Rivalité de Charles-Quint et de François Ier/3/05

Rivalité de Charles-Quint et de François Ier/3
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 68 (p. 99-142).
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RIVALITE
DE CHARLES-QUINT
ET
DE FRANCOIS Ier

GUERRE ET NÉGOCIATIONS APRÈS LA CAPTIVITÉ DE CLÉMENT VII. — DÉFIS DE CHARLES-QUINT ET DE FRANÇOIS Ier A UN COMBAT SINGULIER[1]


I.

La prise de Rome, le sac prolongé de cette capitale du monde chrétien, la captivité du souverain pontife, remplirent l’Europe de stupeur. François Ier et Henri VIII, qu’alarmait la puissance de plus en plus envahissante de Charles-Quint, n’avaient pas attendu ce triomphe violent de ses armes pour nouer entre eux de plus étroites alliances. Dès la fin du mois d’avril 1527, pendant que le duc de Bourbon, à la tête de l’armée impériale, s’avançait vers le centre de l’Italie, menaçant Florence et allant prendre Rome, ils s’étaient unis par de nouveaux traités, des traités mettaient un terme, en apparence définitif, aux anciens différends des deux rois, que devaient rapprocher davantage encore les liens d’un mariage, et qui devaient agir en commun d’après un plan concerté. Il avait été convenu que la princesse Marie, fille de Henri VIII, alors âgée de onze ans, autrefois promise à Charles-Quint, qui s’était dégagé d’une façon assez blessante envers elle, épouserait ou François Ier ou son second fils le duc d’Orléans. La paix était déclarée perpétuelle[2] entre les deux princes. Henri VIII renonçait aux prétentions qu’il avait jusque-Là maintenues à la couronne de France, moyennant une redevance annuelle de 50,000 écus pour lui et de 15,000 pour ses successeurs. Des ambassadeurs extraordinaires iraient de la part des deux rois exhorter l’empereur à la paix et l’inviter à délivrer, en recevant deux millions d’écus d’or comme rançon, les deux fils de François Ier qu’il tenait en otages, et à payer les sommes d’argent qu’il avait depuis longtemps empruntées au roi d’Angleterre. « Si l’empereur, était-il ajouté, dans l’obstination de son esprit, rejette ces équitables conditions, le repos du monde exige qu’il soit employé des remèdes plus sévères, afin que celui que touchent peu d’amicales interventions et le bien universel soit contraint à la paix par les armes, qui l’y amèneront plus promptement. Dès que l’empereur aura refusé les offres qui lui seront faites ou vingt jours après qu’il sera resté sans dire qu’il veut les accepter, les deux ambassadeurs des deux très puissans princes lui intimeront la guerre ou la lui feront déclarer par des hérauts d’armes. Les deux très puissans princes, unis pour procurer la paix au monde chrétien, entreprendront alors une guerre offensive contre l’empereur[3]. » Cette guerre devait être poursuivie tant dans les Pays-Bas, où Henri VIII enverrait 10,000 hommes, qu’en Italie, où François Ierferait descendre une armée de 30,000 combattans. La double attaque projetée devait être secondée par des forces maritimes considérables, soit dans la Manche soit dans la Méditerranée.

Les ambassadeurs ordinaires de Henri VIII étaient déjà intervenus en Espagne, au nom de leur maître, pour ménager un accord entre l’empereur, qui commençait à désespérer d’avoir la Bourgogne, et le roi de France, qui offrait à la place une forte somme d’argent. L’évêque de Worcester et le docteur Lee, le 25 avril 1527, cinq jours avant le premier traité conclu entre Henri VIII et François Ier et onze jours avant la prise de Rome par l’armée du duc de Bourbon, avaient demandé pour cela une audience de l’empereur à Valladolid. Ils l’avaient trouvé fort grave, et attendant avec une froideur silencieuse qu’ils exposassent ce qu’ils avaient à dire. Les ambassadeurs l’ayant pressé de faire la paix, il répondit brièvement et d’un ton résolu qu’il avait donné à connaître au monde qu’il ne voulait pas autre chose et qu’il était suffisamment justifié, si la paix faite à Madrid n’avait pas été conservée. Les ambassadeurs l’engagèrent à accepter les deux millions d’écus d’or que le roi de France lui offrait pour la délivrance de ses enfans; il refusa en se montrant surpris qu’une pareille proposition lui vînt du cardinal Wolsey, qui se disait son ami. Il ajouta qu’il ne céderait ni pour deux ni pour dix millions, qu’il n’avait aucune confiance dans le roi de France, avec qui les traités ne suffisaient pas, et qu’il n’entendait faire la paix qu’en prenant de bonnes sûretés. « Mais, dit le docteur Lee, puisque votre majesté a déclaré qu’elle ne voulait pas insister absolument sur la Bourgogne, que demande-t-elle à la place ? — Ce n’est pas deux millions de couronnes, répondit l’empereur, ni aucune somme d’argent. Je désire par-dessus tout avoir la certitude d’une paix durable et pouvoir m’avancer avec toutes mes forces et sans crainte contre les Turcs. Le roi de France m’a trompé; je ne peux plus avoir confiance dans ses promesses. » Charles-Quint se plaignit de Clément VII aussi vivement que de François Ier. « Le pape, dit-il, a donné mon royaume de Sicile et le gouvernement de Naples à mon vassal le sieur de Vaudemont. Sa conduite envers moi me porte à ne plus le regarder comme pape. Quant à toutes les excommunications qu’il peut prononcer, j’en appellerai au prochain concile général[4]. »

C’est après cette inutile tentative de médiation que Henri VIII apprit les sinistres événemens du centre de l’Italie. En portant à la connaissance du roi son maître la prise et la dévastation de Rome, Wolsey lui avait écrit : « Votre grâce verra comment la plus détestable, cruelle et maudite tyrannie des impériaux s’est exercée sans respect sur les choses les plus saintes, les reliques des saints apôtres et martyrs, le précieux sang et le corps du Christ, chose qui doit être abhorrée et pleurée de tous les chrétiens, et comment le pape et les cardinaux, plutôt que de se soumettre aux damnables conditions des impériaux, sont résolus à tout souffrir, espérant qu’ils seront secourus des princes de la chrétienté. Vous verrez également ce qu’ont à faire le roi de France, les Vénitiens et l’armée de la ligue, aussi bien par terre que par mer pour ce dessein. J’ai bonne espérance que la sainteté du pape et les cardinaux seront délivrés. Votre grâce est intéressée à faire à ce sujet autant qu’il peut se dire[5]. »

Henri VIII donna immédiatement au cardinal Wolsey les pouvoirs nécessaires pour aller sur le continent s’entendre avec le roi de France et les Vénitiens, afin de pourvoir à l’exécution des derniers traités et de venir en aide au pape[6]. Outre les raisons générales qui le décidèrent à s’engager de plus en plus dans ces voies, il y fut poussé par des motifs particuliers. Il s’était épris de la fille d’un de ses conseillers, de la célèbre Anna Boleyn, et, ne pouvant pas en faire sa maîtresse, il songeait à en faire sa femme. Il fallait auparavant se séparer par un divorce régulier de Catherine d’Aragon, tante de Charles-Quint, qu’il avait épousée après qu’elle avait été mariée avec le prince de Galles son frère. Il avait conçu depuis peu des scrupules sur la validité religieuse de ce mariage, qu’avait cependant autorisé une dispense du pape Jules II, mais qu’interdisait formellement une disposition du Lévitique. Il projetait de le faire rompre, peut-être moins pour calmer les inquiétudes tardives de sa conscience que pour contenter une passion alors dans toute sa force. Afin d’exécuter ce dessein tenu fort secret, il avait besoin de l’appui du roi de France et de l’approbation du souverain pontife. Il était donc très porté par la passion de son cœur, comme il y était disposé par les intérêts de sa politique, à s’unir de plus en plus avec François Ier, , à se concilier la faveur de Clément VII, à affaiblir Charles-Quint, dont il était sur le point d’offenser l’orgueil et d’encourir le ressentiment.


II.

Mais avant que le cardinal d’York se rendît auprès du roi de France, ce prince s’était hâté d’intervenir puissamment en Italie. Il l’avait fait en vertu du traité du 30 avril modifié par le traité du 29 mai[7], qui, déclarant l’action commune des deux rois plus opportune au-delà des Alpes que dans les Pays-Bas, avait décidé qu’ils y concentreraient leurs efforts. Outre les forces que tenaient sur pied les Vénitiens et les autres confédérés, François Ier devait envoyer dès le mois de juin en Italie 30,000 hommes de pied, 1,000 lances fournies, avec l’artillerie, les munitions et les charrois nécessaires, et le roi d’Angleterre devait contribuer à l’entretien de cette armée, plus difficile à payer exactement qu’à lever vite, en donnant chaque mois 32,000 couronnes d’or tant que la guerre durerait. Le maréchal de Lautrec en reçut le commandement, et fut destiné à recouvrer en 1527 le pays qu’il n’avait pas su conserver en 1522, et à y relever l’honneur des armes françaises, que des revers successifs avaient humiliées depuis quelques années.

Investi de tous les pouvoirs du roi et représentant sa personne, le lieutenant-général de François Ier, s’achemina à la fin du mois de juin vers les Alpes avec la gendarmerie des ordonnances, et alla se mettre à la tête des troupes qui, de tous les côtés, descendaient dans le Piémont. Son armée devait se composer, lorsqu’elle serait réunie, de 900 hommes d’armes, de 10,000 Suisses, de 6,000 Gascons sous le comte Pedro Navarro, de 6,000 lansquenets sous le comte de Vaudemont, de 4,000 aventuriers français et d’une artillerie nombreuse. Elle devait être encore renforcée plus tard par un corps d’Italiens aguerris, et le roi d’Angleterre y envoyait sir Robert Jerningham comme son commissaire pour en suivre les opérations et lui compter les 32,000 couronnes qu’il s’était engagé à fournir chaque mois[8].

Au moment où Lautrec partait pour cette expédition décisive, le nonce Acciajuoli annonçait à ses compatriotes les Italiens que ce grand effort de la France serait le dernier, et il les invitait à le seconder d’un ardent et opiniâtre courage[9]. Représentant d’un pape prisonnier, ambassadeur d’une république qui renversait le gouvernement des Médicis et revenait à son ancienne liberté, il avait peu de temps à demeurer en France; mais, avant d’y être remplacé par un nouvel ambassadeur des Florentins, il adressait à Lautrec les plus salutaires exhortations dans l’intérêt de l’entreprise, dont le succès importait également aux deux pays. Lui rappelant les grands objets qu’avait son expédition, la délivrance d’un pape odieusement retenu en captivité, le rétablissement du siège apostolique dans sa dignité, la restitution désirée des enfans du roi, l’heureux affranchissement de l’Italie, il affirmait que l’accomplissement en serait d’autant plus assuré qu’il serait plus prompt. Il l’engageait surtout à s’avancer contre l’armée impériale, demeurée sans chef, tombée dans l’indiscipline, réduite de moitié par les intempérances, les maladies et la peste. « L’état, disait-il, où se trouvent aujourd’hui les impériaux est des pires. Ils n’ont point de capitaines qui les dirigent et qui aient sur eux de l’autorité. Ils sont dans la confusion, désobéissans, et chaque jour ils vont en se mutinant davantage. Si votre excellence pousse vite en avant, elle remportera bientôt sur eux la plus heureuse victoire et les chassera d’Italie, dont elle assurera le salut et la liberté. Que votre excellence ne perde pas de temps à assiéger des villes: qu’elle marche droit par la Romagne vers le royaume de Naples. L’armée une fois défaite et le royaume conquis, il ne restera plus que la Lombardie, dont il vous sera facile de vous rendre maître, et il en résultera pour vous une gloire immortelle[10]. »

Ce plan, assez en accord avec la mission que Lautrec avait reçue, ne fut suivi par lui qu’en partie, et peut-être pas assez diligemment. Lautrec, arrivé le 16 juillet 1527 à Lyon, le 26 à Grenoble, était descendu le 30 de l’autre côté des Alpes par le pas de Suse, et s’était avancé dans le comté d’Asti. Attaquant d’abord les impériaux dans les plaines du Piémont et de la Lombardie, il leur enleva en assez peu de temps la plupart des villes qu’ils y occupaient et qu’ils défendirent faiblement. Il se porta d’abord vers le château de Bosco, où le comte de Lodron, qui commandait à Alexandrie, avait mis douze cents lansquenets. Après quelques jours d’une vive canonnade, il contraignit les lansquenets à se rendre. Il alla assiéger ensuite la forte place d’Alexandrie, la battit en brèche dans les premiers jours de septembre, et réduisit le comte de Lodron, étonné de l’impétuosité de cette attaque, à capituler. Il remit la ville au duc Sforza, se dirigea vers Vigevano, qu’il prit, s’empara de toute la Lomelline, passa le Tessin, occupa Abbiate-Grasso, qu’il laissa également entre les mains du duc Sforza, et opéra sa jonction avec les troupes vénitiennes. Il parut de là se porter sur Milan, où s’était enfermé Antonio de Leyva, et, descendant tout d’un coup sur Pavie, que défendait le comte Ludovic Belgiojoso avec une garnison affaiblie, il l’attaqua du côté de la citadelle, tandis que les Vénitiens l’attaquaient du côté opposé. Après une furieuse batterie, la brèche étant devenue praticable, l’assaut fut donné et la ville emportée. Lautrec la laissa piller par ses soldats, qui voulaient même la brûler en châtiment de la longue résistance qu’elle avait opposée deux années auparavant à François Ier, et en représailles de la désastreuse défaite essuyée devant ses murailles le 24 février 1525.

Ces succès en Piémont et en Lombardie n’avaient pas été les seuls. Un important avantage avait été obtenu sur la côte ligurienne. Déjà l’année précédente la ligue avait occupé Savone, et s’était emparée de Porto-Fino, de Porto-Venere et de la Spezzia ; mais la ville de Gênes, que les navires confédérés de la France, de Venise et du saint-siège avaient bloquée sans pouvoir la prendre, restait toujours gouvernée par le doge Antoniotto Adorno, et soumise au parti impérial. Elle fut alors serrée de très près. Le plus habile marin de ce temps, André Doria, était rentré au service du roi en cessant d’être à celui du pape. François Ier l’avait pris à la solde de 36,000 écus, avec les huit grandes galères[11] qu’entretenait constamment en mer le puissant Génois. Réunis aux navires français, les navires d’André Doria étaient allés du port de Savone devant le port de Gênes qu’ils avaient étroitement bloqué. Tandis que la flotte commandée par André Doria fermait le golfe, capturait les vaisseaux et ruinait le commerce génois, un corps de troupes placé par Lautrec sous les ordres de César Fregoso, dont la famille, rivale des Adorni, avait été souvent à la tête de la république, menaçait Gènes du côté de la terre. Cette double attaque provoqua une des révolutions alors si fréquentes dans cet état agité. Les partisans de Fregoso et des Doria se soulevèrent, le doge Antoniotto Adorno s’enfuit, et Gènes se replaça sous la domination de François Ier. Le maréchal Théodore Trivulzi fut nommé gouverneur de la république, encore une fois transformée en seigneurie.

