Rivalité de Charles-Quint et de François Ier/3/04

RIVALITE
DE CHARLES-QUINT
ET
DE FRANCOIS Ier

MARCHE DU CONNETABLE DE BOURBON ET DE SON ARMEE VERS L'ITALIE CENTRALE. - PRISE ET SAC DE ROME.[1]



Charles-Quint était très appliqué à ses affaires et les conduisait en politique attentif, quoique un peu lent. D’un esprit plus réfléchi que prompt, il méditait beaucoup avant de se décider pour longtemps. Moins fécond que ferme dans ses vues, il avait, bien jeune encore, cette puissance de volonté qui fait une grande partie de l’habileté humaine et décide si souvent de la fortune, de la fortune soumise aux persévérans encore plus qu’aux audacieux, car si les audacieux la surprennent quelquefois, les persévérans finissent presque toujours par la contraindre et lui commander. L’ambassadeur vénitien Gaspar Contarini, qui avait précédé en Espagne André Navagero, revenant d’auprès de Charles-Quint entre la bataille de Pavie et le traité de Madrid, le dépeint ainsi dans la relation de, son ambassade qu’il adressa, le 16 novembre 1525, au sénat de Venise : « L’empereur accomplira sa vingt-sixième année le 24 du mois de février (1526), jour de saint Mathias, où il obtint la victoire sur l’armée française et où fut pris le roi très chrétien. Il est de stature ordinaire, ni grand ni petit ; son teint est blanc, et plutôt pâle que coloré. Il a le nez un peu aquilin, les yeux gris, le menton trop avancé, l’aspect grave, sans être dur ni sévère. Son corps est bien proportionné, sa jambe très belle, son bras fort, et dans les joutes d’armes comme dans les courses de bagues il est aussi adroit que quelque cavalier de sa cour que ce soit[2]. »

Après avoir dit que le jeune et grave empereur était d’une complexion et d’un caractère mélancoliques, très religieux, fort juste, étranger aux plaisirs qui entraînent les hommes de son âge se donnant quelquefois, mais rarement, la distraction de la chasse, peu affable, plutôt avare que libéral, ne parlant guère, ne s’exaltant pas dans la prospérité, ne se laissant point abattre par l’adversité et ressentant plus la tristesse que la joie, Contarini le montre sans cesse occupé du gouvernement de ses pays et de la conduite de ses affaires. « Il se plaît, dit-il, à négocier et à siéger dans ses conseils. Il y est fort assidu et il y passe une grande partie de son temps[3]. »

C’est par cette application soutenue qu’il pourvut aux nécessités et qu’il surmonta les périls de sa situation en Italie. Mettant tous ses soins à s’y fortifier non moins qu’à y affaiblir ses adversaires, il n’oublia rien de ce qui pouvait préparer la défaite ou hâter la désunion de la sainte ligue. Il chercha tout à la fois à la vaincre par les armes, à la dissoudre par les négociations. Il équipa sur les côtes d’Espagne une flotte de quelques navires de guerre et de beaucoup de vaisseaux de transport, que montaient environ dix mille soldats espagnols et allemands[4] commandés par Lannoy et par Alarcon, dont il avait récompensé les précédens services en créant l’un prince de Sulmona et en nommant l’autre marquis de la Valle-Siciliana. Il ordonna de lever en Allemagne une troupe considérable de lansquenets, qu’il pressa son frère l’archiduc Ferdinand d’envoyer au plus tôt en Lombardie sous la conduite du vaillant et dévoué George Frondsberg. Il s’attacha, par des offres aussi habiles qu’opportunes, un souverain italien fort puissant, placé entre les possessions continentales de la république de Venise et les états du pape, et dont l’assistance ne serait pas d’une petite utilité pour ses généraux et pour ses troupes, qui recevraient de lui des conseils, des renforts et des approvisionnemens.

Alphonse d’Este, duc de Ferrare, était le plus changeant des princes, parce qu’il en était le plus intéressé. Il passait d’une alliance à l’autre sans scrupule comme sans hésitation, cherchant et trouvant des avantages dans ses diverses infidélités. En toute rencontre, il ne suivait que les conseils de ses craintes prévoyantes ou les calculs de son avidité ambitieuse. Feudataire du saint-siège, il s’était agrandi aux dépens de l’église romaine. Il avait pris récemment Rubiera et Reggio, et il convoitait Modène. Depuis quelque temps en négociation avec Clément VII et avec Charles-Quint, il se montrait disposé à embrasser le parti de celui qui lui accorderait le plus. Tandis qu’Alphonse demandait au pape la cession de Rubiera, de Reggio et de Modène, l’empereur lui en offrait l’investiture, lui donnait le comté confisqué de Carpi, lui conférait de plus le titre de son capitaine-général en Italie et lui proposait le mariage futur de sa fille naturelle Marguerite avec Hercule d’Este, né de l’union du duc avec Lucrèce Borgia, fille naturelle d’Alexandre VI[5]. Clément VII hésitait, Charles-Quint pressait, le duc de Ferrare se décida : il se sépara de la cause italienne et il embrassa la cause impériale. Le pape s’étant, après un long retard, résigné à lui concéder ce qu’il demandait et ayant chargé son lieutenant Francesco Guicciardini d’aller conclure avec le duc à Ferrare, le duc fit dire au délégué pontifical, déjà parvenu de Parme à Cento, qu’il n’était plus temps, parce que son traité était déjà signé avec l’empereur[6].

Ne se bornant point à préparer des renforts considérables pour ses troupes, à gagner dans la Haute-Italie un auxiliaire aussi utile que le duc de Ferrare, Charles-Quint recevait un envoyé de la cour de France chargé de lui faire de pacifiques ouvertures. Il avait l’intention de rendre par là François Ier suspect à ses confédérés[7], et il donnait pour instruction à Lannoy de mettre tout en œuvre afin de détacher Clément VII de ce prince[8], comme il venait de séparer le duc de Ferrare de Clément VII.

L’attentif Charles-Quint s’empressait de faire connaître ses préparatifs et ses desseins au duc de Bourbon, qui réclamait sans cesse de l’argent et des soldats. Dans la lettre qu’il lui adressait le 8 octobre 1526, pour l’informer de tout ce qu’il voulait comme de tout ce qu’il faisait, il calmait d’abord les orgueilleuses défiances de son lieutenant au sujet de la capitainerie-générale promise au duc de Ferrare. L’ombrageux Bourbon croyait y voir une atteinte à son honneur, une diminution de son autorité. Charles-Quint le rassurait. « J’ai pensé, lui disait-il, que vous trouveriez bon de gagner le duc de Ferrare, quoi qu’il nous puisse coûter. Quant à moy, je n’ay jamais entendu que la chose vous tournât à déshonneur, car vous sçavez que j’ay toujours désiré et désire vous accroistre et non souffrir vous rabaisser. » Il lui envoyait en même temps le privilège de la capitainerie-générale, l’investiture de Reggio et de Modène, en lui disant d’en disposer, après avoir vu « que son honneur et son autorité étaient bien gardés, » et en ajoutant : « Vous adviserez de bien entretenir le duc de Ferrare en nostre service comme sçaurez faire par vostre grande prudence selon que le temps le requerra. » — « C’est, continuait-il, l’un des secours qui vous peult ayder en cette guerre ; l’autre secours sera de l’armée que mayne nostre vice-roy de Naples ; le troisième secours est de l’argent que j’appareille pour vous envoyer, et le quatrième est celuy d’Allemagne, pour lequel j’escrits à nostre frère l’archiduc[9]. »


II

Tout se passa comme l’empereur l’avait annoncé, non sans quelques retards, qui tenaient un peu à son caractère et beaucoup à sa situation. Il avait plus d’états que de ressources et moins d’argent que de puissance. Cependant la flotte, composée de nombreux navires, la plupart de transport, et montée par plus de 9,000 soldats destinés à la défense du royaume de Naples, fut enfin équipée, approvisionnée, réunie et prête à mettre à la voile le 24 octobre 1526. Ce jour-là, elle partit de Carthagène et se dirigea vers l’Italie. Entre la Corse et les côtes d’Italie, elle fut rencontrée par André Doria, qui l’assaillit avec se6 galères mieux armées et lui fit essuyer quelques pertes. Une tempête qui survint sépara les combattans, et la flotte espagnole, un moment dispersée, alla relâcher au port de San-Stephano, en Toscane. Elle n’y resta pas longtemps de peur d’y être attaquée par le redoutable Génois, qui la suivait de près, et qui y arriva le lendemain du jour où elle en était partie. De San-Stephano le prudent Lannoy avait gagné en toute hâte le port de Gaëte, où le 1er décembre 1526 il débarqua, sans être inquiété, les troupes que l’empereur envoyait dans le royaume de Naples[10].

L’armée allemande qui devait venir renforcer les impériaux dans la Haute-Italie fut prête vers le même temps. Le duc de Bourbon, toujours enfermé dans Milan, d’où il demandait à être dégagé pour entrer en campagne, pressait vivement la venue de Frondsberg. Il écrivait à Charles-Quint avec sa jactance accoutumée : « Quand ce secours arrivera, j’espère, avec l’aide de Dieu, ôter à vos ennemis la fantaisie de faire la guerre à votre majesté et vous acquérir telle victoire que ce sera perpétuel establissement pour vos estats[11]. » Aux 50,000 ducats[12] que l’empereur avait fait remettre par la voie de Flandre à Frondsberg, afin qu’il opérât au plus vite cette levée, Bourbon en avait ajouté 36,000[13], qu’il avait dépêchés par les Alpes du Tyrol à ce chef de guerre heureux et renommé, sous lequel les Allemands s’enrôlaient avec confiance, mais non sans recevoir, de l’argent. Bien que l’Allemagne fût exposée à une invasion des Turcs après la récente bataille de Mohacz, où le roi Louis de Hongrie avait été tué et où avait péri la fleur de ses troupes, Frondsberg eut bientôt sous ses enseignes de 12 à 13,000 vaillans lansquenets[14]. Il se mit en marche vers la fin d’octobre et arriva dans les Alpes au commencement de novembre. Il trouva ces montagnes déjà couvertes de neige, s’y fraya un pénible passage, descendit par le Val-di-Sabbio, longea la partie occidentale du lac de Garda, et parvint dans les états du marquis de Mantoue, qui gardait la neutralité entre le saint-siège, dont il était le gonfalonier, et l’empire, dont il était le feudataire. Arrivé là le 20 novembre, il restait encore séparé, par un long espace difficile à franchir et de nombreuses rivières peu commodes à traverser, du duc de Bourbon, auquel il avait l’ordre comme l’intention de se réunir.

Le duc d’Urbin, en apprenant que les lansquenets avaient passé les Alpes et qu’ils paraissaient en Italie, dut renoncer au plan qu’il avait conçu si inopportunément de bloquer et d’affamer les impériaux dans Milan. Il fallait maintenant renoncer à une offensive qui n’avait été ni hardie ni heureuse et se mettre sur une défensive que ce général sans résolution et prudent jusqu’à la timidité ne saurait pas mieux conduire. Avant tout, il s’agissait d’empêcher la jonction de Frondsberg et du duc de Bourbon, dont les troupes réunies formeraient une armée irrésistible par le nombre comme par la force, offrant la solide ordonnance des lansquenets organisés sur le modèle des Suisses, combattant à rangs profonds et avec de longues piques, flanquée de ces agiles et entreprenans bataillons d’arquebusiers espagnols qui avaient en grande partie décidé la victoire dans le parc de Pavie, soutenue par des hommes d’armes, éclairée par des chevau-légers et traînant après elle quelques pièces d’artillerie. Le duc d’Urbin semblait pouvoir s’opposer aisément à cette jonction, placé qu’il était avec tant de troupes entre les lansquenets et les Espagnols. Ayant abandonné le blocus de Milan vers la mi-novembre, il se porta avec toute l’armée à Vauri, sur l’Adda. Il y jeta un pont, et après avoir fortifié la position il y laissa le marquis de Saluces avec ses 4,000 fantassins, les Suisses, les Grisons et les hommes d’armes français ; puis le 19 novembre, suivi de Jean de Médicis avec les 4,000 soldats des bandes noires, de 8 ou 9,000 piétons vénitiens, de 600 hommes d’armes et d’une nombreuse cavalerie légère, il alla au-devant des lansquenets. Il voulait les harceler sans les assaillir et les empêcher de faire des vivres. Il prétendait que c’était le seul moyen de vaincre des troupes qui s’avançaient dans un ordre aussi serré et qui ne pouvaient pas être battues ouvertement. La faute était considérable ; en divisant l’armée de la ligue, il l’annulait. Ce qu’il en laissait à Vauri était inutile contre le duc de Bourbon, ce qu’il en menait avec lui n’était pas assez fort pour arrêter les lansquenets. S’il avait marché à leur rencontre avec toute son armée, deux fois supérieure à la leur, composée de Suisses aussi solides que les Allemands, d’arquebusiers, d’hommes d’armes, de chevau-légers que Frondsberg n’avait pas, il aurait pu, en disposant du passage des rivières, barrer le chemin aux lansquenets, les obliger à la retraite par force ou par lassitude, et venir ensuite facilement à bout des troupes peu nombreuses et découragées du duc de Bourbon ; mais, général à précautions et non à entreprises, le duc d’Urbin savait à peine se défendre et n’osait jamais attaquer. Il affaiblissait les confédérés en les séparant au moment même où les impériaux cherchaient à se fortifier en se concentrant.

