et l’évaporation ne pouvant plus avoir lieu, et le corps ne pouvant plus réagir que sur lui-même, il arrivera de ces deux choses l’une ; ou ce cube de bois se convertira en une sorte de bouillie, ou les parties les plus ténues se convertiront en air ; et les plus grossières, à force de se cuire, de se rôtir, s’attacheront aux parois du vaisseau, où elles formeront une sorte d’incrustation très adhérente, et composeront ainsi une matière plus dense que ne l’étoit le bois même, lorsqu’il étoit crud. Faites aussi cette autre expérience : mettez de l’eau dans un vaisseau semblable à celui que nous venons de décrire, et fermez-le avec le même soin. Mais employez une chaleur plus foible : tirez de temps en temps le vaisseau de dessus le feu ; laissez-lui le temps de se refroidir ; puis renouvelez la chaleur ; alternative de refroidissement et de réchauffement qu’il faut réitérer un certain nombre de fois. Cela posé, comme l’eau est de toutes les substances une des plus simples et des plus homogènes, si, à force de la tourmenter à l’aide de la chaleur, et de réitérer l’opération, vous parvenez à en changer la couleur, l’odeur et le goût, vous pourrez vous flatter d’avoir obtenu un des plus beaux résultats qu’il soit possible d’obtenir ; d’avoir fait un grand pas dans la science qui a pour objet la transformation des corps, ou la production de nouvelles substances ; et d’avoir enfin découvert ce moyen, si long-temps cherché, d’opérer en peu d’heures, à l’aide du feu, ce que le soleil et la nature ne peuvent faire qu’à force de siècles[110]. Les puissans effets de ces distillations dans les vaisseaux clos, qui auroient quelqu’analogie avec ce qui se passe dans la matrice des femelles d’animaux, où rien ne s’exhale et ne se dissipe, sont un sujet que nous traiterons plus amplement en son lieu. Mais qu’on n’aille pas imaginer que nous ayons ici en vue les pigmées de Paracelse, on autres chimères monstrueuses de cette nature[111] ; notre but est seulement qu’on se persuade bien que si les hommes savoient retenir et concentrer toute l’action de la chaleur, elle auroit des effets, une énergie dont ils peuvent à peine se former une idée.

Observation sur l’impossibilité de tout véritable anéantissement.

100. Il n’est point de vérité plus certaine que celle-ci : il est impossible d’anéantir aucun corps ; et comme la puissance infinie de l’Être suprême fut nécessaire pour tirer des corps du néant et pour créer, il ne faut pas moins que cette toute-puissance pour faire rentrer un corps dans le néant. Certain chymiste, peu connu, a judicieusement observé que, s’il est possible d’opérer quelque transformation extraordinaire, ce ne peut être qu’en tourmentant un corps, et s’efforçant, par toutes sortes de moyens, de l’anéantir. Et dans cette opération même on trouveroit un puissant moyen pour préserver un corps de tout changement. Car si l’on peut empêcher les corps de se convertir en air, en ne laissant autour d’eux aucun vuide où l’air extérieur puisse se loger, ou de passer dans les corps adjacens, en les environnant de corps de nature toute différente de la leur ; enfin, de faire le cercle dans leurs propres limites[112], en agissant et réagissant sur eux-mêmes ; alors ils deviendroient immuables, en supposant même que, de leur nature, ils fussent périssables et sujets au changement. Nous voyons, en effet, que des mouches, des araignées ou autres insectes semblables, trouvent dans l’ambre jaune une sépulture plus durable que ces monumens où les Égyptiens déposoient les cadavres de leurs rois après les avoir embaumés avec tant de soin. Nous pensons qu’on parviendroit au même but, en tenant les corps plongés dans le mercure ; mais alors il faudroit que ces corps fussent aussi minces que des feuilles d’arbre, de papier ou de parchemin. Car s’ils étoient d’une certaine épaisseur, ils pourroient encore s’altérer dans leur propre substance (par cette action et cette réaction alternatives dont nous avons parlé), quoiqu’ils ne se consumassent pas ; mais nous entrerons dans de plus grands détails sur ce sujet, au numéro où nous traiterons ex-professo de la conservation des corps.

