Rivalité de Charles-Quint et de François Ier/3/03

RIVALITE
DE CHARLES-QUINT
ET
'DE FRANCOIS Ier

RUPTURE DU TRAITÉ DE MADRID. — SAINTE LIGUE DE COGNAC CONTRE CHARLES-QUINT. — NOUVELLE GUERRE D’ITALIE.[1].



I

Lorsque François Ierfut arrivé dans ses états, il eut à se décider entre l’accomplissement et le rejet du traité de Madrid. En accomplir toutes les clauses, c’était réduire le territoire du royaume et abaisser la puissance du roi. En rejeter une partie, c’était violer la foi jurée et recommencer la guerre. Dans un cas, la France amoindrie était en quelque sorte subordonnée à l’empereur, qui, chef affermi de l’Allemagne, roi absolu des Espagnes, possesseur reconnu de l’Italie inférieure, dominateur militaire de la Haute-Italie, souverain indépendant de tous les Pays-Bas accrus de la Bourgogne et s’étendant jusqu’à quelques marches de Paris, serrait le royaume de toutes parts et l’enfermait entre ses états. Dans l’autre, le roi revenait avec moins d’honneur et autant de péril à ces redoutables entreprises au-delà des Alpes qui duraient depuis un tiers de siècle, qui, mêlées de victoires stériles et de dé faites désastreuses, ayant débuté par la conquête bien vite perdue de Naples et fini dans le Milanais par la bataille de Pavie, avaient épuisé le royaume de France, qu’elles avaient détourné de ses voies naturelles, et dont elles avaient suspendu l’agrandissement régulier.

On ne s’attendait pas du reste à ce que François Ier se soumît aux dures conditions qui lui avaient été imposées. Le nonce du pape écrivait de Tolède après la conclusion du traité de Madrid : Les accords faits par la crainte ne se maintiennent pas[2]. Le roi d’Angleterre chargeait même sir Thomas Cheney et le docteur Taylor, ses ambassadeurs auprès de François Ier, d’insinuer à ce prince qu’il ne devait pas exécuter une convention aussi exorbitante conclue pendant sa captivité, dont l’observation exposerait la couronne de France aux plus grands dommages et ouvrirait le chemin « qui mènerait l’empereur à la monarchie de la chrétienté[3]. »

François Ier n’avait pas besoin des persuasions de Henri VIII pour rompre un traité auquel il s’était attribué le droit de manquer dans la protestation secrète qu’il avait signée à la veille de le conclure. Il était résolu à le faire, mais il hésitait à le dire. Il tira donc en longueur, paraissant plutôt en différer qu’en rejeter l’exécution. Dès son arrivée à Bayonne, l’ambassadeur de Charles-Quint, Louis de Praet, lui ayant demandé la ratification qu’il devait donner dans la première ville de son royaume, il ajourna sous un prétexte plausible. Il en fut de même à Mont-de-Marsan, où le commandeur Peñalosa, envoyé par Lannoy, se joignit à Louis de Praet pour le presser de ne pas la retarder davantage[4]. Il allégua cette fois que le traité, rendu public par l’empereur, avait causé un grand déplaisir à ses sujets et excité de grands murmures dans son royaume, que les principaux personnages de l’état, dont il aurait voulu s’aider pour le faire admettre, lui écrivaient de ne pas le ratifier, que de la Bourgogne on lui annonçait que la cession de cette province, « unie et incorporée inséparablement à la couronne, » ne pouvait pas être opérée sans le consentement des états du pays, qui ne le donneraient jamais, et qu’il n’obtiendrait pas davantage l’adhésion des états-généraux du royaume et l’enregis trement des cours de parlement non moins nécessaire à une pareille aliénation[5].

Aussitôt que Charles-Quint connut les réponses évasives de François Ier, il prescrivit à Lannoy, qui était resté à Vittoria avec la reine Éléonore, de se rendre auprès du roi très chrétien afin de l’inviter à remplir tous les engagemens du traité de Madrid, dont il avait contribué par ses conseils à faire adoucir les clauses et diminuer les précautions. Lannoy partit en toute hâte, et il arriva le 8 mai 1526 à Cognac, en Saintonge, où François Ier s’était arrêté. Le vice-roi de Naples, après avoir parlé à François Ier au nom de l’empereur son maître, le conjura lui-même, dans l’intérêt de leurs états et pour le maintien de leur alliance, de ne pas manquer à ce qu’il avait si solennellement promis. Il n’admit point qu’un prince d’autant de puissance que lui rencontrât à cet égard la moindre résistance dans son royaume. « Chacun sait, lui dit-il, qu’avec l’autorité que votre majesté a dans ses pays et l’obéissance que ses sujets lui portent, elle obtiendra tout ce qu’elle demandera et fera tout ce qu’elle voudra[6]. »

Deux jours après, le 10 mai, le vice-roi de Naples et l’ambassadeur Louis de Praet furent appelés devant le conseil du roi pour y recevoir la réponse qui devait être faite en son nom. Le chancelier Duprat leur déclara que le roi ne pouvait pas détacher la Bourgogne du royaume de France. Il ajouta que, si les sujets du roi étaient obéissans et disposés à lui accorder tout ce qu’il leur demanderait pour le fait de ses guerres, ils ne consentiraient jamais à une diminution notable du patrimoine royal. François Ier lui-même s’expliqua nettement alors, et, sans recourir plus longtemps à des délais ou à des prétextes, il dit « qu’il n’avait pas pu donner sa foi et qu’il n’était pas lié par son serment, parce qu’on avait exigé l’une et qu’il avait prêté l’autre pendant qu’il était en prison et demeurait étroitement gardé[7]. » D’après le droit de la guerre, selon lui, les promesses faites sans qu’on fût en liberté n’obligeaient pas. Il assura néanmoins qu’il souhaitait conserver l’union établie entre l’empereur et lui et se montra prêt à accomplir du traité tout ce qui était possible, en demandant que le reste « fût réduit à raison et à honnesteté. » Lannoy ayant désiré savoir ce que le roi trouvait impossible et ce qu’il regardait comme raisonnable, afin d’en instruire l’empereur, seul en mesure de faire une nouvelle capitulation, il lui fut répondu que ce qui ne pouvait pas s’exécuter, c’était la cession de la Bourgogne : ce qu’il était convenable d’offrir et d’accepter, c’était une forte rançon en argent. En rendant compte de son infructueuse mission à Charles-Quint, Lannoy lui dit : « Je ne vois apparence que l’on vous donné la Bourgogne[8]. » Persuadé en même temps que le fier et opiniâtre empereur ne consentirait pas à traiter sur d’autres bases et à recevoir en échange de cette province la somme tant de fois refusée de deux millions d’écus d’or, il réclama son prompt envoi en Italie, où il prévoyait que la lutte allait recommencer plus animée et plus terrible que jamais. « Je vous supplie très humblement, ajoutait-il dans sa lettre à l’empereur, de me donner congé d’aller à Naples, car les pratiques du pape, Angleterre, et France, et Vénitiens, sont telles qu’il est besoin que les affaires de Naples se remédient. »


II

En effet, ces pratiques allaient aboutir à une alliance générale contre Charles-Quint. Les Italiens, exposés aux déprédations de son armée, livrés aux exactions de ses généraux, voyant qu’il était fortement établi dans le royaume des Deux-Siciles, qu’il dominait militairement dans le duché de Milan, qu’il disposait de Gênes, qu’il étendait ses exigences sur Florence et sur Rome, et qu’il devenait menaçant pour les états de terre ferme de Venise, trouvaient en lui dans le moment un oppresseur de leur pays et dans l’avenir le maître redouté de toute la péninsule, où il projetait de venir, à la tête d’une armée, prendre la couronne impériale. Bien que sa puissance fût très grande, la crainte l’exagérait encore en France et en Angleterre ainsi qu’en Italie. On lui supposait le dessein d’aspirer à.la monarchie universelle. Ce dessein imaginaire, que Charles-Quint ne pouvait pas plus concevoir que réaliser, causait une inquiétude générale. Il excitait la jalousie soupçonneuse du roi d’Angleterre, l’inimitié intéressée du roi de France, et provoquait la coalition prévoyante des potentats alarmés de l’Italie.

Ceux-ci avaient déjà tente deux fois, pendant la captivité de François Ier, de s’unir entre eux et de se concerter avec la régente de France pour chasser les Espagnols du Milanais et déposséder Charles-Quint du royaume de Naples. La première fois, le projet avait échoué par la trahison de Pescara et l’arrestation de Morone. Après la mort de Pescara, que Charles-Quint avait nommé un peu tard duc de Sora, en qui il avait perdu un homme de guerre du premier ordre, un serviteur altier, mais dévoué, incommode pour les autres, très utile pour lui, et ayant mis à le servir son esprit, son intrépidité, son audace et jusqu’à son honneur, la coalition qu’il avait déconcertée s’était renouée. Alberto Pio, comte de Carpi, et le comte Ludovic de Canossa, évêque de Bayeux, ambassadeurs de France, l’un à Rome et l’autre à Venise, avaient, au nom de la régente Louise de Savoie, excitée elle-même parle roi Henri VIII, ourdi avec le saint-siège et la sérénissime république une ligue franco-italienne pour soustraire la péninsule au joug des impériaux et la rétablir dans son indépendance[9]. Les articles en avaient été dressés en janvier 1526. Clément VII allait les signer lorsque le duc de Sessa, ambassadeur de Charles-Quint, et l’archevêque de Capoue, son zélé partisan à la cour de Rome, obtinrent du pape qu’il différât en lui promettant, de la part de l’empereur, qu’avant deux mois tout le duché de Milan serait mis entre les mains du duc Sforza après avoir été évacué par les lansquenets, qui retourneraient en Allemagne, et par les Espagnols, qui rentreraient dans le royaume de Naples ; mais avant le terme des deux mois le traité de Madrid était survenu, et l’empereur, se croyant assuré de François Ier et n’ayant plus à craindre l’Italie si elle ne s’unissait pas avec la France, n’avait rien fait de ce que son ambassadeur avait annoncé. Loin de retirer ses troupes de la Lombardie, il les avait employées à assiéger dans la citadelle de Milan Francesco Sforza, dont il avait donné le duché au duc de Bourbon.