Les affaires de François Ier prospéraient en Italie, et les impériaux s’y affaiblissaient de jour en jour. La Lombardie leur était enlevée presque tout entière. Le roi de France tenait le comté d’Asti, vieux patrimoine de la maison d’Orléans, la ville de Savone, la seigneurie de Gènes et presque toute la côte de la Ligurie. Le duc Francesco Sforza était rentré en possession de la plus grande partie de son duché de Milan. Maître des fortes places de Lodi et de Crémone depuis la précédente campagne, il venait de recevoir Alexandrie, Novare, Vigevano, Abbiate-Grasso, Pavie des mains de Lautrec, qui les lui avait restituées après les avoir conquises. Il ne restait, pour ainsi dire, plus que Milan au pouvoir des impériaux. Antonio de Leyva occupait avec assez peu de troupes cette ville considérable et fort mal disposée. Il y était sans argent, presque sans vivres; il avait les habitans contre lui, et malgré la vigueur éprouvée de son caractère et sa rare opiniâtreté il n’aurait pas pu y tenir longtemps, s’il y avait été attaqué. Francesco Sforza le demandait avec instance à Lautrec en assurant, ce qui était vraisemblable, qu’Antonio de Leyva serait obligé d’évacuer Milan sans savoir comment il opérerait sa retraite. Achever, puisqu’on l’avait commencée, la conquête du Milanais, d’où les impériaux auraient été expulsés, et où un prince italien aurait été solidement établi, eût présenté de grands avantages. La Haute-Italie, depuis le Piémont jusqu’à l’Adriatique, soustraite à la domination des impériaux, aurait été désormais à l’abri de leurs agressions, et Lautrec aurait pu s’avancer vers le centre et le sud de la péninsule sans avoir rien à craindre du côté du nord.

Tandis que Francesco Sforza le suppliait de compléter son œuvre par la prise de Milan, le cardinal Cibo, légat de Clément VII à Bologne, le pressait d’aller au secours du souverain pontife, conformément à l’ordre des deux rois de France et d’Angleterre. Le pape lui-même faisait demander au général victorieux de hâter sa marche afin de le tirer de la captivité pleine d’humiliation et d’angoisses où le retenait l’armée de l’empereur, toujours oppressive pour ses sujets et devenue de plus menaçante pour lui-même. Lautrec, soit qu’il crût avoir suffisamment affaibli les impériaux dans la Haute-Italie, soit qu’il craignît que les Vénitiens n’apportassent plus de mollesse dans l’entreprise de Naples lorsqu’ils seraient pleinement rassurés sur leurs possessions de terre ferme dans la vallée du Pô en ayant Francesco Sforza pour unique voisin, soit plutôt qu’il tînt à remplir la mission qu’il avait reçue, ne poussa pas plus loin ses conquêtes en Lombardie. Il se mit en mouvement vers le sud, passa le Pô à Plaisance avec son armée, et, traversant les états pontificaux, il sembla marcher au secours du souverain pontife, qu’avaient longtemps retenu prisonnier les exigences croissantes des soldats et la politique intéressée de l’empereur.


III.

Charles-Quint était à Valladolid, où il tenait les cortès de Castille pour se procurer de l’argent, lorsqu’il avait reçu la grave nouvelle de la prise de Rome. Il n’en avait pas été étonné. En apprenant que le duc de Bourbon n’avait point adhéré, comme il lui avait recommandé de le faire, à la trêve de huit mois conclue entre le vice-roi de Naples et Clément VII, et que, entraîné autant par ses soldats que par sa passion, il avait franchi l’Apennin avec l’armée impériale, Charles-Quint s’était attendu à ce qui était arrivé. Le 6 juin, ne doutant pas que le duc de Bourbon n’eut pénétré dans Rome, et ignorant encore[12] que son aventureux lieutenant avait été tué sous les murailles de cette ville, il lui écrivait : « Mon bon cousin, je ne sçay au vray ce que vous aurez faict avec le pape depuis votre entrée à Rome.... Mais ce que je désire le plus, ce seroit une bonne paix, et espère que vous garderez bien d’être trompé et tiendrez main, si faire se peult, avec bonne asseurance, que le pape prenne la peyne de venir jusques icy pour entendre au faict de la paix universelle... Car de cela pourroit ensuivre beaucoup de bonnes choses pour le service de Dieu, le bien de toute la chrestienté et bonne adresse de mes affaires qui sont les vostres[13]. » Il invitait le duc de Bourbon, lorsqu’il aurait pris des arrangemens certains avec le pape, à conduire son armée sur les terres des Vénitiens pour l’y faire vivre à leurs dépens, jusqu’à ce qu’ils acceptassent les conditions qu’il leur imposait. Son intention était de contraindre ainsi un à un les confédérés à se soumettre, et, après avoir isolé le roi de France, de le tenir à sa discrétion.

L’empereur n’avait pas tardé à connaître la fin tragique du duc de Bourbon. Il lui donna des regrets publics, et pendant cinq jours il prescrivit en son honneur des services religieux auxquels il assista lui-même[14]. Il avait appris ensuite le pillage sanglant de Rome, la capitulation contrainte de Clément VII dans le château Saint-Ange et sa captivité prolongée. Ces événemens inouis avaient répandu beaucoup d’affliction parmi les catholiques espagnols. Il affecta de s’en montrer attristé[15]. Il fit suspendre les fêtes alors célébrées pour l’heureuse naissance du fils que lui avait donné l’impératrice le 21 mai, et qui fut son successeur, Philippe II[16]. Redoutant l’effet produit dans le monde par le sac de Rome et la détention du pape, il s’en justifia en les attribuant à l’inimitié ingrate de Clément VII et à l’animosité opiniâtre de François Ier, qui avait enfreint tous ses engagemens envers lui.

Dans une lettre qu’il adressa aux princes chrétiens, il dit qu’il n’avait pas cessé d’être favorable à l’église romaine jusqu’à la partialité; qu’il avait mieux aimé, lorsqu’il était en Allemagne, s’exposer au déplaisir des Allemands, qui lui exprimaient envers elle leurs justes doléances en le suppliant d’y porter remède, que d’affaiblir l’autorité des souverains pontifes; que plus récemment, pour la paix et le bien universel de la république chrétienne, il avait délivré le roi de France sans se venger de ses injures et sans recouvrer tout ce qui avait été usurpé sur lui; que le très saint père Clément VII, se laissant tromper par quelques méchans personnages qui étaient autour de lui, au lieu de conserver la paix en bon pasteur, avait suscité une nouvelle guerre dans la chrétienté; qu’il avait, avec d’autres potentats italiens et le roi de France, à peine sorti de prison, fait une ligue pour chasser son armée d’Italie et lui enlever son royaume de Naples. il ajoutait qu’il n’avait rien omis pour éviter ce qui était survenu, qu’il avait donné au pape des avertissemens dont le pape n’avait pas tenu compte, qu’il avait conclu avec lui des trêves que le pape avait violées, qu’obligé de défendre ses états et ses sujets, il avait envoyé au secours de ses troupes en Italie une nouvelle armée qui, craignant d’être encore trompée, avait marché sur Rome et s’en était emparée, on savait comment, après avoir perdu son capitaine-général. Il déplorait cette catastrophe, « bien que, à dire le vrai, continuait-il, nous ne croyions pas qu’elle soit aussi grande que nos ennemis l’ont publié de tous les côtés, et encore que nous voyions que cela est arrivé par le juste jugement de Dieu plutôt que par la force et la volonté des hommes... sans qu’il soit intervenu pour cela aucun consentement de notre part. Nous avons ressenti une si grande peine et une si grande douleur des outrages faits au siège apostolique, que nous aurions mieux aimé ne pas vaincre que de remporter une pareille victoire. » Il prétendait toutefois que, Dieu ayant coutume dans sa bonté de tirer le bien du mal, il convenait de lui rendre grâce pour ce qu’il faisait et permettait, et terminait en disant : « Efforçons-nous, chacun de notre côté, de dresser des remèdes aux maux que de toutes parts souffre la chrétienté, prêts que nous sommes à y employer notre vie et à y répandre notre sang[17]. »

Les remèdes qu’il avait plus qu’un autre à sa disposition, il ne se hâta point de les appliquer. Le pape restait toujours prisonnier. Il était resserré dans le château Saint-Ange, soumis à la surveillance intéressée des six compagnies d’Espagnols et d’Allemands entrés dans la forteresse pontificale. La position de Clément VII avait même empiré depuis la capitulation qu’il avait faite le 6 juin, après avoir perdu toute espérance d’être secouru par le duc d’Urbin et l’armée de la ligue. Il avait promis de remettre entre les mains des impériaux, comme gages de la sincérité de ses sentimens désormais pacifiques, les citadelles d’Ostie, de Civita-Vecchia, de Civita-Castellana, ainsi que les villes de Modène, de Plaisance et de Parme. Il s’était engagé de plus à leur payer 100,000 ducats tout de suite, 50,000 quinze jours après et 250,000 dans les deux mois qui suivraient[18]. Pour garantir l’exactitude de ces paiemens, il avait été obligé de donner en otages les archevêques de Siponte et de Pise, les évêques de Vérone et de Pistoja et les deux Florentins Jacobo Salviati et Laurent Ridolfi, ses proches parens, gardés dans le château Saint-Ange avec les treize cardinaux qui s’y étaient réfugiés en même temps que lui.

Sa captivité était un obstacle à son acquittement. Presque sans autorité et surtout sans crédit, comment se procurer les sommes nécessaires à sa libération ? Une partie de ses états se trouvait envahie, et il était mal obéi dans l’autre. Maîtres de Rome et de tous les pays d’alentour, les impériaux avaient occupé Ostie et Civita-Vecchia, sans pouvoir toutefois pénétrer dans Civita-Castellana, dans Plaisance et dans Parme, dont les portes leur avaient été fermées. Le duc de Ferrare, mettant à profit des circonstances aussi favorables à ses desseins d’agrandissement, s’était emparé de Reggio et de Modène, que depuis longtemps il convoitait. Les Vénitiens eux-mêmes, quoiqu’ils fussent les alliés de Clément VII, n’avaient pas hésité à étendre leurs possessions à ses dépens. Portant dans l’ambition autant d’audace qu’ils montraient de timidité dans la guerre, ils avaient pris Ravenne et Cervia sous prétexte de les soustraire à l’avidité du duc de Ferrare. Imola et Rimini étaient tombés entre les mains de Sigismondo Malatesta, dont la famille en avait eu autrefois la seigneurie.

Ces démembremens de l’état pontifical n’avaient point été les suites uniques de l’infortune de Clément VII. La captivité du chef de la maison des Médicis avait occasionné la ruine de son autorité dans Florence. Le cardinal de Cortone, qui y commandait pour lui, avait pris l’épouvante et la fuite à la nouvelle du désastre de Rome. Florence avait reconquis encore une fois son ancienne liberté. Elle avait aboli le gouvernement de la famille ambitieuse qui, par la richesse et l’habileté, s’était élevée à la suprême puissance, elle avait expulsé les deux neveux du pape, Alexandre et Hippolyte de Médicis, abattu les images de Léon X et de Clément VII, et rétabli le vieux régime républicain. Nicolo Caponi, nommé gonfalonier de justice, avait été mis à la tête de l’état, appelé de nouveau à se régir sous la forme la plus démocratique. Tout en accomplissant cette révolution intérieure, les Florentins étaient demeurés fidèles à la confédération. Unis avec le roi de France, la république de Venise, le duc de Milan, ils s’étaient engagés à entretenir 5,000 hommes de pied et 300 chevau-légers, comme leur contingent à l’armée qui combattait pour l’indépendance italienne contre la domination impériale.

Le triste Clément VII, dont le pouvoir était renversé dans Florence, dont les possessions étaient prises aussi bien par les alliés que par les adversaires du saint-siège, était condamné à rester prisonnier bien des mois encore. Il avait payé à grand’peine, le 21 juin, 80,000 ducats sur les 150,000 qu’il était tenu de donner tout d’abord[19], et qu’il ne parvint à réunir que longtemps après le terme fixé; mais il fut hors d’état de compter aux soldats de Charles-Quint les 250,000 ducats qu’il s’était engagé à leur remettre deux mois après la capitulation du 6 juin, et il resta exposé aux menaces d’une armée qui n’obéissait plus à personne. Le prince d’Orange, à qui la prise de Rome aurait pu donner quelque autorité sur elle, avait été obligé d’en abandonner le commandement. Le marquis del Guasto, don Ugo de Moncada et Alarcon s’étaient concertés pour le lui enlever et le placer aux mains du vice-roi de Naples Lannoy. S’étant retiré furieux à Sienne, où il se faisait guérir d’un coup d’arquebuse reçu devant le château Saint-Ange et qui lui avait traversé le visage[20], le prince d’Orange avait de là écrit à l’empereur pour lui dénoncer les menées jalouses des chefs espagnols et réclamer au plus tôt ses ordres souverains[21]. Lannoy, rentré dans Rome, s’était mis, sans pouvoir y rester, à la tête de l’armée, dont l’accueil menaçant et les volontés hostiles l’avaient contraint de partir assez vite pour le royaume de Naples. En s’y rendant, il s’était arrêté à Averse, où il succomba le 23 septembre à la maladie pestilentielle qui régnait dans Rome et qu’il en avait rapportée.

Cette terrible maladie avait réduit l’armée de plus de moitié. Sortant de la ville dévastée et empestée, les Espagnols et les Allemands s’étaient répandus dans les lieux environnans, qu’ils avaient ravagés. Ils étaient ensuite revenus dans Rome, et ils avaient réclamé plus impérieusement que jamais l’argent qui leur était dû. A la suite d’une de leurs délibérations les plus tumultueuses, ils avaient tiré du château Saint-Ange les otages pontificaux, au grand désespoir de Clément VII, qui ne les avait pas vus partir sans éprouver de grandes craintes et sans verser des larmes[22]. Les soldats les avaient conduits dans le Campo di Fiore, où ils les avaient enchaînés deux à deux, les menaçant de mon s’ils ne leur comptaient pas, comme ils les avaient forcés de le promettre, 50,000 ducats dans cinq jours[23].

Témoin de ce qui se passait dans Rome livrée à cette soldatesque cupide, désordonnée, violente, Alarcon, gardien vigilant du pape captif, mais catholique alarmé de voir celui qui tenait la place de Dieu sur la terre maintenu en prison, écrivait à ce sujet avec une douloureuse inquiétude à Ugo de Moncada, qui remplaça Lannoy comme vice-roi de Naples. Dans cette lettre, Alarcon assurait que tout était en l’air, que l’armée en était arrivée à un tel degré de licence et de désordre, qu’on ne pourrait jamais la ramener à l’obéissance et à la discipline sans la payer et sans lui donner un chef qui la tînt en crainte; que le prince d’Orange était celui qu’il convenait le mieux de mettre à sa tête; qu’il fallait délivrer le souverain pontife, si l’on voulait que Dieu dirigeât les affaires de l’empereur comme il l’avait toujours fait; que c’était une chose bien violente que de tenir si longtemps en prison un pape et treize cardinaux. « Avec le mauvais renom, disait-il, qu’en retire sa majesté, les pierres de la chrétienté se lèvent contre lui, et le monde unit par terre et par mer[24]. »

Bien avant de recevoir cette lettre, qui lui fut transmise par Ugo de Moncada, l’empereur comprit qu’il lui importait de rendre le pape à la liberté, mais en s’assurant qu’il n’aurait plus à redouter son inimitié. Il n’entendait pas renoncer aux avantages de la victoire qu’il affectait publiquement de déplorer. Il envoya auprès de Clément VII son ancien confesseur fray Francisco de los Angeles, général des observantins, et il lit partir en même temps son chambellan Pierre de Veyre, baron de Saint-Vincent, avec des instructions à son vice-roi de Naples pour conduire cette négociation conformément aux intérêts de sa politique. Il souhaitait que le pape put venir en Espagne, ainsi qu’il en avait manifesté l’intention. S’il ne pouvait pas y être conduit avec sûreté, il chargeait le vice-roi de Naples, comme représentant sa personne, de le rétablir dans l’exercice spirituel de sa charge. Il ajoutait : « Le vice-roi devra s’assurer que, dans toutes les choses qui se feront humainement et avec le pouvoir temporel, nous ne puissions pas être trompé, et que, si sa sainteté avait l’intention de nous nuire, elle n’en ait pas le moyen, afin que nous ne soyons pas toujours payé d’ingratitude et que nous ne soyons pas exposé à des dommages pour le bien que nous lui avons fait, comme l’a prouvé l’expérience du passé[25]. » Il voulait donc que Clément VII, pour sortir de captivité et reprendre l’exercice du souverain pontificat, donnât des gages de sa future amitié, et fournît les sommes qu’exigeait l’armée impériale afin qu’elle quittât les états de l’église et pût remonter en Lombardie, où son assistance était nécessaire.