  1. La haute et la basse-mer.
  2. Comme nous ne connoissons plus d’autre filtre que l’amabilité dans un sexe, et la santé, la jeunesse, la vigueur dans l’autre, ce mot restant sans emploi, je m’en empare au nom de la physique à laquelle il manque, et pour désigner un corps filtrant ou un instrument de filtration.
  3. Cependant le plumage des oiseaux des pays chauds, en général, est teint de couleurs plus vives et plus éclatantes que celui de nos oiseaux ; la chaleur est donc ici pour quelque chose, et durant neuf ou dix mois de l’année, il fait plus chaud à l’ombre, dans la zone torride, qu’au soleil, dans les pays froids. L’effet propre de la chaleur est de dilater, de diviser et d’atténuer ; or, notre auteur parle de ténuité. Les substances colorées, sapides ou odorantes des pays chauds, étant plus atténuées, elles doivent piquer davantage les organes respectifs sur lesquels elles font impression, ou, ce qui est la même chose, elles doivent avoir des couleurs plus vives, des saveurs plus fortes, des odeurs plus marquées, chacune en son genre. Explication qui concilie tout ; et met d’accord les deux grands hommes.
  4. Il veut dire la pression ; ce mot compression désignant une pression plus étendue et plus générale.
  5. Ce qu’il dit du mouvement même, on pourroit tout au plus le dire des parties.
  6. C’est l’appareil connu dans tous les cabines de physique expérimentale, sous Le nom de cruche de Cana, par allusion à ce miracle si intéressant que Jésus-Christ opéra aux noces de Cana en Galilée, sur certaines cruches avec lesquelles il soupoit.
  7. Il serait peut-être utile de tenter en grand cette expérience sur les vins où la nature a mis beaucoup d’eau.
  8. La mélancholie n’a point pour cause de prétendues vapeurs, idée purement populaire ; mais la foiblesse de l’estomac, la paresse du ventre, l’opilation des vaisseaux du cerveau, telle quantité et telle qualité de la bile, le défaut de fluidité du sang, etc. Le corps humain n’est pas un alambic.
  9. Cette observation suffirait peut-être pour rendre raison de l’effet pernicieux des fleurs de l’odeur la plus suave, tenues, en grande quantité et pendant plusieurs jours, dans une chambre tout-à-fait close ; et il se pourroit que ces fleurs fréquemment renouvelées ne produisissent plus le même effet.
  10. Il veut dire le vin chauffé, car la liqueur connue sous le nom de vin cuit, a l’effet opposé.
  11. Il seroit beaucoup plus étonnant que cette augmentation rapide de volume n’eût pas lieu ; car l’excès de pesanteur spécifique de l’eau force l’air à s’élever : or, à mesure qu’il s’élève, la hauteur des colonnes d’eau qui le pressent en tous sens, va en diminuant ; il doit donc se dilater proportionnellement et acquérir plus de volume ; mais à mesure que son volume augmente, sa pesanteur spécifique diminue : il doit donc s’élever encore plus vite ; la hauteur des colonnes d’eau qui le pressent, doit aussi décroître encore plus rapidement ; et son volume augmenter encore plus vite ; et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il soit arrivé à la surface, et que la cohérence des parties de La couche d’eau qu’il soulève, l’arrête là.
  12. Ce fait prouve seulement que la tendance de l’air à s’élever, en vertu de son défaut de pesanteur spécifique (relativement à l’eau), ou de toute autre case, a moins de force que la cohésion des parties de la vésicule d’eau qui l’enveloppe ; et rien de plus.
  13. La description de ce procédé, dans l’édition in-4o. en langue angloise, n’est pas tout-à-fait la même que dans les éditions latines : mais, quelle est la meilleure ? cette question est de même nature que celle-ci : cette fameuse dent d’or de Bohème étoit-ce une dent molaire, ou une dent canine ?
  14. Les Italiens et les Anglois l’appellent le mal français ; de manière que notre nation porte la peine du double malheur de l’avoir reçue et de l’avoir donnée.
  15. Chacun sait que certains courtisans ont été décollés il ya quelques années ; et l’on ne sauroit disconvenir qu’ils portoient le chapeau sous le bras ; cependant ce n’est pas précisément parce qu’ils portoient le chapeau sous le bras qu’on leur a coupé la tête. Deux phénomènes peuvent avoir lieu ensemble, sans que l’un soit cause de l’autre, Quelques médecins ont prétendu que la maladie vénérienne existoit en Europe, sous une autre forme ou à un autre degré, avant la découverte de l’Amérique : ils attribuoient cette maladie à l’excessive irritation occasionnée par les excès d’une femme qui endure successivement les approches de plusieurs hommes ; si le fait étoit vrai, ce seroit une sorte de rage vénérienne : on trouve dans les mémoires de médecine et autres ouvrages analogues, assez de faits qui semblent prouver que, dans les passions très violentes, les humeurs du corps humain prennent une qualité vénéneuse, et deviennent un véritable virus. Il y a aussi à la Chine des maladies vénériennes de différentes espèces ; et les Chinoises, pour faire ce présent à leurs concitoyens, n’ont pas eu besoin de Christophe Colomb, mais seulement de leur lubricité et de la chaleur du climat ; sur-tout à Canton, qui est presque sous le tropique du cancer.
  16. Ce qui fortifioit leur imagination ; ce n’étoit pas la substance dont elles s’étoient nourries, mais l’idée même de l’horrible repas qu’elles avoient fait ; car l’audace peut tout en ce monde, et les actes exécrables nourrissent l’audace.
  17. Dans celui de Drebbel, dont la boule est en partie remplie d’air.
  18. Comme cette quantité d’air qui, dans sa supposition, se seroit convertie en eau, seroit extrêmement petite, elle seroit très difficile à déterminer.
  19. Reste à prouver cette aversion de tout corps tangible pour l’air, supposition pour laquelle j’avoue que je n’ai pas moi-même un goût fort vif, attendu qu’elle manque de preuves et même de probabilité. Voici quelque chose de plus méchanique et de plus vraisemblable. L’expérience nous apprend que tous les corps sont dilatés par la chaleur du soleil ou par celle du feu artificiel ; et la raison nous dit qu’ils ne peuvent l’être sans que leurs pores soient agrandis ; puisque les parties de ces corps étant écartées les unes des autres par cette dilatation, elles doivent, par cela seul, laisser entr’elles de plus grands vuides. Cela posé imaginons un corps solide dont les pores soient de tel diamètre, que, lorsqu’il n’est dilaté que par une chaleur de dix degrés (échelle de Réaumur), les particules de l’air ne puissent s’y insinuer ; mais que, lorsqu’il l’est par une température de onze degrés, ces particules commencent à s’y introduire ; s’il survient une température de quinze à vingt degrés, alors, en vertu de la pesanteur de l’air qui presse ce corps en tout sens, pression qui tend à y introduire toutes les particules de ce fluide qui se trouvent à l’entrée de ses pores, non-seulement ces particules aériennes s’introduiront entre les parties extérieures et superficielles de ce corps mais elles pourront même y entrer assez avant. Si ensuite la liqueur du thermomètre retombe à huit, sept, six, cinq degrés et même jusqu’à zéro alors les parties du corps en question venant à se rapprocher les unes des autres, et ses pores devenant beaucoup plus étroits qu’ils n’étoient quand l’air s’y est insinué, les particules aériennes seront comprimées et, en quelque manière, pincées