Clément VII reprit alors le plan de confédération auparavant projeté entre les états italiens et la régente de France. De concert avec la seigneurie de Venise, non moins en crainte que lui de la puissance de Charles-Quint, disposant des forces de la république de Florence, soumise à son autorité, — assuré de l’assentiment du duc Francesco Sforza, toujours assiégé dans la citadelle de Milan, le pape se hâta de négocier avec François Ier une ligue protectrice de l’Italie. Conçue en apparence dans une pensée de paix universelle, cette ligue était en réalité dirigée contre Charles-Quint. « La république chrétienne, était-il dit dans le préambule du traité qui déterminait le but et les moyens de la confédération, est livrée depuis tant d’années à des guerres continuelles et en est à tel point bouleversée et affaiblie, que si Dieu ne met pas un terme à ces guerres cruelles et n’aide pas la république pacifiée à respirer un peu, elle est visiblement bien près de sa fin. Ce mortel danger est d’autant plus à craindre que d’une guerre ancienne sortent toujours des guerres nouvelles et qu’au moment où la matière de l’incendie semble consumée, la flamme reparait en s’accroissant encore ; ce que voyant et retournant dans son esprit notre très saint seigneur Clément VII, pontife suprême et pasteur très vigilant, il a résolu de tout tenter afin de pourvoir au salut et à la sécurité de la république chrétienne et d’établir entre les princes chrétiens une paix vraie et stable[10]. » En effet, aussitôt après la délivrance de François Ier, le pape dépêcha vers lui en qualité de nonce le chevalier Capino de Capo, chargé de le féliciter et muni des pouvoirs nécessaires à la conclusion d’une étroite alliance. De son côté, le doge de Venise, André Gritti, envoya sur-le-champ en France messer André Roberto, secrétaire de la république, avec des instructions semblables et pour la même fin.

Les deux négociateurs italiens trouvèrent François Ier à Cognac. Il y était avec les princes du sang, les grands-officiers de la couronne, les membres de son conseil, beaucoup de grands seigneurs du royaume, et il y tint quelque temps sa cour. Le chancelier Duprat restait son principal ministre. Par le zèle de ses services durant la régence de la duchesse d’Angoulême, il avait conservé la confiance du roi, dont le maréchal de Montmorency et Chabot de Brion avaient acquis toute la faveur par leur fidèle et agréable dévouement pendant sa captivité. Aussi ce prince, en reprenant l’exercice de l’autorité royale, avait-il donné au maréchal de Montmorency et à Chabot de Brion les deux charges de grand-maître de sa maison et d’amiral de France, vacantes depuis un an par la mort de son oncle le bâtard Jacques de Savoie et de son favori Bonnivet, tués l’un et l’autre à Pavie.

François Ier accueillit avec joie le nonce du pape et l’envoyé du doge[11]. Il adhéra bien vite à leurs propositions, non moins conformes à ses désirs que profitables à ses intérêts. Pendant que le vice-roi de Naples et l’ambassadeur Louis de Praet lui adressaient les plus vives instances pour qu’il exécutât les clauses onéreuses du traité de Madrid, ses plénipotentiaires réglaient avec les plénipotentiaires italiens les avantageuses stipulations du traité de Cognac. Ce traité fut signé le 22 mai 1526, et reçut le nom de sainte ligue. Il était conclu entre le souverain pontife Clément VII, le roi très chrétien François Ier, la république de Venise, la république de Florence, le duc de Milan Francesco Sforza, à l’instigation du roi d’Angleterre[12], qui en était déclaré le protecteur et donnait à espérer qu’il en ferait partie, et il y était laissé place pour l’empereur et les autres princes de l’Europe. Il était spécifié dans le traité de Cognac : 1° que le duc Sforza recouvrerait la pleine et libre possession du duché de Milan et que les états de l’Italie seraient replacés dans la position où ils se trouvaient avant la guerre ; 2° que les enfans du roi de France donnés en otages à l’empereur seraient délivrés moyennant une rançon raisonnable en argent ; 3° que l’empereur n’irait se faire couronner en Italie qu’avec la suite qui conviendrait au pape et aux Vénitiens, et qui serait fixée en vue de la sécurité commune ; 4° que, trois mois après la conclusion du traité, il paierait toutes les sommes qu’il devait au roi d’Angleterre. Ces quatre conditions qu’on imposait à Charles-Quint, en lui offrant d’entrer dans la ligue, étaient trop contraires à sa puissance et à son honneur pour qu’il les acceptât. Comme il ne voudrait certainement pas y souscrire, il fallait préparer les moyens de l’y soumettre. Dans la prévoyance de ses refus, les confédérés décidaient la formation d’une puissante armée capable de soustraire l’Italie à sa dépendance et de lui arracher la délivrance des enfans de François Ier.

Chacun des confédérés devait y contribuer dans des proportions habilement déterminées. Le pape et les Florentins mettraient en campagne 800 hommes d’armes, 700 chevau-légers et 8,000 fantassins ; les Vénitiens, 800 hommes d’armes, 1,000 chevau-légers et 8,000 fantassins ; le duc de Milan, 400 hommes d’armes, 300 chevau-légers et 4,000 fantassins. En attendant que Francesco Sforza fût débloqué et qu’il pût fournir son contingent militaire, le pape et les Vénitiens se chargeaient de le fournir à sa place. Le roi très chrétien devait faire passer immédiatement 500 lances françaises au-delà des Alpes, payer chaque mois au pape et aux Vénitiens 40,000 écus, avec lesquels serait levé et soldé un corps considérable de Suisses. Il ferait en même temps la guerre à l’empereur, au-delà des Pyrénées, avec une armée de 2,000 lances et de 10,000 hommes de pied pourvue d’une artillerie convenable[13]. La ligue, que ces forces ne pouvaient que rendre victorieuse, si elles étaient réunies à temps et si elles agissaient de concert, devait être plus aisément encore maîtresse de la mer par les douze galères qu’équiperait le roi de France, les treize qu’armeraient les Vénitiens, et par les trois galères pontificales auxquelles se joindraient les galères du plus célèbre marin de ce temps, André Doria, que Clément VII prenait à sa solde. La flotte combinée devait se porter devant Gênes pour s’en emparer, et, après que l’armée de l’empereur aurait été battue en Lombardie, se diriger vers le royaume de Naples, qui serait alors puissamment attaqué par terre et par mer. Le royaume de Naples pris, le pape en disposerait avec l’assentiment des confédérés.

Dans l’arrangement futur de l’Italie enlevée à Charles-Quint, François Ier devait obtenir bien au-delà de ce qu’il aurait naguère osé prétendre. Tout en renonçant aux droits que ses prédécesseurs lui avaient laissés sur le Milanais et sur le royaume de Naples et qu’il avait soutenus longtemps lui-même les armes à la main, il recevrait un prix élevé de ses renonciations. Le duc Sforza, à qui serait donnée en mariage une princesse du sang royal de France, ferait tenir annuellement à Lyon 50,000 ducats à François Ier en compensation de ses anciens droits. Il lui céderait de plus le comté d’Asti, accordé en dot par le duc Jean Galéas à Valentine Visconti, mariée à Louis d’Orléans, frère de Charles VI, et depuis plus d’un siècle héréditairement revendiqué par les princes de Valois-Orléans issus de cette union. François Ier recouvrerait aussi la seigneurie de Gênes, qui resterait toutefois administrée par un doge. Enfin celui que le pape investirait du royaume de Naples, sur les terres duquel il serait formé une principauté de 30,000 ducats de rente pour le duc de Richmond, fils naturel de Henri VIII, et une seigneurie de 4.0,000 ducats de rente pour son avide ministre Wolsey, paierait à François Ier une pension annuelle qui ne serait pas moindre de 75,000 ducats[14]. Le traité de Cognac, qui stipulait l’indépendance des états italiens, qui dégageait le roi de France des obligations contractées à Madrid et préparait l’abaissement de l’empereur, rendait inévitable une nouvelle guerre en Italie.


III

Charles-Quint avait été, pendant quelque temps, bien loin de s’y attendre. En se séparant de François Ier sur le chemin de Torrejon à Tolède, il était parti pour Séville, où, selon le désir de ses sujets et afin d’assurer la succession à ses couronnes, il devait épouser l’infante Isabelle de Portugal. Cette jeune et belle princesse, qu’il aima d’une affection si tendre tant qu’elle vécut et qui lui laissa des regrets si durables lorsqu’il la perdit, lui apportait en dot un million de ducats, dont une bonne partie avait été déjà dépensée[15]. Elle avait précédé Charles-Quint à Séville, où elle avait été reçue le 3 mars 1526 avec beaucoup de solennité et d’allégresse. Le puissant et heureux empereur y arriva huit jours après. Il y fit son entrée au milieu des témoignages d’un enthousiasme enivrant et parmi des marques d’adulation que les Espagnols ne croyaient être que de l’admiration. Huit arcs de triomphe avaient été érigés en son honneur. Ils étaient consacrés à sa prudence, à sa force, à sa clémence, à la paix qu’il venait de donner au monde, à la justice qui le rendait l’image de Dieu sur la terre, à la gloire qui signalait toutes ses actions, à la fortune qui lui soumettait l’univers. Sur l’un de ces arcs de triomphe, il était représenté ayant un globe à ses pieds, tenant l’épée d’une main, le sceptre de l’autre, foulant la discorde abattue, et dominant les divers peuples de ses états qui s’écriaient avec satisfaction : Il est victorieux, il règne, il commande[16]. A l’arc de triomphe où était figurée la fortune lui livrant l’empire de la terre, se lisait cette orgueilleuse inscription : Le très grand Charles règne maintenant sur l’univers, et c’est à bon droit que lui est soumise toute la machine du monde[17]. Cette exaltation de sa puissance, qu’il agréa ou qu’il souffrit, n’était pas habile, car la grandeur qui, ainsi célébrée, était pour l’Espagne un sujet d’orgueil devenait pour les autres pays un sujet de crainte.

Accompagné du cardinal légat Salviati, de don Fadrique de Toledo duc d’Albe, de don Alvaro de Zuñiga duc de Bejar, du prieur de San-Juan don Diego de Toledo, des marquis de Moya et de Villafranca et de beaucoup d’autres seigneurs, Charles-Quint alla tout d’abord descendre à la grande église de Séville. De là il se rendit à l’Alcazar, où l’attendait l’infante Isabelle, que suivaient doña Ana d’Aragon, duchesse de Medina-Sidonia, la marquise de Zenette, femme du comte de Nassau, et le brillant cortège des plus grandes dames du royaume. Après s’être prosterné devant Dieu, il courut s’incliner devant elle. Le même jour, le cardinal Salviati les maria, sous le dôme de la grande salle de l’Alcazar, devant tous les prélats et tous les seigneurs de la cour. C’était le mariage public que consacrait l’assentiment des volontés exprimé des deux parts avec bonheur et avec solennité. La cérémonie religieuse se célébra plus simplement. A minuit, dans une chambre retirée de l’Alcazar où avait été dressé un autel, et en présence du duc de Calabre et de la comtesse de Haro, qui y assistèrent seuls en qualité de padrinos, l’archevêque de Tolède donna la bénédiction nuptiale à l’empereur et à l’impératrice.