Arrivé le 21 novembre à Sonzino sur l’Oglio, le duc d’Urbin s’avança vers les terres du Mantouan, où les bandes de Frondsberg se trouvaient déjà engagées. Les lansquenets, parvenus le 22 à Rivolta, près du Mincio, s’étaient dirigés du côté de Borgoforte pour se rapprocher du Pô. Ils étaient encore le 24 dans ce lieu, où ils reçurent par le fleuve quatre fauconneaux que le duc de Ferrare leur avait envoyés. Le duc d’Urbin joignit à Borgoforte la queue des lansquenets, dont la tête cheminait le long du Pô, et Jean de Médicis l’attaqua hardiment avec ses chevau-légers. Pendant cette escarmouche, un coup de fauconneau atteignit Jean de Médicis et lui cassa la jambe un peu au-dessus de la cheville. Il fut transporté à Mantoue, où la jambe lui fut coupée et où succomba bientôt cet intrépide capitaine, emportant les regrets de son pays, dont il était l’honneur et dont il avait l’admiration. Sa mort parut aux Italiens comme le signal de la ruine de l’Italie[15].

Dès ce moment, le prudent duc d’Urbin se retira à Mantoue, sous le prétexte d’aller y attendre les ordres du sénat de Venise, et il ne suivit même plus les lansquenets. Ceux-ci passèrent tranquillement le Pô à Ostia et se dirigèrent du côté de Plaisance. Sans rencontrer d’autre obstacle que des terrains montueux et des torrens grossis par les pluies, ils traversèrent l’Italie dans une partie de sa largeur, franchirent la Secchia, l’Enza, la Parma, le Taro, qui tombent dans le Pô, et vers la mi-décembre ils arrivèrent non loin de Plaisance, à Borgo-di-Sandonino, à Firenzuela et Castello-Arquia, où ils s’établirent.

Parvenu sans être inquiété dans le voisinage du Milanais, Frondsberg écrivit au duc de Bourbon de venir le joindre ; mais le duc de Bourbon, qui attendait les lansquenets avec tant d’impatience et qui projetait en s’unissant à eux de soumettre l’Italie à l’empereur, ne pouvait pas se mouvoir faute d’argent. Les 200,000 ducats qu’il avait reçus de l’empereur n’avaient pas suffi à la solde fort arriérée des troupes et à leur entretien pendant cinq mois. Il ne restait pas un ducat au duc de Bourbon, et sa petite armée refusait d’entrer en campagne avant qu’on lui eût donné ce qui lui était dû. Elle en était arrivée à ce point d’indiscipline tout en conservant sa bravoure et de désobéissance tout en se maintenant dans sa fidélité, qu’il était impossible de lui commander sans la contenter et de la faire marcher sans la payer. Pour se procurer l’argent que l’empereur n’avait pas pu envoyer et que le pays épuisé ne semblait plus en état de fournir, le duc de Bourbon tira, comme il le dit, jusqu’au sang[16] de la ville de Milan ; il lui arracha 30,000 écus de plus. Il contraignit Morone, enfermé dans la forteresse de Trezzo, à payer 20,000 ducats[17] comme prix de son pardon, le menaçant, s’il n’acquittait pas cette taxe, de le faire décapiter. Morone souscrivit la somme afin d’échapper à la mort. Chancelier du duc Sforza, il devint pour surcroît d’infortune secrétaire du duc de Bourbon, et après avoir conspiré en faveur de l’indépendance italienne il se fit le conseiller de celui qui travaillait à mettre toute l’Italie sous le joug de l’empereur. L’argent ainsi obtenu ne suffisant pas à compter aux troupes les paies qu’elles exigeaient pour entrer en campagne, le duc de Bourbon, le marquis del Guasto, Antonio de Leyva et d’autres capitaines engagèrent leurs joyaux, leurs bagues, leurs chaînes d’or. « De cette manière, écrivit le duc à l’empereur, nous avons trouvé 20,000 écus, avec lesquels nous avons eu le supplément pour les deux paies[18]. »

Il ne commença à sortir de Milan que le 2 janvier 1527. Il laissa le commandement de la ville à Antonio de Leyva, qui garda, pour la contenir et la défendre, Gaspard de Frondsberg, fils de George, avec 2,000 lansquenets, et le comte Ludovico de Belgiojoso, entré depuis peu au service de Charles-Quint, avec 1,500 Italiens. La jonction des Espagnols et des Allemands se fit avec beaucoup de lenteur. Le 9 février, le duc de Bourbon passa la Trebbia et se réunit ensuite à Frondsberg. Avant de mettre en mouvement ses bandes résolues et nécessiteuses, il écrivit à l’empereur pour l’instruire de leurs valeureuses dispositions en même temps que de leurs impérieux besoins. Il lui disait que les chevau-légers n’avaient reçu aucune paie, que les 13,000 lansquenets de Frondsberg n’en avaient touché qu’une seule, et qu’ils avaient à réclamer plus de 100,000 écus. Il le suppliait de fournir au plus tôt à l’armée maintenant en campagne ce qui lui était dû, parce qu’elle serait sans cela exposée à mourir de faim. « Nous autres, ajoutait-il, ne pouvons plus faire autre chose que mettre notre vie à votre service[19]. » Ayant le dessein d’attaquer l’Italie centrale avec cette armée que rien ne pouvait arrêter désormais si ce n’est le défaut d’argent, il se mit en marche. Il avait donné la direction de l’avant-garde au prince d’Orange[20] avec le commandement des chevau-légers et des hommes d’armes. Le marquis del Guasto conduisait la vaillante infanterie espagnole, dont il était le capitaine-général ; George de Frondsberg était à la tête de ses rudes lansquenets, et le jeune Ferdinand de Gonzague, qui devint plus tard un des grands généraux de Charles-Quint, avait sous ses ordres un corps de soldats italiens. Le duc de Bourbon s’achemina ainsi vers les états pontificaux sans être inquiété par les troupes divisées de la confédération. Le marquis de Saluces, toujours en avant, ne put que se jeter dans les villes de l’église qui se trouvaient menacées et préserver tour à tour Plaisance et Bologne. Le timide duc d’Urbin, toujours en arrière, surveilla de loin, avec les troupes vénitiennes, l’armée impériale, dont il ne s’approcha jamais. Lorsque le duc de Bourbon arriva à San-Giovanni, entre Bologne et Ferrare, le duc d’Urbin se posta à Casal-Maggiore, décidé à n’en pas bouger tant que le duc de Bourbon demeurerait à San-Giovanni. Le duc de Bourbon occupa la position de San-Giovanni, où il resta campé pendant quelque temps, afin de s’aboucher avec le duc Alphonse, qui devait lui donner des vivres, des munitions, des charrois, des pionniers, de l’argent, et qui l’engagea ou l’entretint dans le projet de se jeter sur Florence et sur Rome.


III

Les affaires de la ligue étaient singulièrement exposées dans la péninsule. Le principal chef des confédérés italiens, Clément VII, devenait chancelant. Au moment où Lannoy avait pris pied dans le royaume de Naples avec une armée et où Frondsberg était arrivé dans la Haute-Italie avec ses lansquenets, le pape alarmé avait tremblé pour les possessions du saint-siège et pour l’état de Florence. Comme son esprit était aussi incertain que son caractère était timide, il retomba dans ses irrésolutions par ses craintes. Aussi allait-il, dès cet instant, flotter entre les confédérés et les impériaux, demander des secours aux uns, négocier avec les autres, ne rien faire qu’à demi et ne pas le faire longtemps, donner le triste spectacle de ses frayeurs et de ses tergiversations, se livrer à ses haines sans énergie, montrer ses troubles sans retenue, passer des hostilités aux négociations, des trêves aux ruptures, des attaques aux traités, selon ses espérances ou ses terreurs. Il fit alors demander de nouveaux subsides à Henri VIII, qui l’avait excité à entrer dans la ligue, et il réclama de François Ier une assistance plus efficace, s’il tenait à ce qu’il n’en sortît point.

Le nonce Acciajuoli, pénétrant et habile politique qui représentait à la fois le saint-siège et la république de Florence auprès du roi très chrétien, adressa par écrit à François Ier une éloquente requête. « Si votre majesté, lui disait-il, ne tourne pas cette fois toute la puissance de la France au salut commun et n’y emploie pas son esprit et son courage, l’Italie sera en peu de temps assujétie à la domination de l’empereur, vos fils resteront en prison toute leur vie, ou, pour les recouvrer, il faudra donner une si grande somme d’argent que le royaume de France en sera appauvri pour de longues années. On a tenu trop peu de compte des forces de l’empereur et l’on s’est trop confié dans les nôtres ; c’est la cause du mal et de la ruine. Aujourd’hui l’Italie est réduite à un tel état, qu’elle ne peut plus toute seule résister à une si grande attaque… La venue des lansquenets au-delà du Pô, la mort du seigneur Jean de Médicis, l’arrivée du vice-roi avec les Espagnols, sont des coups mortels pour le pape et les Florentins[21]. » Il supplia le roi d’envoyer sur-le-champ un de ses gentilshommes pour annoncer à Clément VII l’intention de lui venir en aide, de mettre incessamment 100,000 écus à sa disposition, de faire lever tout de suite 8 ou 10,000 Suisses qui descendraient en Italie et que joindrait à Novare le comte de Guise ou le comte de Saint-Pol avec 400 lances, et, si la paix ne se concluait pas, de passer lui-même en Italie avec les forces dont il avait souvent parlé. « Le salut de l’Italie et du monde, ajoutait-il, est entre les mains de votre majesté. Si nous restons libres, l’honneur, la gloire et l’avantage en resteront à votre majesté. Sinon, nous plierons nos cols sous le joug de l’empereur, au grand déshonneur et au détriment de votre majesté[22]. »

François Ier fit les plus grandes promesses ; il jugeait fort bien sa situation et l’état de l’Italie. « Je sais, disait-il au nonce, qu’il m’importe plus qu’à qui que ce soit d’être victorieux dans cette guerre, parce que j’y ai un plus étroit intérêt et un plus cher gage que personne. Je reconnais que, si l’Italie succombe et reste assujétie, l’empereur ne se pourra plus supporter, et que je recouvrerai avec difficulté mes enfans. Si l’église apostolique se remettait à sa discrétion, ce serait un pire malheur. Mon devoir m’oblige à la soutenir et à faire toute la diligence nécessaire pour la conserver. Je ne veux pas y manquer, et je suis prêt à faire tout ce qu’il faut[23]. » Il avait annoncé le prochain envoi de 30,000 écus des décimes, outre 60,000 écus que le pape recevrait de la main à la main, et 20,000 autres écus qui suivraient de près les 20,000 déjà transmis à Renzo da Ceri pour faire par les Abruzzes et conjointement avec la flotte, déjà prête à attaquer par les côtes le royaume de Naples, une entreprise sur ce royaume convenue avec Clément VII. François Ier assurait en même temps que l’ordre avait été donné de lever 10,000 Suisses dans les cantons, et que les gentilshommes de sa maison étaient déjà partis pour aller l’attendre à Lyon[24]. Il faisait prévenir le pape que le roi d’Angleterre lui adresserait, s’il restait fidèle à la ligue, une forte somme d’argent par sir John Russell[25], et l’engageait à se montrer calme et à tenir ferme.

Ce prince spirituel parlait à merveille et agissait moins bien. Il avait un prompt coup d’œil, mais il manquait d’application. Il s’occupait un moment et avec beaucoup d’intelligence des plus importantes affaires, puis il se dérobait pendant huit jours pour aller s’amuser dans une de ses maisons de plaisance, ou prendre avec fureur son plaisir favori de la chasse. Il évitait la peine, recherchait les distractions, promettait beaucoup, tenait moins, exagérait avec vanité ses forces, multipliait sans hésitation ses engagemens, et semblait croire que tout ce qu’il avait dit était comme fait. « Les choses agréables, écrivait le nonce au dataire Giberto et à Jacobo Salviati, parent de Clément VII, effacent de son esprit les pensées plus graves, de sorte que le plus souvent les paroles restent à nous, et les effets vont aux plaisirs[26]. »

A peine se terminaient ces entretiens sur les besoins de l’Italie et du pape, que François Ier allait chasser pendant quinze jours en Champagne, emmenant avec lui les principaux seigneurs de sa cour et de son conseil[27]. Presque rien de ce qu’il annonçait ne s’exécutait. Clément VII, ne recevant pas les sommes qui avaient été promises et réduit à ses propres forces, tombait dans un extrême découragement. Il était très alarmé en apprenant que les lansquenets descendus en Lombardie n’avaient pas été arrêtés dans leur marche et qu’ils ne rencontraient aucun obstacle à leur jonction avec les Espagnols. Ses inquiétudes, fort grandes du côté de la Haute-Italie, n’étaient pas moins vives du côté de l’Italie inférieure. Les Colonna venaient de prendre Ceperano et Pontecorvo sur les terres méridionales de l’église, où le vice-roi de Naples avait pénétré à la tête d’une petite armée et assiégeait Frosinone. Clément VII, dont l’imagination effrayée grossissait ces périls, qui n’étaient encore ni rapprochés, ni redoutables, se hâta de traiter avec les envoyés de Charles-Quint.

Tout en faisant la guerre à l’empereur, il n’avait pas cessé, à l’exemple même de François Ier, d’être en négociation avec lui. Il avait envoyé en Espagne messer Paolo d’Arezzo, chargé d’y proposer un arrangement convenable des affaires d’Italie et d’y demander la délivrance des enfans de François Ier moyennant une rançon. L’empereur de son côté avait dépêché en Italie le général des franciscains et son grand-écuyer Cesare Feramosca pour négocier avec le pape et arriver à une commune pacification. Jusque-là rien n’avait pu se conclure, les vues étant de part et d’autre trop opposées ; mais alors, dans la précipitation de son épouvante, Clément VII accéda à tout ce que voulait Charles-Quint. Par l’accord qui lui était imposé, les clauses du traité de Madrid restaient les mêmes, le rétablissement de Francesco Sforza n’était point exigé, et le pape, tenu avec les Florentins de donner 200,000 ducats pour renvoyer les lansquenets d’Italie, devait remettre comme gages de sa fidélité Parme, Plaisance et Civita-Vecchia[28]. Le consistoire des cardinaux auxquels fut communiqué le projet de convention, que le péril était loin d’autoriser encore et que repoussait la dignité du saint-siège, se déclara contre l’adoption, et dit qu’il fallait vendre les vases des églises plutôt que de s’y soumettre[29]. Malgré l’avis des cardinaux, Clément VII l’accepta et conclut le 31 janvier 1527 une trêve de huit jours pour présenter ce traité aux Vénitiens, qui le rejetèrent avec mépris et en envoyèrent aussitôt les articles à la cour de France.