par les parties solides de ce corps ; et il se peut alors qu’en vertu de ces trois causes concourantes ; la compression, l’attraction réciproque et le repos ou l’inertie des particules de l’air, ces particules s’agrègent une à une à celles du corps solide ; qu’avec le temps elles y adhèrent assez fortement pour ne pouvoir plus en être détachées, lorsqu’un degré de chaleur supérieur au dixième degré leur ouvrira de nouveau le passage ; et qu’elles augmentent ainsi pour toujours, ou du moins pour long-temps, la masse et la solidité de ce corps. Cette explication est d’autant plus probable, que, si l’on divise, par la pensée, un fluide quelconque en ses parties élémentaires, pour les considérer une à une, on est forcé de concevoir chacune de ces parties comme un petit solide. Au contraire, si l’on divise mentalement un corps solide en ses dernières parties actuellement indivisibles, et que l’on suppose anéanti pour un instant le gluten ou la force qui les tenoit unies, on n’aura plus qu’un fluide. Ainsi, la solidité étant une qualité inhérente à tous les élémens de la matière, et la fluidité n’étant qu’un état accidentel, il ne seroit pas fort étonnant que quelques parties d’une masse actuellement fluide s’agrégeassent et adhérassent à celles d’une masse actuellement solide, comme ces dernières s’étoient agrégées et adhéroient les unes aux autres. Toute cette explication n’est peut-être qu’un rêve ; mais c’est du moins un rêve méchanique et intelligible.
  20. Sur-tout le sable marin ; mais c’est l’effet du sel déliquescent dont il est imprégné : le linge lavé avec de l’eau de mer ne se sèche jamais parfaitement, et au premier temps humide, il devient moite.
  21. Il est assez probable que les fœtus monstrueux, et en général les difformités, totales ou partielles, des fœtus, ont pour cause quelque semblable compression qu’ils ont essuyée durant leur séjour dans la matrice ; mais alors l’embryon n’étoit qu’une espèce de pâte ; et plus l’animal vieillit, plus le pain est cuit, et plus il est difficile à pétrir.
  22. On ne peut douter qu’il ait existé une nation qui pêtrissoit ainsi la tête des enfans, et qui parvenoit à en aiguiser la forme. Hippocrate, homme peu crédule, en fait mention : quelques historiens placent cette nation entre le Pont et la Colchide.
  23. Ce moyen est aussi inutile qu’incommode. Accoutumez un enfant, né camard, à se pincer et à se tirer fréquemment la partie cartilagineuse du nez, ou à se moucher avec force, ce défaut disparoîtra presque entièrement avant l’âge de puberté : nous ne parlons que d’après l’expérience.
  24. Généralement parlant, les Anglois ont le mollet trop bas, et les Français l’ont trop haut : les Italiens et les Chinois l’ont beaucoup mieux placé.
  25. Ce qui est un agrément à l’âge de 70 ans.
  26. Si le fait qui a fourni ces indications étoit vrai, il indiqueroit un moyen pour transformer assez promptement certaines espèces d’animaux ; car, selon toute apparence, si l’on parvenoit à changer notablement leur forme, on produiroit, par cela même, quelque changement notable dans leur constitution physique.
  27. Sur-tout les oignons de safran : placés à sec sur des tablettes, ils donnent de très belles fleurs à la fin d’octobre et au commencement de novembre.
  28. Il est inutile de répéter ici que notre plan est de désigner, par leurs noms populaires, les plantes généralement connues (de peur d’être inintelligibles pour la plupart de nos lecteurs, en leur parlant de choses qu’ils savent mieux que nous) ; et de recourir à la nomenclature des botanistes, pour désigner les plantes qui, étant beaucoup moins connues, n’ont pas encore de nom dans la langue vulgaire. Les noms que le peuple a donnés aux plantes de la première espèce qu’il cultive et qu’il connoît, sont beaucoup plus nobles que ceux qui leur furent imposés par des écrivains dont toutes les connaissances en ce genre se réduisoient à ces noms : et par la même raison, le peuple doit adopter les noms imposés aux plantes de la seconde espèce, par ceux qui les connoissent mieux que lui. Ce qui ennoblit tout, c’est le désir et le pouvoir d’être utile.
  29. C’est ce qu’on pourroit vérifier sur ces oignons de safran dont nous parlions dans une des notes précédentes, et qui ne demandent ni terre ni eau : on peut les tirer du Gâtinois ; comme nous l’avions fait nous-mêmes.
  30. Bacon paroit avoir ignoré et n’avoir pas même soupçonné que les plantes absorbent, sur-tout par leurs parties supérieures ; l’air, la lumière, l’humor aqueux, le calor ou calorique ; car ique n’y fait rien, etc. Ce soupçon étoit pourtant bien digne de lui, et suffisamment provoqué par l’observation.
  31. Voyez la pénultième note.
  32. Dont la forme, ou essence, veut-il dire, est d’occuper un plus grand espace.
  33. Il qualifie de crues, les substances aqueuses et non inflammables.
  34. Qu’il y ait dans le nitre, qui est un des trois principes constitutifs de la poudre à canon, une certaine quantité d’eau (ou d’humor agueux), qui, au premier moment de l’inflammation, se réduit tout à coup en vapeur ; vapeur douée d’une grande force expansive (comme le prouve l’exemple très connu de l’éolipile, dont on fait, par ce moyen, une espèce de petit canon) ; que, de l’expansion subite et instantanée de cette vapeur résulte une sorte de souffle et de vent très violent ; enfin, que la flamme ainsi soufflée ait une activité, une force expansive infiniment plus grande que lorsqu’elle est dans un état tranquille, comme on le voit dans les forges et dans les opérations de l’émailleur, de l’orfévre, du ferblantier, etc. ce sont autant de vérités ou de conjectures auxquelles conduit le plus simple raisonnement : mais actuellement d’où vient cette force expansive de la poudre qui s’enflamme ? c’est ce qu’il faudrait savoir, et ce qu’il ne dit pas, ou ne dit pas assez ; mais ce qu’il a expliqué ailleurs. C’est une vraie répulsion exercée par la substance inflammable qui chasse du centre à la circonférence, et selon toutes les directions, la substance aqueuse.
  35. Je soupçonne que, si l’on méloit avec lea poudre à canon quelque substance très pesante et réduite en parties très menues ; par exemple, du mercure, ou des limailles métalliques, elle auroit plus de force ; qu’au moment de l’inflammation et de l’expansion de la poudre, la limaille, par sa réaction, augmenteroit l’action : c’est une conjecture facile à vérifier à l’aide d’une éprouvette.
  36. Suivant cette idée, un animal, un homme, par exemple, ne seroit qu’une espèce de canon, que l’explosion presque continuelle d’une poudre aériforme et beaucoup plus inflammable, plus expansile que la poudre ordinaire, fait presque continuellement avancer ou reculer ; ou il seroit tantôt canon et tantôt boulet. Le chevalier Rosa, physicien de Modène, (disions-nous dans une note de l’ouvrage précédent), a prétendu et peut-être prouvé que la véritable cause du battement des artères (ou, ce qui est la même chose, de la diastole et de la systole, alternatives, du cœur), ne réside pas dans les solides de l’animal, comme l’ont pensé tant de physiologistes (échos de Boërrhave) ; mais qu’elle réside dans un fluide très subtil, très expansile, très actif, et analogue au feu ; fluide qui fait partie du sang et s’en dégage par une infinité de petites explosions qui se succèdent rapidement ; à chaque explosion, l’artère est distendue ; puis elle se rétablit, ou se contracte, en vertu de son ressort naturel : vient une seconde explosion qui distend encore l’artère, laquelle se contracte une seconde fois, et ainsi de suite : assertion qui n’est rien moins qu’une hypothèse gratuite, et qu’il semble avoir assez bien établie, en faisant voir qu’une certaine quantité de sang (qu’on fait passer de l’artère d’un animal vivant dans un tuyau de matière morte, mais flexible et un peu élastique ; par exemple, dans un tuyau de cuir, et fermé aussi-tôt après par les deux bouts) y occasionne un battement semblable à celui d’une artère, et qui dure pendant quelques secondes. Si sa conjecture est fondée, le soleil est le cœur de notre système planétaire ; et le cœur est le soleil du corps humain ; car, suivant Euler, le soleil agit aussi par explosion.