La paix faite avec François Ier et le mariage accompli avec l’infante Isabelle, Charles-Quint avait le projet d’aller en Italie et de passer ensuite en Allemagne pour s’y opposer tout à la fois aux progrès des luthériens et aux agressions des Turcs. Le duc Henri de Brunswick était venu lui faire connaître à Séville, de la part des princes catholiques alarmés, la situation de l’empire, que les doctrines de Luther bouleversaient au dedans et que les armées de Soliman menaçaient du dehors. Empereur élu en 1519, Charles-Quint était hors de l’Allemagne depuis 1522. Sa lutte prolongée avec François Ier l’avait tenu constamment éloigné de ce vaste pays, divisé en tant de souverainetés diverses de forme comme d’étendue, livré à des sentimens dissemblables, agité par des opinions contraires, et qu’une main puissante et présente aurait eu beaucoup de peine à remettre en accord et à maintenir dans l’obéissance. Pendant les quatre années de son absence, l’empire, où il avait envoyé comme son lieutenant l’archiduc Ferdinand, son frère, qui n’y avait pas assez d’autorité, bien qu’il y possédât les duchés d’Autriche, de Styrie, de Carinthie, de Carniole, de Tyrol, et qu’il eût été investi du duché de Wurtemberg, confisqué sur le duc Ulrich, allié de François Ier, l’empire était tombé de plus en plus dans le trouble. Une révolution religieuse s’y accomplissait. L’édit que Charles-Quint avait porté en 1521 dans la diète de Worms contre Luther, dont il avait condamné les doctrines et mis la personne au ban de l’empire, était resté inexécuté après son départ. Le hardi novateur, sortant de son asile de la Wartbourg, où l’électeur Frédéric de Saxe l’avait tenu quelque temps caché, était revenu à Wittenberg opérer publiquement la réforme de la croyance et du culte catholiques. De son hérésie, il faisait une religion. Il constituait une église nouvelle différant de l’ancienne par le nombre et l’administration des sacremens, par l’interprétation et la communication de la grâce, le fondement et le mode du salut chrétien, le ministère, comme l’organisation du sacerdoce. Prêchée avec une conviction ardente, accueillie avec une faveur enthousiaste, cette réforme, qui semblait ramener le christianisme à ses fondemens évangéliques, qui donnait au culte plus de simplicité, qui soumettait jusqu’à un certain point les choses de la foi à l’assentiment de la raison, qui répondait par l’examen à l’attente ambitieuse des esprits, et par la ferveur de la croyance aux besoins des âmes, s’était propagée avec une rapidité extraordinaire. De la Saxe électorale, elle avait gagné la Hesse, et s’était étendue dans presque toute l’Allemagne du nord et de l’ouest. Au centre et au midi, la plupart des villes, se gouvernant elles-mêmes avec liberté, l’adoptaient à l’envi. Les princes qui l’avaient embrassée allaient s’aboucher à Torgau, et les plus décidés d’entre eux, l’électeur de Saxe Jean-Frédéric, le landgrave de Hesse Philippe le Magnanime, les ducs Philippe-Otton, Ernest et François de Brunswick et de Lunebourg, le duc Henri de Mecklenbourg, Wolf, prince d’Anhalt et comte d’Ascanie, Gebhart et Albert, comtes de Mannsfeld, devaient s’unir à Magdebourg dans une sorte de confédération pour résister aux menaces des princes demeurés fidèles à l’ancienne religion et soutenus par l’empereur, dont ces princes avaient invoqué l’assistance.

Charles-Quint était en effet résolu dans ce moment à leur venir en aide. Douze jours après son mariage, il renvoya le duc Henri de Brunswick en Allemagne avec des instructions secrètes adressées au prince-évêque de Strasbourg et au duc Erik de Brunswick, chargés, l’un dans les cercles du midi, l’autre dans les cercles du nord-ouest de l’empire, d’unir fortement ensemble tous les états demeurés catholiques, « afin d’arrêter, disait-il, la doctrine séductrice et damnée de Luther qui s’étendait de jour en jour dans le saint-empire, et dont il avait l’intention de prévenir les suites dangereuses[18]. » Il annonçait dans ces lettres, écrites le 23 mars, qu’il disposait toutes ses affaires pour être bientôt en état de quitter ses royaumes d’Espagne, de se rendre directement à Rome, puis d’arriver en Allemagne, « où, disait-il, aidé de vos conseils et secondé par votre appui, je travaillerai à abolir et à exterminer de fond en comble la doctrine luthérienne. » Il écrivait en même temps à son frère l’archiduc Ferdinand, qui devait présider, comme son lieutenant, la prochaine diète de Spire, où se rencontreraient les soutiens des deux croyances : « qu’il avait le plus grand désir de mettre la main à l’œuvre, et qu’il ferait son possible pour partir à la Saint-Jean (le 24 juin) de cette année[19]. »

Mais bien avant le 24 juin il apprit que son prisonnier, devenu libre, d’abord ajournait, puis refusait la pleine exécution du traité de Madrid. Il se sentit déçu et se vit arrêté. Son orgueil en souffrait autant que sa politique. « Il est silencieux et retiré, écrivait au milieu du mois d’avril l’ambassadeur d’Angleterre Lee au roi Henri VIII ; il passe bien souvent trois ou quatre heures de suite seul et livré à ses réflexions. Il n’a depuis son mariage ni plaisir ni contentement[20]. » Confus d’avoir été trompé, prévoyant les périls nouveaux auxquels il allait être exposé, il comprit alors la faute qu’il avait commise, ou en ne pas délivrant François Ier sans exiger de lui la Bourgogne, ou en ne pas le retenant prisonnier jusqu’à ce qu’il eût mis cette grande province entre ses mains. Cette faute, dans laquelle sa fierté, aussi opiniâtre que son caractère, devait le faire persister longtemps, ne pouvait être réparée qu’à l’aide de succès continus, au prix d’énormes dépenses, en levant des armées, en livrant des batailles, en remportant des victoires. La ligue de Cognac remettait tout en question. Les plans de Charles-Quint étaient renversés. Au lieu d’aller prendre triomphalement la couronne au-delà des Alpes, il fallait y lutter de nouveau ; au lieu de courir au secours de la vieille religion ébranlée au-delà du Rhin par les novateurs enhardis et à la défense de l’Allemagne menacée dans la vallée du Danube par les Turcs prêts à gagner la meurtrière bataille de Mohacz, il fallait rester au fond de l’Espagne pour envoyer en Italie tout ce qui pourrait y faciliter sa victoire et y affermir sa domination.


IV

Le pape et les Vénitiens, aussitôt après la conclusion de la ligue et sans en attendre la ratification, assemblèrent leurs troupes. Clément VII envoya à Plaisance, la ville de l’état pontifical la plus rapprochée du Milanais, puisqu’elle confinait au Pô un peu au-dessous de Pavie, le contingent militaire qu’il s’était engagé à fournir. Il fit partir de Modène et de Parme, sous le comte Guido Rangone, 5,000 hommes de pied et les hommes d’armes du saint-siège, sous Vitello 2,000 hommes de pied tirés de Florence ainsi que les hommes d’armes de cette république[21], qui s’associait avec ardeur au mouvement italien contre le dominateur étranger. À cette petite armée se joignirent les fameuses bandes noires que commandait Jean de Médicis ; elles s’étaient aguerries sous ce vaillant chef de guerre, qui ressemblait sous bien des rapports au marquis de Pescara, par son prompt coup d’œil, sa résolution calculée et son extraordinaire intrépidité. Clément VII avait nommé comme son lieutenant Francesco Guicciardini, alors président de la Romagne et aussi habile politique que grand historien. Investi des pouvoirs du pape, qu’il représentait auprès de l’armée, Guicciardini alla s’établir à Plaisance[22].

Tandis que les troupes pontificales se concentraient vers la frontière méridionale du duché de Milan, les troupes vénitiennes se rassemblaient, non loin de sa frontière orientale, à Chiari, dans le pays de Brescia. Elles étaient placées sous les ordres de l’expérimenté, mais trop circonspect Jean-Marie de la Rovere, duc d’Urbin, alors général de la république et bientôt généralissime de la ligue. Les deux armées, après leur jonction, devaient s’élever à 20,000 hommes de pied, 2,000 hommes d’armes et plus de 2,000 chevau-légers, le contingent de Francesco Sforza, toujours assiégé par les impériaux dans la citadelle de Milan, ayant été fidèlement fourni par le pape et les Vénitiens.

Les potentats italiens, avec un élan national et une patriotique promptitude, avaient tout disposé pour arriver aux fins qu’ils s’étaient proposées, en concluant la ligue. Ils avaient été prêts à entrer en action presque aussitôt qu’ils avaient traité, et ils étaient en mesure d’attaquer les ennemis de l’Italie avant que ceux-ci fussent en état de se défendre. Jamais Clément VII n’avait montré tant de résolution[23]. Il étonnait par sa hardiesse, et à sa parole décidée on ne reconnaissait plus le caractère incertain dont il avait donné tant de marques depuis son avènement au pontificat. Au commencement de juin, le duc de Sessa, soupçonnant aux préparatifs militaires de Clément VII ses projets hostiles, essaya de regagner le pape ou de l’intimider. Il se rendit au palais pontifical avec un grand cortège, et, s’adressant à Clément VII, il lui demanda ce que signifiait cette ligue dont on parlait tant ; il lui offrit des satisfactions qu’il crut propres à l’en détacher en le rassurant. Il lui proposa, au nom de l’empereur, de rétablir le duc Francesco Sforza dans le duché de Milan, d’où sortiraient tous les soldats impériaux. Clément VII dit nettement à l’ambassadeur de Charles-Quint qu’il s’était allié avec les Vénitiens et le roi de France, et qu’il ne pouvait plus rien faire que d’accord avec eux. Le duc de Sessa lui ayant alors demandé s’il entendait entrer en guerre avec les impériaux, car dans ce cas il voulait aller au camp pour s’acquitter de son devoir : a Vous êtes libre d’aller ou de demeurer, répondit le pape ; quand je voudrai faire la guerre, vous l’entendrez aux trompettes[24]. »

En même temps qu’il se montrait si résolu à l’égard des Espagnols, qu’il envoyait ses troupes en Lombardie, il faisait venir à Rome, contre la puissante faction des Colonna, le comte de Peti-gliano, le comte de L’Anguillara et les principaux des Orsini, qu’il prenait à son service[25]. Il défendait aux banquiers et aux marchands de Rome d’escompter les papiers des impériaux, et il interdisait aux sujets et aux vassaux du saint-siège de se mettre à leur solde[26]. Il annonçait le 13 juin, au consistoire des cardinaux, la conclusion de la ligue[27], et dans un bref fier et net il la signifiait à l’empereur lui-même.