En recevant le 15 février cette alarmante nouvelle, François Ier fut extrêmement irrité. Il assembla le lendemain 16 les seigneurs du conseil à Saint-Germain, où il fit venir le nonce Acciajuoli. — « Monsieur l’ambassadeur, lui dit-il, le pape a fait un accord avec les impériaux à notre grand préjudice et à celui des autres confédérés. Nous en avons été très émerveillés. Nous nous attendions à toute autre chose et nous ne croyions pas être abandonnés par sa sainteté dans un moment où elle était pourvue d’argent et où nous avions donné ordre de lui en remettre de nouveau, étant à la veille de conclure un arrangement avec le roi d’Angleterre et de donner ensemble tant d’affaires à l’empereur, qu’on pût l’amener à des conditions honnêtes. Il est étrange que sa sainteté veuille se remettre à la discrétion de l’empereur[30], qui en fera un simple prêtre plutôt que de persister dans l’amitié de princes si puissans et tout disposés pour sa défense et pour la libération de l’Italie. Je vous ai fait appeler, continua-t-il, pour me plaindre de cette conduite de sa sainteté. Je pense agir de telle sorte que l’empereur ne réussisse pas dans son dessein de tout soumettre à sa tyrannie, et je laisserai en servitude ceux qui y seront tombés par bassesse et par peur. Le pape nous ayant abandonnés, nous resserrerons nos liens, le roi d’Angleterre, la seigneurie de Venise et moi ; j’espère que Dieu nous aidera et que nous aurons assez de force pour venir à bout de l’empereur. »

Avant que Clément VII connût, par la dépêche du nonce Acciajuoli, cette véhémente sortie de François Ier contre l’acte auquel il avait eu la faiblesse de souscrire, il y avait déjà renoncé. Le jour même où il concluait cette trêve onéreuse et humiliante, les troupes pontificales remportaient une victoire marquée sur les troupes impériales dans le sud de l’Italie. Le général de l’église Vitelli et le cardinal-légat Trivulzi, à la tête d’une armée de 10,000 bons soldats, attaquaient devant Frosinone l’armée espagnole, qui en faisait le siège. Ils la battaient, la contraignaient d’évacuer les états de l’église et de rentrer assez en désordre dans le royaume de Naples. En apprenant ce succès, le pape enhardi rompait le traité du 31 janvier, auquel la peur seule l’avait disposé à consentir. Il prescrivait de continuer la guerre. Passant même d’un excès d’abandon à un excès d’entreprise, il voulait poursuivre la conquête du royaume de Naples, qu’il avait proposée par le secrétaire Sanga à François Ier pour un des fils du roi, qui épouserait Catherine de Médicis, sa nièce.


IV

La victoire de Frosinone, qu’il apprit presque aussitôt, causa autant de joie à François Ier que la trêve lui avait inspiré de mécontentement. Pensant bien que Clément VII rentrerait dans la ligue, il dit au nonce Acciajuoli : « Je me persuade que le pape ne sera plus disposé à traiter avec nos ennemis[31]. » Il l’instruisit en même temps de l’union plus étroite qui se négociait et de l’alliance de famille qui se préparait entre le roi d’Angleterre et lui, afin d’attaquer ensuite de concert l’ennemi commun. « Nous sommes décidés, le roi mon frère et moi, ajouta-t-il, à faire à l’empereur une guerre dont vous vous émerveillerez bientôt. C’est pourquoi écrivez à notre saint-père le pape que, pour l’amour de Dieu, il se remette l’esprit, ne délaisse pas cette compagnie et ne songe plus ni à des trêves ni à des négociations. Maintenant qu’il a pris le dessus et que l’armée de Lombardie est si incertaine qu’elle ne sait que faire, qu’il se rassure, afin que nous puissions affermir nos pas et tourner notre pensée à lui venir en aide. À dire le vrai, ses pratiques continuelles d’accord, ses peurs, ses desseins de fuir, nous ont tenu dans l’irrésolution et nous ont toujours fait craindre de perdre notre temps et notre argent. Aujourd’hui je veux aider sa sainteté de toute manière. Je dépêche Langey avec 20,000 écus que je n’entends pas être comptés au nombre de ceux que j’ai promis. J’ai ordonné d’en envoyer 20,000 au comte Pierre de Navarre, afin qu’il mette de 5,000 à 6,000 hommes de pied sur la flotte, qu’il aille à Civita-Vecchia et fasse tout ce que lui dira notre seigneur le pape. Je vous donnerai tout de suite à vous l’assignation des 50,000 écus des décimes qui reviennent à sa sainteté, afin qu’elle puisse s’en servir. Vous pourrez tirer cette somme sur qui vous voudrez. Soyez assuré que, le mariage fait avec la princesse d’Angleterre[32], le roi son père et moi nous entreprendrons la guerre de bonne sorte. Le roi d’Angleterre et le duc de Gueldre attaqueront la Flandre ; moi, par le chemin de la Navarre, je passerai en Espagne avec 25,000 hommes de pied et 1,500 ou 2,000 lances, et, si le pape ne se trouble pas l’imagination, nous imposerons la paix à l’empereur comme nous le voudrons et nous le ferons le pape le plus glorieux qui ait jamais été[33]. » Acceptant l’offre que le secrétaire Sanga était venu lui faire de la part de Clément VII, il ajouta : « J’ai donné à M. de Langey la commission de dire au pape que je suis content de faire l’entreprise de Naples pour un de mes fils et de prendre sa nièce. Aidé de sa sainteté, je ferai l’entreprise dans un tel esprit et de telle sorte que l’empereur ne récupérera jamais plus le royaume de Naples[34]. » Si François Ier avait exécuté tout ce qu’il annonçait, s’il avait surtout envoyé diligemment les sommes d’argent qu’il promettait au pape et dont le pape avait un pressant besoin pour tenir ses troupes sur pied, afin de lutter sans désavantage au sud contre le vice-roi et d’attendre sans trop de crainte au nord l’armée impériale que commandait le duc de Bourbon, les choses se seraient passées comme François Ier le demandait ; mais ce prince, prodigue de paroles et d’assurances, voyait ce qu’il y avait à faire, et, soit légèreté, soit impuissance, il ne le faisait jamais à propos ou ne le faisait qu’imparfaitement. Ce qu’il concevait avec intelligence, il ne l’accomplissait pas avec exactitude. Très spirituel et fort pénétrant, il ne lui manquait pour être habile que de joindre l’application à la clairvoyance et d’adapter ses moyens à ses projets. Malheureusement les plaisirs qu’il aimait le détournaient sans cesse des affaires dans lesquelles il se jetait, et il promettait toujours au-delà de ce qu’il pouvait.

Ainsi François Ier ne fit point remettre à Clément VII les sommes dont il avait annoncé l’envoi au nonce Acciajuoli. Il n’expédia pas non plus assez vite sur ses gros navires les troupes de débarquement nécessaires à l’invasion du royaume de Naples. Cette invasion, qui rencontra fort peu de résistance de la part des Espagnols et beaucoup d’assentiment de la part des populations lassées de leur joug, aurait réussi, si elle avait été tentée avec un peu de vigueur et d’ensemble. Renzo da Ceri entra avec 6,000 hommes levés à la hâte dans les Abruzzes ; secondé par les fils du comte de Montorio, il prit Aquila et se rendit maître des pays de Tagliacozzo, d’Alva et de Celano. La flotte sur laquelle était le comte de Vaudemont s’empara de Pouzzoles, de Mola-di-Gaëte, de Castellamare, de Sorrento et de la Torre del-Greco ; mais, soit du côté de la terre, soit du côté de la mer, les progrès de la conquête furent arrêtés par l’insuffisance des moyens fournis pour l’exécuter. Faute de troupes de débarquement, le comte de Vaudemont ne put pas prendre Naples ; faute de ressources, Renzo da Ceri fut hors d’état de s’avancer jusqu’en Pouille ; enfin, faute d’argent et de vivres, l’armée pontificale elle-même, peu de temps après, l’avantage obtenu devant Frosinone, ne voulut pas rester sur pied et se débanda. Lannoy, reprenant l’offensive, franchit la frontière du royaume de Naples et se porta de nouveau dans les états du saint-siège. Il parvint, sans être arrêté, jusqu’à Piperno. D’autre part, le duc de Bourbon était prêt à quitter son camp de San-Giovanni et menaçait d’envahir avec ses terribles bandes l’Italie centrale.

Clément Vil était aux abois. Il avait épuisé le trésor pontifical[35] et ne pouvait plus rien demander à la république de Florence, dont il avait tiré depuis le commencement de la guerre près de 800,000 ducats[36]. Le roi de France lui annonçait sans cesse des sommes d’argent qui n’arrivaient que d’une manière tardive et insuffisante. Dans cet état de détresse, n’ayant plus le moyen d’entretenir les troupes qui défendaient les possessions de l’église vers le sud, nullement protégé vers le nord par l’armée des confédérés, trop timidement conduite pour s’opposer à la marche des Espagnols et des lansquenets campés sur les terres de l’église, il reprît ses terreurs et ses négociations. Afin d’éviter le danger imminent auquel il se croyait exposé, il entra derechef en pourparlers avec les impériaux.

Lannoy envoya à Rome l’écuyer de l’empereur Cesare Feramosca et son secrétaire Serenon. Les conditions qu’ils portaient étaient cette fois moins défavorables à Clément VII[37]. Charles-Quint tenait par-dessus tout à s’accorder avec le pape. Il espérait par là rompre la ligue franco-italienne dont le pape était le lien, préserver le royaume de Naples d’une invasion, faire passer l’armée du duc de Bourbon sur les terres des Vénitiens pour y vivre à leurs dépens[38], et les contraindre à une paix qui laisserait l’Italie à sa merci et le roi de France dans l’isolement.

Feramosca arriva à Rome avec les propositions de Charles-Quint pour suspendre la guerre en même temps qu’y arrivait Guillaume du Bellay, seigneur de Langey, avec les instances de François Ier pour la continuer[39]. Guillaume du Bellay apportait à Clément VII très peu d’argent et beaucoup de promesses. Feramosca lui offrait une trêve moins inacceptable que la trêve précédente. Pendant quelques jours, Clément VII flotta entre ses animosités et ses frayeurs[40] : il avait le désir de demeurer fidèle à la ligue conclue pour procurer l’indépendance de l’Italie, et il sentait la nécessité de soustraire l’état pontifical et l’état florentin à l’attaque redoutée des impériaux. Dépourvu de ressources, n’ayant plus le moyen de solder et de retenir ses troupes, réduit aux timides assistances des Vénitiens et aux encouragemens inefficaces de François Ier, il céda de nouveau au sentiment de la crainte qui s’emparait si facilement de son âme, et il traita avec les envoyés de Charles-Quint. La trêve fut conclue le 15 mars 1527[41]. Au lieu de 200,000 ducats, il n’en était demandé que 60,000 à Clément VII, qui n’était plus contraint de remettre les citadelles d’Ostie et Civita-Vecchia comme gages de sa fidélité. La république de Venise et le roi de France pouvaient être compris dans cet arrangement. S’ils l’acceptaient, les lansquenets sortiraient de la Haute-Italie ; s’ils n’y adhéraient pas, l’armée impériale, à laquelle seraient attribués les 60,000 ducats, se retirerait seulement des terres de l’église[42]. En abandonnant la confédération, que devaient délaisser aussi les Florentins, le pape assurait la prépondérance en Italie à l’empereur, qui serait moins attaquable au sud comme roi de Naples et l’emporterait aisément dans le nord, où son lieutenant le duc de Bourbon s’affermirait comme duc de Milan.

Ce traité, dont la conclusion devait exciter le plus vif mécontentement et le plus grand trouble à Venise et en France, il fallait le faire accepter par une armée aussi indisciplinée qu’avide, depuis longtemps sans solde et à la disposition de laquelle était mise seulement la somme modique de 60,000 ducats. Cesare Feramosca, qui venait de le conclure à Rome, se rendit en toute hâte au camp impérial pour le signifier au duc de Bourbon et faire rétrograder ses troupes[43]. L’armée était immobile entre San-Giovanni et Bologne. Elle y manquait de tout. Le duc de Bourbon, ayant épuisé les provisions qu’il avait tout d’abord reçues du duc de Ferrare, ne savait plus ni comment la faire vivre, ni comment la faire avancer. Il tombait des pluies torrentielles. Mal vêtus, peu nourris, sans souliers, sans argent, les Espagnols et les lansquenets, arrivés au comble de l’exaspération, s’étaient mutinés avec fureur, le 13 mars, l’avant-veille du jour où la trêve se signait à Rome. Les Espagnols avaient donné le signal du soulèvement. Ils s’étaient portés en tumulte devant la tente du duc de Bourbon, demandant leur solde, et ils auraient tué le duc, dont ils pillèrent la demeure, s’il ne s’était pas dérobé par la fuite à leurs violences[44]. Il était allé chercher un asile dans le quartier des lansquenets, auprès de George Frondsberg ; mais les Allemands eux-mêmes n’avaient pas tardé à suivre l’exemple des Espagnols, et ils s’étaient soulevés à leur tour, en criant : Lanz ! lanz ! de l’argent ! de l’argent ! — George Frondsberg s’efforça en vain de les apaiser. Il les appela ses enfans, les supplia de continuer à servir l’empereur avec docilité et d’attendre patiemment que leur solde, qu’ils recevraient bientôt, pût être payée. Sa voix, jusque-là si obéie, ne fut pas écoutée, et le vieux capitaine, surpris de cette résistance inaccoutumée de ses fidèles lansquenets, fut frappé d’apoplexie en les haranguant. La parole lui manqua tout d’un coup, et il tomba affaissé sur un tambour[45]. Ses Allemands consternés le transportèrent dans son logis, d’où il fut conduit à Ferrare afin d’y recevoir des soins qui ne le sauvèrent pas.