  37. Il dit ailleurs qu’il suffit de mettre le feu à l’esprit de vin.
  38. Elle ne fait peut-être que suivre le mouvement de la flamme de l’esprit de vin qui l’environne ; et c’est ce qu’il faudroit vérifier.
  39. Si le soleil n’est pas environné d’un fluide dense, élastique et analogue à notre air, quoique les rayons de cet astre aient des effets très semblables à ceux du feu artificiel, dans la région où nous sommes et où ils sont environnés d’air, il se pourroit que le feu du soleil, dans le lieu où il est, fût d’une toute autre nature et agit d’une toute autre manière, que les rayons mêmes de cet astre et le feu artificiel, supposés dans le lieu où nous sommes. Mais notre auteur, dans sa conclusion, perd de vue son objet principal ; il auroit du faire passer rapidement la flèche dont il va parler à travers la flamme de l’esprit de vin, et la tenir quelque temps plongée dans celle de la bougie, afin de voir si cette dernière, ainsi enveloppée de l’autre, a autant d’activité, que lorsqu’elle est exposée à l’action de l’air extérieur.
  40. Toutes choses égales d’ailleurs et entre certaines limites, l’action d’une force quelconque est proportionnelle à la réaction, à la résistance qu’elle éprouve. Or, ici l’air extérieur qui environne la flamme, et qui la presse en tout sens, réagit contre ses parties latérales : celles-ci doivent donc avoir plus d’action ; mais cette réaction n’a pas, ou n’a presque pas lieu dans la partie centrale de la flamme.
  41. Il est aisé de démontrer qu’un corps placé dans l’intérieur de la terre, n’est plus attiré par la totalité de la masse du globe ; mais seulement par la sphère qui se trouve encore au-dessous de lui ; les attractions de toutes les autres parties du globe (dont les masses, prises ensemble, sont égales à la totalité de celle du globe, moins celle de cette sphère inférieure dont nous venons de parler) se balançant et se compensant parfaitement. Si donc la pesanteur d’un corps diminue dans l’intérieur de la terre ce n’est pas parce que sa tendance vers la masse totale des graves a déjà obtenu en partie son effet ; mais parce que certaines parties du globe attirant ce corps d’un côté, tandis que d’autres parties l’attirent de l’autre, sa détermination vers le centre est en partie détruite par sa détermination vers un autre point ; et on démontre aisément que sa pesanteur est alors en raison directe simple de ses distances au centre. Car, puisqu’il n’est plus attiré que par la sphère qui est au-dessous de lui, l’attraction étant en raison composée de la directe des masses et de l’inverse des quarrés des distances au centre, si on le suppose, par exemple, deux fois plus près de ce centre, comme alors la sphère qui reste au-dessous de lui, est huit fois plus petite, il est, par la loi des masses huit fois moins attiré qu’auparavant, et par la loi des distances il l’est quatre fois plus ; il l’est donc seulement deux fois moins : son attraction ou sa pesanteur est donc en raison inverse simple de sa proximité du centre, ou, ce qui est la même chose en raison directe simple de sa distance à ce centre.
  42. Il y a ici une équivoque car il ne dit pas à quoi se rapporte cette différence dont il parle. S’agit-il de la différence entre le résultat des anciens et le résultat des modernes, ou de la différence qu’on observe entre la somme du volume de l’eau et de celui des cendres, lorsqu’elles sont séparées, et le volume total qu’elles ont, lorsqu’elles sont mêlées ensemble ? Il paroît que le vrai sens est le dernier. Car, puisqu’il dit que le résultat supposé par les anciens est absolument faux, dès-lors il ne comporte plus de comparaison avec celui des modernes qu’il suppose vrai ; et il est clair qu’il veut dire que le volume des cendres est plus diminué lorsqu’elles se trouvent mêlées avec de l’eau dans le même vaisseau, que lorsqu’elles y sont mêlées avec de l’air et que cette cinquième partie que reçoit le vase, il la reçoit parce que les cendres resserrées par l’eau ont perdu la cinquième partie de leur volume ; mais il nous paroît se tromper lui-même ; et, selon toute apparence, cette cinquième partie est la quantité d’eau qui peut se loger dans les vuides ou interstices que les petites parties de la cendre laissent entr’elles.
  43. Car l’eau fluide plus dense et plus pesant, les comprime davantage.
  44. Mais alors à quoi servent ces grains ou ces pépins ? Pour les faire servir à quelque chose, il faut dire que les grains ou pépins, réunis avec les racines, attirent les sucs en plus grande quantité que ne le feroient les racines seules, et qu’ensuite celles-ci s’approprient le tout ou que ces pépins fermentant sur les racines y occasionnent une espèce d’irritation qui augmente leur force attractive, leur succion ou enfin, que ces pepins eux-mêmes fournissent aux racines un nouveau suc alimentaire ou, etc.
  45. Les médecins de l’antiquité, et quelques modernes, à leur exemple, divisoient les forces ou qualités générales des médicamens en quatre classes savoir en élémentaires, matérielles, singulières ou spécifiques, et substantielles ou inexplicables, et connues par la seule expérience : il il s’agit ici de ces dernières. Boërrhave, dans son traité de viribus medicis, a prouvé l’insuffisance de cette division.
  46. Par ces mots de corrélation harmonique, qu’on retrouvera souvent dans la suite de cette collection, il faut entendre une communauté d’affections ou de mouvemens entre certaines parties, résultante de la communication et de l’action réciproque de ces parties, par le moyen des nerfs, des vaisseaux sanguins, lymphatiques, etc. Ces corrélations peuvent avoir deux causes ; car des parties peuvent ou être affectées en commun par une même cause, ou agir réciproquement les unes sur les autres.
  47. Par ce mot de nature, il entend le principe vital, la puissance physique qui anime le corps humain ; c’est-à-dire, qu’il attache à ce mot la même signification qu’Hippocrate, Galien et leurs disciples.
  48. Hippocrate conseille même de se purger ainsi de temps en temps, en prenant une quantité un peu excessive d’alimens pour lesquels on ait de la répugnance ; ce qui prévient la plénitude et dispense de faire ensuite usage des purgatifs proprement dits, qui ont trop d’action sur les organes. Mais un purgatif encore meilleur, c’est le moyen opposé, je veux dire, la diète, le jeûne même poussé un peu loin qui est, pour ainsi dire, le balai de l’estomac, de tout le canal intestinal, de tout le corps humain, de tout l’homme, physique et moral ; ce qu’il ne faut entendre que de la diète appliquée à propos et modérée. Dans une des notes suivantes, nous entrerons dans de plus grands détails sur ce sujet.