Rappelant à Charles-Quint les services multipliés qu’il lui avait rendus, il lui disait que pendant la captivité du roi très chrétien, et lorsque le duc Sforza était assiégé par les généraux espagnols dans la citadelle de Milan, il n’avait pas, en sa considération, conclu une ligue dans laquelle on l’invitait à entrer. Il ajoutait que l’empereur l’avait payé de la plus noire ingratitude, que ses généraux l’avaient outragé, qu’ils lui avaient arraché des sommes d’argent qui ne lui avaient pas été rendues, que ses troupes avaient commis des déprédations dans les états de l’église aux dépens desquels elles avaient vécu, qu’il n’avait eu lui-même aucun égard à ses intercessions en faveur de Francesco Sforza, qu’il lui avait tenu cachées les conditions auxquelles il avait traité avec le roi de France, qu’il avait porté en Espagne et dans le royaume de Naples des édits contraires aux droits de l’église romaine et à la dignité pontificale. « Ces raisons, lui disait-il en finissant, m’ont décidé à m’unir en alliance avec ceux qui aiment le repos de l’Italie et la chose publique. Si tu veux de ton côté être en paix, c’est bien ; sinon, sache que ni les forces ni les armes ne me manqueront pour défendre et l’Italie et la république romaine[28]. »

Charles-Quint avait déjà reçu ce bref lorsque lui fut signifiée la ligue de Cognac, dans laquelle on lui avait laissé la faculté dérisoire d’entrer, et dont il ne pouvait pas faire partie sans rendre le duché de Milan à Francesco Sforza, sans retirer ses troupes de la Lombardie, sans renoncer à la Bourgogne, et sans délivrer les enfans du roi de France pour une simple somme d’argent. L’ambassadeur de François Ier, Jean de Calvimont, second président du parlement de Bordeaux, le comte Balthasar Castiglione, nonce de Clément VII, et André Navagero, ambassadeur de la république de Venise, vinrent l’informer officiellement d’une ligue qui avait pour objet l’amoindrissement non moins que l’humiliation de sa puissance, et lui demander d’y adhérer. Admis tous les trois en sa présence, le président de Bordeaux, qui était un personnage tout d’une pièce[29] et portait dans son langage la raideur grave du magistrat, prenant le premier la parole, lui dit que, conformément à un article de la ligue conclue entre sa sainteté le pape, le roi son maître et les seigneurs vénitiens, il priait et sommait sa majesté[30], par le commandement du roi très chrétien, que son plaisir fût, laissant toute dissimulation de côté et ne songeant qu’au bien commun de la chrétienté, de conclure une bonne paix avec lui et de lui rendre ses enfans en touchant pour leur rançon une forte somme de deniers, qu’il raffermirait ainsi le lien de leur amitié, et que, recevant de lui un tel bienfait, le roi de France ne l’oublierait jamais. Il ajouta que les confédérés, dans cette sainte ligue, conclue pour le bien universel, lui adressaient la même requête. Le nonce Balthasar Castiglione, avec plus de discrétion et en peu de mots, lui demanda la même chose.

L’empereur contint un moment la colère qu’il ressentait et qu’avait surtout allumée le mot de sommé[31], dont venait de se servir l’ambassadeur Jean de Calvimont. Il répondit tout d’abord au nonce : « Qu’il avait toujours été très disposé à la paix universelle, que ce n’était pas pour une autre cause qu’il avait délivré le roi très chrétien ; qu’il ne jugeait pas convenable d’entrer dans cette ligue, parce que faite, en apparence sous la couleur du bien public, elle l’était en réalité contre lui. « Il ajouta » que sa sainteté lui avait adressé un bref où lui étaient attribués des torts et imputés des blâmes à son avis sans fondement, qu’il lui serait aisé de s’en disculper, et qu’il souhaitait pour cela un concile général dans lequel on les discuterait et qui en serait juge. Trouvé coupable, il se soumettrait à la raison. Sa sainteté voulait-elle l’accepter pour fils, il serait un fils aussi bon, aussi humble, aussi obéissant que pape en eut jamais. Voulait-on sincèrement une paix universelle, il en établirait les conditions de façon à faire voir clairement à chacun qu’il était plus disposé à donner du sien qu’à prendre de celui d’autrui. » Il finit en disant : — « Mais rendre au roi de France ses enfans est hors de propos… Je suis comme la monture de Balaam : plus on l’éperonnait pour la pousser en avant, plus elle se rejetait en arrière[32]. » Se tournant alors vers l’ambassadeur de François Ier, il lui dit : « Si votre roi avait tenu ce qu’il m’avait promis, il ne serait pas nécessaire de proposer aujourd’hui de nouveaux arrangemens. Il ne me convient pas de lui rendre ses enfans pour de l’argent. Je n’ai pas voulu d’argent pour le délivrer. Il m’a trompé ; je ne me fierai jamais plus à lui, sans avoir de gage de sa parole. Aujourd’hui il me semble en avoir de bons entre les mains. S’il compte les avoir par force, je l’assure qu’il n’y parviendra pas, tant qu’il restera pierre sur pierre dans un de mes royaumes, fussé-je forcé de reculer jusqu’à Grenade. J’ai usé envers lui de libéralité et de magnanimité, et lui a usé envers moi de pusillanimité et de perfidie. Il n’a point agi en vrai chevalier, ni en vrai gentilhomme, mais méchamment et faussement[33]. Je vous demande, comme à son ambassadeur, que le roi très chrétien me garde la foi qu’il m’a donnée de redevenir mon prisonnier, s’il ne satisfaisait pas à ses promesses. Plût à Dieu que ce différend eût à se débattre entre nous deux, de sa personne à la mienne, sans exposer tant de chrétiens à la mort ! Je crois que Dieu montrerait sa justice[34]. »

Après ces paroles, qu’il prononça avec véhémence, l’empereur congédia les ambassadeurs de la ligue. Jean de Calvimont ne transmit point au roi de France cette offensante provocation, que François Ier n’apprit que beaucoup plus tard et qui fut sur le point d’amener un duel entre ces deux princes. Si l’empereur parlait avec ce mépris injurieux du roi, il gardait plus de ménagement pour le pape, qu’il espérait encore détacher de la confédération. Il n’avait pas tardé à se repentir de n’avoir point écouté le chancelier Gattinara, qui lui conseillait de s’entendre avec les Italiens pour avoir mieux raison du roi de France. Il s’était entendu au contraire avec le roi de France, qui lui avait abandonné l’Italie en même temps qu’il lui avait promis la cession de la Bourgogne ; mais il ne recevait pas la Bourgogne et il était menacé en Italie. Dans cette situation, que trouva-t-il de mieux à faire ? Il avait cru, au mois de janvier, enlever à l’Italie l’assistance de la France par le traité de Madrid ; il tenta au mois de juin d’enlever l’appui de l’Italie au roi de France par un arrangement direct avec le pape et avec Francesco Sforza.

Il avait déjà fait partir d’Espagne pour l’Italie le prieur de Messine, don Ugo de Moncada, qu’il chargea de cette mission. Moncada devait offrir au duc Sforza d’être réintégré dans son état, pourvu qu’il se soumît à une justification que rendrait facile l’indulgence de l’empereur. Il devait promettre également au pape le rétablissement de Sforza à la condition que ce serait par voie de justice, afin que les apparences fussent sauvées et qu’il fût dégagé lui-même vis-à-vis du duc de Bourbon, à qui seraient payés, pour son entretien, 4,000 ducats par mois sur le duché de Milan[35]. Il devait aussi lui faire des ouvertures avantageuses touchant Reggio, Rubiera et Ferrare même, que réclamait Clément VII comme appartenant à l’église. Pour mieux induire le pape à s’accorder avec l’empereur, Moncada avait ordre de lui apprendre que le roi très chrétien, en proposant pour la rançon de ses enfans 2,000,000 d’écus d’or, offrait toujours d’accomplir le traité de Madrid en tout le reste, c’est-à-dire de livrer l’Italie à l’empereur. Charles-Quint voulait par là diviser les confédérés avant de les combattre, et il prescrivait à Ugo de Moncada de lui dépêcher un courrier qui lui apportât, en volant[36], la nouvelle de tout ce qu’il aurait fait à Rome. S’il ne pouvait pas persuader le pape par les offres qu’il était chargé de lui adresser, Moncada devait traiter avec le duc de Ferrare, s’entendre avec les Colonna[37], et recourir à un moyen à la fois perfide et violent qui, par la surprise et la force, détacherait Clément VII de la ligue.

Don Ugo se rendit d’abord à Milan. Il eut une conférence avec Francesco Sforza. Il ne put pas le décider à sortir de la citadelle où il s’était enfermé et à la remettre entre les mains du protonotaire Carraciolo, à qui serait confié, pour la forme, le jugement de son affaire. Sforza refusa même de s’entendre tout seul avec l’empereur en déclarant qu’il ne pouvait ni ne voulait se séparer des confédérés, qui lui venaient en aide. Ugo de Moncada ne fut pas plus heureux à Rome, où il courut après avoir quitté Milan. Il avait traversé Sienne, que sa rivalité avec Florence et la crainte qu’elle avait des Petrucci, dont Clément VII était l’appui, rendait favorable au parti impérial ; mais des Alpes à Rome « il avait passé, disait-il, entre les piques et les escopettes, au cri de meurent les Espagnols[38] ! » Don Ugo de Moncada eut plusieurs audiences du pape. Il n’oublia rien de ce qui pouvait ou le ramener à Charles-Quint en le satisfaisant, ou le détacher de la ligue en l’effrayant. Il offrit, au nom de l’empereur, de rétablir Francesco Sforza dans son duché en observant certaines formalités d’une justice qui n’aurait rien d’incertain, puisqu’il proposait de la faire rendre non plus par le protonotaire Carraciolo, qui était sujet de l’empereur comme Napolitain, mais par un des nonces du pape. Clément VII lui répondit qu’il ne pouvait rien accepter que d’accord avec ses alliés. Alors don Ugo lui fit envisager les suites de son refus : il lui dit « qu’en acceptant des propositions aussi avantageuses il avait à attendre les plus grands biens de la part de l’empereur, tandis qu’il serait déçu dans les espérances qu’il avait conçues du côté des rois de France et d’Angleterre, qui ne tiendraient aucune des promesses qu’ils lui avaient faites ; que la rupture tournerait à la fin tout à son détriment, à la ruine du siège apostolique et à la confusion de la république chrétienne, parce que la guerre ne se ferait pas seulement avec les armes contre sa sainteté, mais en employant tous les moyens qui conviendraient au bien et à la réformation de l’église ; qu’il pouvait en prévoir l’effet en considérant le péril de l’hérésie de Luther, les clameurs persistantes de l’Allemagne, qui demandait un concile et était réunie en diète à Spire, et l’ambition insatiable du cardinal d’Angleterre, qu’on ferait aisément concourir à tout ce qu’on voudrait en lui donnant la plus petite espérance du pontificat ; qu’il ne s’imaginât point que les menaces et les recours à la force décidassent l’empereur à prendre des résolutions contraires à sa réputation et à sa grandeur, en rendant les fils du roi très chrétien et en modifiant le traité conclu avec lui ; que sa majesté, plutôt que d’en venir là, perdrait tous ses royaumes pied à pied, et que tous ses serviteurs et sujets verseraient leur sang pour l’empêcher d’y être réduit[39]. »