Pour apaiser cette sédition militaire, il fallut contenter les soldats et composer avec eux. A l’aide d’un petit emprunt fait au duc de Ferrare, il leur fut donné un ducat par homme, et le duc de Bourbon laissa espérer à l’armée le riche pillage de Florence et de Rome comme complément de solde[46]. Le tumulte était à peine apaisé, Frondsberg était mort, et les bandes impériales, replacées sous les ordres du duc de Bourbon, mais suivant la direction de douze élus qu’elles avaient nommés pour veiller à leurs intérêts, étaient prêtes à se jeter sur l’Italie centrale, lorsque Feramosca arriva au milieu d’elles. Il apportait la trêve destinée à arrêter leur marche et l’annonce de 60,000 ducats qui ne pouvaient ni suffire à leurs besoins ni correspondre à leurs exigences. Aussi des murmures s’élevèrent tout d’abord contre lui dans le camp irrité[47]. Le duc de Bourbon, à qui l’envoyé de Lannoy montra des lettres de l’empereur, qui prescrivait d’exécuter ce qui serait conclu entre le pape et le vice-roi de Naples conformément à ses intentions et pour le plus grand avantage de ses affaires, laissa voir son orgueilleux mécontentement. Il s’emporta, déclara qu’il renoncerait au commandement d’une armée qu’on entravait à ce point, menaça de ne plus servir l’empereur, prononça les plus étranges paroles, et finit par dire à Feramosca que, s’il voulait faire observer cet accord, il eût à persuader l’armée de la nécessité de s’y soumettre.

Feramosca l’essaya. Il parla à tous les capitaines réunis de l’utilité de la trêve qui venait d’être convenue ; il les entretint des obstacles que rencontreraient les troupes, des dangers et des revers auxquels elles seraient exposées, si, sans vivres, sans argent, avec peu de canons, elles s’engageaient à travers des pays pauvres et âpres, et allaient se heurter contre des villes fermées et bien défendues. Il demanda qu’ils fissent accepter par leurs compagnies respectives une paix dont il leur expliqua les raisons et leur développa les avantages pour l’empereur, aux volontés duquel ils étaient d’ailleurs tenus d’obéir. Comme l’avait prévu le duc de Bourbon, l’armée ne se laissa pas gagner et ne souscrivit point à la paix. Elle voulait marcher, se battre, piller. Les soldats, furieux contre Feramosca, le cherchèrent pour le tuer, et si, averti à temps du péril, il ne s’était pas enfui sur un cheval que lui donna Ferdinand de Gonzague, il aurait péri sous leurs coups[48]. Alors le duc de Bourbon, tenant moins de compte des desseins de l’empereur que des passions de l’armée, interrogea les Espagnols et les lansquenets sur ce qu’ils voulaient faire. « Nous désirons, répondirent-ils, aller en avant. — Et moi, ajouta-t-il, j’irai avec vous. » Il fut décidé que l’armée se mettrait en mouvement le lendemain. Le marquis del Guasto, qui avait tout tenté pour l’arrêter, se refusait à la suivre. Le duc de Bourbon le pressa vivement de rester à la tête des Espagnols, dont il était capitaine-général. « N’avez-vous pas, lui dit-il, ordre de l’empereur de faire ce que je prescrirai ? Eh bien ! je vous l’ordonnerai par écrit. — Il est vrai, répondit le marquis ; mais, comme je sais que vous n’accomplissez pas ce que l’empereur vous ordonne, je ne dois pas non plus vous obéir contre ses ordres. » Il se démit de son commandement et se retira à Ferrare.

V

Le 30 mars 1527, l’armée impériale, qui reçut du duc de Ferrare des munitions, des chariots, des pionniers et quelques vivres, se mit en route conduite par le duc de Bourbon, assisté des douze élus[49]. Elle prit d’abord le chemin de la Romagne, fut arrêtée quelque temps par les rivières, que les pluies avaient grossies, parut sous Imola, où était allé de Bologne le vigilant marquis de Saluces avec les troupes soldées par la France, poussa jusqu’à Forli, ne parvint à entrer que dans des lieux ouverts, comme Lugo et Cotignola, et se dirigea, exposée aux plus dures souffrances et aux plus extrêmes privations, vers la partie la plus haute et la plus âpre des Apennins, d’où elle comptait descendre et se jeter sur la riche proie de Florence et de Rome. Le duc de Bourbon, qui la menait à ce grand pillage, semblait entraîné par elle et prétendait la suivre afin de la contenir[50]. Il écrivait que, si le pape fournissait à l’armée assez d’argent pour la satisfaire, il la déciderait à rétrograder.

En apprenant que le duc de Bourbon n’avait pas accédé à la trêve sous le prétexte que la somme stipulée de 60,000 ducats n’était pas assez considérable, Clément VII, tout à la fois indigné et effrayé, avait sommé le vice-roi de Naples de faire accepter au plus tôt par l’armée impériale l’arrangement conclu avec l’empereur. Lannoy, qui était alors à Rome, où le pape l’avait appelé pour être encore plus rassuré par sa présence, ne refusa point de s’entremettre auprès du duc de Bourbon et de l’armée, mais en demandant que les 60,000 ducats fussent portés à 150,000 pour satisfaire aux désirs de l’un et arrêter les mouvemens de l’autre[51]. Comme cette somme ne pouvait pas être trouvée tout de suite à Rome, Lannoy se rendit avec un maître d’hôtel du pape à Florence, intéressée au maintien d’un accord qui l’arracherait au péril dont elle était menacée. Le vice-roi assura qu’à ce prix il ferait rétrograder l’armée, et il s’engagea, si le duc de Bourbon ne s’y montrait point disposé, à détacher d’elle tout au moins les Espagnols et les hommes d’armes.

Pendant dix jours, il négocia la levée des 150,000 ducats avec les Florentins, qui promirent de les fournir et vendirent les vases de leurs églises pour les trouver. Cet accord nouveau eut l’assentiment de deux gentilshommes, La Motte et Montbardon, que le duc de Bourbon avait envoyés à Florence avec son aumônier Jean de Languedoc, afin d’assurer qu’une somme plus forte lui permettrait de ramener en Lombardie l’armée qu’il avait désiré arrêter sans le pouvoir. Ses commissaires retournèrent auprès de lui pour le prévenir que les 150,000 ducats seraient comptés en deux fois aux soldats impériaux[52]. Ils furent suivis de près par le vice-roi de Naples et le maître d’hôtel de Clément VII, qui allaient surveiller l’exécution de ce dernier arrangement, et par les délégués florentins, qui gravirent les pentes occidentales de l’Apennin, portant avec eux les 100,000 ducats du premier paiement. Tout semblait définitif, et Clément VII considéra comme certaine la retraite des troupes impériales. Après avoir conclu la trêve du 15 mars à Rome, il avait licencié la plus grande partie des troupes qui lui restaient encore et n’avait conservé que 2,000 hommes des bandes noires, 500 chevaux et un petit nombre de Suisses[53]. En apprenant ce qui avait été convenu à Florence, pleinement rassuré, il renvoya le peu de soldats qu’il avait gardés, et demeura entièrement désarmé dans Rome.

C’était ce que voulait le duc de Bourbon. L’adhésion donnée en son nom au dernier arrangement était trompeuse. Elle n’avait d’autre objet que de faire tomber le pape dans une fausse sécurité, de maintenir ouverts les passages qui conduisaient en Toscane[54] et de laisser à la merci des impériaux Florence et Rome dépourvues de toute défense. Après avoir été retenu longtemps en Romagne par la nécessité de faire des vivres et par le débordement des rivières, le duc de Bourbon, laissant ses canons pour aller plus vite, s’était enfin dirigé vers le Val-di-Bagno, seule route qui ne lui fût pas fermée pour passer de l’état de l’église sur le territoire florentin. Il avait pris Meldola, que ses troupes avaient saccagée, et remontant, par Galeata, Santa-Sophia, San-Pietro-in-Bagno, les revers orientaux des Apennins, où ses soldats, au milieu des neiges amoncelées et des torrens grossis, avaient eu beaucoup de peine à ne pas mourir de faim et de froid, il touchait aux cimes les plus élevées des montagnes qu’il voulait franchir au moment où le vice-roi de Naples, le maître d’hôtel de Clément VII et les porteurs des ducats florentins s’avançaient par le revers opposé pour le joindre et l’arrêter. Continuant sa marche et ses tromperies, il donna rendez-vous au vice-roi sous l’Apennin, qu’il tenait avant tout à passer, et ne cessa d’écrire, soit à lui, soit au lieutenant du pape Francesco Guicciardini, qu’il était toujours dans les plus pacifiques dispositions[55]. Arrivé au sommet de la montagne sans avoir rencontré d’obstacle, il descendit à la Pieve-San-Stephano, se jeta sur la droite dans les plaines d’Anghiari et d’Arezzo et se dirigea du côté de Florence par le val d’Arno. Le 21 avril, jour de Pâques, il vit à la Piena[56], entre Arezzo et Montevarchi, le vice-roi de Naples, qui à grand’peine venait d’échapper à la fureur des paysans soulevés, tandis que les délégués florentins avaient mis à couvert les 100,000 ducats qu’ils portaient à l’armée impériale[57], et que le duc de Bourbon ne s’était pas montré pressé de recevoir. Il demandait bien au-delà dans ce moment. Mettant à un prix plus élevé le maintien de l’accord et la retraite de l’armée, il déclarait insuffisans les 150,000 ducats acceptés en son nom à Florence, et il en réclamait 240,000[58]. Le vice-roi de Naples, soit qu’il devînt complice de la duplicité visible de Bourbon, soit qu’il tînt à ne pas repousser une proposition qui n’était ni sincère ni acceptable, fit connaître à Clément VII cette nouvelle exigence, à laquelle le pape n’avait pas la possibilité et avait encore moins la volonté de se soumettre. Après avoir passé plusieurs jours au camp impérial, sans signifier au duc de Bourbon les ordres formels de l’empereur son maître, sans chercher à inspirer plus de modération et d’obéissance à l’armée, le vice-roi se retira à Sienne, où il alla attendre la réponse facile à prévoir du souverain pontife. Le duc de Bourbon continua de suivre le val d’Arno, et le 26 avril il arriva avec ses soldats, pressés par le besoin et avides de pillage, à San-Giovanni-de-Toscane, qu’une distance de vingt milles séparait de Florence, très peu défendue du côté de l’est.

Heureusement pour cette grande et opulente cité, le même jour, l’armée française, conduite par le diligent marquis de Saluces, et l’armée vénitienne, commandée par le duc d’Urbin, cette fois moins tardif, arrivaient à quelques milles du côté du nord[59]. En apprenant la marche menaçante du duc de Bourbon et ses demandes équivoques, en voyant le désaccord de ses actes hostiles et de ses pacifiques paroles, on ne s’était pas laissé prendre aux pièges de sa fourberie. Dès qu’il avait passé l’Apennin et campé à la Pieve-de-San-Stephano, les Florentins, alarmés de son approche et redoutant une attaque, avaient demandé la prompte assistance des troupes de la ligue. Bien que le pape se fût accordé avec l’empereur par un traité auquel il n’avait pas encore renoncé, il importait de ne pas laisser tomber Florence entre les mains d’un ennemi qui y trouverait de grandes ressources et y accroîtrait sa puissance. Le lieutenant du pape Francesco Guicciardini joignit ses instances à celles de l’ambassadeur vénitien Foscari auprès du duc d’Urbin et à celles de l’envoyé de François Ier, Guillaume du Bellay, auprès du marquis de Saluées, pour qu’ils accourussent au secours de Florence[60]. Cédant à ces pressantes sollicitations, les deux généraux confédérés s’y acheminèrent sans retard par deux directions différentes. Ils parvinrent à la portée de la ville le 26 avril, en même temps que le duc de Bourbon pénétrait jusqu’à San-Giovanni avec l’armée impériale[61].

Ce jour même, le cardinal de Cortone, délégué de Clément VII, et Hippolyte de Médicis, neveu du pape, étant allés au-devant du duc d’Urbin, leur sortie fut considérée comme une fuite, et il éclata un mouvement populaire contre la famille qui gouvernait et épuisait la république. Les jeunes gens de la première noblesse, suivis d’une foule considérable, parurent en armes dans les rues, soulevèrent la ville aux cris de popolo, popolo ! liberta, liberta ! occupèrent le palais du gouvernement et s’y établirent. Ce soulèvement, prélude de la révolution qui renversa bientôt l’autorité des Médicis dans Florence et releva le régime républicain, n’eut pas alors de durée parce qu’il manquait d’à-propos. Le cardinal de Cortone rentra dans la ville avec les troupes confédérées ; le duc d’Urbin, le marquis de Saluées, de concert avec Federigo da Bozzolo et F. Guicciardini, apaisèrent ce tumulte intempestif sans qu’il en coûtât rien à ceux qui l’avaient provoqué. On décida les chefs du soulèvement à évacuer de leur gré le palais public, qu’on ne leur eût arraché de force qu’au prix de beaucoup de sang, et ils rentrèrent tranquillement chez eux, soumis de nouveau à la domination qu’ils ne devaient pas tarder à abattre[62]. Le lendemain de cette journée, Florence, secourue par les troupes confédérées, rompit l’accord dans lequel Clément VII l’avait comprise, et elle rentra dans la ligue. Elle s’engagea, le 27 avril, à fournir à la confédération 300 lances, 500 chevau-légers et 5,000 hommes de pied qui, levés à ses frais et soldés par elles serviraient partout où le demanderait l’intérêt commun[63].