  49. Ou en buvant deux ou trois verres d’eau froide une heure et demie ou deux heures après le dîner ou le souper ; ce qui occasionne une demi-indigestion.
  50. Parce qu’alors les parties attaquées par le médicament sont moins à nud, et qu’alors le médicament agit plus sur les fluides visqueux qui revêtent ces parties, que sur ces parties mêmes. C’est une sorte de tapisserie qui garantit la muraille.
  51. Ce qui semble prouver que certains médicamens ou alimens agissent sur les humeurs par une sorte d’attraction, effet de l’analogie de substance, c’est que tel aliment ou médicament, qui a peu d’action, tire telle humeur, par exemple, la pituite, plus vite et en plus grande quantité que tel autre aliment ou médicament qui, à tout autre égard, a plus d’action, et qui tire aussi cette espèce d’humeur.
  52. En Amérique, les médecins recommandent de prendre la rhubarbe en poudre, dans les deux ou trois premières cuillerées de soupe qu’on avale ; non pour se purger, mais pour donner un peu plus d’action à l’estomac et aux intestins, dans un pays où toute la machine est excessivement paresseuse ; la dose alors doit être petite.
  53. Ce qui répercute cette eau vers le canal intestinal ; ainsi, pour humecter le ventre durant l’été, saison où il est trop sec, lorsqu’il n’est pas noyé par la bile, il faut boire de l’eau fraîche, et se promener ensuite fort lentement à l’ombre, pour la maintenir dans l’estomac et les intestins ; sans quoi, repompée par les vaisseaux absorbans, elle sera déterminée à la peau et se tournera en sueurs.
  54. Par exemple, dans la pulpe de certains fruits trop verds : le lecteur observera qu’en fait d’expressions pour désigner les différences et les nuances des saveurs, des odeurs, et même des sons, notre langue est extrêmement pauvre.
  55. Il confond ici deux choses très différentes ; car autre est l’action qui relâche la fibre, autre celle qui lubrifie les parois des vaisseaux, et les rend plus glissantes : certainement le froid ne lubrifie pas.
  56. Ce qu’il dit ici ne doit s’entendre que de certains degrés de froid et de chaleur ; car toute l’habitude du corps est plus roide durant l’hiver que durant l’été, et dans la vieillesse que dans la jeunesse. L’effet propre du froid est de rapprocher les parties, soit des solides, soit des fluides, d’augmenter leur densité, leur solidité, et par conséquent, leur roideur. L’effet propre et direct de la chaleur est d’écarter les unes des autres les parties des solides et des fluides, et par conséquent de relâcher les assemblages ; elle ne coagule et ne roidit que médiatement.
  57. Dans les muscles et les tendons.
  58. Toutes choses égales, la quantité des selles et la quantité des urines sont naturellement en raison inverse l’une de l’autre ; et il en est de même de toutes les excrétions ; ce qui passe par un émonctoire étant perdu pour les autres.
  59. Aliment très supérieur au pain, quoi qu’en disent la plupart des Européens, qui manquent d’expérience à cet égard.
  60. C’est un aliment dont le fréquent usage est très nuisible ; il constipe, et par conséquent détermine le sang à la tête.
  61. Sans doute ; mais la bière dont il conseille si souvent l’usage, occasionne ces urines fréquentes, et cependant l’expérience prouve qu’elle est nutritive.
  62. Tant pis ; car la salive que cette mastication mêle aux alimens, est un des principaux agens de la digestion c’est un savon qui blanchit notre linge sale ; et il vaut mieux s’accoutumer à mâcher avec les gencives, comme les sujets auxquels il manque beaucoup de dents, le font naturellement. D’ailleurs, l’on sait que les hachis sont un aliment d’assez difficile digestion.
  63. Je crois qu’il vaudrait encore mieux y mettre un peu de sucre ; remède qui ne seroit pas si magnifique, mais plus sûr et mieux éprouvé.
  64. Comme les inconvéniens de la suppression des sueurs sont infiniment plus grande que ceux des sueurs excessives, un tel régime, au premier coup d’œil, paroît fort dangereux, et semble ne convenir qu’à des hommes très robustes et adonnés à des exercices très violens, comme les anciens Grecs auxquels Hippocrate le prescrivoit ; mais, d’un autre côté, plus on sue, et plus la peau reste à nud, plus aussi on est exposé à une suppression de sueurs et à ses inconvéniens, D’ailleurs, il se peut que la suppression des sueurs ne soit très nuisiblo que lorsqu’elle est occasionnée par le froid qui les répercute et les détermine à l’intérieur. Ainsi il se peut que l’huile et la substance graisseuse des vêtemens sales forment une espèce de cuirasse qui ait le double avantage de prévenir les sueurs excessives, et d’en empêcher la répercussion.
  65. Ils engraissent, parce que, durant ce prétendu sommeil, ils mangent des hommes où autre chose. Les relations les plus sûres combattent son assertion.
  66. C’est un usage universel en Italie, en Espagne et dans toute la partie méridionale de l’Asie : il paroît que ce sommeil est nécessaire, puisque la nature y invite ; mais il faut que l’endroit où l’on dort soit frais et peu éclairé ; autrement le sommeil seroit nuisible.
  67. Pour prévenir la pesanteur qu’il occasionne, il faut, quand on le peut, prendre du café un peu foible presque immédiatement après.
  68. Un régime encore plus salutaire, c’est de ne faire, dans le cours de la journée, que deux repas très légers, et de réserver le plus fort pour le soir, vers cinq heures, conformément à la pratique des anciens Romains et des Anglois d’aujourd’hui. Tant que les autres nations européennes n’adopteront pas cette pratique, elles seront gouvernées par des indigestions ; et leurs codes seront fort indigestes ; à mesure que le sac intestinal se remplit, l’homme s’emplit d’erreurs et de vices. Les hommes de cabinet conviennent tous qu’ils ont moins d’aptitude pour les affaires ou l’étude l’après-dîné que le matin. Donc il ne faut dîner qu’après avoir terminé les affaires ; et ne prendre dans le temps consacré aux affaires, que la quantité d’alimens nécessaire et suffisante pour que le ventre ne soit ni trop vuide ni trop plein. Autrement on ne digérera bien ni le dîné ni les affaires. Si nous pouvions persuader généralement cette importante vérité ; oh, quelle heureuse et paisible révolution nous opérerions dans toute l’Europe ! Mais, en imitant cette pratique des Anglois modernes et des anciens Romains, il ne faut pas imiter leur gloutonnerie et leur voracité ; et une sobriété continuelle dispense de tous ces soins.
  69. C’est un des meilleurs effets du carême institué par le christianisme. C’est tout à la fois un exercice pour s’accoutumer aux privations ; une précaution pour ménager les provisions de l’année précédente, déjà, en grande partie, consommées ; un moyen pour renouveler l’homme tout entier ; un préservatif contre la pléthore qui a lieu au printemps ; enfin, une méthode facile pour se sanctifier par l’impuissance de pécher, et pour se garantir de ces vices sans nombre qu’enfante dans l’homme le sentiment de sa force, ou de ces vices plus grands encore, qui sont l’effet naturel d’une excessive plénitude.
  70. Prenez graisse de daim, demi-livre.