Le pape fut un moment ébranlé. Après avoir entendu Moncada et avoir conféré avec l’archevêque de Capoue Schomberg, qui, originaire de l’empire, était tout dévoué à l’empereur, il retomba dans ses hésitations et fut rendu à sa timidité. Il parut même disposé à revenir sur ses pas, si on lui fournissait un bon moyen de le faire sans nuire à sa réputation ; mais les choses étaient trop avancées, les engagemens trop nombreux, les préparatifs trop considérables pour qu’il pût reculer. D’ailleurs le désir de délivrer l’Italie des impériaux était dans l’esprit de Clément VII plus fort encore que ne l’était sur son âme le danger dont on le menaçait, et le dataire Giberto, si zélé pour la cause de l’indépendance italienne, n’eut pas de peine, en réveillant ses haines, qui étaient profondes, en invoquant son honneur, qui y était engagé, à le fortifier dans les résolutions qu’il avait naguère prises. Aussi dans une dernière audience Clément VII dit à Ugo de Moncada et au duc de Sessa que décidément, et après y avoir bien pensé, il ne trouvait aucun moyen de rompre ce qu’il avait conclu depuis si peu de temps, et que pour rien au monde il n’entacherait son honneur et ne manquerait à sa parole[40]. Les ambassadeurs de Charles-Quint se retirèrent en menaçant le souverain pontife. « Votre sainteté nous met ainsi la guerre entre les mains ; elle nous aura donc pour excusés, si nous prenons les armes pour la défense des états de l’empereur, puisqu’elle nous y contraint[41]. »

Ils écrivirent en même temps à Charles-Quint : « Le pape est votre ennemi déclaré, avec les rois d’Angleterre, de France et les Vénitiens. Tous ensemble ils sont résolus à s’opposer à la grandeur de votre majesté, à l’abaisser et à la réduire au point qu’elle leur soit égale[42]. » Ils ajoutaient que les choses étaient pour lui dans le plus fâcheux état en Italie, que les peuples lui étaient contraires, qu’il n’y avait que peu de troupes et point d’argent, que l’armée était sans chef, le royaume de Naples sans vice-roi ; qu’il devait remédier bien vite à tout cela, y faire passer de l’argent et des soldats, envoyer le duc de Bourbon en Lombardie et Lannoy à Naples ; qu’ils avaient informé le marquis del Guasto et Antonio de Leyva, qui commandaient à Milan depuis la mort de Pescara, de ce qui se passait à Rome, en les invitant à prendre toutes les précautions dans le Milanais ; qu’ils y traitaient avec le duc de Ferrare, dont ils exigeaient une somme considérable de ducats, en lui promettant la possession de Modène et la confirmation de Reggio, de Rubiera et de Ferrare ; qu’ils avaient demandé à l’archiduc Ferdinand de lever des lansquenets en Allemagne et de les faire descendre au plus vite en Italie. « Si cela s’exécute, disaient-ils en finissant, et si votre majesté envoie d’Espagne tout ce qu’elle pourra, surtout de l’argent, nous ne doutons pas que le jeu ne tourne en votre faveur et que le pape ne se repente bientôt[43]. » Afin que ce repentir du pape fût plus prompt et plus certain, Ugo de Moncada se rendit dans le royaume de Naples, pour s’entendre ensuite mystérieusement avec les Colonna[44], et ourdir contre le souverain pontife le plus perfide et le plus redoutable complot.


V

La campagne venait de s’ouvrir dans la Haute-Italie. Sans attendre les 500 lances et 4,000 hommes de pied que François Ier devait envoyer sous le commandement de Michel-Antoine, marquis de Saluces, et qui n’étaient pas encore prêts à passer les monts ; sans être joints par les Suisses que le castellan de Mus et l’évêque de Lodi levaient dans les cantons avec l’argent de la France, qui n’avait pas encore été fourni[45], les confédérés s’avancèrent vers le Milanais. Ils avaient des intelligences dans plusieurs des villes principales, lasses de souffrir la domination oppressive des étrangers. A l’aide de ces intelligences, un corps de troupes vénitiennes pénétra dans Lodi, dont les soldats impériaux ne purent pas conserver la citadelle, et que le marquis del Guasto, accouru de Milan, essaya vainement de recouvrer[46]. La prise de cette forte place, située sur l’Adda à deux marches de Milan, produisit un effet immense en Italie. L’armée entière des Vénitiens l’occupa, et, franchissant ensuite l’Adda, elle parut dans la Lombardie milanaise. L’armée pontificale se mit alors en mouvement, passa le Pô à Plaisance et opéra sa jonction avec l’armée vénitienne.

Les deux armées réunies étaient assez considérables pour entreprendre d’attaquer les impériaux dans Milan, où ils s’étaient concentrés. Ils y étaient au nombre de 7 à 8,000, tant Espagnols que lansquenets. Depuis six mois, ils avaient accablé cette malheureuse ville de leurs incessantes déprédations, de leurs violences meurtrières, et en avaient réduit les habitans au désespoir. Pescara les y avait conduits après avoir transféré Morone dans la forteresse de Trezzo, et il avait commencé l’investissement de la citadelle, que les Milanais, très dévoués à leur duc national, avaient munie de tous les approvisionnemens nécessaires, et qui devait tenir longtemps sans être obligée de se rendre. Pescara avait occupé les points principaux de la ville, et particulièrement le Domo, empêchant qu’on en sonnât la grosse cloche à aucune heure et pour aucune réunion, de peur qu’elle ne devînt le signal d’un soulèvement populaire[47]. Tant qu’il avait vécu, il avait contenu la ville, tout en faisant subsister son armée à ses dépens. A sa mort, le commandement militaire, partagé entre Antonio de Leyva, l’énergique défenseur de Pavie, et le marquis del Guasto, l’un des capitaines qui avaient le plus contribué à la dernière victoire, avait été exercé en commun sans qu’ils montrassent jamais ni rivalité ni désaccord. Ils continuèrent à serrer de près le château pour en empêcher le ravitaillement ; mais ils se trouvèrent bientôt dans le plus grand embarras à l’égard de leurs troupes. Il ne recevaient point d’argent de l’empereur, et leur petite armée était depuis longtemps sans solde. Laissant alors les lansquenets auprès du château, ils dispersèrent les Espagnols autour de Milan, afin de les mettre les uns et les autres à la charge de la ville et de son territoire[48]. Pendant que les Espagnols rançonnaient les campagnes, dépouillant et tuant les pauvres villageois, qu’ils forçaient de quitter leurs demeures pour se soustraire à leur féroce rapacité, Antonio de Leyva et le marquis del Guasto taxaient les habitans de la ville en envoyant des bulletins aux marchands pour qu’ils payassent, les uns 1,000 écus, les autres 500, qui plus, qui moins. Les Milanais résolurent entre eux de ne plus rien donner. Ils fermèrent les boutiques dans la ville morne et désolée, et pendant trois jours de suite, le dimanche 22 avril, le lundi 23, le mardi 24, ils firent des processions solennelles, comme pour invoquer l’assistance divine dans ce grand désespoir public et y puiser la force de résister à l’oppression étrangère.

Le troisième jour, 24 avril, les soldats se présentèrent à la maison de l’un de ceux qui avaient été taxés à la contribution de 500 écus. Il s’y barricada et les chassa à coups de pierres. Les soldats revinrent bientôt en plus grand nombre pour forcer la maison et contraindre le rebelle marchand à payer la somme imposée ; mais, aidé de ses voisins et des gens de sa rue, le courageux Milanais les repoussa de nouveau. Tous ensemble ils poursuivirent les soldats en criant aux armes ! aux armes ! et donnèrent le signal de l’insurrection au reste de la ville[49]. Antonio de Leyva, qui occupait la Corte, palais où se rendait la justice, alarmé de ce mouvement populaire, se retira précipitamment au milieu des lansquenets placés autour du château. Les habitans soulevés s’armèrent de piques, de mousquets, de haches, de tous les instrumens qui se trouvèrent sous leurs mains[50]. Au bruit de toutes les cloches des églises, ils parcoururent en armes les rues de Milan, s’emparèrent de la Corte, qu’avait abandonnée Antonio de Leyva, prirent le clocher du Domo, dont ils chassèrent la garde et dont ils mirent en branle la grosse cloche. À ce signal, les assiégés de la citadelle firent une sortie contre les lansquenets éperdus, qui ne savaient plus à qui faire tête et qui abandonnèrent leur position. Ils passèrent le pont et allèrent se concentrer derrière San-Jacobo vers San-Silvestro, où ils se fortifièrent du mieux qu’ils purent, avec des charrettes, des tonneaux, des ouvrages en terre et des bastions élevés à la hâte[51].

La ville insurgée trouva un chef plein de courage et d’habileté dans un gentilhomme milanais nommé Pietro de Pusterla. Le généreux messer Pietro de Pusterla, comme l’appelle la chronique du Burigozzo, qui assistait à ces événemens et les racontait jour par jour, tint durant près de deux mois ses compatriotes unis entre eux, rangés sous des capitaines et maîtres de leur ville ; mais vers le milieu de juin[52], lorsque les troupes pontificales se concentraient vers Plaisance et les troupes vénitiennes du côté de Brescia, le marquis del Guasto et Antonio de Leyva comprirent qu’ils ne pouvaient pas laisser sans un très grand danger les Milanais en armes dans un moment où ils étaient exposés à une agression imminente. Ils avaient repris l’investissement du château, et ils résolurent de désarmer la ville afin de n’avoir point à craindre qu’elle secondât les soldats de la ligue, s’ils s’approchaient de ses murailles. Ils firent donc entrer dans Milan, le 17 juin, les lansquenets sortis de leur camp retranché et les Espagnols appelés du dehors. Ces troupes réunies étaient trop nombreuses et trop bien armées pour ne pas triompher de citadins redoutables dans un moment d’effervescence populaire, mais incapables, avec de mauvaises armes, sans discipline, et sous le coup d’une surprise, de repousser une attaque concertée, conduite avec décision et en semble. Elles tuèrent ou désarmèrent tous ceux qui tentèrent de leur résister, et en deux jours elles envahirent et occupèrent de nouveau Milan. Les arquebusiers espagnols et les piquiers allemands, les hommes d’armes et les chevau-légers s’y établirent comme dans une ville conquise. Ils ne la mirent pas à sac, mais ils y vécurent à discrétion. Les piétons comme les cavaliers se faisaient donner des vivres et de l’argent par les propriétaires des maisons où ils s’étaient logés, et ils les empêchaient même de se dérober par la fuite à ces spoliations journalières[53].