VI

Deux jours auparavant, le pape lui-même était revenu à la ligue qu’il avait tant de fois quittée et reprise. Dès qu’il avait connu les nouvelles prétentions du duc de Bourbon que lui avait transmises le vice-roi de Naples, il avait soupçonné ce qu’il y avait d’artificieux dans la conduite du général de Charles-Quint et de trompeur dans ses assurances. Le 25 avril, de nouveaux articles avaient été signés en son nom et en présence des ambassadeurs du roi d’Angleterre John Russell et Gregorio Casale. « Notre très saint seigneur, était-il dit dans le préambule de ce traité, conclu presque à la veille de la prise de Rome et de la captivité du pape, voyant les ennemis abuser de sa bonté, agir en tout avec fourberie, ne méditer autre chose que l’oppression de tout le monde, ce qui est rendu manifeste par leur marche en avant, de sorte qu’il ne lui reste pas d’autre espérance que dans les armes, a résolu de renouer l’alliance avec les princes confédérés[64]. »

Le pape, qui pendant la durée de la guerre avait déboursé au-delà de 120,000 ducats par mois, exigeait une forte assistance en argent pour reprendre les hostilités et y persévérer. Il demandait que le roi de France entrât en Espagne avec une armée pour y opérer une diversion convenue depuis près d’un an sans avoir été effectuée, qu’il lui fût donné chaque mois 30,000 ducats de plus par le roi très chrétien et par la seigneurie de Venise, que le roi d’Angleterre mît à sa disposition 15,000 ducats et 3,500 hommes de pied qu’il lui avait fait offrir, que les troupes combinées de France et de Venise vinssent tout de suite le défendre dans Florence et dans Rome contre l’armée impériale, déjà parvenue sur le territoire toscan. De son côté, il devait excommunier l’empereur, délier ses sujets de leur serment de fidélité, le déclarer déchu de son droit sur Naples, dont la conquête serait entreprise par terre et par mer, et ne jamais plus traiter séparément de ses alliés. Il fit partir de Rome messer Lorenzo Toscano pour la France, sir John Russell pour l’Angleterre, avec le nouveau traité et une demande de prompts secours qu’il adressa également aux Vénitiens[65]. En attendant ce secours, qui ne pouvait être que tardif, il ne prit aucune mesure pour se défendre contre le danger qui le menaçait.

Le duc de Bourbon, n’ayant pu se jeter sur Florence, mise à couvert de son agression par l’approche des troupes confédérées, n’avait plus songé qu’à s’emparer de Rome. Quittant tout d’un coup sa position de San-Giovanni, il sortit du val d’Arno, prit à gauche par le val d’Ambra[66], se dirigea vers le territoire de Sienne, où des vivres avaient été offerts à l’armée impériale, et, suivant la route la plus directe, il s’avança à marches forcées du côté de la ville pontificale. Il compta sur la rapidité de ses mouvemens pour la surprendre et l’audace de son attaque pour l’enlever. Sa célérité fut extraordinaire. Le 1er mai, il passa de Ponte à Centino, confins du Siennois, sur les terres de l’église, et fit de quinze à vingt milles par jour. Aucune difficulté ne fut capable d’arrêter ce téméraire capitaine conduisant des soldats avides et infatigables. Arrivé sur les bords de la Paglia, il fallut passer à gué cette rivière, qui lui barrait le chemin, et qui, extrêmement grossie par les pluies, roulait des eaux rapides et hautes. Il en rompit le courant à l’aide de sa cavalerie et la fit traverser un peu plus bas à l’infanterie, rangée par files de 30 à 50 hommes de profondeur, tenant leurs bras entrelacés pour opposer une masse plus forte à l’impétuosité de la rivière et y mieux résister[67]. Les gens de pied, ayant de l’eau jusqu’à la bouche et battus par le courant, qui en entraîna quelques-uns, passèrent ainsi sur l’autre bord. Laissant derrière lui Aquapendente, le duc de Bourbon parut sous Viterbe, saccagea Montefiascone et Ronciglione, qui lui avaient refusé le passage et des vivres[68], et le dimanche 5 mai il arriva sur le Monte-Mario, en face de Rome, qui se déployait aux yeux de son armée sur les deux rives du Tibre.

Clément VII était renfermé dans le palais du Vatican et avait très mal pourvu à la défense de la ville menacée. Après être rentré dans la ligue et s’être exposé aux inévitables attaques d’un ennemi sans scrupule et d’une armée sans frein, il n’avait pas repris avec résolution les armes qu’il avait déposées avec tant de promptitude. Quoiqu’il fût obéré, il lui eût été facile de lever et de payer des troupes. On lui conseillait depuis longtemps de faire six cardinaux, dont la création lui eût rendu 240,000 écus ; mais il s’y était jusqu’alors refusé avec une invincible honnêteté, et il disait qu’il se ferait plutôt couper la main droite que de nommer un cardinal pour de l’argent et de signer un acte si au déshonneur du saint-siège[69]. Espérant sans doute que les impériaux seraient arrêtés par les confédérés, qui les empêcheraient non-seulement d’entrer dans Florence, mais de s’avancer vers Rome, il n’avait rien fait pour préserver cette dernière ville d’une agression imminente. Dans la témérité de sa confiance, qui ne fut égalée que par l’excès de son imprévoyance, il avait même interdit d’en sortir aux marchands étrangers et aux Romains, qui, craignant un siège suivi d’un sac, voulaient descendre le Tibre avec leurs richesses et leurs familles et se retirer à Civita-Vecchia[70]. Il croyait l’armée impériale assez éloignée encore, lorsqu’il apprit le 2 mai qu’elle était à Aquapendente et que les chevau-légers de son avant-garde, conduits par Sciarra Xolonna, s’étaient montrés à Viterbe demandant le passage et des vivres. Cette nouvelle le troubla au dernier point[71]. Il se décida bien tard à faire lever des troupes par Renzo da Ceri, revenu de l’Abruzze, où il n’avait pas pu se soutenir, et qu’avait rendu célèbre la défense de Marseille contre Bourbon. Clément VII lui confia le commandement militaire et la défense de Rome. Comme il manquait d’argent, l’ambassadeur d’Angleterre, Gregorio Casale, témoin des anxiétés du pape, dont il s’efforça de remonter le courage[72], engageait le jour même sa vaisselle et ses joyaux pour fournir aux dépenses des premiers enrôlemens[73]. Il le poussa à une création de cardinaux[74], qui, moins tardive, lui aurait procuré les sommes dont il avait un pressant besoin. Renzo da Ceri leva en toute hâte de 3 à 4,000 hommes, les uns pris parmi les soldats naguère licenciés, les autres tirés des boutiques de Rome et des écuries des cardinaux. La plupart étaient des artisans et des domestiques peu aguerris et nullement disciplinés. Ils étaient déjà cependant sur les murailles du Borgo et du Trastevere, que Renzo da Ceri avait fait remparer précipitamment sur quelques points où elles croulaient de vétusté, lorsque les impériaux descendirent le 5 mai, vers le soir, du Monte-Mario pour s’approcher, à travers les prairies, des collines du Vatican et du Janicule, où s’élevaient le Borgo et le quartier du Trastevere[75].

Rome n’était cependant pas d’un accès facile. Traversée par le Tibre du nord-est au sud-ouest, elle se composait de trois parties fort inégales et pour ainsi dire indépendantes entre elles. De la rive droite du fleuve jusqu’aux pentes extérieures du Vatican et du Janicule s’étendaient en face de l’armée impériale le Borgo et le Trastevere, formant comme deux cités séparées que protégeaient des enceintes continues dont il fallait forcer successivement les murailles. Le Borgo, qu’on nommait aussi la Cité Léonine, placé à la gauche des impériaux et dans lequel s’élevait le palais pontifical et la grande église apostolique de Saint-Pierre, était flanqué d’un côté par le château Saint-Ange et fermé de l’autre par les portes assez bien défendues de Torrione et de Santo-Spirito. L’enlever dans un assaut heureux ne suffisait pas. Il était nécessaire d’escalader ensuite les remparts du Trastevere, que les impériaux avaient à leur droite et dont ils ne pouvaient abattre sans canons les deux portes Settimiana et Saint-Pancrace, l’une tournée vers le Borgo et l’autre s’ouvrant sur la campagne. Enfin, le Borgo et le Trastevere pris, restait à pénétrer dans la vieille et vaste cité du Forum, du Capitole, du Palatin, du Quirinal, qui, entourée de remparts et de tours, s’étendait sur la rive gauche du Tibre, large et profond en cet endroit. On n’y arrivait du Borgo et du Trastevere que par trois ponts faciles à rompre ou à garder. Il y avait donc trois attaques successives à livrer et comme trois sièges à faire pour s’emparer de Rome.

Le soir même du dimanche où il parut sous ses murs, l’impétueux duc de Bourbon voulait monter à l’assaut. Il réunit ses capitaines, et, leur rappelant la situation extrême où l’armée se trouvait réduite, sans vivres pour subsister deux jours, sans munitions même pour combattre longtemps, il leur dit qu’il ne restait qu’à enlever Rome par une agression hardie, qu’il ne fallait pas laisser au pape et au peuple romain le temps de se reconnaître et de faire échouer une entreprise qui avait besoin pour réussir d’être brusquée, qu’en attaquant la ville sans retard on l’emporterait sans peine, tandis que tout délai permettrait d’accroître les précautions, de remonter les courages, et pourrait rendre le succès incertain[76].

Il ne parvint pas cependant à les y décider tout de suite. Ses bandes fatiguées demandèrent un peu de repos. Elles dressèrent leur camp de la porte Saint-Pancrace à la porte Santo-Spirito, et l’escalade de Rome fut renvoyée au lendemain. On passa la nuit à préparer des échelles, à mettre les arquebuses en bon état, à disposer les piques et les glaives. Toute l’armée comprenait l’impérieuse nécessité où elle était de prendre Rome. Outre qu’elle y frapperait au cœur la puissance des ennemis de l’empereur, le duc de Bourbon lui avait dit qu’elle y trouverait le repos après ses longues fatigues, l’abondance pour se remettre de ses rudes privations, et bien au-delà de sa solde arriérée dans le pillage de la ville la plus opulente de l’univers, tandis qu’un échec l’exposerait à la honte, à la faim, à la ruine. Le général et l’armée de Charles-Quint étaient en effet perdus, s’ils ne forçaient pas Rome.


VII

Le lundi de grand matin, tout étant prêt, les troupes se mirent en mouvement et se dirigèrent vers le Borgo[77], dont les remparts, placés sur les pentes du mont Vatican, étaient moins hauts et semblaient plus accessibles. C’était là que devait se porter le premier et le plus grand effort des lansquenets comme des Espagnols. Le duc de Bourbon à cheval, la mine altière, respirant l’audace et la communiquant, s’avançait à la tête de bandes qui le reconnaissaient à la casaque blanche jetée sur sa cuirasse et le suivaient avec élan. Le feu s’ouvrit d’abord et continua pendant quelque temps entre les arquebusiers pontificaux, qui tiraient du haut des remparts contre les troupes impériales pour les en tenir éloignées, et les arquebusiers espagnols, qui dirigeaient leurs coups contre les défenseurs des murailles, afin de les en déloger et d’y appliquer plus aisément les échelles[78]. L’artillerie du château Saint-Ange, qui s’élevait au-dessus du Borgo vers l’extrémité opposée à celle de l’attaque, mêlait ses détonations au bruit des arquebuses, et quelques boulets de canon venaient en plongeant percer de loin en loin les rangs impériaux[79]. Bientôt le soleil souleva de la plaine humide un brouillard épais qui couvrit d’obscurité l’espace entre les assaillans et les défenseurs et les empêcha de se voir à peu de distance. Ce brouillard, favorable aux impériaux, leur permit d’approcher des remparts pour les escalader. Le duc de Bourbon, donnant l’exemple aux siens, descendit alors de cheval, mit pied à terre[80], prit une échelle, et, faisant signe aux Espagnols de le suivre, il s’avança hardiment vers la muraille occidentale du Borgo entre la porte Torrione et la porte Santo-Spirito. A peine s’en approchait-il selon les uns, l’avait-il escaladée selon les autres, qu’une balle d’arquebuse l’atteignit à l’aine droite et le renversa. A en croire une relation du temps, il ne fut pas tué du coup. Il recommanda de continuer l’attaque sans se décourager, et fut transporté dans une petite chapelle du voisinage, d’où plus tard, lorsque le Borgo fut pris, il fut conduit au Campo-Santo, y reçut le viatique pendant que ses troupes commençaient le sac de la ville pontificale, chargea son confesseur de ses recommandations pour Charles-Quint, demanda à être enterré à Milan, et expira en criant dans le délire de son agonie : A Rome ! à Rome[81] ! Les bandes impériales, dont le prince d’Orange avait pris le commandement, étaient déjà entrées dans le Borgo ; la blessure mortelle du duc de Bourbon, loin de les abattre, les avait excitées jusqu’à la fureur ; elles avaient déjà perdu beaucoup de monde au pied des murailles, que les Espagnols surtout abordèrent avec une opiniâtre impétuosité. Les quatre premières enseignes qui parvinrent à les franchir furent prises par Renzo da Ceri[82] ; mais à la fin les agiles et intrépides assaillans s’y précipitèrent de tant de côtés que les défenseurs du Borgo ne purent et ne voulurent plus leur faire face. Débandés, tremblans, beaucoup d’entre eux furent égorgés pendant leur fuite, dans laquelle ils avaient entraîné Renzo de Ceri. Les impériaux, se répandant au cri de España ! España ! amazza ! amazza ! à travers le Borgo, rempli de tumulte, d’épouvante et de sang, les poursuivirent jusqu’au pied de la grande forteresse, dont on leur avait à peine fermé l’entrée en faisant tomber la herse[83].