    Huile d’amandes douces, deux onces.

    Mettez le tout sur un feu très doux, et remuez avec une petite verge de genévrier, jusqu’à ce que la graisse soit fondue.

    Ajoutez-y ce qui suit :

    Racines de fleurs-de-lys pulvérisées, et roses de damas également pulvérisées, un gros pour le tout.

    Myrrhe dissoute dans l’eau-rose, un demi-gros ;

    Clous de girofles, un scrupule ;

    Civette, quatre grains ;

    Musc, six grains ;

    Huile de macis, une goutte ;

    Autant d’eau-rose qu’il en faudra pour empêcher que l’onguent ne devienne trop épais.

    Après avoir mêlé tous ces ingrédiens, mettez les dans un verre, que vous tiendrez sur de la braise pendant une heure, en remuant fréquemment la composition avec la verge de genèvrier *.

    N. B. Lorsque nous composâmes cet onguent, nous n’employâmes pas plus d’un quarteron et un dixième de graisse de daim ; et lorsqu’il étoit à moitié fait, nous fûmes obligés de doubler tous les ingrédiens (excepté l’huile d’amandes douces), parce que les substances grasses nous paroissoient trop prédominantes dans la composition.

  71. Cataplasme.

    Prenez environ trois onces de pain, mais la mie seulement ; et l’ayant hachée fort menu, faites-la cuire dans du lait, jusqu’à ce que le tout ait acquis la consistance d’une bouillie. Sur la fin de la cuisson, ajoutez-y un gros et demi de roses rouges réduites en poudre ; dix grains de safran ; une once d’huile de rose ; enduisez de cette composition un petit linge ; appliquez-le tiède sur la partie, et laissez-le dessus pendant trois heures.

    Bain ou Fomentation.

    Prenez feuilles de sauge, une demi-poignée ; racines de ciguë hachées, six gros ; racines de brione, une demi-once ; feuilles de roses rouges, deux poignées ; faites bouillir le tout dans un demi-gallon d’eau (deux pintes de Paris), où vous aurez fait éteindre de l’acier, jusqu’à ce qu’il se soit réduit au quarts puis, après l’avoir passé, ajoutez demi-poignée de sel commun ; trempez dans cette composition encore chaude un morceau d’écarlate, et appliquez-le sur la partie ; réitérez l’opération jusqu’à sept fois dans un quart d’heure, ou un peu plus.

    Emplâtre.

    Prenez emplâtre diacalciteos en suffisante quantité pour couvrir la partie ; faites-le dissoudre dans de l’huile de rose jusqu’à ce qu’il n’ait plus que la consistance nécessaire pour adhérer ; enduisez-en un linge fin, et appliquez-le sur la partie.