Milan était dans cet état d’oppression lorsque les troupes vénitiennes, après avoir pris Lodi, avaient franchi l’Adda et opéré leur jonction avec les troupes pontificales. Les impériaux, beaucoup plus faibles que les confédérés, s’attendaient à être attaqués d’un moment à l’autre, et dans une position très désavantageuse, entre une ville désespérée et une citadelle assiégée ; mais ils ne le furent ni aussi vite ni aussi résolument qu’ils pouvaient le craindre. Le duc d’Urbin, que personne n’égalait en illustration et en autorité, et qu’une vieille expérience non moins qu’une assez grande renommée appelaient à être le généralissime des troupes confédérées, avait pris le commandement de l’armée réunie. Capitaine très circonspect d’une république fort prudente, il n’était pas plus disposé par caractère que le gouvernement vénitien par politique à donner quoi que ce fût au hasard. Bien que très supérieur aux impériaux par le nombre, il se considérait comme inférieur à eux par la qualité de ses troupes. Il n’avait que des soldats italiens, la plupart levés depuis peu et avec lesquels il ne croyait pas pouvoir affronter sans risque les vieux arquebusiers espagnols et les lansquenets allemands, également aguerris, depuis longtemps victorieux et pleins de cette confiance en eux-mêmes qui assure et perpétue les succès dans les luttes militaires. Il ne voulait rien entreprendre avant d’avoir reçu les solides bataillons de l’infanterie suisse, qu’il attendait et qui n’arrivaient pas. Il s’avança à leur rencontre, mais à pas comptés, faisant à peine deux milles par jour. Il s’arrêta à Marignan, dans le triangle que forment les trois villes de Lodi, de Pavie et de Milan, et où avait été livrée onze ans auparavant la grande bataille qui avait rendu si glorieux les commencemens du règne de François Ier. Il y était encore le 30 juin. Il s’achemina enfin et comme malgré lui vers Milan, et le 3 juillet il atteignit San-Donato à cinq milles de cette ville. Pressé par le lieutenant du pape Francesco Guicciardini, par le provéditeur vénitien Pietro da Pesaro, délégué de la république auprès de l’armée, et par les capitaines confédérés, plus hardis que lui, il consentit, non sans répugnance, à faire une tentative sur Milan[54]. Il en était encore à trois milles de distance le 5 juillet, jour où il campa, après avoir été joint par une modique bande de Suisses, aux environs de,San-Martino, lorsque le duc de Bourbon, qui s’avançait en toute hâte, y pénétra avec une petite troupe de renfort[55].

Charles-Quint, qui lui avait donné le duché de Milan, l’envoyait en Italie comme son lieutenant et comme le capitaine-général de son armée. Parti assez secrètement de Barcelone, le 24 juin, avec six navires, sur lesquels étaient huit cents soldats espagnols et que la flotte des confédérés aurait pu facilement saisir au passage, si elle avait été réunie, le duc de Bourbon était entré sans obstacle dans Gênes, le port de cette ville n’étant pas plus bloqué que la mer n’était gardée. Il avait retiré des banquiers génois cent mille ducats en paiement de lettres de change qu’il avait reçues en Espagne de l’empereur, et s’était rendu sans perdre une heure dans Milan, où il entra le 5 juillet au soir. Le lendemain, il prit le commandement de la petite armée impériale, à laquelle il distribua une partie de sa solde, pour mieux la disposer à résister aux confédérés et pour l’encourager à des entreprises dans lesquelles, avec son audace, il ne devait pas voir de péril.

Il avait sous ses ordres de 8 à 9,000 hommes soit espagnols, soit allemands, lorsque le 7 juillet parut à une portée de fauconneau des faubourgs de Milan, du côté du sud-est, entre la porte Romaine et la porte Tosa, l’armée des confédérés, forte d’environ 20,000 hommes de pied et de plus de 3,000 chevaux. Elle était belle et fort animée. La ville n’était pas bien fortifiée, et les faubourgs l’étaient encore moins. Des fossés peu profonds et des remparts peu élevés, qu’il était également facile de franchir, en défendaient faiblement l’approche. Les faubourgs pris, la ville ne pouvait pas être défendue. Lorsque en 1522 Prospero Colonna et le marquis de Pescara s’en étaient rendus maîtres, les Français, moins haïs à cette époque que ne l’étaient alors les Espagnols, s’étaient vus contraints d’évacuer en toute hâte Milan. Si les confédérés y avaient pénétré en attaquant avec résolution, les impériaux, — placés entre l’armée italienne, maîtresse des faubourgs, le château, d’où Francesco Sforza pouvait tirer sur eux, et au milieu d’une ville dont la population les abhorrait et ne manquerait pas de se soulever, — auraient été réduits à battre en retraite du côté de Pavie. Découragés par ce grand échec, ils se seraient trouvés à la grâce de Dieu,[56] comme l’écrivait Antonio de Leyva ; mais le duc d’Urbin, qui tentait cette entreprise par condescendance, l’exécuta sans vigueur et sans ténacité. Il fit braquer trois canons, qu’il tira contre la porte Romaine. Il ordonna ensuite de préparer les échelles et dit aux hommes d’armes de mettre pied à terre et de se disposer pour l’assaut ; mais au lieu d’un assaut il se réduisit à une faible escarmouche. Il envoya quelques soldats vers les fossés et ne les lança pas avec assez de résolution ni en assez grand nombre pour qu’ils les franchissent et enlevassent les remparts. Ils y rencontrèrent les arquebusiers espagnols qui les défendaient, et qui tuèrent quelques-uns d’entre eux. Après cette tentative imparfaite qui avait suffi pour que beaucoup d’impériaux pliassent déjà bagage et s’apprêtassent à partir, le duc d’Urbin arrêta son armée. Le soir du 7 juillet, bien qu’il vînt de recevoir six pièces de canon pour battre la ville en brèche, malgré les représentations les plus vives du lieutenant du pape et du provéditeur de la république vénitienne, au grand déplaisir des troupes mécontentes et humiliées, il ordonna subitement la retraite. Il prétendit qu’il était impossible de prendre la ville de Milan avec les soldats qui l’attaqueraient contre les soldats qui la défendraient, que l’épreuve venait d’en être faite, que tant qu’il aurait le bâton de commandement des Vénitiens, il ne compromettrait pas leur armée ni l’entreprise dont le succès était attaché au sort de cette armée, que si l’on attendait le lendemain pour décamper, on serait foudroyé, dans la position dangereuse qu’on occupait, par les canons dont les Espagnols garniraient les remparts pendant la nuit. Il reprit sans délai la route de Marignan au milieu des murmures de l’armée, où l’on disait de lui : Veni, vidi, fugi, je suis venu, j’ai vu, j’ai fui[57]. L’intrépide Jean de Médicis, qui commandait l’infanterie pontificale, ne voulut pas partager la honte de cette fuite nocturne. Il attendit le grand jour pour se retirer, et il se dirigea lentement vers Marignan, sans avoir essuyé une décharge d’artillerie et sans avoir perdu un seul homme. Les impériaux, charmés autant que surpris de cette retraite, se gardèrent bien d’attaquer ceux qui renonçaient ainsi à les assaillir.

Cette tentative, infructueuse parce qu’elle avait été mal dirigée et mal soutenue, fut très nuisible à la cause des confédérés. Elle affaiblit la grande impression qu’avait produite la prise de Lodi, et qui fut presque entièrement effacée par l’essai que le duc d’Urbin fit bientôt de secourir le duc Sforza dans le château de Milan, réduit aux abois. Le généralissime des confédérés partit de Marignan dix jours après, à la tête de tous les siens, pour aller au moins ravitailler le château, dont la conservation était d’une extrême importance et qui était imprenable autrement que par la famine. Il parut en vue de la garnison, rendue à l’espérance, et avec une armée très supérieure en force il n’osa ni traverser la ligne du blocus ni introduire dans la citadelle les vivres qu’il apportait pour elle. Aussi timide devant le château qu’il l’avait été devant la ville de Milan, il se retira sans avoir secouru le duc Sforza, comme il s’était retiré sans avoir attaqué le duc de Bourbon. Francesco Sforza, n’espérant plus désormais qu’on lui vînt en aide et ayant bientôt épuisé, dans le château où il était enfermé depuis plus de sept mois, tous ses moyens de subsistance, capitula le 25 juillet et livra cette forte citadelle au duc de Bourbon, qui en confia la garde au vieux Tansannes, l’un des gentilshommes du Bourbonnais entrés dans sa conspiration et l’ayant suivi dans sa fuite[58]. Prise au dépourvu en Italie, la puissance impériale s’y maintenait avec avantage en grande partie par la faute du roi de France, qui n’avait pas fait encore ce qu’il avait promis. François Ier, plus intéressé cependant que qui que ce fût aux succès de la ligue, n’avait ni expédié les galères destinées au blocus de Gênes, que gouvernait toujours le doge Hieronimo Adorno, dévoué à Charles-Quint, ni fait passer les Alpes aux 500 lances et aux 4,000 hommes de pied qui sous le marquis de Saluces devaient renforcer les confédérés, ni facilité, par l’envoi régulier des sommes nécessaires, la prompte levée des Suisses, sur lesquels les Italiens avaient besoin de s’appuyer pour agir avec plus de hardiesse.