Clément VII venait de s’y réfugier : il avait appris avec terreur dans le palais du Vatican que l’armée impériale tentait l’escalade du Borgo. Au plus fort de l’attaque, il s’était rendu dans la chapelle pontificale, et, prosterné au pied de l’autel, il avait prié Dieu de protéger la ville de Rome, à la défense de laquelle il n’avait pas su pourvoir lui-même. Lorsque les murailles avaient été franchies et que les impériaux s’étaient jetés dans le Borgo, le pape avait quitté précipitamment le palais, et il avait gagné le château Saint-Ange par une galerie extérieure. En traversant cette galerie, il entendait les cris féroces des vainqueurs acharnés à tuer, et voyait les malheureux fugitifs tomber sous les coups de pique ou de glaive. Il se plaignait d’être trahi et se lamentait. Le prélat Paul Jove le suivait, relevant la queue de son long vêtement pour qu’il marchât plus vite, et, lorsqu’il passa sur le pont découvert qui menait dans la forteresse, Paul Jove couvrit de son manteau violet la tête et les épaules de Clément VII, de peur que le rochet blanc du souverain pontife ne le rendît un point de mire et ne l’exposât à recevoir un coup d’arquebuse de quelque soldat luthérien[84]. Ce fut dans la matinée que le Borgo fut pris et que le pape s’enferma au château Saint-Ange. De cette forteresse imprenable, où se réfugièrent avec lui la plupart des cardinaux, le comte de Carpi, ambassadeur de François Ier, le dataire Giberto, l’archevêque de Capoue Schomberg, beaucoup de prélats, et tous ceux qui dans ce moment de terreur y cherchèrent un asile, Clément VII, selon son habitude, voulait déjà traiter avec les vainqueurs[85]. Le seigneur de Langey essaya de le détourner d’une négociation aussi prématurée en lui représentant que le duc de Bourbon était mort, et que les impériaux, restés sans chef, devenaient moins à craindre. Renzo da Ceri et Guillaume du Bellay, qui était à la tête d’une petite et vaillante troupe de gentilshommes français, crurent que, même après l’évacuation du Borgo, on pourrait empêcher les impériaux non-seulement de franchir la rive droite du Tibre, mais aussi de se rendre maîtres du Trastevere, et donner par une résistance prolongée à l’armée de la ligue, déjà en marche, le temps d’approcher.

Ils se rendirent au Capitole[86], où les Romains étaient assemblés. Comme capitaine-général, Renzo proposa aux Romains de mettre leur ville à l’abri d’une invasion en empêchant les Colonna, qui venaient du sud, d’y entrer par la porte de Saint-Jean-de-Latran, qu’il avait fait barricader, et en coupant les deux ponts Sixto et Capi, lorsqu’il défendrait lui-même le Trastevere avec les soldats qui restaient et qui, perdant tout moyen de fuir, ne trouveraient plus leur salut que dans une résistance désespérée et victorieuse ; mais les Romains ne consentirent point à repousser les Colonna, qui, disaient-ils, étaient leurs concitoyens, et ils refusèrent de sacrifier leurs ponts, trop beaux, selon eux, pour être rompus[87]. Seulement les milices urbaines, sous leurs caporioni, se joignirent, mais avec peu de confiance, aux débris des troupes sans ardeur de Renzo da Ceri dans le Trastevere menacé.

Le jour était assez avancé lorsque l’armée impériale[88], commandée par le prince d’Orange, l’investit et l’attaqua. Elle se posta sur les pentes du Janicule, plantées d’arbustes serrés et entrelacés de vignes[89], et assaillit la partie du mur qui s’étend de la porte Saint-Pancrace à la porte Settimiana. Ceux qui la défendaient ne firent pas une longue résistance. Saisis de crainte, ils quittèrent les remparts[90], s’enfuirent éperdus, et laissèrent les impériaux pénétrer dans le Trastevere, d’abord par la porte Settimiana, ensuite par la porte Saint-Pancrace. Confondus d’une victoire si prompte et craignant que cet abandon extraordinaire du Trastevere ne cachât quelque piège, les lansquenets et les Espagnols marchèrent en compagnies serrées vers le pont de Sixte IV. Les portes en chêne et très solides qui s’élevaient à son extrémité n’étaient pas même fermées ; il n’y avait personne pour le garder et en empêcher le passage[91]. Les impériaux traversèrent le Tibre avec précaution, au bruit des tambours et des trompettes[92], et s’avancèrent lentement dans Rome, où régnait une immense consternation. Ils allèrent camper cette nuit dans le Champ-de-Flore et sur la place Navone. C’est de là que le lendemain matin ils se répandirent dans la ville épouvantée. Des habitans de Rome, la plupart étaient restés tremblans dans leurs maisons fermées ; beaucoup s’étaient entassés avec ce qu’ils avaient de plus cher, leurs femmes, leurs enfans, leurs richesses, dans des églises qui ne devaient pas être respectées ; quelques-uns avaient cherché un refuge dans des palais qui devaient être envahis[93].


VIII

Rome, livrée aux impériaux, fut mise à sac pendant huit jours[94]. Tous les excès qu’une soldatesque sans retenue comme sans obéissance peut imaginer dans son ivresse et commettre dans ses emportemens accablèrent la grande cité chrétienne, où les Espagnols et les Allemands, également déchaînés, mêlèrent la violence à la spoliation, l’incendie au pillage, la cruauté à la débauche, la moquerie à la profanation. Leurs bandes déprédatrices portèrent le ravage dans tous les quartiers et n’épargnèrent aucun lieu. Elles pillèrent d’abord avec une fougue désordonnée et sanguinaire, tuant tout ce qui leur résistait et assouvissant leurs passions brutales sur les jeunes filles arrachées à leurs parens, les femmes enlevées à leurs maris, et les religieuses même atteintes au fond de leurs cloîtres.

Pendant les premiers jours de cette lamentable dévastation, Rome offrait l’aspect le plus désolé. Les portes des maisons étaient enfoncées, les rues désertes ou traversées par des fugitifs qui cherchaient un asile dans les lieux les plus écartés et que poursuivaient les soldats. On n’entendait que de douloureux gémissemens et des cris de fureur. Les églises, qui avaient servi d’inutiles refuges à des populations épouvantées, étaient assaillies par les lansquenets, presque tous luthériens, qui s’emparaient des vases précieux et des riches ornemens. Les images y étaient abattues, les crucifix rompus à coups d’arquebuse, les châsses des saints brisées, les vénérables objets de la piété catholique jetés en bas des autels dépouillés et répandus sur les dalles souillées. Les basiliques de Saint-Pierre et de Saint-Paul, la chapelle du pape, servaient d’écuries aux chevaux[95].

Les Espagnols et les lansquenets attaquèrent à l’envi les grands palais où s’étaient enfermés beaucoup de riches marchands et de nobles familles. Souvent même ils se battirent entre eux pour s’en disputer la possession. Ils pillèrent ainsi le palais de l’ambassadeur de Portugal, que ne fit pas respecter par les soldats impériaux la parenté du roi avec l’empereur. Ils contraignirent également ceux qui avaient espéré trouver un refuge dans le palais de la marquise de Mantoue à leur payer 50,000 écus malgré les supplications de Fernand de Gonzague, qui commandait une bande d’Italiens dans l’armée impériale et qui demanda vainement qu’on ne lui fît pas l’injure de forcer la demeure de sa mère[96]. Ils épargnèrent encore moins les cardinaux qui n’avaient pas eu la prudence de se retirer dans le château Saint-Ange, comme les cardinaux da Valle, Araceli, Cesarini, de Sienne, Enkerworth, parce que, attachés au parti impérial, ils s’étaient crus en sûreté dans Rome[97]. Le cardinal de Sienne, après avoir racheté son palais des mains des Espagnols, tomba au pouvoir des Allemands, qui le dépouillèrent, le traînèrent dans le Borgo, et le réduisirent à leur donner une forte rançon. Le cardinal Araceli, couché dans une bière comme un mort, fut porté dans une église par une troupe de lansquenets qui, après avoir prononcé son oraison funèbre toute remplie de facéties et d’obscénités, alla achever dans son palais même la cérémonie dérisoire de ses funérailles par un repas où elle s’enivra de son vin. Elle mena ensuite le cardinal, tiré de sa bière et mis en croupe d’un lansquenet, dans les divers quartiers de la ville, afin qu’il y trouvât l’argent exigé pour sa délivrance[98]. Les autres prélats romains étaient promenés avec leurs habits ecclésiastiques sur des ânes par les luthériens allemands, qui s’affublaient eux-mêmes de chapes et de chasubles prises dans les sacristies, et, à la grande indignation des Espagnols, contrefaisaient en se moquant les cérémonies catholiques.

Dans ce long pillage, les soldats de chaque pays se comportèrent, dit-on, suivant les habitudes de leur race : les Espagnols se montrèrent avares et cruels, les Allemands avides et emportés, les Italiens cupides et raffinés. Les Espagnols ne se lassaient pas de prendre, et souvent ils torturaient leurs prisonniers pour leur arracher des sommes plus fortes. Après les premiers emportemens, les lansquenets devenaient moins impitoyables ; ils épargnaient les femmes et les jeunes filles, qu’ils protégeaient même contre les licencieuses violences des Espagnols et des Italiens. Tandis que les Espagnols cachaient avec soin et conservaient avec avarice leur part de ce riche butin, les Allemands étalaient la leur et la dissipaient comme ils l’avaient prise. Arrivés devant Rome les vêtemens en lambeaux, sans chaussure, dénués de tout, ils étaient couverts d’étoffes de brocart, de pièces de soie, portaient autour de leur cou et sur leur poitrine des chaînes d’or, s’en allaient par les rues montés sur les mules du pape et des cardinaux et passaient à boire et à manger tout le temps qu’ils ne mettaient pas à piller[99].

Dans l’attaque et dans le sac de Rome, il avait péri près de 4,000 personnes. Les blessés, sans assistance, succombaient dans les rues, où les morts gisaient sans être ensevelis et infectaient l’air. L’état dangereux de la ville empêcha qu’on y portât des vivres, et la disette suivit bientôt le pillage. La peste même ne tarda pas à sortir de la disette et du meurtre, et elle n’épargna pas plus les impériaux que les Romains[100]. Un Français, témoin oculaire de ce grand désastre[101], et qui s’était réfugié chez un évêque espagnol de ses amis, quitta son asile après que le désordre et les violences du sac semblèrent calmés, et il décrit ainsi l’état dans lequel huit jours de meurtres et de ravages avaient mis Rome. « Je sortis, dit-il, quand il fut possible de le faire presque en sûreté. A mesure que je m’avançai vers le Forum, l’horreur, le silence, la solitude, l’infection, les cadavres çà et là étendus et fétides me glacèrent d’épouvante. Les maisons étaient ouvertes, les portes abattues, les boutiques vides, et dans les rues désertes on ne voyait courir que quelques farouches soldats[102]. »

Pendant tout ce temps, Clément VII restait enfermé dans le château Saint-Ange avec la plupart des cardinaux, beaucoup de prélats, les ambassadeurs des états confédérés, un grand nombre de nobles romains, de marchands et même de femmes. Il y attendait d’être secouru par les troupes de la ligue. S’il avait été bien inspiré dans les craintes qui ne l’abandonnaient pas, il serait sorti de Rome avant que l’ennemi y entrât et même lorsque l’ennemi y avait déjà pénétré. La rive gauche du Tibre était et demeura libre durant plusieurs jours. Clément VII aurait pu aller au-devant de Guido Rangone, qui s’était détaché des troupes confédérées pour marcher avec un corps assez considérable au secours de la ville pontificale. Il aurait même pu se rendre au milieu de l’armée de la ligue, qui se dirigeait vers Rome avec la lenteur circonspecte que le duc d’Urbin mettait dans ses résolutions toujours tardives et dans ses mouvemens toujours incertains. Les impériaux auraient pris Rome, mais ils n’auraient pas pris le pape : ils ne lui auraient pas fait subir l’outrage d’une longue captivité et ne lui auraient pas imposé avec une rançon excessive les conditions accablantes d’une paix honteuse ; mais ce malheureux pape, qui aurait eu de la clairvoyance s’il n’avait pas manqué de caractère, dont la timidité obscurcissait toujours l’esprit, ne faisait rien à propos, parce qu’il faisait tout avec trouble. Il délibérait quand il fallait agir, cédait lorsqu’il était nécessaire de résister, demeurait quand il aurait dû fuir. Il resta cette fois avec la fausse espérance d’abord que la ville se défendrait, ensuite qu’il serait secouru dans le château.

Le 7 mai au soir, lendemain de la prise de Rome, Guido Rangone arriva au pont de Salara avec ses chevau-légers et 800 arquebusiers. En apprenant que l’armée impériale occupait Rome, il se retira à Otricoli, où son infanterie le rejoignit[103]. Dans la terreur que les Espagnols et les Allemands inspiraient aux Italiens, il n’osa rien entreprendre avec son petit corps d’armée. Il ne tenta même point de pénétrer dans le château Saint-Ange, dont l’accès était libre, les impériaux ne l’ayant pas encore cerné. Le duc d’Urbin ne fut pas pour Clément VII d’une plus grande assistance. L’armée de la ligue était partie de Florence le 3 mai en se divisant. Le marquis de Saluces, avec les Suisses, avait suivi en partie la route qu’avait prise le duc de Bourbon ; le duc d’Urbin, avec les troupes vénitiennes, avait traversé le pays de Pérouse et avait perdu beaucoup de temps dans sa marche. Les deux corps d’armée devaient se réunir à l’Isola, située à neuf milles de Rome, et faire une tentative soit pour reprendre la ville, soit pour délivrer le pape assiégé dans le château Saint-Ange. Le marquis de Saluces devança le duc d’Urbin, qui, toujours en retard par habitude comme par calcul, n’arrivait à Nepi que le 22 mai, seize jours après la prise de Rome.