  72. En les atténuant, à peu près comme la chaleur du soleil atténue l’eau de la mer et des fleuves, la raréfie, la dilate, et, en la soulevant, semble l’attirer ; car une vapeur n’est autre chose qu’un fluide atténué.
  73. Cet effet paroît avoir deux causes. 1°, La nature même des matières appliquées sur la partie ; entr’autres celle de la ciguë. En second lieu, l’humectation de cette partie ; car, point de sensibilité dans une partie, sans un certain degré d’éréthisme, de tension : or, les matières appliquées sur la partie relâchent la fibre et la détendent un peu. Il paroît que la ciguë diminue la sensibilité en agissant sur les esprits vitaux ; et la matière humide, en agissant sur les fibres. Or, je n’ai pas besoin d’ajouter qu’une partie dont la sensibilité est diminuée, a moins d’action.
  74. Et comme alors la quantité d’humeur que la fomentation tireroit des autres parties à celle-là, seroit plus grande que celle qu’elle pourroit tirer de cette partie au dehors, cette partie resteroit engorgée ; elle le seroit même plus qu’avant l’application du remède.
  75. Il exaspéreroit l’humeur déjà rendue à la partie ; parce que toute humeur qui cesse d’être en mouvement, acquiert une qualité alkaline et irritante. Il empécheroit la partie de tirer de nouvelle humeur, parce qu’étant astringent, il contracte la fibre circulaire, rétrécit les couloirs, et ferme totalement ou en partie leurs orifices ; sans compter son effet sur les humeurs dont il diminue la fluidité.
  76. Le vrai panacée, le remède universel, c’est le mépris de tous les maux ; et le meilleur de tous les médecins, c’est le désir de bien faire : la maladie atteint rarement ou abandonne bientôt quiconque n’a pas le temps d’être malade, et sait faire diète à propos. La plus grande de nos maladies, c’est la crainte même que les maladies nous inspirent, parce qu’elle détend tous nos ressorts. L’imagination d’un homme que son mal inquiète, pousse les humeurs dans la partie affligée à laquelle il pense continuellement, et l’engorge de plus en plus ; au lieu qu’une âme courageuse, en renforçant le principe vital, le rend capable d’exécuter avec vigueur toutes les fonctions, de surmonter tous les obstacles au dedans et au dehors ; parce que c’est en nous le même principe qui veut, qui exécute toutes des fonctions, et qui guérit : mais ce qui est préservatif et curatif, ce n’est pas la simple patience ; c’est une volonté forte, active et constante.
  77. Des jeûnes excessifs et réitérés peuvent guérir le mal actuel, en y substituant un autre mal beaucoup plus grand ; savoir : l’affoiblissemont de la nature et de la constitution physique ; le vrai remède, dans chaque cas, c’est un jeûne unique et poussé aussi loin qu’il est possible. Dès que vous vous sentirez incommodé, cessez tout-à-fait, non-seulement de manger, mais même de boire, jusqu’à ce que l’appétit renaisse parfaitement pur, et non-seulement vous n’aurez plus de maladies, mais même vous n’en craindrez plus, c’est le cas où nous sommes depuis plusieurs années ; et comme notre corps n’a point de privilège particulier, il est probable que ce remède si simple auroit les mêmes effets sur les autres individus ; les gens de l’art sont trop intéressés à persuader le contraire, pour devoir en être crus sur leur parole. Si tous les individus savoient se guérir par la faim, comme la nature même le leur prescrit en leur ôtant l’appétit, les médecins eux-mêmes seroient affamés, car alors il n’y auroit plus de maladies, et ils deviendroient complètement inutiles ; ils craignent la diète, comme les héros guerriers craignent la paix ; mais les hommes ne seront jamais assez sages pour suivre les ordonnances du médecin que la nature a mis en eux, et qui les avertit toujours à temps ; ainsi Les médecins de profession seront toujours nécessaires : le médecin extérieur est le suppléant du médecin intérieur, toujours présent pour les sages, et toujours absent pour les fous.
  78. Durant mon second voyage à Rome, j’ai souvent prévenu l’accès de la fièvre, tierce ou quarte, en provoquant l’éternuement, à l’aide du soleil, mais de grand matin : le principe d’action est dans le cerveau ; en guérissant cette partie, on guérit tout le reste, quand il n’y a point de lésion dans les solides.
  79. Les médecins ne font point usage de ce substantif verbal ; mais comme il existe dans la langue vulgaire, nous tâcherons, en l’employant à propos, de les guérir de la manière d’appauvrir leur langue, en rejetant des mots nécessaires.
  80. Un purgatif est presque toujours une espèce de poison, dont il faut, après l’avoir fait agir, noyer les restes dans une grande quantité de liquide dont l’eau soit la base.
  81. La drogue salit le verre, et il faut ensuite le rincer.
  82. C’est une règle qu’on peut appliquer aux révolutions politiques, aux études pénibles et aux jeux difficiles.
  83. Cette opinion, qui est si peu d’accord avec l’hypothèse d’un feu central, et qui, au premier coup d’œil, paroit étrange, le paroitroit un peu moins, si on la réduisoit à celle-ci : tout corps, d’un certain volume et d’une certaine densité, qui n’est pas actuellement échauffé par les rayons du soleil, ou le feu artificiel, ou le frottement, ou la percussion, ou la pression, ou, etc. est naturellement froid ; ce qui revient à dire que tout corps qui n’est pas chaud, est froid.
  84. Le fait est vrai ; mais l’explication est fausse. Il paroit que cette sensation de froid qu’on éprouve en touchant avec la main, par exemple, un corps beaucoup plus dense, comme un métal, est la sensation de la perte que cette main fait d’une partie de sa chaleur, qu’elle communique au corps touché ; perte qui doit être et qui est en effet proportionnelle au nombre de parties que ce corps présente au contact dans un espace déterminé, ou, ce qui est la même chose, à sa densité.
  85. Ou parce qu’elle est plus dense, comme vous venez de le dire.
  86. Nous verrons plus bas qu’il divise tous les corps, soit tangibles, soit aériformes, en substances crues et non inflammables, ou difficiles à enflammer ; qui tiennent de la nature de l’eau ; et en substances grasses, huileuses, tenant de la nature du feu, et par conséquent inflammables.
  87. La neige est plus froide que l’eau, parce que l’eau ne se convertit en neige que lorsqu’elle est plus froide que dans son état ordinaire.
  88. Sublime découverte !
  89. C’est toujours le thermomètre de Drebbel, dont la boule est en haut et en partie remplie d’air.
  90. J’ai fait sur mer trois voyages de long cours et un plus grand nombre de petits ; mais je n’ai jamais vu, oui dire ou lu rien de semblable.
  91. Ou que l’eau qu’on trouva dans ces vases, ou dans ces os, n’étoit pas tombée de la voûte ; ou encore que ce n’étoient pas les particules aqueuses répandues et d’abord flottantes dans l’air de la grotte, qui, à force de temps, s’étoient déposées là.
  92. Pour être en droit de tirer cette conséquence ; il faudroit être certain que la chaleur de l’air renfermé dans la vessie n’a pas décrû ; car, si elle a décrû, alors l’air ayant perdu une partie de son volume, les vessies ont dû se contracter.
  93. L’humidité gonfle et raccourcit les cordes végétales, et produit l’effet contraire sur les cordes animales.
  94. Desaguliers, disciple de Newton, raisonnant sur un phénomène fort analogue à celui-ci, l’explique à peu près de la même manière ; l’eau, dit-il, jetée par aspersion sur un corps gras, s’y réunit en gouttes presque sphériques, et semble se rouler dessus ; ce qui dépend d’une attraction et d’une répulsion combinées : l’eau étant repoussée par la surface grasse ; et ses parties propres s’attirant réciproquement, d’abord en vertu de la force attractive résidante dans chacune d’elles, puis en vertu de la répulsion même que cette surface exerce sur elles, et qui les pousse avec plus de force les unes vers les autres, elles affectent, en se réunissant, la figure où la distance des extrémités au centre est la moindre, et qui les met ainsi en état de se rapprocher les unes des autres autant qu’il est possible.