Le pape et ceux de ses ministres qui l’avaient poussé à s’allier avec François Ier et à faire la guerre à Charles-Quint étaient irrités et effrayés des longs retards que le roi de France apportait dans l’exécution de ses engagemens. Le dataire Giberto écrivait avec douleur et dans une sorte de désespoir : « Les Français ne nous aidant pas autrement et ne prenant pas l’entreprise sur leurs épaules, ou nous succomberons, ou, ce qui est la même chose, nous nous accorderons. Et comme en tel cas les Français resteront seuls, s’ils ne le voient pas, ils sont aveugles[59]. » Clément VII avait envoyé le secrétaire Sanga pour presser François Ier, à qui l’évêque de Bayeux, son ambassadeur à Venise, écrivait : « Les lenteurs de votre majesté, qui inspirent tant de défiance aux confédérés d’Italie, feront perdre courage au pape et à cette sérénissime république. Ils se repentiront de s’être autant avancés en voyant qu’il n’est rien tenu de ce qui leur a été promis. Il leur paraît étrange que, la ligue étant conclue depuis deux mois, il ne se fasse rien en France pour cette entreprise, tandis que le pape et cette seigneurie se sont à ce point découverts et se trouvent sous le coup de si grandes dépenses. Tout gît dans les commencemens. Ce n’est point là, sire, le chemin à suivre pour abaisser l’empereur, mais bien pour le faire beaucoup plus grand qu’il n’est[60]. » François Ier était en retard vis-à-vis des confédérés, parce qu’il continuait à négocier avec Charles-Quint. Il espérait que l’empereur, intimidé par la conclusion de la ligue et par les mouvemens hostiles de l’Italie, renoncerait à la Bourgogne et se contenterait d’une forte somme d’argent. Cependant l’armée de la ligue, malgré les deux échecs qu’elle avait essuyés par l’excès de prudence de celui qui la commandait, tenait toujours la campagne dans la Haute-Italie. Elle fut renforcée vers la fin de juillet de 6 à 7,000 Suisses, qu’avait fait lever le pape et que devait solder le roi. Dans les commencemens d’août, le duc d’Urbin, laissant les troupes pontificales à Marignan pour contenir les impériaux dans Milan, se porta sur Crémone avec les troupes vénitiennes. Cette forte place était défendue par une garnison considérable, composée de 2,000 lansquenets, de 800 arquebusiers espagnols, de 200 hommes d’armes et de 200 chevau-légers ; mais la citadelle tenait encore pour le duc Sforza. Située sur l’Adda à sa jonction avec le Pô, Crémone, si elle était prise, aurait formé avec Lodi une ligne de défense qui couvrait les états vénitiens de terre ferme. Le duc d’Urbin l’investit et l’attaqua régulièrement. Pendant que se poursuivait ce siège, qui devait durer près de deux mois, et avant que Crémone capitulât, il se passait à Rome des événemens d’une gravité extraordinaire pour le saint-siège et d’une conséquence dangereuse pour la confédération.


VI

Ugo de Moncada, en quittant Clément VII, qu’il n’avait pas pu détacher de l’alliance de François Ier, s’était rendu dans le royaume de Naples. Il s’était ensuite abouché à Marino avec les chefs de la puissante famille des Colonna, qui s’y étaient retirés pour se soustraire à l’inimitié du pape, non moins grande envers eux que ne l’était la leur envers lui. Après cette conférence mystérieuse, les Colonna s’étaient mis en armes dans le sud de l’état pontifical, où se trouvaient la plupart de leurs possessions. Ils s’étaient même emparés d’Anagni, et ils inquiétaient jusque dans Rome le pape, qui était obligé d’y tenir une petite armée pour se défendre contre une attaque dont il était menacé de leur part. La guerre que poursuivait Clément VII en Lombardie, où il entretenait des forces considérables, sur les côtes de Gênes, où il payait la flotte d’André Doria, en Toscane, où il avait envoyé devant Sienne des troupes qui s’étaient fait battre et avaient perdu leur artillerie, cette guerre, coûteuse et pleine de périls, qui le réduisait de plus à avoir beaucoup de gens soldés dans les états de l’église pour s’y garantir des agressions du parti impérial, était au-dessus de ses ressources, et il ne pouvait pas la continuer sur tous les points. Il se prêta donc avec une imprudente facilité à un arrangement que lui proposèrent les Colonna, et qui sembla devoir accroître sa sécurité en diminuant ses dépenses. Vespasiano Colonna, fils de Prospéra Colonna, et en qui Clément VII avait beaucoup de confiance, vint à Rome négocier, au nom de toute sa famille, une paix qui fut conclue le 22 août[61]. Toutes les injures de part et d’autre étaient oubliées ; le pape révoquait le monitoire qu’il avait lancé contre le cardinal Pompeio Colonna, et les Colonna évacuaient Anagni, dont ils s’étaient rendus maîtres. Ils devaient renvoyer leurs troupes dans le royaume de Naples, et, s’ils entraient au service de l’empereur contre le pape, ils étaient tenus de renoncer préalablement aux seigneuries qu’ils avaient dans les états de l’église comme feudataires du saint-siège. Sur la foi de cet accord[62], qui cachait un piège, le pape désarma ; il licencia les troupes qu’il entretenait pour sa défense ou les envoya au siège de Gênes, mit deux ou trois cents hommes dans Anagni, qui lui fut restitué, et en garda à peine le même nombre dans Rome. Il se croyait en sûreté, et il s’applaudissait de s’être débarrassé de quelques-unes des charges qui pesaient sur lui ; c’était précisément ce qu’avaient voulu les Colonna et don Ugo.

Moins d’un mois après cette paix trompeuse, lorsqu’ils surent que Clément VII, démuni de ses troupes, restait sans défense dans Rome, les Colonna réunirent leurs forces, qu’ils tirèrent de leurs seigneuries ou qu’ils reçurent du royaume de Naples. Le perfide Vespasiano, qui avait conclu l’accord avec le pape, le vindicatif et ambitieux cardinal Pompeio, qui espérait remplacer sur le trône pontifical Jules de Médicis, s’il était tué dans le tumulte, le violent Ascanio, l’astucieux Moncada, l’instigateur du complot, se mirent à la tête de cette petite armée, marchèrent sans s’arrêter et arrivèrent à l’improviste sous les murailles de Rome dans la nuit du 20 septembre. Ils s’emparèrent de la porte de Saint-Jean-de-Latran et pénétrèrent dans la ville de ce côté[63].

Au jour, informé de leur entrée dans Rome, de leur prise de possession du quartier Colonna, de leur irruption dans la plupart des quartiers de la rive gauche du Tibre, et de leur marche imminente vers le Borgo, dont les abords n’étaient défendus que par quelques soldats et où se trouvaient le palais du Vatican et l’église de Saint-Pierre, le pape assembla précipitamment les cardinaux pour délibérer sur ce qu’il y avait à faire dans un cas si inattendu et un péril si pressant. On résolut de convoquer le peuple au Capitole et d’envoyer vers les Colonna pour leur demander ce qu’ils prétendaient après l’accord solennel récemment conclu entre eux et le souverain pontife. Les cardinaux Campeggio et Cesarini furent dépêchés auprès du peuple romain, qui ne parut pas disposé à défendre le pape, tandis que les cardinaux Della Valle et Cibo allèrent vers les Colonna, qui ne voulurent pas même les entendre[64]. N’ayant à recevoir aucun secours du peuple romain, qui assistait froidement à ce qui se passait, n’espérant aucune miséricorde des Colonna, qui, après avoir fait et enfreint un accord pour se venger et s’élever, étaient prêts à toutes les violences, Clément VII songea d’abord à se revêtir des habits pontificaux, à se placer sur le siège apostolique, pour attendre en pape Ascanio et Vespasiano comme son prédécesseur Boniface VIII y avait attendu Sciarra Colonna deux siècles auparavant[65] ; mais, pouvant se dérober aux outrages et aux emportemens d’ennemis sans retenue comme sans foi, il fut persuadé de se retirer dans le château Saint-Ange. Il quitta le palais pontifical avec la plupart des cardinaux et se réfugia dans cette forteresse, qui lui offrait le moyen de se défendre, mais qui ne contenait pas les approvisionnemens nécessaires pour lui permettre de s’y maintenir longtemps.

Lorsqu’il y arriva, les troupes des Colonna avaient déjà forcé la porte de Santo-Spirito, qui ouvrait au-delà du Tibre le Borgo et le quartier de Saint-Pierre. Elles se précipitèrent dans le palais pontifical, qui fut pillé, et mirent à sac les demeures de plusieurs cardinaux. Le pillage dura tout le reste du jour. Le lendemain, le commandeur espagnol Aguilar se présenta devant Clément VII et vint lui signifier insolemment, de la part de ses ennemis, qu’il fallait rendre le château et le remettre entre leurs mains. Clément VII lui répondit « qu’il était pape et voulait mourir en pape, qu’il était d’ailleurs encore d’âge à prendre une pique en main et à se défendre sur la muraille aussi bien que soldat qu’il eût[66]. » Toutes ces fières résolutions tombèrent bientôt. Ugo de Moncada entra, dès le second jour, en pourparlers avec le souverain pontife outragé et assiégé. Ayant reçu pour otages deux neveux du pape, les cardinaux Cibo et Ridolfi, il alla négocier une trêve dans le château Saint-Ange[67]. Cette trêve conclue entre le pape et l’empereur devait durer quatre mois et n’être rompue ensuite que deux mois après avoir été dénoncée. L’état ecclésiastique, le royaume de Naples, le duché de Milan, la république de Gênes, celle de Florence, celle de Sienne, le duc de Ferrare, tous les vassaux immédiats ou médiats du saint-siège y étaient compris. Le pape s’obligeait à retirer les troupes qu’il avait auprès de Milan, les galères qu’il entretenait devant Gênes, à pardonner aux Colonna, qui de leur côté retireraient leurs gens de Rome et de l’état ecclésiastique et les renverraient dans le royaume de Naples. Le pape devait donner, en garantie de l’exécution de ses engagemens, Filippo Strôzzi et l’un des fils de Jacobo Salviati, tous les deux ses parens[68].


VII

L’habile exécuteur des projets de l’empereur, don Ugo de Moncada, était arrivé à ses fins. Par un accord trompeur, il avait désarmé le pape ; au milieu d’une trêve perfidement obtenue et violemment arrachée, il avait affaibli la ligue franco-italienne. Il enlevait à celle-ci les troupes du pape et rendait par là beaucoup plus difficile la délivrance de la Haute-Italie, qu’auraient pu entreprendre, après la prise de Crémone, les confédérés, renforcés alors par tous les bataillons suisses et qu’avait déjà joints le marquis de Saluces avec 500 lances et 4,000 fantassins fournis par François Ier. Il enlevait aussi les navires pontificaux à la flotte de la ligue, qui, ayant reçu les galères de France, avait pris Savone, occupait Portofino et bloquait Gênes avec l’espérance de l’obliger à se rendre. Le plan de dépossession du parti impérial, très bien conçu, mais mal poursuivi, était compromis par la faute de chacun des confédérés. François Ier n’avait pas assez vite rempli ses engagemens ; le duc d’Urbin, au nom des Vénitiens, avait trop timidement agi ; le pape avait eu d’abord trop peu de prévoyance, puis trop de peur ; il s’était laissé trop facilement tromper, désarmer, surprendre.