IV.

Pendant que la guerre se poursuivait avec succès en Italie contre Charles-Quint, et qu’allait s’y négocier la délivrance de Clément VII, rendue fort tardive à opérer par des conditions très difficiles à remplir, les deux rois de France et d’Angleterre, non contens des traités déjà conclus entre eux, s’unissaient encore davantage et pourvoyaient au gouvernement de l’église, que la captivité du souverain pontife pouvait mettre à la merci de l’empereur. C’est pour ce double objet que le cardinal d’York vint s’aboucher avec François Ier à Amiens. Il devait entamer aussi l’affaire secrète[26] qui intéressait par-dessus tout le passionné Henri VIII en préparant les voies au divorce avec Catherine d’Aragon pour arriver ensuite au mariage avec Anne Boleyn. Le superbe et habile cardinal était alors au comble de l’élévation, et disposait de toute la puissance du roi son maître. Il partit d’Angleterre dans le plus fastueux appareil. Douze cents seigneurs ou gentilshommes revêtus de justaucorps de velours à sa livrée l’accompagnaient à cheval. Les mules et les chariots de son train, que gardaient une troupe d’archers et de hallebardiers, le devançaient d’assez loin. Son manteau écarlate richement brodé d’or et sa masse étaient portés par deux gentilshommes tête nue, que suivaient, la tête également découverte, deux prêtres, dont l’un tenait le sceau de Wolsey et l’autre son chapeau de cardinal. Lui-même, dans un costume éclatant, et monté sur une mule couverte de velours cramoisi, s’avançait pompeusement, précédé de ses grandes crosses et de ses croix d’argent qu’on élevait devant lui. C’est ainsi qu’il traversa Londres et se rendit à Douvres, où il s’embarqua pour la France. Arrivé à Calais le 11 juillet, il y passa quelque temps. Ministre et lieutenant-général de Henri VIII, il fut traité comme aurait pu l’être le roi; légat de Clément VII, il agit comme aurait pu le faire le pape. Il s’achemina ensuite vers Amiens avec une lenteur majestueuse. Son train et son cortège occupaient près d’un mille sur la route[27]. A partir de Guines et de Hammes, les derniers points du territoire français encore possédés par les Anglais, il fut reçu avec les plus grands honneurs dans toutes les villes. Les maires et les échevins, les capitaines avec leurs hommes d’armes, les arbalétriers et les hallebardiers avec leurs bannières, les gens d’église et les religieux des monastères en procession allaient à sa rencontre. On le haranguait, on tirait le canon à son passage, et François Ier, qui n’avait rien oublié de ce qui pouvait le gagner le mieux en le flattant le plus, lui avait accordé le droit royal de faire grâce aux criminels dans tous les lieux qu’il traversait[28]. Le cardinal d’York arriva le 4 août à Amiens, où le roi, sa mère la régente, sa sœur Marguerite de Valois, devenue reine de Navarre par son récent mariage avec Henri d’Albret, et toute la cour de France étaient depuis la veille. Lorsque Wolsey fut à un mille et demi de la ville, il vit venir à lui François Ier, élégamment monté sur un genet gris. Le roi portait un habillement de velours ouvert en plusieurs endroits avec des crevés de satin blanc; il avait autour de lui le roi de Navarre, le cardinal de Bourbon, le duc de Vendôme, son frère François de Bourbon, comte de Saint-Pol, le grand-maître Anne de Montmorency, le sénéchal de Normandie, plusieurs archevêques et évêques et bon nombre de seigneurs et de prélats. Il s’avança gracieusement vers lui, tenant son bonnet à la main, et l’embrassa de la manière la plus cordiale. Il lui présenta ensuite tous les personnages de sa cour, comme il les aurait présentés à Henri VIII lui-même, et il l’accompagna à travers les rues pleines d’une population curieuse et joyeuse jusqu’à l’hôtel qu’il devait habiter[29]. Le même jour, la régente, que Wolsey alla visiter, lui exprima sa vive gratitude et le combla de ses adroites adulations. Ce brillant accueil et les soins déférens dont il fut l’objet soit à Amiens, soit à Compiègne, où François Ier le conduisit et l’amusa après les conférences d’Amiens, enivrèrent de joie le vain et puissant cardinal.

Les négociations commencèrent aussitôt. Les points principaux en furent débattus entre le roi, la duchesse d’Angoulême et le cardinal d’York. François Ier, sans doute pour mieux plaire à Henri VIII, proposa d’épouser lui-même la princesse de Galles sa fille[30]. Wolsey, dont il feignit de prendre et de vouloir suivre en tout les conseils, l’en dissuada. — Si ce mariage est conclu, dit-il au roi, comment vos enfans vous seront-ils rendus et comment sera-t-il possible d’arriver à la paix avec l’empereur ? — En faisant la guerre partout, répondit le roi, une guerre vive en Italie et en Flandre. — Mais, sire, répliqua Wolsey, le moyen est douteux. Après que vous aurez bien fait la guerre, à la fin l’empereur ayant toujours vos enfans entre les mains, votre altesse sera obligée, nonobstant la guerre, d’offrir des conditions raisonnables pour leur rachat[31]. — François Ier se rendit sans peine à ces raisons. Il comprenait très bien qu’il offenserait irrémissiblement l’empereur, s’il rompait par une autre union le mariage qu’il avait contracté à Madrid avec la reine Éléonore sa sœur, et que toute espérance de réconciliation serait à jamais perdue. Il fut donc convenu que la princesse Marie épouserait le duc d’Orléans lorsqu’ils auraient atteint l’un et l’autre l’âge de puberté.

Il fut convenu de plus, après de longues délibérations du conseil secret, que le roi de France ne renoncerait pas perpétuellement au duché de Milan, qui serait toutefois revendiqué pour le duc Sforza ; qu’il ne fournirait pas à Charles-Quint le subside onéreux et humiliant que Charles-Quint avait exigé par le traité de Madrid lorsqu’il irait prendre la couronne impériale en Italie ; que les Vénitiens seraient compris dans le traité de paix[32]. Il fut aussi décidé que durant la captivité du pape les deux rois n’adhéreraient pas à la convocation d’un concile général, et n’admettraient aucune bulle pontificale dérogatoire aux droits de leurs couronnes et de leurs sujets ; que les deux églises de France et d’Angleterre seraient administrées par leurs propres évêques et que les jugemens portés par Wolsey en sa cour d’archevêque et de légat seraient mis à exécution nonobstant toute prohibition papale[33], quelles que fussent la prééminence et l’autorité des personnes jugées[34]. Toutes ces précautions étaient inspirées par la crainte que Clément VII, dans sa faiblesse, ne cédât sur ces divers points aux demandes qui lui seraient violemment adressées au nom de l’empereur dans le château Saint-Ange ou imposées par l’empereur lui-même, s’il parvenait à l’attirer en Espagne ; elles étaient prises également pour faciliter le divorce de Henri VIII avec Catherine d’Aragon. Wolsey aurait voulu encore que les cardinaux s’assemblassent en France, pour se concerter dans ce grand trouble de l’église chrétienne, et se faire déléguer en quelque sorte l’exercice du pontificat comme vicaire-général du pape durant la captivité prolongée de Clément VII[35]; mais sa tentative fut infructueuse, et l’ambition qu’il avait d’être, même un moment, pape par délégation, se trouva déçue. Clément VII, qui avait treize cardinaux avec lui dans le château Saint-Ange, avait défendu aux autres de quitter l’Italie afin qu’ils fussent à portée de se former en conclave et de lui donner promptement un successeur, s’il était tué dans le château Saint-Ange ou s’il succombait à ses chagrins.

François Ier envoya bientôt en Angleterre le grand-maître Anne de Montmorency, qu’accompagnaient l’évêque de Bayonne, Jean du Bellay, Brinon, premier président du parlement de Rouen, d’Humières, gouverneur de Picardie, et une brillante suite de six cents gentilshommes, demander à Henri VIII l’exécution des traités, qu’il célébra lui-même avec la plus grande pompe dans la cathédrale d’Amiens. Plus unis que jamais, François Ier et Henri VIII se répandirent en démonstrations d’amitié, s’adressèrent d’agréables présens, et ils échangèrent entre eux avec une cordialité pompeuse le collier de Saint-Michel et l’ordre de la Jarretière. Tandis que se concluaient ces traités, qui devaient être suivis d’une solennelle déclaration de guerre de la part des deux rois à l’empereur, s’il n’acceptait pas leurs propositions de paix, François Ier adressa à Clément VII une lettre qu’il mit tout son esprit à rendre persuasive. Il conjura le pape captif de ne pas se soumettre aux volontés de Charles-Quint et de prendre en gré son infortune, qui tournerait à sa gloire et à la confusion de ses ennemis. Il l’assurait que Dieu ne laisserait pas impunis ceux qui avaient ainsi traité son vicaire et commis tant d’exécrables inhumanités dans la cité où les successeurs de saint Pierre avaient leur siège. « Nous vous prions, très saint père, le roi d’Angleterre et moi, lui disait-il, quelque chose que l’on vous propose ou menace, de ne condescendre à octroyer ou faire acte indécent à la dignité à laquelle vous estes constitué. » Il lui annonçait que le roi d’Angleterre et lui avaient déjà en Italie une forte armée et une flotte qui seraient employées à son service; que si leurs troupes rencontraient les ennemis, elles leur livreraient bataille et auraient sur eux la victoire. Il ajoutait : « Mon très cher frère le roi d’Angleterre et moi avons envoyé par devers l’empereur pour votre délivrance. Si nous ne pouvons l’obtenir par douceur, nous inciterons contre lui les autres princes chrétiens et les électeurs de l’empire. Le clergé tant de France que d’Angleterre incitera aussi le reste du clergé de la chrétienté à poursuivre votre liberté, en sorte que nous ferons connoître à l’empereur qu’il ne devoit souffrir qu’un si condamnable attentat fût commis en son nom et sous sa bannière[36]. »

Les deux rois en effet avaient envoyé en Espagne des ambassadeurs extraordinaires pour demander à l’empereur de délivrer les jeunes princes français moyennant la rançon offerte, de payer au roi d’Angleterre les sommes qu’il lui devait, de rétablir Francesco Sforza dans le duché de Milan, et de rendre Clément VII à la liberté comme à l’exercice du souverain pontificat. Sir Francis Poyntz et Gabriel de Gramont, évêque de Tarbes, chargés de cette mission par Henri VIII et François Ier, s’étaient présentés devant Charles-Quint le à juillet, dans un moment où ce prince croyait l’Italie entièrement à sa discrétion. Il écouta les propositions qui lui furent faites avec un calme ironique, et il adressa des paroles assez malicieuses à l’évêque de Tarbes[37]. Toutefois, loin de se refuser à un arrangement pacifique, il sembla s’y prêter en cédant sur le duché de Bourgogne. Seulement, par les difficultés qu’il y apporta, il fit traîner en longueur la négociation qui, ouverte à Valladolid, fut continuée à Palencia et à Burgos, où la peste le contraignit de se transporter avec sa cour. Sans être rompue, cette négociation se compliqua bien davantage lorsque l’empereur fut instruit de ce qui s’était conclu à Amiens, et qu’il apprit les progrès menaçans de Lautrec en Italie. Altier et opiniâtre comme il était, il allait se montrer moins traitable encore. Il écrivit à son frère Ferdinand, qui lui conseillait instamment de faire la paix dans l’intérêt de l’Allemagne et du royaume de Hongrie : « Je vois bien que l’intention du roi François est tout à fait en désaccord avec ses protestations de paix, car je suis maintenant informé qu’il a traité différentes choses avec le cardinal d’York qui tendent à prolonger la guerre... Le roi de France ayant le projet de me faire tort partout, il est nécessaire que je prenne des mesures pour ma défense, et j’y suis résolu avec l’assistance de Dieu, qui m’a toujours aidé dans mon bon droit[38]. »

Il était justement inquiet de la situation de ses affaires en Italie. Le Piémont et le Milanais lui avaient été enlevés presque en entier. François Ier occupait le comté d’Asti, la ville de Savone et la république de Gênes. Sauf Milan et Côme, que gardait Antonio de Leyva avec un corps de troupes assez peu considérable, Francesco Sforza était rentré en possession de tout son duché. La république de Florence, soustraite à la dépendance des Médicis, avait pris les armes en même temps qu’elle avait recouvré sa liberté, et elle était entrée avec ardeur dans la ligue franco-italienne. A l’approche de Lautrec et de son armée, qui avaient pénétré dans les états pontificaux, le duc de Ferrare, toujours prêt à changer de parti selon ses intérêts ou ses craintes, avait délaissé les Espagnols menacés, comme il avait abandonné naguère les Français vaincus, et il s’était joint à la ligue. Pour prix de sa défection envers l’empereur et en récompense des services qu’il promettait de rendre au roi, de grands avantages lui avaient été accordés, et son fils Hercule d’Este avait obtenu la main de Renée, fille de Louis XII et belle-sœur tendrement chérie de François Ier, qui lui donnait le comté de Chartres en dot. Cédant à des considérations semblables, le marquis de Mantoue, Frédéric de Gonzague, était sorti de la neutralité qu’il avait observée jusque-là, et il s’était enrôlé dans la confédération en progrès. Du pied des Alpes aux bords du Tibre, toute l’Italie était ouvertement déclarée, et dans sa marche victorieuse l’armée française semblait prête à attaquer dans Rome les impériaux affaiblis, et à s’emparer même du royaume mal défendu de Naples.

Charles-Quint, que ces rapides changemens dans la face des choses agitèrent sans l’intimider[39], s’appliquait à accroître ses forces dans la péninsule qu’on voulait lui arracher, et qu’il était résolu à ne pas perdre. Il ordonna une forte levée de lansquenets, qui de l’Allemagne iraient, sous le duc Érich de Brunswick, aider Antonio de Leyva à reprendre la Lombardie, et marcheraient ensuite au secours du royaume de Naples. Il eut recours à toute sorte d’expédiens pour se procurer l’argent qu’exigeait la continuation de la guerre, et que lui avaient refusé les cortès de Castille assemblées à Valladolid. Il donna le commandement de l’armée impériale, qui restait sans chef dans Rome, au prince d’Orange, qu’il nomma son lieutenant-général comme l’avait été le duc de Bourbon. Il fit de l’entreprenant Ugo de Moncada le successeur de Lannoy dans la vice-royauté de Naples. Il pressa la conclusion de l’accord avec Clément VU afin que le pape redevînt libre sans pouvoir redevenir hostile, et que, déchargé lui-même de l’animadversion que lui faisait encourir dans le monde chrétien la captivité du souverain pontife, il pût tirer ses troupes des états de l’église et s’en servir pour la défense des siens.