Clément VII, désespérant alors d’être secouru, était entré en négociation avec les impériaux, qui avaient fait creuser des tranchées autour du château et le gardaient avec une extrême vigilance[104]. Il avait adhéré déjà aux dures conditions qu’on lui imposait lorsqu’il apprit l’approche de l’armée entière de la ligue. Comptant sur sa prochaine délivrance, Clément VII rompit la négociation ; mais il connaissait mal le duc d’Urbin et son incurable faiblesse. Ce généralissime de la ligue avait reçu du doge et de la seigneurie de Venise l’ordre de secourir le pape. Il se posta avec 15,000 hommes de pied parfaitement disposés à la Croix-de-Montemari, non loin de Rome, et sur les instances qui lui en furent faites, il décida que dans la nuit toute la cavalerie sous Guido Rangone et toute l’infanterie sous ses propres ordres marcheraient sur le château, en forceraient le blocus et y délivreraient le pape. Ce projet, qui n’avait rien de téméraire et dont l’exécution semblait assez facile, fut aussitôt abandonné que conçu. Malgré les représentations du lieutenant pontifical Francesco Guicciardini, le duc d’Urbin prétendit que les tranchées faites et les défenses élevées autour du château étaient trop fortes pour être affrontées avec ce qu’il avait de monde. Il ajouta qu’il ne pouvait rien tenter contre les impériaux à moins d’avoir 16,000 Suisses, 10,000 arquebusiers italiens, 3,000 pionniers et quarante pièces d’artillerie[105]. Comme il n’avait pas les forces qu’il déclarait nécessaires à une entreprise dont il grossissait les difficultés, il ne voulut pas marcher au secours du pape, et il donna le signal de la retraite à l’armée de la ligue.

Clément VII, ainsi abandonné, capitula[106]. Il s’obligea à payer aux impériaux 400,000 ducats, dont 100,000 tout de suite, 50,000 dans vingt jours, et 250,000 dans deux mois. Il fut tenu de leur donner, comme garanties pour la sûreté de ses engagemens, les forteresses d’Ostie, de Civita-Vecchia, de Civita-Castellana, ainsi que les villes de Plaisance, de Parme et de Modène. L’armée exigea de plus qu’on lui remît en otage les archevêques de Siponte et de Pise, les évêques de Pistoïa et de Vérone, et plusieurs personnages considérables de Florence et de la parenté du pape, Jacopo Salviati, Simone dei Ricasoli et Lorenzo Ridolfi[107]. Le souverain pontife dut lui-même rester prisonnier avec les treize cardinaux enfermés dans la citadelle jusqu’au paiement des 150,000 premiers ducats. Dès que l’accord fut conclu, le capitaine Alarcon, qui était arrivé à Rome avec les troupes de Naples et les Colonna, entra dans le château Saint-Ange, dont il prit possession. Il y introduisit trois compagnies d’arquebusiers espagnols et trois compagnies de lansquenets à qui furent commises la garde du château et la surveillance du pape. Malgré d’apparens respects, Alarcon retint dans une assez étroite captivité Clément VII, qui fut hors d’état de compter les sommes promises aux termes marqués, et dont les otages, au milieu d’une armée cupide et furieuse, furent exposés à d’indignes traitemens et coururent même des dangers de mort. En moins de deux ans, François Ier et Clément VII étaient tombés au pouvoir de Charles-Quint par la victoire et l’audace de ses généraux, et le capitaine Alarcon avait la singulière fortune, après avoir tenu un roi de France captif, de garder un pape prisonnier.

Mais tout était loin d’être fini pour l’empereur. Si le succès de ses armes le rendait vainqueur de la ligue et maître de l’Italie, l’horreur causée en Europe par la prise et le sac de Rome, l’indignation inspirée par l’abaissement et la captivité du souverain pontife allaient susciter contre la puissance effrayante de Charles-Quint et de nouveaux ennemis et de plus grands efforts. François Ier, Henri VIII et les Vénitiens devaient s’unir étroitement et l’attaquer avec vigueur pour le contraindre à délivrer le pape, à rendre les enfans de France, et pour abattre ou réduire sa domination dans la péninsule italienne.


MIGNET.