Après avoir atteint son but, Ugo de Moncada annonçait à. Charles-Quint, dont il avait suivi les volontés, tout ce qui s’était fait dans Rome, et l’engageait à en montrer beaucoup d’indignation et de douleur. Charles-Quint recueillerait ainsi les profits de la violence, sans en encourir les blâmes. « Il me paraît[69], lui disait Ugo de Moncada, que votre majesté doit témoigner un grand ressentiment de ce qui est arrivé en cette rencontre à sa sainteté, ainsi que du sac du palais pontifical. Elle doit largement satisfaire, à ce sujet, le nonce par ses paroles et le pape par ses lettres, de manière que sa sainteté reçoive quelque contentement dans sa peine, ainsi que le collège des cardinaux. Il serait bon également que votre majesté donnât quelque excuse aux princes chrétiens de ce qui est arrivé ici, et assurât que cela a été contraire à son intention et à sa volonté, faisant éclater ses sentimens de telle façon que tout le monde les connaisse. »

L’empereur n’y manqua point. Il venait de répondre[70] avec la dernière vivacité au bref hostile que lui avait naguère adressé le pape. Dépouillant même dans sa lettre les formes respectueuses et filiales que les princes employaient d’ordinaire envers le souverain pontife, il le tutoyait comme il en avait été tutoyé. Il lui rappelait ses bienfaits, qu’il l’accusait d’avoir payés d’ingratitude. « Tu ne peux pas ignorer, lui disait-il, que c’est par mon intercession et avec mon aide que tu as été fait pape[71]. » Il lui reprochait d’avoir comploté contre lui, de s’être allié avec le roi de France pour le déposséder de ses états. « Tu m’as fait la guerre, ajoutait-il, avant que je reçusse les lettres par lesquelles tu me la déclares. Tu as songé non pas seulement à m’expulser de l’Italie, mais à me dépouiller de la dignité impériale. J’ai pu l’apprendre par les lettres de Ferdinand d’Avalos, marquis de Pescara, que tu as sollicité d’entrer dans cette alliance en lui promettant le royaume de Naples[72]. » Justifiant avec hardiesse tout ce qu’il avait fait lui-même en Italie, il en donnait la raison et s’en attribuait le droit. Il trouvait d’autant plus d’indignité dans les procédés dont le pape usait à son égard, que le saint-siège tirait de ses royaumes plus d’argent que de tous les autres pays ensemble. Il regrettait en quelque sorte d’avoir, par dévouement pour l’église romaine, fermé l’oreille aux plaintes amères des princes de l’Allemagne qui avaient tant de griefs contre elle, et il annonçait à Clément VII qu’il allait convoquer un concile dans lequel toutes les fraudes se découvriraient, et qui réformerait tous les abus de la cour pontificale, s’il persistait dans ses inimitiés. C’est par cette menace qu’il finissait sa lettre, après avoir invité le pape à cesser la guerre. « Je te demande, lui disait-il, de renoncer aux armes, j’en ferai autant. Puisque Dieu nous a établis comme deux grands luminaires, travaillons ensemble à éclairer la terre, et évitons que par suite de nos différends il y ait une éclipse. Songeons au bien de la république universelle, à l’expulsion des barbares, à la compression des sectes et des erreurs[73]. » Ce manifeste altier et pourtant pacifique, où les reproches se mêlaient aux justifications et les prières aux attaques, avait été envoyé depuis peu de jours, lorsque don Francesco de Mendoça apporta en Espagne la nouvelle du sac de Rome et de la trêve qui en avait été la suite[74]. Si l’empereur se félicita de la trêve, il marqua le déplaisir le plus vif du sac. Il dit que jamais aucune nation barbare n’avait osé faire une si grande injure au siège apostolique et accabler d’un tel opprobre cette sainte église qui était la capitale de la chrétienté. Il jura qu’il n’avait jamais donné une pareille commission, et que ce qui s’était fait à Rome lui pesait sur l’âme. Il avoua seulement que, voyant le monde entier contre lui et la guerre allumée non par sa faute, il avait accepté, sans avoir pu la refuser, l’assistance de ceux qui s’offraient à le servir[75]. Le pape n’était pas disposé à observer des engagemens qui lui avaient été arrachés par la perfidie et la violence. En attendant ce que lui dirait le roi de France, auquel il avait aussitôt dépêché Guillaume Du Bellay, seigneur de Langey, que ce prince avait envoyé naguère auprès de lui, Clément VII parut exécuter la trêve sur quelques points. Il retira une partie de ses troupes de la Lombardie et rappela ses galères de devant Gênes, dont elles contribuaient à fermer le port depuis le 29 août ; mais il laissait à l’armée de la ligue Jean de Médicis avec environ 4,000 hommes de pied qu’il tint à sa solde, et qu’il prétendit être au service du roi de France. Il paya de plus 13,000 ducats par mois aux Suisses des confédérés, entretint dans Plaisance 2,000 fantassins outre les hommes d’armes et les chevau-légers, et fit venir dans Rome, pour sa propre sûreté, les 5,000 hommes qu’il avait tirés de la Lombardie[76].

François Ier, que le seigneur de Langey avait trouvé sur les bords de la Loire, s’était hâté de le faire repartir en lui donnant ses instructions pour le pape, qu’il pressait « de se venger de la honte qui lui avait été faite[77]. » Clément VII s’indignait d’autant plus de l’outrage reçu par l’église de Rome sous son pontificat, que le danger s’éloignait davantage de lui. Après le retour de Langey, il procéda en plein consistoire contre les Colonna[78]. Le cardinal Pompeio fut rayé du sacré-collège, et toutes les terres de cette maison aussi redoutée que haïe furent confisquées. Le pape expédia aussi une bulle qui autorisait le roi à tirer de l’église de France des décimes sur lesquels 100,000 écus seraient réservés pour le saint-siège[79]. Il forma en même temps une petite armée qui, sous le commandement de Vitello et la direction du cardinal-légat Trivulzio, descendit vers le sud de l’état ecclésiastique afin de contenir ou de combattre les Colonna, qui, de leur côté, levèrent des troupes dans le royaume de Naples.

Il était ainsi remédié au grand revers causé par la prise de Rome, dont l’effet avait été d’ailleurs effacé en partie par la prise de Crémone, survenue deux jours après. Cette forte place s’était rendue le 23 septembre au duc d’Urbin, qui en avait fait le siège régulier durant sept semaines. Après la reddition de Crémone, le généralissime de la ligue aurait pu, avec son armée victorieuse, qui se composait de 24,000 hommes de pied d’excellentes troupes et de plus de 3,000 hommes de cavalerie, aller attaquer dans Milan les impériaux, que les maladies décimaient en ce moment[80]. Il avait sous ses ordres 6,000 Suisses ou Grisons, les 4,000 piétons français du marquis de Saluces, les 4,000 hommes des bandes noires de Jean de Médicis et les 10,000 soldats de la république de Venise. Le duc de Bourbon se plaignait de l’impuissance où le réduisait l’affaiblissement de son armée[81] dépourvue de tout, qu’il était obligé de faire vivre dans une ville épuisée et dont la mort réduisait chaque jour le nombre. Il écrivait sans cesse à Charles-Quint, qui lui avait déjà donné ou envoyé 200,000 ducats, pour lui dépeindre la détresse de ses soldats, et il pressait aussi par ses lettres George de Frondsberg de venir au plus tôt se joindre à lui avec les lansquenets qu’il levait en Allemagne.

Sans tirer parti de son succès et de ses forces, le duc d’Urbin laissa pendant trois semaines l’armée de la ligue dans l’inaction. Lorsqu’il la mit en mouvement après la mi-octobre, ce ne fut pas pour assaillir dans Milan les impériaux affaiblis et peu capables de lui résister. Il conçut le projet timide de les y bloquer et de les y affamer. Il espéra, en postant ses troupes sur les points fortifiés de Marignan au sud-est, d’Abbiato-Grasso au sud-ouest, et de Monza au nord de Milan, empêcher les vivres d’y arriver du Parmesan, de la Lomelline et du mont de Brianza, et réduire les Espagnols à partir ou à se rendre. L’arrivée prochaine des lansquenets de Frondsberg devait déjouer ce plan, et les impériaux, qui, attaqués à l’improviste en Italie, étaient jusque-là restés sur la défensive, allaient être renforcés dans le haut comme dans le bas de la péninsule et y prendre l’offensive.


MIGNET.

  1. Voyez la Revue du 1er  et du 15 février.
  2. « Andando le cose di Francia, come vanno, che quasi ognuno estima che si dirà non stant fœdera facia metu. » — Lettere di negosi del conte Baldessar Castiglione nunzio apostolico all’ imperatore Carlo Quinto, t. II, p. 38. Padova 1769, in-4o.
  3. « They shall infer what damage the crown of France may and lus likely to stand in, by the said conditions… that this be way to bring him (Charles) to the monarchy of christendom. » Instructions de mars 1526 signées par Henri VIII. — MS. Calig. D. 7, p. 164-170, et dans Turner, t. II, p. 7.
  4. Réponse du roi François Ier faite le 2 avril 1526 à l’ouverture du vice-roi de Naples Charles de Lannoy. — Archives des Affaires étrangères de France, Correspondance d’Espagne, t. V, f. 113.
  5. Procès-verbal de ce qui s’est passé et a esté dit le vendredy Xe de may mil cinq cent vingt et six à Congnac au conseil du roy, etc. — Archives, etc., t. V, f. 9 à 16.
  6. Procès-verbal, etc. — Archives des Affaires étrangères de France, t. V.
  7. Or par le droit de la guerre et usance en tel cas gardée, ajoutait-il, telles promesses ne obligent aucunement, sy celluy qui les fait n’est mis entièrement en sa liberté. » — Procès-verbal, etc.
  8. Lettre de Lannoy à Charles-Quint. — Lanz, t. Ier, p. 209.
  9. Mémoire du 5 janvier 1520 faict par monseigneur le chancelier et baillé du commandement de Madame à l’ambassadeur d’Angleterre, etc. — Archives de l’empire, sect. hist. J. 965, liasse 5, n° 12.
  10. Dumont, Corps diplomatique, t. IV, première partie, p. 451,
  11. « Quo factum est, ut (christianissimus rex) læta facie ac prompto animo hanc rem per dictos nuncios sibi tam facilo persuasam habuerit. » Ibid., p. 451.
  12. Dans une lettre du 9 octobre, le cardinal Wolsey dit à Henri VIII que la ligue a été entreprise par ses conseils : « Your highness, by counsalle this liege bean begon. » State Papers, t. Ier, p. 180.
  13. Traité de Cognac, dans Dumont, Corps diplomatique, t. IV, part. Ire, p. 451-454.
  14. Traité de Cognac, dans Dumont, t. IV, Ire partie, p. 451-454.
  15. « Uvo en dote el emperador novecientos mil ducados, pagados los quatro cientos mil en una deuda que el emperador devia al rey de Portugal… Y pagaronse otros tantos en feria de quaresma del año 1520 en Valladolid y en Sevilla, cien mil en Flandes en todo esto año, y los otros en Castilla. » Sandoval, t. Ier, lib. XIV, § 9. — Au compte même de Sandoval, il y avait un million de ducats.
  16. Vinci, regnat, imperat. — Sandoval, t. Ier, lib. XIV, § X.
  17. