Sébastopol/3/Chapitre2

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Traduction par J.-Wladimir Bienstock.
Stock (Œuvres complètes, volume 4p. 109-110).
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II

Déjà, dans une rue où se voyaient les restes ruinés des murs de pierres, des maisons tatares du village Douvanka, le lieutenant Kozeltzov était arrêté en route par un transport de bombes et de boulets qu’on amenait à Sébastopol. Deux soldats d’infanterie étaient assis au bord de la route dans la poussière, sur les pierres d’un enclos détruit et s’administraient du melon d’eau et du pain.

— Allez-vous loin, pays ? — demanda l’un en mangeant du pain, à un soldat qui, un petit sac sur le dos, s’arrêta près d’eux.

— Nous venons de la province pour rejoindre notre compagnie, — répondit le soldat en jetant un coup d’œil du côté du melon d’eau et en arrangeant son sac sur son dos. — Voilà presque trois semaines que nous étions préposés pour garder les foins de la compagnie et maintenant on nous a demandés tous. Mais on ne sait pas où se trouve à présent le régiment. On dit que les nôtres sont allés à Korabelnaïa la semaine dernière… Vous n’avez rien entendu dire, camarades ?

— Il est logé dans la ville, dans la ville, — prononça un vieux soldat qui taillait avec son couteau à même le melon, pas encore mûr et blanc.

— Nous en venons depuis midi. Ah ! quelle horreur, mon frère !

— Qu’y a-t-il donc, camarades ?

— Est-ce que tu n’entends pas ? À présent il tire de partout, et il n’y a pas un endroit qui ne soit touché ! Combien en a-t-il tué des nôtres ! C’est effrayant à dire !

Et celui qui parlait fit un geste de découragement et rajusta son bonnet.

Le soldat de passage hocha pensivement la tête, fit claquer sa langue, ensuite tira de ses bottes une pipe, et sans y mettre de nouveau tabac, remuant ce qui y était, il alluma un petit morceau d’amadou à un soldat qui fumait et souleva son bonnet.

— Dieu seul est le maître, camarades ! Adieu, — dit-il, et, secouant son sac sur son dos, il poursuivit sa route.

— Tu ferais mieux d’attendre ! — dit avec conviction celui qui creusait le melon d’eau.

— C’est la même chose ! — murmura le passager en se faufilant parmi les roues des voitures serrées.