  95. Il dit ailleurs que les Chinois tiennent enfouies, pendant 30 ou 40 ans, de grandes masses de cette espèce de terre qui est la base de leur porcelaine.
  96. À l’époque où Bacon parloit ainsi, on n’avoit pas encore fait cette belle expérience ; où le mercure, exposé au plus grand froid de la Russie, augmenté encore par le moyen de l’esprit de nitre, s’est fixé et est devenu solide.
  97. Il vaudroit peut-être mieux mettre dans cette glacière douze morceaux de chacune de ces deux espèces (mais les douze morceaux de chaque espèce étant pris dans la même masse) ; y laisser l’un pendant un mois ; l’autre, pendant deux mois ; et ainsi de suite jusqu’à un an ; ou l’un, pendant un an ; l’autre, pendant deux ans, et ainsi de suite jusqu’à douze, Et si l’on trouvoit que les morceaux laissés dans cette glacière, par exemple, pendant un an, fussent sensiblement plus durs que ceux qui n’y seroient restés qu’un mois, on pourroit compter sur le résultat qu’il semble promettre ici. Par la même raison, on pourroit mettre en expérience une suite de morceaux de bois ou d’argile, exposés à des degrés de froid inégaux.
  98. Eh ! pourquoi pas des particules pierreuses et extrêmement divisées, que l’eau qui s’insinue, par les pores du bois, dans son intérieur, y charrie d’abord, y dépose ensuite une à une, et qui, réunies avec les fibres ligneuses, forment ainsi un tout plus dur et plus compact qui n’est plus simplement bois ou pierre, mais l’un et l’autre !
  99. On pourroit étendre et varier beaucoup ces expériences, en plongeant des morceaux de bois de différente espèce, dans différentes espèces d’eau, saturées de ces substances ordinairement solides, que l’eau peut dissoudre à force de temps, et les y laisser pendant des temps plus ou moins longs ; chauffer même ces bois et ces eaux, pour faciliter la pénétration ; enfin substituer à l’eau d’autres liqueurs non corrosives, comme le vin, l’huile, l’urine, etc, où l’on auroit mis d’abord les substances qu’elles peuvent dissoudre.
  100. Ou dans l’huile, dans le suif, dans la graisse, dans le vin ou l’esprit de vin ; l’urine, etc.
  101. Son action est proportionnelle à la réaction qui l’a, non précédée, mais accompagnée ; cars lorsque le froid commence à agir, le métal est encore chaud ; et lorsque le métal est tout-à-fait refroidi, la trempe n’a plus d’effet.
  102. On pourroit aussi étendre et varier ces expériences en substituant à l’eau d’autres liquides.
  103. Il est, dans les animaux et dans les plantes, un fait qui démonte tout l’échafaudage des explications philosophiques, et qui pulvérise toutes les conjectures ; ce sont les os des animaux, les noyaux de la plupart des fruits, et les pépins du raisin, des groseilles, etc. Comment se peut-il que la partie qui, se trouvant continuellement exposée à l’action de l’air et du soleil, sembleroit devoir se dessécher et se durcir, soit pourtant humide ou très molle, tandis que celle qui est renfermée sous cette enveloppe, et quelquefois trempée dans un suc très abondant, devient, en trois ou quatre mois, aussi dure que l’est, par exemple, un noyau de pêche, un noyau d’olive, etc. Cela ne peut s’expliquer que par la supposition de notre auteur.
  104. Si l’on faisoit usage de sa recette, le charbon feroit un trou au papier brouillard, puis à l’habit, et La tache seroit levée, sans compter que le dégraisseur se brûleroit les doigts ; encore faudroit-il marcher bien droit pour faire un si beau coup. Mais si, ayant appliqué le papier brouillard sur l’habit, à l’endroit de la tache, et mis dans une cuiller d’argent ou de fer, un charbon allu- mé, on passe plusieurs fois cette cuiller sur le papier en appuyant un peu fort à l’endroit où est la tache, la chaleur fera fondre la substance grasse, le papier s’en imbibera, et la tache disparoîtra peu à peu ; non parce que la chaleur réduit en vapeur la matière grasse, mais, parce qu’en la rendant fluide, elle fait que le papier brouillard peut s’en imbiber.
  105. C’est une différence dont nous avons rendu raison dans une note de l’ouvrage précédent, en faisant voir que la subdivision des corps agens, par les cinq nouvelles conditions qui en résultent, favorise de cinq manières la dissolution des composés.
  106. Comme cette histoire naturelle, suivant le plan qu’il a tracé, n’est pas une masse de faits purement passive, mais une collection active, composée de faits choisis pour servir de base à la philosophie, il étoit nécessaire, pour aider la mémoire à retrouver ceux dont elle aura successivement besoin, pour faciliter les inductions qu’on en pourra tirer par la suite, et répandre un vif intérêt sur son sujet, qu’en rapportant et décrivant ces faits, il indiquât souvent les principes auxquels ils peuvent conduire, les théories qu’ils peuvent établir, et les conséquences pratiques qu’on en peut tirer. En un mot, telle est la formule tacite qui semble le diriger à chaque pas : Ce fait importe à telle théorie, qui, une fois bien établie, montrera la véritable raison de telle grande opération de la nature, et qui sera susceptible de telles applications dans la pratique, Ainsi, analysez ce fait avec le plus grand soin ; comparez-le aux faits de la même classe ; varier, de de telle manière ; appliquez-le à tels usages, etc.
  107. Il n’est pas besoin de supposer des sympathies ou des antipathies pour expliquer tous ces effets ; ils peuvent s’opérer soit par la voie des nerf qui, ayant des troncs communs, et se distribuant À toutes les parties du corps, font ainsi que toutes les parties communiquent entr’elles, plus ou moins, et en raison du nombre des rameaux nerveux qui leur sont communs ; soit par la voie du sang : car, l’on conçoit aisément que les différentes portions de ce fluide toujours circulant, passant successivement dans une partie très échauffée ou très refroidie, ou affectée par un topique, toute la masse du sang, au bout d’un certain temps, doit être affectée semblablement, et communiquer cette affection à toutes les autres parties.
  108. D’âme végétative.
  109. Pluton représente les parties grossières et tangibles.
  110. Cette dernière expérience diffère peu de telles qu’on a faites depuis avec cet appareil qu’on appelle, je ne sais pourquoi, la marmite de Papin, et qu’on devroit appeler la marmite de Bacon, puisque c’est Bacon qui en a donné la première idée.
  111. Ce Paracelse et Amatus-Lusitanus virent au fond de leur creuset de petits hommes chymiques et chimériques, que leur prolifique imagination y avoit engendrés.
  112. D’aller et venir d’un état à d’état opposé, en se transformant en des substances plus rares et plus denses, alternativement, comme il a été dit dans le n° précédent.

 *.  L’original anglois dit : Let all these be put together in a glass ; and set upon the embers, for the space of an hour ; comment faire entrer une demi-livre de graisse et deux onces d’huile dans un verre à boire (in a glass), et tenir ce verre pendant une heure sur de la braise ? Mais à ce verre à boire, substituons un vaisseau de verre quelconque ; au lieu de le mettre sur de la braise (upon the embers), mettons-le (upon hot ashes) sur la cendre chaude ; alors le contenu ne sera pas plus grand que le contenant, et nous ne craindrons plus que notre onguent ne serve qu’à allumer le feu.