L’accord, tel que l’entendait Charles-Quint et que l’armée voulait l’imposer au pape, n’était pas facile à conclure. A l’empereur il fallait des sûretés, à l’armée de l’argent. Cet argent que le pape n’était pas en mesure de se procurer, les soldats espagnols et allemands, aussi impérieux qu’avides, l’exigeaient sur-le-champ. Après avoir parcouru les environs ravagés de Rome, les lansquenets surtout étaient rentrés dans la malheureuse ville mise si longtemps à sac, et ils menaçaient de la brûler et de quitter même le service de l’empereur, si on ne les satisfaisait pas tout de suite. Les otages pontificaux qu’ils avaient enchaînés deux à deux, le dataire Giberto, évêque de Vérone, avec A. Pucci, évêque de Pistoja, — l’archevêque de Siponte Jean-Marie de Sansovino avec l’archevêque de Pise, Onofrio Bartholino, — Jacobo Salviati, père du cardinal Salviati, avec Laurent Ridolfi, frère du cardinal Ridolfi, furent soumis aux plus ignominieux traitemens[40] pour leur arracher les sommes de jour en jour grossies qu’ils étaient dans l’impossibilité de fournir.

Le cardinal Pompeio Colonna, dans le palais duquel les otages étaient enfermés quand on ne les traînait point sur le Campo di Fiore, s’entremit bien des fois auprès des lansquenets, qui l’avaient en grande faveur, et qu’il s’efforça d’apaiser. Ennemi longtemps implacable de Clément VII, Pompeio Colonna, après avoir présidé au premier sac du Vatican et du Borgo, et après être accouru pour assister au second, deux fois témoin de l’humiliation du pape et de la désolation de Rome, était revenu à d’autres sentimens. A la vue de l’abaissement si profond du souverain pontife, au spectacle des maux qui accablaient Rome, où sa maison tenait depuis tant de siècles une si grande place, il se trouva trop vengé. Il alla au château Saint-Ange se jeter aux pieds du pape et les baiser. Clément VII le releva et l’embrassa[41]. Ils pleurèrent ensemble sur les malheurs de Rome et du saint-siège, et leur réconciliation s’acheva dans les témoignages de cette commune douleur. Clément VII parut oublier toutes les offenses qu’il avait reçues. Il intéressa l’âme violente, mais altière du cardinal et sa vanité généreuse au rétablissement du pontife dans sa liberté et de la papauté dans sa puissance. Il lui laissa espérer la riche légation d’Ancône[42]. Pompeio Colonna travailla de son mieux à faciliter la délivrance de Clément VII et à sauver les six otages de la fureur des soldats, qu’il harangua souvent, et auxquels même il remit de l’argent. Sans cesse menacés, les pauvres otages furent conduits une dernière fois, le 28 novembre, au Campo di Fiore et placés sous les fourches patibulaires. Ils ne furent détachés du gibet qu’après avoir promis de payer le lendemain à l’armée ce qu’elle leur demandait sous peine de mort[43], et ce qu’ils étaient incapables de lui donner. Ramenés au palais Colonna, ils parvinrent à s’en évader pendant la nuit à l’aide du cardinal Pompeio, qui corrompit leurs gardes ou plutôt qui sut endormir leur vigilance par un repas copieux et prolongé[44].

Deux jours avant cette scène menaçante et cette heureuse évasion, l’accord avait été conclu entre le pape et l’empereur. Les articles en avaient été arrêtés dans la nuit du 26 novembre après bien des tentatives inutiles de la part des envoyés de Charles-Quint et de douloureuses hésitations de la part de Clément VII. Par cette nouvelle capitulation, que signèrent le souverain pontife, les treize cardinaux prisonniers, le général des franciscains, le marquis del Guasto, don Fernand de Gonzague, le mestre-de-camp espagnol Juan de Urbina, les délégués de l’armée impériale, et que ratifia le vice-roi de Naples Ugo de Moncada, il avait été convenu que le pape donnerait immédiatement 73,169 écus pour être mis en liberté, et achèverait de payer la somme totale de 368,153 écus dans les trois mois qui suivraient ; qu’il concéderait à l’empereur, dont il ne serait jamais plus l’adversaire en Italie, la levée d’une crusade en Espagne, et la vente dans le royaume de Naples de décimes ecclésiastiques évalués à 500,000 ducats, sur lesquels 250,000 reviendraient à Clément VII et serviraient à son acquittement[45] ; qu’il laisserait entre les mains des impériaux Ostie, Civita-Vecchia, Civita-Castellana, comme gages de l’observation de ses engagemens ; qu’il remettrait de plus en otages de sa fidélité à les remplir les cinq cardinaux Trivulzi, Pisani, Gadi, Ursino, Cesi, dont les trois premiers furent conduits au nom de l’empereur dans le château neuf de Naples, et les deux derniers furent menés pour le compte de l’armée par le cardinal Colonna dans son agréable abbaye de Grotta-Ferrata[46]. Après avoir donné des sûretés pour l’argent qui ne pouvait pas être payé tout de suite, le pape devait être mis en liberté. Le 7 du mois de décembre était le jour fixé pour sa sortie du château Saint-Ange, où il était moins surveillé[47]. Il ne l’attendit point. Craignant sans doute que les soldats impériaux, très mécontens de ne pas recevoir sur-le-champ tout ce qui leur était dû, ne missent obstacle à sa délivrance, il en devança le moment. Tout avait été préparé mystérieusement pour sa fuite. Le 6 décembre, vers la nuit, revêtu d’un costume de marchand et suivi d’un seul serviteur, il quitta sans être vu le château Saint-Ange, et se rendit à une fausse porte du jardin du palais de Saint-Pierre où se trouvait un cheval que Louis de Gonzague y avait placé. Clément VII, la tête couverte d’un chapeau à larges bords qui descendait sur ses yeux, le visage moitié caché par les plis d’un manteau dans lequel il était enveloppé, se jeta sur ce cheval, et, l’éperonnant comme s’il devait être poursuivi, il alla sans s’arrêter jusqu’à Capranica. Après une courte halte, il courut s’enfermer dans Orvieto, place entourée de fortes murailles, où seulement il se crut libre et en sûreté[48].

Il écrivit aussitôt à Lautrec, qu’il remercia d’avoir contribué par son approche à lui faire rendre la liberté. Il se justifia ensuite, dans une lettre adressée à François Ier, du traité qu’il venait de conclure avec l’empereur, et que la nécessité seule lui avait arraché. Il rendit grâce à ce prince d’avoir pris les armes pour sa délivrance, qu’il avait par là contraint l’empereur à opérer plus vite et à des conditions moins dures ; mais le souvenir de ses longues traverses, l’effroi encore plus que le ressentiment de ses affronts et de ses adversités, une captivité humiliante et désastreuse, Rome saccagée, Florence perdue, Reggio, Rubiera et Modène prises par le duc de Ferrare, Cervia et Ravenne usurpées par les Vénitiens, trois forteresses de l’église livrées aux impériaux, lui étaient toute envie de rentrer dans la ligue. Rien que nourrissant contre Charles-Quint de profondes animosités, il n’était pas disposé à rompre derechef avec lui. La paix qu’il voulait garder, il engageait François Ier à la faire. « Maintenant, mon très cher fils, lui disait-il, nous te prions, par cette affection qui nous a toujours liés l’un à l’autre, de bien tout examiner afin de guérir les blessures de la malheureuse chrétienté, de rétablir la paix universelle et d’obtenir la délivrance de tes enfans[49]. »

Le conseil que Clément VII donnait à François Ier était donné à Charles-Quint par son frère Ferdinand et par ses plus dévoués serviteurs. Son chambellan Pierre de Veyre, qu’il avait chargé de ses instructions en Italie, après avoir vu l’état de ce pays et en avoir compris les périls, lui écrivait en le suppliant de s’entendre avec François Ier. « Je ne vois pas de moyen, lui disait-il, de porter secours à vos affaires, si l’on ne fait pas la paix avec les Français, car je les crains merveilleusement[50]. »

Les dispositions des deux monarques les portaient alors à un rapprochement dont ils sentaient également, quoique par des raisons diverses, la pressante nécessité. François Ier le désirait pour recouvrer ses enfans et pour mettre un terme à des dépenses qui épuisaient son royaume. Charles-Quint y inclinait aussi afin d’arranger les affaires d’Italie au profit de sa puissance et d’exécuter ses desseins sur l’Allemagne, qu’il voulait ramener à l’unité religieuse et défendre contre les Turcs. La défiance extrême que les deux princes nourrissaient l’un à l’égard de l’autre et les succès même remportés en Italie par l’armée française devaient être des obstacles à la paix, dont la négociation se continuait à Burgos. Charles-Quint, n’espérant plus depuis longtemps arracher la Bourgogne au roi, consentait à recevoir en échange les 5 millions d’écus d’or qu’il avait d’abord refusés, et dont le mode de paiement seul n’était pas encore tout à fait convenu; mais, s’il cédait avec sincérité sur la Bourgogne, Charles-Quint était exigeant et absolu à l’endroit de l’Italie. Il demandait que François Ier en retirât immédiatement son armée, qu’il abandonnât tout ce qu’il y avait pris et tout ce qu’il y occupait avant que ses deux fils lui fussent rendus. François Ier consentait bien à rappeler ses troupes du centre de la péninsule, et promettait d’évacuer Asti, Savone et Gênes, mais après la libération de ses enfans. Ne se fiant pas plus à Charles-Quint que Charles-Quint ne se fiait à lui[51], il craignait, s’il se désarmait et se dépouillait en Italie, que ses enfans ne fussent retenus en Espagne, tandis que l’empereur pensait que, s’il rendait d’abord le dauphin et le duc d’Orléans à François Ier, François Ier pourrait bien, après avoir recouvré ses enfans, demeurer en Italie. Des deux parts, on avait peur d’être trompé en ne prenant pas des sûretés anticipées contre un manque de foi dont Charles-Quint présumait le retour et François Ier la représaille. Ainsi d’un côté l’évacuation de l’Italie exigée avant la délivrance des enfans de France, de l’autre la délivrance des enfans de France réclamée comme condition préalable de l’abandon de l’Italie, parurent rendre tout accord pour le moment impossible.

En apprenant les exigences de Charles-Quint, auxquelles les succès de son armée et l’appui de ses alliances ne le disposaient pas à se soumettre, François Ier pressa Henri VIII d’agir de concert avec lui conformément aux traités dernièrement conclus, pour contraindre l’empereur à la paix par force, s’il ne s’y décidait pas par raison. Il demanda que les ambassadeurs de France et d’Angleterre en Espagne, ne se laissant plus prendre, comme il le disait, au piège des dissimulations prolongées, reçussent les mêmes instructions, fissent entendre le même langage, sommassent l’empereur d’accepter de justes arrangemens, et, en cas de refus de sa part, lui déclarassent solennellement la guerre[52]. C’est ce qui fut alors décidé par les deux rois. Des dépêches semblables furent adressées à l’évêque de Tarbes, au président de Calvimont[53], à l’évêque de Worcester et à sir Francis Poyntz, qui eurent ordre de se présenter à l’audience de l’empereur, de lui signifier les conditions de la paix, et, s’il n’y accédait pas, de se servir des hérauts d’armes qu’ils avaient avec eux pour lui intimer la guerre.


V.

Pendant que les ambassadeurs de France et d’Angleterre, chargés de faire cette dernière et douteuse tentative, allaient accomplir leur office, François I*’ cherchait à se pourvoir d’argent. Il en avait besoin soit qu’il eût à payer la rançon de ses enfans, soit qu’il eût à continuer la guerre, selon que l’empereur accepterait ou rejetterait les propositions de paix. Les sommes considérables qui lui seraient nécessaires pour s’acquitter avec promptitude envers Charles-Quint ou pour le combattre avec vigueur ne pouvaient pas être fournies par les revenus épuisés de la couronne et les impôts insuffisans de l’état. Il devait dès lors s’adresser à la générosité de son peuple et lui demander une aide extraordinaire. A cet effet, il convoqua une assemblée de notables. Composée de cardinaux, d’archevêques et évêques pour le clergé, des princes du sang, de grands seigneurs chevaliers de l’ordre de Saint-Michel et de gentilshommes pour la noblesse, des présidens et conseillers du parlement de Paris, des présidens et conseillers députés par les parlemens de Toulouse, Bordeaux, Rouen, Dijon, Grenoble, Aix en Provence pour le tiers-état, cette assemblée se réunit le lundi 16 décembre 1527, au Palais de Justice[54].

Le roi vint l’ouvrir avec pompe et s’adressa à elle avec la plus cordiale confiance. Il prit habilement la parole pour exposer dans un discours familier et éloquent sa situation et ses besoins. Il dit qu’il avait convoqué cette assemblée pour remplir le devoir de son office royal, retracer dans leur vérité les choses passées, et donner à connaître à ses sujets le bon vouloir qu’il leur portait et qu’il portait à la France. Sachant toute l’amitié qu’ils avaient pour leur roi, il espérait qu’il n’y en aurait aucun qui ne lui prêtât secours et confort et qui ne le conseillât loyalement.

Faisant l’histoire de son règne et de ses guerres depuis son avènement au trône, il ne s’attribua que des pensées de bien public, repoussa toute intention ambitieuse, ne se reconnut aucune faute et mit sur le compte de la fortune ce qui lui était arrivé de contraire. Il n’insista point sur les victoires et les avantages qui avaient glorieusement marqué le cours de ses premières années, « parce que, dit-il, la coutume n’est pas de louer la prospérité, car d’elle-même elle se loue; mais de l’adversité, ajouta-t-il, je m’en veux justifier. » Il raconta alors d’une façon singulièrement adroite, en des termes souvent spirituels et quelquefois pathétiques, les événemens qui avaient suivi la guerre devenue inévitable contre l’empereur Charles; les désastres qu’avaient provoqués la défection de ses alliés et la trahison du connétable de Bourbon ; la perte de l’Italie et l’invasion de la France; le siège de Marseille, qu’il avait fait lever, et les armes qu’il avait portées de nouveau de l’autre côté des Alpes afin que les ennemis ne pussent pas ravager le royaume avec les leurs; le siège qu’il avait mis devant Pavie, où, faiblement secondé par ceux qui auraient dû le soutenir plus vaillamment, il avait essuyé une défaite et avait été pris en combattant; les tristesses de sa captivité et les dures conditions qui lui avaient été imposées à Madrid ; le douloureux éloignement du dauphin et du duc d’Orléans, ses fils aînés, qu’il avait été réduit à laisser entre les mains de l’empereur comme gages du duché de Bourgogne, qu’on l’avait contraint de promettre et que ses devoirs envers le royaume ne lui permettaient pas de céder; enfin la ligue de Cognac et les puissans efforts par lesquels il était parvenu, à l’aide de ses confédérés, à faire modérer les exigences espagnoles et délaisser la Bourgogne pour une somme d’argent. Il ajouta : « Le roi d’Angleterre et moi avons envoyé devers l’empereur lui offrir la paix, s’il veut venir à la raison, sinon lui signifier la guerre à feu et à sang. J’en aurai bientôt la réponse. S’il accepte la paix, il lui faut la somme de 2 millions d’or, sur lesquels 1,200,000 écus doivent être fournis promptement pour qu’il rende mes enfans. Il y a quelques articles sur lesquels nous ne sommes pas bien d’accord. Je pense que l’empereur ne les refusera point. Toutefois, s’il les refusait, il faudrait nécessairement venir à la guerre et la mettre en Flandre et en Artois, où j’aurais 20,000 hommes sans la gendarmerie qui est sur la frontière, et le roi d’Angleterre 10,000, car nous sommes convenus que je payerais les deux tiers des frais, et le roi d’Angleterre l’autre tiers[55]. »

Entretenant l’assemblée de l’étendue de ses dépenses et de l’insuffisance de ses ressources, il dit que, pour continuer la guerre, il a besoin de l’aide de ses sujets et vassaux, qu’il n’a voulu rien faire sans s’adresser à eux, qu’il est leur roi et qu’en sa personne gît l’honneur du royaume de France, qu’il les prie de bien examiner si le royaume peut supporter les frais de la guerre, déclarant que, s’il doit en être trop grevé, il est prêt à retourner en Espagne comme prisonnier, à faire ainsi revenir ses enfans, à porter seul la peine des désastres publics, et qu’il serait satisfait de demeurer toute sa vie en captivité pour le salut de son peuple. Il conjura l’assemblée de le conseiller, non-seulement comme on conseille les rois dans les affaires ordinaires, mais comme on devait conseiller en une chose qui ne touchait pas uniquement lui et ses enfans, mais tout le royaume de France.