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 février et du 1er mars.
  2. «… Nelle armi in giostra, è a giochi di canne alla leggiera è cosi destro, quanto altro cavalière che sia in sua corte. » Relazione di Gasparo Contarini ritornato ambasciatore da Carlo V, letta in senato a di 16 novembre 1525 dans Relasioni degli ambasciatori veneti al senato da Eugenio Alberi, ser. I, vol. II, p. 60.
  3. « Solo si diletta di negoziare, e stare nelli suoi consigli, nelle quali è molto assiduo, e gran parte del tempo in quelli dimora. » Ibid., p. 62.
  4. « J’ai envoyé avec mon vice-roy de Naples environ X mille hommes tant d’Espaignolz que Allemans, entre lesquels y a beaulcop de principaulx personnaiges et noblesse. » Lettre de l’empereur à l’archiduc Ferdinand, du 30 novembre 1526, dans Lanz, t. Ier, p. 225.
  5. «… Par l’investiture que luy avons donnée et l’hommage qu’il nous a fait fere par son ambassadeur, comme par le mariage de nostre bastarde que luy avons acordé et stipullé…, il fauldra de nécessité qu’il se déclare pour nous et qu’il se rende entièrement suspect au pape. » Lettre de l’empereur au duc de Bourbon, de Grenade, le 8 octobre 1526. — Archives impériales et royales de Vienne.
  6. Guicciardini, Istoria d’Italia, lib. XVII.
  7. « De France ils envoient icy monsieur Danjoy pour parler d’appointement. Je suis bien adverty que ce ne sont que belles paroles et je leur rendray le semblable. J’ay consenti que le sieur Danjay vienne vers moy, quand ce ne seroit synon pour, par cela, donner soupeçons aux Italiens, Pape et Vénitiens, et leur bailler jalousie de se deslyer. » Lettre de l’empereur du 8 octobre 1526.
  8. « J’ay donné pouvoir au vice-roy de Naples non seulement du secours de Naples, mais de fère paix avec Pape et Vénitiens, s’ils vouloient venir à raison et qu’ils me promettent la ligue deffensive pour vous maintenir et deffendre en l’estat de Milan. » Lettre de l’empereur, etc.
  9. Même lettre du 8 octobre.
  10. Mémoire de Lannoy a l’empereur sur ce qu’il a fait depuis son départ de Carthagène jusqu’après la prise de Rome, daté du 17 mai 1527. — Lanz, t. 1er, p. 693-706.
  11. Lettre du duc de Bourbon à l’empereur du 6 octobre 1526. — Archives impériales et royales de Vienne.
  12. Lettre de l’empereur au duc de Bourbon, du 8 octobre 1526. Ibid.
  13. « Messire George me faict entendre que, pour recouvrer le dit secours, il faut que j’envoye XXXVI mil escus du change qu’il a pieu à Vre majesté de m’envoyer dernièrement, que m’est un gros fais. Toutesfois… pour vous acquérir honneur et empêcher vos ennemys vous faire dommaige, j’ay envoyé au dict messire George la dite somme. » Charles de Bourbon à l’empereur, le 6 octobre 1526. — Archives impériales et royales de Vienne.
  14. « Présentement j’ay eu lettres de messire George par lesquelles il m’escrit qu’il m’ameyne douze ou treize mil lansquenet, » Lettre de Charles de Bourbon à l’empereur, du 29 octobre 1526. — Archives impériales et royales de Vienne.
  15. « Si mori con gran dolore universale et grandissimo danno nostro. » Lettre du dataire Giberto au protonotaire Gambara, nonce du pape en Angleterre, du 7 déc. — Lettere di principi, t. II, p. 21 r°.
  16. Charles de Bourbon à l’empereur, lettre du 8 février 1527. — Archives impériales et royales de Vienne.
  17. « E veggo non basta, lui écrivit Charles de Bourbon, la pregiono in che voi sete, me risolvo advisarvi che sono senza danari e che se farete quello che il mio messo ve dira, ve ne troverete bene, altrimente sara peggio per voi essendo pronto a farvi cose che vi dispiaceranno molto e a me anchora. » Et la lettre de Marcus de Buxeto dans laquelle il est dit : « Li giorni passati instarono il Morone che facesse la talia, e lui diceva non aver danari : li fu detto per il capitano di justitia che si dovesse confessare che li doveva esser taliato il capo… in quel punto fu addomandato il ceppo fosse portato… per evitare il ceppo fu conclusa la talia in 20 mila. » Ricordi inedite di Girolamo Morone, etc., publicati dal C. Tullio Dandolo, p. 205 et 208.
  18. Charles de Bourbon à l’empereur, lettre du 8 février 1527. — Archives impériales et royales de Vienne.
  19. « Noi altri non possemo far altro, se no mettere la vita per li soi servitù. ». Lettre du 8 février 1527. Archives de Vienne.
  20. Lettre du duc de Bourbon à l’empereur, du 6 février 1527. — Archives impériales et royales de Vienne.
  21. Robert Acciajuoli au roi très chrétien dans les Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, faisant partie de la grande collection de documens inédits publiés par le ministre de l’instruction publique, t. Il, in-4o, p. 864.
  22. « … Altrimenti sottometteranno il collo al giogo dell’ imperatore, con gran disonore e grave danno della maestà vostra. » Ibid., p. 866.
  23. Lettre d’Acciajuoli du 22 janvier 1527, Négociations, etc., p. 892.
  24. Lettres d’Acciajuoli des 29 déc. 1526 et 5 janvier 1527, ibid., p. 877 et 883-884.
  25. Lettre du même du 10 janvier 1527. Ibid, p. 886-887.
  26. « E versa tutto in quelli piaceri più vicini e più facili agoderli… Adeo che il più delle volte le parole restono a noi o li effetti alli altri piaceri. » Lettre du 22 janvier 1527. Ibid., p. 893.
  27. Ibid., p. 893.
  28. Articles envoyés par le pape à Venise, et de Venise au roi de France. — Lettre d’Acciajuoli, du 17 fév. 1527. Négociations entre la France et la Toscane, t. II, p. 900. — § XIII du Mémoire de Lannoy à l’empereur, envoyé de Sienne le 17 mai 1527 par son secrétaire Durant. — Lanz, t. Ier, p. 696-697.
  29. Les cardinaux votèrent que le pape ne saurait accepter ces articles, et qu’il fallait « plustost vendre et engaiger croix, calices et reliquaires et jusques à vendre et engaiger leurs propres personnes que de consentir à telle iniquité. » Nic. Raince au roi. Lettre du 30 janvier 1527. Mss. Béthune, v. 8509, f° 131.
  30. « Che lo farà tornare un simplice prete. » Lettre d’Acciajuoli, du 17 février 1527. Négociations, etc., t. II, p. 62.
  31. Lettre d’Acciajuoli, des 18 et 19 février 1527. Négociations, etc., p. 90.
  32. Ce mariage, qui se négociait alors, devait avoir lieu plus tard entre la jeune Marie et François Ier ou l’un de ses fils. François Ier dit au nonce qu’il cherche à gagner le printemps, « per fare a tempo nuovo quello sforzo di quà che io vi ho più volte detto, e per riddure a conclusione il mariaggio con Inghitterra. » Même lettre. Ibid., p. 908.
  33. « E faremlo il più glorioso papa che fusse mai. » même lettre. Ibid., p. 908.
  34. Même lettre. Ibid., p. 909.
  35. Guicciardini, lib. XVIII.
  36. « Li signori fiorentini, dal primo d’aprile 1526 fino al moggio che si partiron li Medici, hanno speso per la guerra fatta parte in Lombardia parte in Toscana otto cento Mila ducati. » — Relatione di Firenze del Clarissimo Marco Foscari, tornato ambasciatoro da quella republica l’anno 1527. — Alberi, ser. I, vol. Ier, p. 33-34.
  37. Guicciardini, lib. XVIII. — Mémoire de Lannoy à l’empereur, §§ XXVI, XXVIII, XXVIII, dans Lanz, t. Ier, p. 701.
  38. Il l’écrivait ainsi au duc de Bourbon dans une lettre datée du 12 mai 1527 de Valladolid, où il avait assemblé les cortès pour avoir de l’argent : « En cas que n’ayiez pas fait d’autre nouveau appointeinent avec le pape devant la réception de cette lettre, qui soit meilleur que ladite tresve, vous observerez et garderez icelle selon sa forme et teneur pour avoir le pape pour nostre amy… » Il ajoutait : « Vous conduirez et mettrez vos gens en la terre des Vénitiens pour illec les entretenir et les contraindre a quelque bon appoinctement qui soit sebeur (sûr). > » — Archives impériales et royales de Vienne.
  39. Lettre du dataire Giberto au cardinal-légat Trivulzio, du 12 mars 1527. — Lettere di Principi, t. II, p. 59 v°.
  40. « Si Sforza mostrarsi più gagliardo che può. Et cosi tutti hieri et hoggi s’è stato hor col signor Cesare (Feramosca) bor con monsignor de Langes in continuo dibotto di concludere ò escludere quest’accordo. » Ibid., p. 60 r°.
  41. « Si è pur nostro signore questa mattina risoluto di fermar l’accordo, il quale, a chi senza passione considerera le cose que hanno, non dico persuasa ma sfozzata sua santità farlo, non harà bisogne di giustificatione. » Le dataire Giberto au cardinal-légat Trivulzio, 15 mars 1527. — Lettere di Principi, t. II, p. 62 r°.
  42. Guicciard., lib. XVIII.
  43. Mémoire de Lannoy à l’empereur, § XXIX, dans Lanz, t. Ier, p. 701, et lettre de Feramosca à l’empereur, du 4 avril 1527. Ibid., p. 231.
  44. « J’y fus et le trouvai au camp de Saint-Jean, où ils étoient restés quelques jours faute de vivres, de grandes pluyes et neiges qui étoient tombées, et à deffaut d’argent, à cause de quoi les gens s’étoient mutinés et avoient entouré la maison de Bourbon, lequel s’absentoit une nuit hors du camp. » Lettre de Feramosca à l’empereur, du 4 avril 1527. Lanz, t. Ier, p. 231. — « Essendo a questi di seguito in quel campo un’ammutinamento si grande che gli fu sacchagiato l’allogiamento da monsignor di Borbone et morto un suo gentilhuomo. » Lettre du 21 mars, du dataire Giberto au cardinal Trivulzio. Lettere di Principi, t. II, p. 66 r°.
  45. Adam Reissner, Historie der Frundsberge, bl. 98. — George von Frundsberg oder das deutsche Kriegshandwert zur Zeit reformation, par le Dr F. W. Barthold, in-8o, Hambourg, 1833, p. 411-415.
  46. « On composa en donnant un écu par homme et en leur promettant la loix de Mahomet. » Lettre de Feramosca du 4 avril. — Lanz, p. 231.
  47. « Comme j’arrivai avec la paix, ils parurent furieux comme des lions. » Même lettre, ibid., p. 231.
  48. « Ils me conseillèrent de sortir de San-Juan… Je pris un cheval de Fernando de Gonzaga et je partis d’abord ; après mon départ, ils vinrent en troupe, me cherchant par toute la maison de Bourbon. » Lettre de Feramosca, du 4 avril, p. 232.
  49. « L’armée marche sans ordre et avec beaucoup d’ardeur vers la Romagne, accompagnée de ses douze élus. » Lettre du 4 avril, p. 233-234.
  50. C’est ce qu’il écrit au lieutenant du pape Fr. Guicciardini. — Guicciard., lib. VIII.
  51. Mémoire de Lannoy à l’empereur, §§ XXXI-XXXV. — Guicciard., lib. XVIII.
  52. Mémoire de Lannoy à l’empereur, §§ XXXV et XXXVI. Lanz, p. 703-704.
  53. Guicciard., lib. XVIII.
  54. « Il duca pénétrò nella vallo di Bagno, e superati passi angustissimi e difficilissimi ebbe comodità d’innoltrarsi nelle terre de’ Fiorentini. Che non fosse stata la fallace opinione che ad ogui modo si confermasse l’accordo, senza dubbio li imperiali erano rovinati, e Roma non saria stata distrutta. » Marco Foscari, dans Alberi, ser. II, vol. Ier, p. 15.
  55. Guicciard., lib. XVIII.
  56. , Mémoire de Lannoy à l’empereur, § XXXVI. — Lanz, t. Ier, p. 704.
  57. « Il commissorio dei Fiorentini messe li denari in luego sicuro, e il vicere fu assalito dai Villani, dai quali con difficultà si libero e si salvo a camaldoli ; dipoi andò el campo cesareo, e di là a Siena. » Marco Foscari, dans Alberi, ser. II, vol. Ier, p. 48.
  58. Mémoire de Lannoy à l’empereur, § XXXVI. — Lanz, p. 704.
  59. Marco Foscari, dans Alberi, ser. n, vol. Ier, p. 54.
  60. Marco Foscari, dans Alberi, etc., p. 49-54. — Guicciard., lib. XVIII. — Mémoires de Martin du Bellay, frère de Guillaume du Bellay, seigneur de Langey, p. 16 du t. XVIII de la collection des Mémoires relatifs à l’Histoire de France, par Petitot.
  61. Marco Foscari, ibid., p. 49.
  62. Guicciard., lib. XVIII. — Marco Foscari, ibid., p. 50.
  63. Marco Foscari, dans Alberi, etc., p. 54. — Guicciard., lib. XVIII.
  64. Vitellius, B. IX, et dans MSS. Bréquigny, vol. 92, f° 95.
  65. Lettre de John Russell à Henri VIII, écrite de Savone le 11 mai. — State Papers, t. VI, p. 577.
  66. « La quale confederatione (la rentrée de Florence dans la ligue) conclusa, venne nuova come il duca di Borbone aveva declinato il camino a man sinistra per la val d’Ambra, verso il senese ; onde fu giudicato ch’egli andasse in diligenza verso Roma. » Marco Foscari, dans Alberi, p. 54-55.
  67. Il sacco di Roma, da Guicciardini, p. 153-154 de l’édition in-32, Parigi, M.D.CLXIV.
  68. Ibid., p. 154.
  69. Lettre de John Russell à Henri VIII, écrite le 11 mai de Savone. — State Papers, t. VI, p. 577.
  70. Lettre de John Casale, ambassadeur de Henri VIII à Venise, du 16 mai, au cardinal Wolsey. — State Papers, t. VI, p. 578. — Lettre de Philippo Belluci à M. Fed. Clavario, commissario apostolico, du 4 mai. Lettere di Principi, t. II, p. 74 r°.
  71. « Ceste nuyt sont venues lettres par un villain à pied que le seigneur Scciara Colonne avec 60 chevaux-légiers vint jusqu’à la muraille de Viterbe à demander les seigneurs de la ville affin de leur donner vivres et passage, et le dict Scciara dist que le reste du camp estoit à Aquependente et Montflascon, laquelle chose a fort estonné la sainteté de nostre seigneur. » Lettre de Gregorio Casale, écrite de Rome le 2 mai 1527. Bib. Cott. Vitellius, B. IX, et dans Mss. Bréquigny, vol. 92, f° 105.
  72. « J’ay esté à ce matin à sa sainteté une bonne heure… C’est une chose quasi inexprimable de la peur que le pape avoit ; mais je vous promets que j’ay faict ce qu’il a esté possible pour luy donner cueur. » Ibid.
  73. « Vollant le seigneur Rance envoyer à lever mil hommes de pied, il n’a esté possible de trover mil escuz pour lui donner… J’ay envoyé engager toute la vesselle, anaulx, joyaulx, bagues qui estoyent à la maison. » ibid.
  74. «… Me suys mys en tout effort à l’y persuader de faire des cardinaux, desquels sa sainteté estoit résolue qu’ils se feissent ce jourd’huy. » Ibid. — Ciaconi dit en effet que Clément VII créa le 3 mai 1527 cinq cardinaux, à savoir : Benedict Accolti, évêque de Cadix ; Aug. Spinola, évêque de Perugia ; Nic. Gaddi, évêque de Ferino ; Herc. Gonzaga, archevêque de Tarragone : Marin Grimaldi, patriarche d’Aquilée. — Ciaconius, Vitæ et res gestæ Pontificum Romanorum, etc., t. III, p. 477 à 486. Romæe, in-fol., 1677.
  75. «… Le dimanche Ve de may, Bourbon vint loger son camp devers la porte Saint-Pancrace, tyrant jusques au Bourg, en délibération de bailler l’assault incontinent sans bapterie et par eschielles… Toutefois feurent pour ce soir si bien servis de mener artillerie qu’ils n’approchèrent la muraille. » — Lettre olographe et inédite de Guillaume du Bellay, qui, revenu de Rome, dont il avait vu et cherché à empêcher la prise, l’écrivit le 8 juillet 1527 à l’amiral Chabot de Brion. — Dans les manuscrits Fontette, portefeuille XXIII, f° 37-38.
  76. Il sacco di Roma, da Guicciardini, p. 158-159.
  77. « Le lendemain matin avant jour tirèrent vers le Bourg. » Lettre de Guillaume du Bellay. — Il sacco di Roma, da Guicciardini, p. 177-178.
  78. « Et dura la bapterie de harquebuses d’une part et d’aultre près d’une heure. » Lettre de Guill. du Bellay.
  79. « Le prince d’Orange et son cheval estourdis et abbatuz de la terre du bond d’ung boulet de canon. » Lettre de Guillaume du Bellay.
  80. « Cependant qu’ils dressèrent leurs eschelles, à quoy leur ayda fort ung très grant brouillard qui se leva devant le jour et furent en grant bransle de n’en vouloir point taster ; mais Bourbon saillit en pieds pour leur donner courage, lequel, avant qu’il arrivast à l’eschielle, eut ung coup de arquebuse au-dessus de l’aynne. » Lettre de Guillaume du Bellay.
  81. Dans une relation concernant la prise de Rome, écrite le 3 juin 1527 et déposée au Brit. Mus., Vitellius, B. IX, où elle a été copiée et insérée dans le 92e vol., Mss. de Bréquigny, f° 111, il est dit : « Estant encoires sur la muraille, mond. sr de Bourbon fust tellement blesché et constraint de l’ayder à descendre et feust porté à une chapelle estant assez près de la ville, où il fust regardé quelque espace de temps et jusques que la dite porte de Thurion fut gaignée et que les gens de guerre y peurent entrer, que lors ledit sr fust porté dedans l’église de Campo Saint… M. de Bourbon termina de vie par mort, mais avant icelle fist le debvoir de bon chrétien, car il se confessa et rechut son créateur, requist qu’il fusté port en Milan, et dit-on qu’il avoit en son entendement Rome, pour ce qu’il disoit toujours : A Rome ! à Rome ! » — Ce qui rend ce récit vraisemblable, c’est ce qu’écrit en juin 1527 le confesseur du duc de Bourbon à l’empereur. « Mémoyre playse avoir vostre impériale majesté de se que vostre bon et fidelle serviteur feu monsgr le duc de Bourbon a commandé à son confesseur dire de par luy à voustre ditte majesté. » Archives impériales et royales de Vienne. — Charles-Quint, se rendant à l’un des désirs exprimés par le connétable mourant, donna des ordres au sujet de ses funérailles. « Quant à l’enterrement du duc de Bourbon, dès qu’ils l’auront transporté à Milan, on exécutera ponctuellement ce que votre majesté m’a ordonné. » Antonio de Leyva à l’empereur, de Milan, le IIIIe du mois d’août 1527. — Lanz, t. Ier, p. 243.
  82. « Leurs gens ne laissèrent de marcher et gagnèrent une brasche où entrèrent troys ou quatre enseignes, lorsque le seigneur Rence y survint qui les repoussa et gaigna les enseignes. » Lettre de Guillaume du Bellay.
  83. Il sacco di Roma, da Guicciardini, p. 188-189. — Lettre de Guillaume du Bellay.
  84. La Vita di Pompeo Colonna cardinale, di mons. Paolo Giovio, dans le Vite di dicenove Huomini illustri, descrite da mons. Paolo Giovio in Venetia. M.D.LXI, in-4o.
  85. « Cependant le pape parlementait de se rendre. » Lettre de Guillaume du Bellay.
  86. « Le seigneur Rence alla au Capitole, où s’assemble le conseil, et me mena avecques luy. » Ibid.
  87. « Il leur sembla trop gros dommage de rompre si beaux pons ; de reffuser la porte aux Colonnois citadins romains ne leur sembla chose honneste. » Lettre de Guillaume du Bellay.
  88. « Cum non amplius quam duæ diei horœ superessent, ancipitem oppugnationem instituunt. » Historia expugnatœ et direptœ urbis Romœ per exercitum Caroli V imp., etc., Cæsare Groliero Lugdunensi auctore ; Parisiis, 1637, in-4o, p. 70. Grolier était dans Rome au moment du siège et du sac.
  89. « Imminet Janiculus Transtiberinæ regioni plurimus qui circa imum frequens incolitur. Cœtera pars densis arbustis et directis vitium in quincuncem ordinibus usque ad ipsas urbis portas exculta est. « Grolier., p. 64.
  90. « Les nostres, qui desja estoient partie fuyz, partie escoulez…, jettèrent picques et sacquebuttes et prindrent la course près le Tèvre (Tibre)… le seigneur Rence à peine se sauva au chasteau, auquel lieu je le suivy avecques vingt-cinq gentils hommes françois, qui allasmes tousjours serrez. »> Lettre de Guillaume du Bellay. — Il Sacco di Roma, da Guicciardini, p. 189.
  91. Grolier, p. 71.
  92. Grolier, p. 61, et il Sacco di Roma, de Guicciardini, p. 108. — Sacco di Roma, da Jacope Buonaparte, p. 174.
  93. Grolier, p. 72 et sqq. — Il Sacco di Roma, da Guicciardini, p. 108-202. — Sacco di Roma, par Jacopo Buonaparte, qui en a été témoin et dont le récit a été imprimé pour la première fois à Cologne en 1756, et de nouveau à Paris en 1800 ; édition de Paris in-8o, p. 178-190.
  94. « Hæc atque alia ab hostibus per octo dies continenter gesta ; deinde cædes et direptio senescit. » — Grolier, p. 80.
  95. Sacco di Roma, da Jacopo Buonaparte, p. 216. — Il Sacco, da Guicciardini, p. 240.
  96. Grolier, p. 75. — Sacco di Roma, da Jac. Buonaparte, p. 208.
  97. Il Sacco di Roma, da Guicciardini, p. 191. — Grolier, p. 76.
  98. Il Sacco di Roma, da Guicciardini, p. 226, 227, et da Jacopo Buonaparte, p. 206.
  99. Il Sacco, da Guicciardini, p. 236-237. — Grolier, p. 91.
  100. Grolier, p. 101-103. — Sacco di Roma, da Jacopo Buonaparte, p. 216-220.
  101. Grolier, qui en a donné le récit dans Historia expygnatœ et direptœ urbis Romiœ,
  102. Grolier, p. 89.
  103. F. Guiccinrdini, Istoria d’Italia, lib. XVIII.
  104. Grolier, p. 97. — Sacco di Roma, da Jac. Buonapartc, p. 200.
  105. F. Guicciardini, Istoria d’Italia, lib. XVIII.
  106. Voici comment Guillaume du Bellay, qui était enfermé dans le château Saint-Ange depuis le soir du 6 mai, parle de cette capitulation et des agitations qui la précédèrent. « Le pape incontinent fut pressé de son conseil d’envoyer une trompette pour se rendre, ce que le seigneur Rence pour ce soir (6 mai) empescha ; mais le lendemain matin il la envoya et commença pratiques de composition en despit de tout le monde. Les menées de plusieurs jours seraient longues à réciter : aujourd’hui paix, demain guerre, aujourd’hui tirer, demain estre destendu. La fin, c’a esté que le XXXIIIe jour il accepta captivité pour lui et treize cardinaulx estant avecques luy. Et a ce qu’on ne le reffusast, leur accorda d’avantage leé château, Ostie, Civiîta-Veche, Parme, Plaisance, Modane,… avecques CCCC. mil escuz, et laissa sept ostagiers : le seigneur Rence, le comte de Carpy et tous aultres serviteurs du roy, sortans francs, et partismes le jour de Pentecoste. » Lettre olographe de Guill. du Bellay.
  107. F. Guicciardini, ibid. — Grolier, p. 111, — Sacco di Roma, da Jacopo Buonaparte, p. 232-234.