Une confiance ainsi exprimée, en invoquant l’intérêt public auquel François Ier semblait prêta sacrifier encore sa liberté, toucha l’assemblée et la disposa très favorablement. Le cardinal de Bourbon au nom du clergé, le duc de Vendôme, premier prince du sang, au nom de la noblesse, remercièrent le roi de leur donner communication de ses affaires, promirent de lui venir en conseil et en aide autant qu’il serait en leur pouvoir. Le premier président de Selve, prenant ensuite la parole pour le parlement de Paris, pour les autres cours souveraines du royaume et pour le prévôt des marchands, les échevins et les bourgeois de la ville de Paris, adressa à François Ier, qu’il savait flatter et servir, l’expression d’une reconnaissance encore plus humble et l’assurance d’un dévouement zélé. Lui appliquant ces paroles de la Bible, benedictus dominus Deus qui dedit hanc voluntatem in cor regis, il dit : « Ainsi que au chef du corps humain de qui dépendent le mouvement et la vie de tous les membres, les membres subviennent en toutes choses, de même la raison est que au seigneur roi qui est le chef de la chose publique subviennent les membres du peuple français. Puisqu’il le demande si gracieusement là où il peut commander, il faut que ses sujets lui fassent tout le service et aide qu’ils pourront, de conseil et autrement, surtout pour la délivrance de messieurs ses enfans, qui sont nés pour gouverner après lui le royaume[56]. »

L’assemblée s’étant ensuite séparée, le clergé, la noblesse, les cours souveraines, les représentans de la ville de Paris, se réunirent séparément pendant trois jours et délibérèrent sur les propositions du roi. Le vendredi 20 décembre, leurs résolutions étant prises, François Ier vint tenir un nouveau lit de justice dans le vieux palais de la Cité. Il y reçut les offres généreuses qui lui furent faites au nom des divers ordres de l’état. Le cardinal de Bourbon, le premier, dit que la partie de l’église gallicane assemblée dans Paris, délibérant sur ce que demandait le seigneur roi, avait trouvé la chose si juste et si raisonnable que d’un commun accord et d’un même vouloir elle avait décidé qu’il pourrait lui être fait présent de la somme de 1,300,000 francs. Cette somme étant considérable et la levée devant en être difficile, le clergé suppliait le roi de la recouvrer à des intervalles séparés, sans toutefois que la délivrance de ses enfans en fût retardée. En retour de ce qu’il accordait au roi, le clergé requérait de lui trois choses : qu’il lui plût de tirer de sa captivité le pape, qu’on ne savait pas encore être redevenu libre, et de le remettre sur son siège, d’extirper l’hérésie luthérienne qui avait pénétré dans le royaume et s’y répandait, d’entretenir les franchises, libertés et droits de l’église gallicane, ainsi que l’avaient fait les rois ses prédécesseurs[57].

Le duc de Vendôme se leva ensuite, et, parlant au roi pour les princes, seigneurs et gentilshommes, qui plus avaient, selon lui, coutume de faire que de dire, il offrit de leur part non-seulement la moitié de leurs biens, mais le tout, ainsi que leurs corps et leurs vies. « Quant aux autres nobles de France qui n’ont pas été appelés à Paris, ajouta-t-il, lorsqu’ils connaîtront les douces et amiables paroles du roi, ayant vrai cœur de gentilshommes, ils n’ont ni corps ni biens qu’ils n’emploient pour la délivrance de messieurs ses enfans, qui sont aussi les enfans de la chose publique du royaume. »

Le président de Selve, s’étant mis à genoux pour parler au nom des cours souveraines et du tiers-état, reçut du roi l’ordre de se relever et prononça debout un long discours où il mêla assez savamment et fort pesamment la politique et l’histoire. Il s’attacha surtout à prouver que le roi ne devait en aucun cas retourner à Madrid, et il offrit une aide considérable de 1,200,000 écus. Le prévôt des marchands, appelé dans cette assemblée, déclara, conformément à une délibération prise le 18 décembre à l’hôtel de ville de Paris, qu’il fallait que le roi demeurât dans le royaume, que 2 millions d’écus d’or fussent consacrés à la délivrance de ses enfans, et il annonça que la ville de Paris y contribuerait pour sa bonne part avec le reste du peuple de France.


VI.

Ce fut peu de temps après le consentement donné à une levée d’argent extraordinaire et générale que les ambassadeurs de François Ier et de Henri VIII signifièrent à Charles-Quint les propositions péremptoires des rois leurs maîtres. Au commencement de janvier 1528, ils réclamèrent le rétablissement immédiat du duc Francesco Sforza dans le duché de Milan, la liberté du dauphin et du duc d’Orléans moyennant la rançon de 2 millions d’écus d’or. Ils déclarèrent qu’avant cela l’armée française ne quitterait pas l’Italie et que le roi de France n’abandonnerait rien de ce qu’il y tenait[58]. L’empereur refusa nettement ces propositions et dit qu’il ne se départait pas du traité de Madrid et des dernières offres qu’il avait faites. C’était la fin de toute négociation et le commencement de la guerre ouverte.

Le 22 janvier en effet, la guerre fut solennellement déclarée à r empereur par les deux hérauts d’armes de France et d’Angleterre, Guyenne et Clarenceaulx, que François Ier et Henri Mil, prévoyant le refus de la paix, avaient dépêchés depuis plusieurs mois en Espagne. Charles-Quint voulut recevoir cette déclaration et y répondre en présence de toute sa cour. Assis sur son trône, environné de ses grands-officiers, de beaucoup de prélats, des principaux seigneurs d’Espagne et des gens de son conseil, il fit introduire les deux hérauts d’armes. Ceux-ci s’avancèrent du bout de la salle, firent trois révérences en mettant genou en terre, et lorsqu’ils furent au bas des marches du trône, ils se revêtirent de leurs cottes aux armes de France et d’Angleterre, qu’ils portaient sur le bras gauche. Ils demandèrent la permission de déclarer ce qu’ils avaient à dire de la part de leurs maîtres, suppliant l’empereur de respecter les privilèges de leurs fonctions et de pourvoir à leur sûreté dans ses états, en attendant de leur communiquer sa réponse[59]. L’empereur leur répondit : « Dites ce dont les rois vos maîtres vous ont donné charge ; vos privilèges vous seront gardés, et il ne vous sera fait nul déplaisir dans mes royaumes. »

Alors le héraut Guyenne lut un écrit signé de sa main et commençant par ces mots : « Sire, le roi très chrétien, mon naturel et souverain seigneur, m’a commandé de vous dire qu’il a un merveilleux regret et déplaisir de ce que, au lieu de l’amitié qu’il a tant désiré avoir avec vous, il faut que l’inimitié précédente demeure et se maintienne encore. » Il était ajouté dans cet écrit que la guerre n’était pas près de finir entre l’empereur et le roi, parce que l’empereur refusait de délivrer les enfans du roi moyennant la rançon qui lui était offerte et de donner la paix à la chrétienté, parce que ses troupes avaient assailli et forcé la ville de Rome, outragé le saint-siège apostolique, profané les églises et les reliques, pris le pape qui, placé sur la chaire de Saint-Pierre comme vicaire de Dieu en terre, avait été retenu captif sous la garde d’un des principaux capitaines dont l’empereur s’était toujours servi dans ses guerres d’Italie. Les progrès des Turcs en Europe lui étaient attribués, et il était accusé de faire couler le sang en Italie, d’avoir mis par ses procédés tyranniques comme par ses injustes refus le roi d’Angleterre, les Vénitiens, les Florentins, le duc Sforza dans le parti du roi très chrétien qui l’attaquera et le grèvera en ses pays, terres et sujets, jusqu’à ce qu’il lui ait rendu ses enfans, qu’il ait délivré le pape, acquitté ce qu’il doit au roi d’Angleterre, et laissé ses confédérés en repos.

L’empereur répondit : « Je m’ébahis que le roi votre maître me défie, car, étant mon prisonnier de juste guerre et ayant sa foi, il ne le peut faire par raison. Ce m’est chose nouvelle d’être défié par lui, vu qu’il y a six ou sept ans qu’il me fait la guerre sans m’avoir défié. Et puisque par la grâce de Dieu je me suis défendu, comme chacun sait, sans qu’il m’en ait averti, j’espère, à cette heure que m’en avertissez, que d’autant plus je me défendrai, de sorte que le roi votre maître ne me fera rien, car, puisqu’il me défie, je suis à demi assuré. Quant à ce que vous dites du pape, nul n’en a plus de regret que moi. Ce qui s’est fait l’a été sans mon sçu ni mon commandement, par gens désordonnés et sans obéissance à nuls de mes capitaines, et je vous avertis que le pape est mis en sa liberté, hier j’en eus les nouvelles certaines[60]. »

Clarenceaulx fit alors son office, et à son tour il délia l’empereur au nom du roi d’Angleterre. Henri VIII fondait sa déclaration de guerre à l’empereur sur le progrès du Grand-Turc, qui avait pris l’île de Rhodes, l’un des principaux boulevards de la chrétienté, s’était emparé de Belgrade, et avait envahi une partie de la Hongrie; sur le sac de Rome, où, était-il dit à l’empereur, la personne de notre saint-père le pape a été retenue prisonnière par votre armée, les cardirlaux pris et mis à rançon, les églises pillées, les évêques, prêtres et gens de religion mis à l’épée, et tant de maux faits, de cruautés et inhumanités commises que l’air et la terre en restaient infectés; sur les instances inutiles qu’il lui avait adressées pour qu’il s’accordât avec le roi très chrétien et délivrât ses fils en acceptant les offres raisonnables qu’il avait reçues; sur la violation des engagemens qu’il avait contractés envers lui, à qui d’ailleurs il ne payait pas ce qu’il devait. « Aussi, était-il ajouté, le roi veut mettre peine de vous contraindre par force et puissance d’armes de délivrer notre saint-père, pareillement les enfans de France, en vous payant raisonnable rançon, et satisfaire à vos dettes envers lui. »

Charles-Quint montra plus de ménagemens pour Henri VIII qu’il n’en avait eu dans ses paroles pour François Ier. Il répondit que le roi d’Angleterre était mal instruit de ce qui s’était passé, que jamais il n’avait consenti à la détention du pape, aujourd’hui redevenu libre; qu’il avait déplaisir des maux commis sans qu’il y fût pour rien; qu’il avait été prêt à entendre aux moyens pour la délivrance des enfans du roi de France, et qu’il n’avait pas tenu à lui que la paix ne se conclût. « Mais, ajouta-t-il du ton le plus fier et le plus ferme, à cette heure que vous me dites que le roi votre maître me forcera à les rendre, je répondrai autrement que je ne l’ai fait jusqu’ici, et j’espère les garder de telle sorte que par force je ne les rendrai point, car je n’ai point accoutumé d’être forcé aux choses que je fais. » Il déclara qu’il n’avait jamais nié la dette que réclamait le roi d’Angleterre, qu’il était prêt à la payer et qu’il ne croyait pas que le roi d’Angleterre voulût lui faire la guerre pour exiger de lui ce qu’il ne refusait pas. « Si cependant il veut me la faire, dit-il, il me déplaira et il faudra que je me défende. Je prie Dieu que le roi votre maître ne me donne pas plus l’occasion de la lui faire que je ne pense la lui avoir donnée[61]. »

Après qu’il eut répondu à Clarenceaulx, l’empereur rappela le héraut Guyenne, et il ajouta : a Je crois que le roi votre maître n’a pas été averti d’une chose que j’ai dite, à Grenade, à son ambassadeur le président de Bordeaux, et qui le touche fort. Je le tiens si gentil prince qu’il m’eût répondu, s’il l’eût scue. Il fera bien de l’apprendre de son ambassadeur, et je vous prie que le disiez ainsi au roi et gardez-vous bien d’y faillir. » Ne se bornant point à des protestations, Charles-Quint alla jusqu’à des offenses. Les paroles outrageantes dont il s’était servi contre François Ier, le président de Calvimont avait paru ne pas les ouïr, et avait eu la prudence de ne pas les transmettre. Sommé de le faire alors, Jean de Calvimont répondit sagement, mais vainement, qu’il n’en avait pas conservé la mémoire. Charles-Quint rendit l’offense plus grave et tout à fait avérée en adressant la lettre suivante à l’ambassadeur de François Ier : « Vous ne voulez avoir souvenance de ce que je vous dis pour en avertir le roi votre maître. Je vous dis que le roi votre maître avoit fait lâchement et méchamment de n’avoir gardé la foi que j’ai de lui selon le traité de Madrid, et que, s’il vouloit dire le contraire, je le lui maintiendrois de ma personne à la sienne. Ce sont les mêmes paroles que je dis au roi votre maître à Madrid, que je le tiendrois pour lâche et méchant, s’il me failloit de sa foi que j’ai de lui. En les redisant, je lui garde mieux ce que je lui ai promis qu’il ne fait à moi. Je le vous ai écrit, signé de ma main, afin que d’ici en avant, vous ni autre n’en fassiez doute[62]. »


VII.

Il n’y avait plus en effet pour l’ambassadeur possibilité de rester dans le doute et de laisser le roi dans l’ignorance. Dès qu’il connut les altières réponses que l’empereur avait adressées aux déclarations des deux hérauts d’armes et surtout les injurieuses paroles qu’il avait répétées contre lui, et qui étaient à la fois un affront et une provocation, François Ier se hâta de repousser l’affront par le démenti le plus blessant et de répondre à la provocation par un cartel. Il le fit avec éclat aussi, en présence de toute sa cour, et devant l’ambassadeur de Charles-Quint, Nicolas Perrenot, seigneur de Granvelle[63]. Assis sur son trône, entouré des princes du sang, des cardinaux, des prélats, des seigneurs de son royaume, des of- ficiers de sa couronne et des gens de son conseil, il donna audience de congé à Granvelle, détenu un moment au château de Vincennes comme prisonnier en représailles de l’arrestation passagère des am- bassadeurs de France et des puissances confédérées, confinés par ordre de Charles-Quint dans des forteresses voisines de Burgos[64]. Après qu’il eut exprimé à Granvelle le regret d’avoir été réduit par les procédés de l’empereur son maître à imiter un acte aussi contraire aux bonnes coutumes observées jusque-là entre les princes, il en vint à ce qui était le grand objet de cette solennelle réunion.

« L’empereur, dit-il, s’est montré surpris que je l’aie défié et a prétendu que je ne pouvois ni ne devois le faire, étant son prisonnier de juste guerre et ayant ma foi. Sans doute, si j’étois son prisonnier et qu’il eût ma foi, ce seroit vrai; mais je ne sache point que l’empereur ait jamais eu ma foi. D’abord, en quelque guerre que j’aie été, je ne l’ai jamais vu ni rencontré. Quand j’ai été prisonnier, gardé malade dans le lit par quatre ou cinq arquebusiers, et à la mort, il n’eût pas été malaisé de m’y contraindre, mais peu honorable à celui qui l’eût fait. Depuis que j’ai été de retour en France, je ne connois personne qui ait eu le pouvoir de me la faire bailler. De ma libre volonté c’est une chose que j’estime trop pour m’y obliger si légèrement. Encore que je sache bien, et aucun homme de guerre ne l’ignore, qu’un prisonnier gardé n’a nulle foi à donner et ne se peut obliger à rien, comme je ne veux pas que mon honneur demeure en dispute, j’envoie à votre maître cet écrit signé de ma main, que je vous prie de lire, monsieur l’ambassadeur, et me promettre de bailler[65]. »

Cet écrit, dans lequel François Ier soutenait que les prisonniers gardés n’étaient pas tenus de remplir les obligations à eux imposées durant la captivité, renfermait, avec sa propre et subtile justification, les déclarations les plus blessantes contre l’empereur. Granvelle, alléguant que sa mission était terminée et qu’il n’avait plus qu’à prendre congé, s’excusa de le lire et refusa de le porter. François Ier commanda alors à Jean Robertet, l’un de ses secrétaires d’état, de donner lecture de ce cartel violent où, après avoir dit que l’empereur, pour s’excuser lui-même de ne pas faire la paix, l’avait accusé de manquer à une promesse qu’il n’était pas obligé de tenir et faussé sa foi qu’il ne pouvait pas donner, il ajoutait : « Si vous nous avez voulu charger d’avoir fait chose qu’un gentilhomme aimant son honneur ne doit faire, nous disons que vous avez menti par la gorge et autant de fois que le direz vous mentirez, étant délibéré de défendre notre honneur jusqu’au bout de notre vie. Par quoi... assurez-nous le camp et nous vous porterons les armes, protestant que si après cette déclaration vous écrivez ou dites paroles qui soient contre notre honneur, la honte du délai du combat en sera vôtre, vu que venant au dit combat, c’est la fin de toutes les écritures. »

François Ier, en appelant son adversaire en champ clos, entendait soutenir contre lui les armes à la main qu’il avait raison, sans lui permettre de dire désormais un seul mot pour prouver qu’il avait tort; mais tout en interdisant à Charles-Quint de l’accuser de nouveau avant de se battre, il se livrait lui-même à une discussion publique de leurs actes respectifs; il lui reprochait habilement d’avoir refusé la paix à des conditions avantageuses, et se justifiait éloquemment de lui avoir fait la guerre. Rappelant toutes ses offres rejetées, l’Italie ravagée, Rome saccagée, l’Allemagne envahie, le monde menacé de tomber sous une oppressive domination, il trouvait dans les résistances ambitieuses de l’empereur et les tyranniques violences de ses soldats les excuses de ses propres agressions. « Si, disait-il, détenir mes enfans, ne vouloir pas entendre raison pour traiter, exiger que j’abandonne mes amis avant que mes enfans me soient rendus, avoir pris un pape, lieutenant de Dieu sur terre, avoir ruiné toutes les choses sacrées, ne vouloir remédier ni à la venue du Turc ni aux hérésies qui pullulent dans la chrétienté, ce qui est office d’un empereur : étant père et portant le titre de roi très chrétien, si toutes ces choses ne pouvoient m’émouvoir à la guerre, je ne sais quelles autres injures ou raisons eussent été suffisantes à m’y provoquer[66]. » Il continua de repousser tous les reproches dont l’avait chargé l’empereur, puis il dit en finissant à Granvelle, qui prit congé de lui : « Qu’il estimoit l’empereur si gentil prince que ce seroit en gentilhomme qu’il lui répondroit et non en avocat, dans un champ clos et non par écrit. »

C’était ce que François ("avait intérêt à obtenir, et ce que Charles-Quint ne pouvait pas être disposé à accorder. Après avoir lutté pendant sept ans en souverains, les deux rivaux étaient prêts à se battre en chevaliers; mais l’empereur voulait établir la justice de sa cause avant d’en venir aux mains avec le roi de France, et le roi de France voulait procéder au combat avec l’empereur sans entendre de nouvelles accusations de sa part. Le héraut d’armes qui porta le cartel de François Ier à Charles-Quint accomplit sa mission sans rencontrer ni obstacle ni retard. Il fut reçu à Fontarabie par le gouverneur don Gonzalo de Montalvo, qui l’accompagna jusqu’à la ville de Monzon, où Charles-Quint tenait les cortès d’Aragon, de Catalogne et de Valence, sollicitant des subsides pour ses guerres. Le lendemain de son arrivée, il fit demander audience à l’empereur et l’obtint le jour même.

Le 8 juin, à quatre heures après midi, Charles-Quint, entouré de beaucoup de prélats, de grands et de caballeros qu’il voulait avoir pour témoins des termes du défi et des termes de l’acceptation, admit en sa présence le héraut de François Ier. Revêtu de sa cotte d’armes, le héraut Guyenne, fendant la noblesse qui remplissait la salle et qui s’était ouverte pour le laisser passer, s’avança vers le trône en faisant cinq révérences successives. Lorsqu’il fut près de l’empereur, il mit un genou en terre, et dans cette attitude il dit : « Sire, je supplie votre très sacrée majesté me donner licence de remplir mon office, et qu’après je puisse retourner sûrement comme je suis venu. — Héraut, lui répondit l’empereur, dites ce que vous avez en charge; je veux que vous soyez toujours bien traité. »

, Alors Guyenne se leva, et, debout, il dit : — « Le roi mon maître et souverain seigneur ayant entendu par moi les paroles que vous m’avez commandé de lui rapporter et ce que vous avez proféré contre son honneur, voulant le rendre net, pur, et le mettre hors de suspicion devant le monde, m’a ordonné de vous présenter pour réponse cet écrit signé de sa propre main, lequel, sire, il vous plaira voir, car vous connoîtrez par là qu’il vous satisfait entièrement. » L’empereur, avant de prendre le papier, dit : « Héraut, avez-vous commission du roi votre maître de lire cet écrit que vous apportez? — Sire, répondit Guyenne, le roi mon maître ne m’a pas donné cette charge. — Héraut, continua l’empereur, j’ai entendu ce que vous m’avez dit, je verrai l’écrit que vous m’apportez, j’y satisferai et garderai mon honneur. Le roi votre maître aura fort à faire de garder ainsi le sien. » Il ajouta qu’il pourrait bien tenir le roi pour inhabile à faire un tel acte contre lui, mais que, afin d’éviter une plus grande effusion de sang et de mettre un terme à des guerres que le roi n’avait pas voulu finir par un autre moyen, il voulait le tenir pour habile, en ce cas-ci seulement[67].

Il prit le cartel des mains du héraut d’armes, et pendant qu’il le gardait plié sans le lire, le héraut lui dit : — » Sire, si la réponse que vous ferez au roi mon maître est la sûreté du camp et qu’il plaise à votre majesté me commander de la porter, j’ai ordre exprès de le faire; mais si c’étoit autre chose, je n’ai aucune commission de la rapporter. Il ne faut à mon maître que la sûreté du camp, car il ne manquera pas de s’y rendre avec les armes dont il a l’intention de se servir pour se défendre. — Ce n’est pas à votre maître, répliqua Charles-Quint, à me donner la loi par laquelle je dois me conduire. J’agirai comme j’ai dit. »

Après que le héraut d’armes fût sorti de la salle, l’empereur donna l’ordre à Jean Lallemand, son premier secrétaire d’état, de lui lire en présence de cette grande assemblée le cartel de François Ier. Il l’écouta avec calme, et, entendant les mots du démenti, il dit dédaigneusement que celui qui avait fait et signé ce cartel était le menteur. à dressa ensuite son propre cartel, y repoussa les reproches, y contredit les raisonnemens de François Ier et il ajouta : « Vos paroles ne suffisent pas pour satisfaire à votre honneur, car J’ai dit et dirai sans mentir que vous avez fait lâchement et méchamment de ne m’avoir pas gardé la foi et promesse que j’ai de vous, selon le traité de Madrid, et en le disant je ne vous charge pas de choses secrètes et non possibles à prouver, puisque cela appert d’écritures signées de votre main dont vous ne pouvez pas vous excuser et que vous ne pouvez pas nier[68]. » Il déclarait que pour éviter l’effusion du sang et mettre fin à la guerre, voulant défendre sa querelle, de sa personne à celle du roi, il acceptait de lui livrer le camp et lui proposait le combat sur la rivière de la Bidassoa, qui séparait les deux pays, entre Fontarabie et Andaye. Il demandait que des gentilshommes fussent dépêchés de part et d’autre sur les lieux pour établir l’égale sûreté du camp et faire le choix des armes. Il finissait en invitant François Ier à ne pas ajouter lui-même la honte de retarder le combat au tort de n’avoir pas accompli les engagemens pris à Madrid[69].

Charles-Quint envoya le héraut d’armes Bourgogne porter ce rude cartel à François P’. D’après les strictes instructions qui lui furent données, le héraut d’armes eut charge de le lire au roi de France avant de le lui remettre. Il portait en même temps une déclaration qui était une réponse, point par point, à la déclaration dont François Ier avait fait accompagner son cartel. Il y était particulièrement soutenu que, durant la maladie du roi, il ne lui avait été rien demandé dont pût avoir regret l’empereur, qui avait usé envers lui de tout honneur et courtoisie; que le traité de Madrid, signé de sa main et de celle de ses ambassadeurs, n’avait été fait que sur sa demande expresse et sur la leur; qu’il avait juré sa foi eau vice-roi de Naples, qui l’avait reçue, et que sa foi ainsi donnée durait en sa force et l’astreignait comme un captif; que prétendre que tout homme gardé ne donnait pas sa foi et ne pouvait s’obliger à rien, c’était allégation de clerc mal appris et plein chicane, et non de roi, de chevalier ni de gentilhomme[70]. François Ier, qui voulait mettre fin aux écritures par un combat, ne devait pas être disposé à ouïr un cartel ainsi motivé et à accepter une pareille déclaration. Il ne pouvait pas se laisser accuser devant sa cour et entendre son intraitable adversaire lui dire : — « Mon très clair droit et votre tort sont si manifestes à Dieu et à tout le monde, que les paroles déshonnêtes contenues en votre cartel sont bien plus à votre répréhension qu’à la mienne. Et puisque j’ai cet avantage, qui est le principal, j’espère que Dieu, vrai juge de toutes choses, me donnera ce qui en succède ordinairement, qui est la victoire. »

Le héraut d’armes Bourgogne eut même quelque peine à pénétrer en France et à se faire admettre auprès du roi. Il attendit plus d’un mois et demi à Fontarabie le sauf-conduit qui avait été demandé pour qu’il vînt remplir son office. Après de longs retards, et lorsqu’il eut affirmé à plusieurs reprises qu’il portait l’assurance du camp, ce sauf-conduit lui fut enfin envoyé de Fontainebleau le 1er  août ; mais le gouverneur de Bayonne Saint-Bonnet le retint encore jusqu’au 10, et le 20 seulement le héraut d’armes de Charles-Quint, escorté par le capitaine du château vieux de cette ville, put se mettre en route pour se rendre auprès de François Ier[71]. Arrivé à Étampes le 2 septembre, il attendit encore bien des jours le roi, qui chassait le cerf dans les forêts voisines. Il n’entra dans Paris que le 9 septembre, conduit par deux gentilshommes qui ne lui permirent pas de se revêtir de sa cotte d’armes et le logèrent au cloître Notre-Dame, où ils le mirent sous la garde de deux archers ayant l’ordre de ne le laisser parler à personne. Enfin le 10 septembre, François Ier s’étant rendu dans la grande salle du palais, accompagné des princes du sang, des seigneurs de sa cour, des gens de son conseil et de beaucoup de gentilshommes, le roi d’armes de Charles-Quint fut solennellement admis devant lui[72].

Après que le héraut Bourgogne eut fait les révérences d’usage, François Ier, sans lui donner le temps de parler, lui dit : — « Roi d’armes, m’apportes-tu l’assurance du camp, comme je l’ai écrit dans mon cartel à l’empereur ton maître, réponds-moi ? — Oui, sire, répondit le roi d’armes ; plaise à votre majesté que je fasse mon office et que je dise ce qui m’a été commandé par l’empereur mon maître. — Non, ajouta le roi, si tu ne me donnes pas, signée de ta main, la patente contenant l’assurance du camp, et rien autre, comme tu sais bien que l’indique ton sauf-conduit. » Le héraut, cherchant à remplir son office ainsi qu’il en avait reçu l’ordre, dit alors : — « Sire, la sacrée majesté de l’empereur… » Mais il fut interrompu par le roi, qui ajouta brusquement : — « Je te dis de ne me parler d’aucune chose ; je n’ai rien à faire avec toi, je n’ai à faire qu’avec ton maître. Quand tu m’auras donné son cartel et que le camp sera bien assuré, je te donnerai permission de dire ce que tu demanderas, mais pas autrement. — Sire, continua Bourgogne, il m’a été commandé de le lire moi-même, puis de vous le remettre, s’il vous plaît de m’accorder licence de le faire, et, après l’avoir remis, de remplir le reste de ma charge. » À ces mots, le roi se leva de son siège et s’écria avec courroux : — « Comment! ton maître veut établir de nouvelles coutumes dans mon royaume! Je n’entends pas qu’il use envers moi de ces hypocrites détours. — Sire, je suis certain, répondit le héraut, que l’empereur fera toujours ce qu’un prince vertueux doit faire pour son honneur. — Je le tiens pour si vertueux prince, ajouta le roi en revenant sur les paroles auxquelles il s’était laissé emporter, que je crois qu’il fera ainsi. » Mais il dit en même temps et avec vivacité au maréchal de Montmorency, grand-maître de sa maison, qui le priait sans doute tout bas de laisser parler le roi d’armes : — « Non, non, je ne le lui permettrai pas, à moins que je ne tienne l’assurance du camp, sans laquelle tu peux, reprit-il en s’adressant au héraut Bourgogne, t’en retourner comme tu es venu, et n’ajoute rien. — Sire, repartit le héraut, je ne saurois faire mon office et vous donner le cartel de l’empereur sans votre autorisation, que je vous demande de nouveau, et si vous ne voulez pas me la donner qu’il vous plaise de me certifier par écrit que vous me la refusez, en me gardant votre sauf-conduit pour m’en retourner. » Le roi, impatienté de cette imperturbable ténacité, se leva de son siège et dit brusquement : — « J’entends qu’il lui soit donné[73]. »

Ainsi finit cette étrange scène. Le héraut d’armes partit après avoir vainement demandé, par l’entremise du grand-maître de France, une nouvelle audience qui ne lui fut pas accordée. Il partit en protestant qu’il ferait son rapport à l’empereur, et en annonçant que sa majesté impériale publierait partout que son cartel en réponse au cartel du roi contenait la sûreté du camp et qu’il n’y avait pas de sa faute s’il n’avait pas été reçu. En effet Charles-Quint, au retour du roi d’armes, prit connaissance de sa relation, qu’il communiqua au conseil de Castille avec toutes les pièces de cette querelle singulière entre les deux souverains. Ce suprême tribunal de la monarchie espagnole décida que, selon la raison naturelle, le droit des gens, les antiques lois concernant les faits de guerre et de duel, l’empereur avait répondu au défi adressé par le roi de France, satisfait à l’honneur de son impériale et royale personne et aux obligations d’un cavallero, tandis que le roi de France n’avait pas accompli ce qu’il devait comme gentilhomme en ne voulant pas entendre le héraut d’armes, et en ne lui permettant point de remplir sa charge, d’où il ressortait clairement qu’il avait refusé le champ et le combat. Le conseil de Castille ajoutait que l’empereur n’était plus obligé à aucun acte et à aucune protestation, mais qu’il devait seulement faire savoir ce qui s’était passé aux grands de ses royaumes, aux capitaines de ses armées, et aux autres per- sonnes qu’il conviendrait d’en instruire[74].

Charles-Quint le fit dans un récit qu’il adressa à tous ses sujets, et où furent insérés les avis unanimes des prélats, des grands d’Espagne, des conseils d’état et de guerre qu’il avait consultés, tout comme le conseil de Castille. C’était à la fois une apologie et un manifeste. Il y disait que le roi de France et le roi d’Angleterre lui déclaraient la guerre à feu et à sang, qu’il ne serait point cause des maux qui en résulteraient et qu’il espérait que Dieu, qui connaissait ses intentions, lui donnerait la victoire. Il associait ses peuples à ses sentimens et à ses actes en leur demandant d’invoquer dans les églises et par des prières l’assistance de celui qui donnait les succès aux causes justes. François Ier se tut[75]. Son silence, en cette rencontre, vint de la fausseté de sa position. Tout vaillant qu’il était, il ne sortit pas de ce débat particulier plus heureusement qu’il n’était sorti de la guerre générale.

Ces deux grands princes avaient été sur le point de se mesurer jans un combat singulier. D’une inimitié entre royaumes, ils avaient passé à une querelle entre personnes, et l’injure s’ajoutant à la rivalité, c’était non pas seulement en souverains et avec des armées qu’ils avaient eu le dessein de se combattre, mais en gentilshommes et dans un champ clos. Ils avaient voulu avec une égale sincérité vider les armes à la main cette querelle non plus d’état, mais d’honneur. Ce qui empêcha le combat d’avoir lieu malgré l’offense reçue, le démenti donné, le champ clos offert, ce fut que Charles-Quint et François Ier n’entendaient pas y procéder, Charles-Quint avant d’avoir accablé François Ier de ses accusations, et François Ier après avoir écouté devant sa cour les manquemens qui lui étaient reprochés par Charles-Quint. Le double cartel en demeura là, et les deux grands adversaires, plus animés que jamais l’un contre l’autre, poursuivirent avec acharnement la guerre qu’ils se faisaient depuis sept années.


MIGNET.
L’EMPEREUR JULIEN

L’Eglise et l’Empire romain au quatrième siècle, par M. Albert de Broglie, 3e édition, Paris, Didier, 1866.

Le IVe siècle peut être regardé comme le véritable point de partage entre l’antiquité et les temps nouveaux. C’est le moment où le christianisme, monté sur le trône impérial, armé de la puissance politique, devenu religion d’état, a consommé sa lente victoire, et en dépit de sourdes ou violentes résistances a fixé les destinées du monde. Le concile de Nicée, pour mettre fin à toutes les incertitudes et aux inévitables oscillations de la raison flottant entre tant de cultes et de sectes, arrête avec une rare précision un symbole qui s’imposera sans conteste à tout l’Occident pendant des siècles. Il n’y a pas eu dans l’histoire de changement plus durable, car malgré quelques accidens historiques tels que la réforme, qui n’a pas rompu la chaîne des traditions, la société moderne et contemporaine tient encore par mille liens visibles et invisibles au grand événement qui s’est accompli sous le règne de Constantin. Au triomphe politique du christianisme et à la conquête qu’il a faite de l’empire romain se rattachent, de fort loin si l’on veut, nos institutions, nos mœurs, nos croyances et quelquefois même, sans que l’on s’en doute, nos passions actuelles et nos controverses. N’avons-nous pas vu naguère l’épiscopat, la presse, l’opinion agités par un livre célèbre qui reproduisait avec moins de dogmatisme que de poésie la fameuse hérésie d’Arius? Ne voyons-nous pas en ce moment éclater un schisme dans l’église protestante de Paris sur la même question qui, au IVe siècle, divisait tout l’empire? Ce sont les mêmes débats, avec cette différence qu’ils ne font plus verser des flots de sang. La révolution française peut seule être comparée, par l’immensité probable de ses conséquences, à cette révolution antique qui a changé la face du monde, et dont nous ressentons encore les lointains effets. On pourrait ajouter même que nos plus vives agitations morales tiennent précisément à ce que les deux plus grandes révolutions qui aient transformé les sociétés, celle du IVe siècle et celle du XVIIIe, se contrarient souvent et se combattent. Le long et paisible cours de l’idée chrétienne est venu se heurter au courant nouveau, et cette rencontre produit des tourbillons dans lesquels la raison moderne tournoie, et dont elle ne pourra peut-être se dégager que si les deux fleuves se pénètrent, se confondent, pour promener sur une pente commune leur double fécondité. C’est dire assez quel intérêt religieux, politique et moral peut offrir l’histoire du IVe siècle à tout esprit capable de graves méditations.

Cette histoire frappe encore par l’originalité si forte et si diverse des caractères qui occupent la scène, car, bien qu’il s’agisse d’une époque de décadence, d’épuisement et de rénovation, d’une de ces époques où d’ordinaire les individus disparaissent devant la grandeur de l’œuvre collective, on rencontre partout dans cet âge mémorable des hommes qui ont déployé toutes les vertus ou le génie de leur rôle : des politiques tels que Constantin, Julien, Théodose, des défenseurs de la foi qui ont montré toutes les sortes de courage, celui de dire la vérité et celui de braver les supplices, — un saint Athanase, auquel on ne peut comparer aucun homme pour la persévérance infatigable, l’invincible opiniâtreté, la lucidité de la foi, et qui, sans jamais hésiter ni fléchir, a porté dans les cours aussi bien que dans les déserts son orthodoxie intraitable et militante; un Grégoire de Na4anze, un Basile, un Jean Chrysostome, sachant prêter au christianisme triomphant toutes les parures et les grâces innocentes de l’éloquence antique; puis des philosophes, des rhéteurs tels que Libanius, Thémiste, Himère, plus célèbres, il est vrai, par l’enthousiasme qu’ils ont excité que par la beauté de leurs ouvrages, mais qui n’étaient point indignes de prêter leur voix à la vieille civilisation expirante, et par la bouche desquels s’exhalait en sons harmonieux encore le dernier souffle de l’antiquité païenne.

Où trouver dans l’histoire une plus grande lutte que celle qui a pour théâtre tout le monde connu, et dont le prix est la conquête des âmes? De plus, quelle que soit votre opinion, vous ne pouvez point ne pas vous intéresser à la fois au vainqueur et au vaincu; car si l’un apporte une foi meilleure et des idées plus pures, on n’oublie pas que l’autre est l’héritier d’une civilisation sans pareille, qui, dans les arts, les lettres et dans la politique, est demeurée, malgré sa chute, la grande institutrice du genre humain.

Que cette lutte est confuse et qu’il faut d’attention pour en démêler les fuyantes péripéties! Il ne s’agit pas ici du clair combat de deux religions ennemies qui se rencontrent dans un seul choc, et dont les combattans peuvent de chaque côté se reconnaître à des signes certains. L’église a ses hérésies, ses schismes, ses guerres civiles; elle est ensanglantée, non-seulement par le sang qu’elle verse de son sein, mais par celui qu’elle répand de ses mains; le paganisme, sans éprouver les mêmes déchiremens, puisqu’il n’a point de dogmes, présente cependant des nuances infinies, depuis l’idolâtrie la plus grossière jusqu’à la philosophie la plus subtile. La société chrétienne conserve sans le vouloir des habitudes antiques, le monde païen aspire à se donner des mérites nouveaux. Des deux côtés le langage est parfois incertain et flottant. Bien plus, ce qui ajoute à la confusion, les deux religions sont en lutte non-seulement dans la société, mais souvent dans la même âme. On ne peut dire où commence l’une, où finit l’autre. Tel se croit chrétien et n’est que déiste, tel autre se croit dévot païen et n’est que philosophe. Les uns n’ont pas toujours les vertus de leur religion, les autres ont quelquefois celles que leur religion ne commande pas, mais tous ou presque tous demeurent plus ou moins engagés dans de vieilles habitudes où les retiennent les mœurs générales, les lois, le langage. On est tenté d’appliquer à cette société tout entière comme aux individus cette belle image de Milton montrant au jour de la création le lion naissant élevant déjà au-dessus de la terre sa face auguste, tandis que ses membres s’agitent encore en formes indécises dans le limon.

Ce n’est pas sans de rares qualités littéraires qu’on peut porter la lumière dans cette histoire, sur laquelle d’ailleurs nous n’avons que des documens épars, passionnés, souvent contradictoires, et qui, pour n’avoir pas été racontée par des Tite-Live ou des Tacite, impose à l’historien moderne la nécessité de mettre lui-même de l’ordre dans les faits, de les disposer avec clarté, de deviner les sentimens dénaturés des personnages, de chercher la vérité dans les légendes. Sans insister sur les difficultés que présente une histoire où l’on n’a pas d’habiles écrivains pour guides, il faut encore une grande fermeté d’esprit pour ne pas prendre trop vivement parti dans une lutte où il n’est pas donné à tout le monde de se montrer désintéressé, il faut une pénétration peu commune pour distinguer le vrai mobile des actions, une impartialité volontaire pour ne pas trop céder à des prédilections de doctrine, enfin des trésors d’indulgence pour n’être que juste. Si. on se range trop visiblement d’un parti, on ne fait plus qu’un plaidoyer dont le moindre défaut est d’être monotone et prévu ; si on est trop indifférent dans ce conflit des opinions armées, on risque d’éteindre toutes les couleurs du sujet. Quelle surveillance ne doit-il pas exercer sur lui-même, celui qui raconte une époque où il ne s’agit pas, comme c’est l’ordinaire, des intérêts variables et fugitifs de l’ambition politique, mais où sont soulevés les éternels problèmes de l’âme et de la conscience, dont personne ne peut entièrement se déprendre, où chacun engage sa foi religieuse ou philosophique !

M. Albert de Broglie a osé entreprendre cette longue et difficile histoire avec la confiance de la jeunesse et la précoce maturité d’un esprit grave, de bonne heure initié par de beaux exemples de famille aux plus hautes questions de la politique, de la morale et de la religion. Sa forte éducation littéraire lui permettait de manier sans trop d’efforts les documens latins et grecs qu’il avait à consulter. La part qu’il a prise tout d’abord aux discussions religieuses de notre temps permet de penser qu’il a choisi son sujet non point par un profane désir de montrer son talent, mais pour s’instruire lui-même, pour s’affermir dans les principes qui lui sont chers, et pour asseoir sa foi sur un solide fondement historique. On n’a pas à craindre qu’il apporte dans cette longue étude un zèle trop tiède et les indifférences d’une simple curiosité. On pourrait s’attendre plutôt à des idées préconçues, à des préférences trop marquées, si l’on ne savait que son esprit, fidèle à des traditions de famille, est accoutumé à respecter toutes les libertés de la pensée, même chez ses adversaires. Malgré ses ardeurs et ses prédilections évidentes, le petit-fils de Mme de Staël ne peut manquer d’être libéral et de comprendre même ce qui contrarie ses convictions personnelles. Aussi trouvons-nous dans son livre, à côté d’une passion contenue qui pourtant se fait jour, les scrupules d’une raison éclairée, une circonspection presque constante, une grande vigilance sur soi-même et une impartialité, il est vrai, plus voulue que naturelle, mais qui donne du crédit à son vaste et bel ouvrage.

Au moment de juger cette grande œuvre historique, comment pourrons-nous donner quelque clarté à nos adhésions et à nos dissentimens, à nos louanges ou à nos critiques, si nous nous dispersons dans les détails infinis d’une histoire compliquée, si nous réduisons en poussière notre jugement moral et littéraire ? Pour ne pas errer dans un sujet sans limites, nous allons nous renfermer dans le règne de Julien, règne court et clair, qui nous offre comme dans une réduction l’image de la société, la lutte des idées, l’état des âmes. Il nous semble d’ailleurs que l’auteur n’a pas rendu une exacte justice au jeune empereur qui eut le tort sans doute, en voulant restaurer le paganisme, de soutenir une cause perdue, mais qui n’en est pas moins un grand esprit et un noble caractère. M. de Broglie nous invite lui-même à le combattre quand il nous dit avec cette élévation de sentimens qu’on peut attendre de lui : « La critique qui me fera connaître mes erreurs peut être sûre que je l’accueillerai avec la reconnaissance qu’on doit à un véritable service. » C’est accorder d’avance plus qu’elle ne demande à notre critique, qui voudrait simplement opposer au brillant portrait composé par M. de Broglie un portrait plus juste et un jugement plus équitable.


I.

Un historien chrétien du IVe siècle devrait être intéressé, ce nous semble, à ne pas rabaisser l’adversaire du christianisme. Plus est grand l’ennemi, plus la victoire sera éclatante. Pour prouver combien la foi chrétienne était irrésistible, nous nous plairions plutôt à montrer que les plus fortes digues étaient incapables d’arrêter le torrent, que les plus solides vertus profanes devaient être emportées comme des pailles légères par le courant divin. Nous laisserions à Julien ses belles et irrécusables qualités pour les humilier au pied de la croix. Nous ferions ce qu’avaient coutume de faire les vainqueurs antiques qui, pour rehausser l’éclat de leur triomphe, promenaient derrière leur char le vaincu désarmé, mais entouré de ses richesses et des marques de sa puissance, afin de mieux peindre aux yeux des spectateurs la hauteur de sa chute. Nous prendrions exemple sur Bossuet, qui, malgré l’ardeur biblique de sa foi, conserve son vif sens historique, et dans ses explications sur l’Apocalypse prouve longuement que Julien est la bête annoncée par les prophéties, et toutefois ne songe pas à diminuer le monstre. Que l’histoire, qui ordinairement est une grande adulatrice, se plaise à décorer le triomphe des vainqueurs, rien n’est plus naturel, puisque les causes victorieuses, non pas à un moment donné, mais à la longue, sont les plus justes ou les plus fatales; mais elle fera toujours bien de ne pas insulter le vaincu, dans l’intérêt même du vainqueur. Et si, par exemple, elle veut montrer l’impuissance de la république romaine en face de l’empire, elle ne doit point taire les vertus de Caton, et si elle tient à exalter le christianisme, qu’elle se garde bien de méconnaître un homme tel que Julien.

A travers tant de siècles qui nous séparent des événemens, nous avons quelque peine à nous figurer le rôle que s’est donné le généreux empereur. Accoutumés que nous sommes à rendre hommage à la supériorité morale de la foi chrétienne, à contempler de loin le christianisme dans sa majestueuse et écrasante unité, nous croyons volontiers que, pour lui résister et pour le combattre, il fallait avoir un esprit bizarre, infatué de lui-même, une obstination fantasque aussi puérile qu’impuissante. A plus d’un l’entreprise paraît tout simplement méchante et ridicule. À cette distance, on risque fort de se tromper. De si loin on peut voir sans doute quelle est la meilleure des deux causes, mais on ne distingue pas les mobiles des hommes. Il faut replacer son imagination au milieu même de la lutte, entrer dans la pensée des personnages, saisir leurs passions, compter pour quelque chose les divers incidens de la mêlée, apprécier les raisons des adversaires. Dans les grandes luttes humaines, chacun des deux combattans pense toujours avoir le droit de son côté, et en effet la justice des causes n’est pas tout d’abord si clairement définie que l’on puisse dire des champions : Celui-ci est un héros, celui-là un insensé.

Reportons-nous donc au IVe siècle pour voir ce qu’était alors le christianisme ou du moins ce qu’il devait paraître aux yeux des païens. Il ne faut pas oublier que la population de l’empire était peut-être aux trois quarts païenne, et que beaucoup de ceux qui se croyaient chrétiens n’étaient pas sûrs de leur foi. Bien des âmes, ne sachant que croire ni dans quelle religion se ranger, attendaient avec une pieuse anxiété que le dieu des combats fît pencher d’un côté ou de l’autre la balance. Constantin lui-même partagea un moment ces sentimens de la foule. Lorsque l’inculte soldat des Gaules descendit en Italie à la tête d’une armée pour combattre son rival Maxence, au moment de marcher sur Rome, de fouler le territoire sacré de la république, de donner l’assaut au Capitole, à la sainte citadelle de l’antique religion, il tomba en d’étranges perplexités. Quel auxiliaire divin appellera-t-il à son secours? Peut-il implorer les anciens dieux dont il va violer le domaine? Leur assistance d’ailleurs sera-t-elle assez puissante? Dans une circonstance aussi solennelle et décisive, un chef d’armée peut-il se confier à des dieux qui depuis quelque temps se sont laissé insulter impunément, dont les images ont été renversées quelquefois par des chrétiens sans que la vengeance divine ait puni le sacrilège? Il se rappela plus naïvement encore que trois des princes qui avaient partagé avec lui le pouvoir suprême, Hercule, Sévère, Galère, avaient péri par le glaive ou de mort violente, bien qu’ils eussent placé leur confiance dans la multitude des dieux. N’était-ce point courir moins de risques que d’implorer le dieu nouveau et de le mettre comme en demeure de déclarer sa puissance? Après bien des anxiétés, Constantin, dit M. de Broglie, « se décida à prier le Dieu de son père de prêter main-forte à son entreprise. » Il fut vainqueur, « et

  1. Voyez la Revue du 1er et du 15 février, du 1er et du 15 mars 1866.
  2. Traité du 30 avril 1527. — Dumont, Corps diplomatique, t. IV, part, I, p. 477 et 478, et Rymer, Fœdera, t. XIV, p. 218.
  3. Ibid., Dumont.
  4. Dépêches de l’évêque de Worcester et du docteur Lee des 16 et 17 avril 1527. — Ibid. Mus., ms. Vespasien c. 4, p. 94 à 102, — et dans Turner, Henri VIII. vol. II, p. 107 à 110.
  5. Lettre de Wolsey à Henri VIII du 16 juin 1527. — State Papers, t. Ier, p ; 190, 191.
  6. Dans Rymer, vol. XIV, p. 199.
  7. Conclu aussi à Westminster. — Dans Léonard, Recueil des traités, t. II, p. 273 à 275.
  8. « When this army was assembled, the cardinal delivered the kyng of englandes money that he had brought out of england in barrels, with which money was this armye payed two monethes before hand, and the remnant was delivered to sir Robert Jarnyngham wich was called treasorer of the warres… This armye was called in latin exercitus Angliœ et Galliœ regum pro ponlifice romano congregatus. » Hall’s, Chronicle, the XIX yere of king Henry the VIII, p. 73’2.
  9. Lettre d’Arciajuoli aux dix, du 13 juillet 1527, Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, vol. II.
  10. Acciajuoli à M. de Lautrec ; Paris, 27 juillet 1526, Négociations, etc., vol. II, p. 978.
  11. « Questa Maestà Cristianissima, trovandosi messer Andrea Doria senza partito, lo ha condotto alli stipendi suoi con otto galère e con trenta sei mila sciuli l’anno. » Acciajuoli aux dix, lettre du 13 juillet 1527. — Négociations, etc., vol. II, p. 974.
  12. Il ne le savait même pas encore avec certitude le 16 juin. À cette date, le docteur Lee écrit de Valladolid en Angleterre : « Some say the duke of Bourbon is dead. John Almayne saith the emperor knoweth nothing that is dead. » Ms. Vespasien, c. 4 p. 154, et dans Turnor, Henri VIII, t. II, p. 119, net. 44.
  13. Lettre de l’empereur au duc de Bourbon, du 6 juin 1527. — Archives impériales et royales de Vienne.
  14. « Esequie molto onorate si fecero per la morto del duca, le quali duravono cinque giorni, coll’ intervento di sua maestà. » Della vita e delle opero di Andrea Navagero par Cicogna d’après ses dépêches, p. 197. — Vistiose el emperador de luto : mando que se le hiziessen al duque unas solennissimas honras a las quales se hallo su magestad. Sandoval, t. I, lib. XVI, § XII, p. 823.
  15. « Ma venuta la nuova che il papa era prigione, non fu alcuno che non ne sentisse displacere. Cesare stesso monstrandone rammarico, etc. » Ibid.
  16. Ibid., et Sandoval p. 823
  17. Lettere di principi, t. II, f° 77.
  18. Lettre du prince d’Orange à l’empereur, de Rome, le 21 juin 1527. — Archives impériales et royales de Vienne.
  19. « Sin a quest’ hora con grandissima difficulta no se ne sono possuto havere solo 80 milia scuti. » Lettre du prince d’Orange à l’empereur, du 21 juin 1527. — Archives impériales et royales de Vienne.
  20. « Un calpo de schioppo che in li di passati recevai in la facie che mi passo la testa de l’un canto a l’altro, intorno le trincée del castello. » Lettre du prince d’Orange à l’empereur, du 21 juin. — Archives impériales et royales de Vienne.
  21. « Sire, vous veus bien escripre cestes pour vous fere savoir le mauvais et infame trestement que l’on m’a faict. » Il disait que c’était lui qui avait pris Rome, empêché l’armée de la ligue de secourir le pape, demeuré prisonnier de l’empereur avec tous les cardinaux. Il ajoutait fièrement que, s’il n’avait pas considéré le service de l’empereur, il était en son pouvoir de tout brouiller et de rester le maître. Il demandait à l’empereur de lui donner le gouvernement du duché de Milan, comme l’avait eu le duc de Bourbon, avec le titre de capitaine-général de son armée. — Lettre du prince d’Orange à l’empereur, écrite de Nepi le 22 juillet 1527. — Ibid.
  22. « Al sacarlos de poder de su santitat y de los cardinales de la sala donde stavan, huvo tantos llantos y grita que parecie que se hundie el mundo, diziendo su santitat que queria tanbien yr en poder de los Alemanes, y los cardinales dezian lo mismo. » — Dépêche de Ferez à l’empereur, écrite de Rome le 12 octobre 1527. — Mss. Béthune, vol. 8547, f° 21.
  23. « Acordaron de ponellos en hierros de dos en dos por los bracos... han publicado los Alemanes que estos obstages le prometieron en Campo de Flor, viendo se en el peligro que digo, que dentro de cinque dias les darien cinquenta mill ducados; y dizen que si no cumplen esta promesa que los han de matar, y ellos lo creyan » — Dépêche de Perez au chancelier Gattinara, du 12 octobre 1527. — Mss. Béthunc, vol. 8547, f° 24.
  24. « ... Que con este mal nombre que su magestad tiene, las piedras de la christiandad se lebantan contra el... de modo que convocan el mundo por mar y por tierra, como V. S. Vé. » — Lettre d’Alarcon à don Ugo de Moncada, du 30 sept. 1527. — Dans Comentarios de los hechos del señor Alarcon, f° 334 à 339.
  25. Instruction de l’empereur à Pierre de Veyre, baron de Saint-Vincent, envoyé auprès du pape et du vice-roi, d’après les conseils duquel il doit agir en toutes choses. Juillet 1527. — Dans Bucholtz, vol. III, p. 97.
  26. Lettre de Wolsey à Henri VIII, du 29 juillet 1527. — State Papers, t. Ier, p. 230 et 232.
  27. Hall’s Chronicle, the XIX yere of king Henry the VIII, p. 728 et 729. — The Life of cardinal Wolsey, by George Cavendish his gentleman Usher, p. 86 à 103.
  28. Wolsey à Henri VIII. — State Vapers, t. Ier, p. 223.
  29. Lettre de Wolsey à Henri VIII. — Ibid., p. 236 et 237.
  30. Lettre de Wolsey à Henri VIII. — State Papers, t. Ier, p. 236 et 237.
  31. Ibid., p. 245 et 246.
  32. Ibid.
  33. State, Papers, 135, 253, 256 et 263. — Legrand, Histoire du divorce de Henri VIII et de Catherine d’Aragon, t. Ier, p. 54.
  34. « Et contra quoscumque infra terminos legationis suæ constitutos, quacumque preeminentia, dignitate et autoritate præfulgeant. » Dumont, t. IV, par. I, p. 495.
  35. Lettre du 16 septembre 1527, écrite de Compiègne au pape Clément VII par les cinq cardinaux d’York, de Bourbon, de Lorraine, de Sens et Salviati. — Mss. de Brienne, vol. 5, n° 1, — et Legrand, Preuves de l’histoire du Divorce, t. III, pag. 4 à 13.
  36. Lettre de François Ier à Clément VII, d’août 1527, à Amiens. — Mss. Dupuy, vol. 452.
  37. Dépêche de sir Fs Poyntz. — Ms. Vespas., c. 4, p. 146 et 147, — et dans Turner, t. II, p. 115 et 116.
  38. Lettre de Charles-Quint à Ferdinand, écrite de Burgos le 18 septembre 1527. — Dans Bucholtz, t. III, p. 3.
  39. Dépêche de Navagero, de Burgos le 25 octobre 1527. — Vita, etc., p. 200, c. 2, et not. 258.
  40. Dépêche de Perez à l’empereur, écrite de Rome le 12 octobre. — Ms. Béthune, vol. 8547, f° 30, etc.
  41. « Fue el cardenal Coluna a besar el pie al papa... y su santitad le abraço y beso en ambos carrellos mostrando alegria de verle. » — Ibid., et Paolo Giovio, Vita di Pompeio Colonna.
  42. Guicciardini,lib. XVIII. — Paol. Giovio, Ibid.
  43. « Oy que son XXVIII sacaron los obstages de casa del carl Coluna y los llevaron encadénados como estan, â la plaça de Campo de Flor y los puiseron junto con la horca, y porque los bolviesen a casa del cardinal les prometieron que mañana en todo el dia serian pagados y asi los bolvieron. » — Dépêche de Perez à l’empereur, écrite de Rome le 30 nov, 1527. Mss. Bethune, vol. 8547, f° 4, sqq.
  44. Dépêche de Perez à l’empereur, du 6 décembre 1527. — Ibid, f° 18. — Paol. Giovio, Vita di Pompeio Colonna.
  45. Dépècbe de Perez à l’empereur, du 30 novembre 1527. — Ibid., f° 4 et sqq.
  46. Paol. Giovio, Vita di Pompeio Colonna. — Guicciardini, lib. XVIII.
  47. « Oy VI de dizembre se hizo la deliberacion de su santitat, y queda libre en el castillo con gente suya â su disposicion... y dize que mañana se partira à Orbieto. — Dépêche de Perez à l’empereur, du 6 décembre 1527. — Ibid.
  48. Paol. Giovio, Vita di Pompeio Colonna. — Guicciardini, lib. XVIII.
  49. Lettre de Clément VII à François Ier, du 14 décembre 1527. — Dans Molini, Documenti di Storia italiana, t. Ier, p. 280.
  50. Lettre de Pierre de Veyre à l’empereur, écrite de Naples le 30 septembre 1527. — Dans Lanz, t. Ier, p. 248 à 251.
  51. L’évêque de Tarbes écrivait de Burgos au chancelier Duprat : « Et de ma par jusques à présent j’ay plus cogneu que deffience est cause de la longueur que maulvaise volonté et tiens pour assuré que qui pourroit persuader à l’empereur le bon vouloir que le roy lui porte et l’envie qu’il a que soit paix, il achepteroit l’amytié pour le grand besoing qu’il en a. » Dépêche du 22 nov. 1527. — Ms. Dupuy, vol. 495, f° 39.
  52. Lettre de François à ses ambassadeurs en Angleterre, le grand-maître Anne de Montmorency, l’évêque de Bayonne J. du Bellay et M. d’Humières, écrite de Paris le 7 nov. 1527. — Ms. Béthune, vol. 8541, f° 40.
  53. Secondes instructions à l’évêque de Tarbes, Gabriel de Gramont, ambassadeur extraordinaire de France auprès de l’empereur, du 11 novembre 1527. — Archives impériales, carton J 666/7bis, — Mss. Dupuy, vol. 495, f° 26.
  54. Procès-verbal de l’assemblée des notables au Palais de Paris devant François Ier. — Mss. de la Bibliothèque impériale. Mélanges, 39, 753.
  55. Procès-verbal de l’assemblée des notables au Palais de Paris devant le roi François Ier. — Mss. de la Bibliothèque impériale. Mélanges, 39, 753.
  56. Procès-verbal de l’assemblée des notables.
  57. Extrait des registres du parlement de Paris sur ce qui s’est passé dans le lit de justice du 20 décembre 1527. — Mss. de la Bibliothèque impériale. Mél, 380, 279.
  58. Sandoval, t. Ier, lib. XIV, § XIX, p. 836.
  59. Papiers d’état du cardinal de Granvelle, dans la grande collection des documens inédits sur l’histoire de France publiés par le ministère de l’instruction publique, t.. Ier, p. 310 et 311.
  60. Ibid. p. 314 et 315.
  61. Papiers d’Etat du cardinal de Granvelle, t. Ier, p. 319 et 320.
  62. Lettre de l’empereur à Jean de Calvimont, ambassadeur de France, du 18 mars 1528. Ibid., p. 349 et 350.
  63. Audience de congé donnée par le roi à Nicolas Perrenot de Granvelle, ambassadeur de l’empereur. Ibid-, p. 350 et 351.
  64. Della vita e delle opère di Andrea Navagero, p. 202, 203 et 343.
  65. Papiers d’état du cardinal de Granvelle, t. Ier, p. 352 et 353.
  66. Papiers d’état du cardinal de Granvelle, p. 355 et 356.
  67. Papiers d’état du cardinal de Granvelle, p. 305 et 306.
  68. Réponse de l’empereur Charles-Quint à la déclaration faite par le roi de France le 28 mars 1528. Ibid., p. 395 à 405.
  69. Cartel de l’empereur Charles-Quint envoyé au roi François Ier, Ibid., p. 405 à 408.
  70. Instructions de l’empereur à Bourgogne, son héraut d’armes. Ibid., p. 409 à 412.
  71. Voyez les diverses lettres d’Anne de Montmorency, de Clermont, gouverneur de Languedoc, de Saint-Bonnet, gouverneur de Bayonne, du héraut d’armes Bourgogne et de François Ier. Ibid., p. 413 à 424.
  72. Relation faite à l’empereur par le héraut d’armes Bourgogne. — Dans Sandoval, Historia del emperador Carlos V, t. Ier, lib. XVI, p. 886 à 888.
  73. Relation faite à l’empereur par le héraut d’armes Bourgogne, p. 888.
  74. Dans Sandoval, t. Ier, lib. xvi, f° 890.
  75. Ibid., f° 891 et 892.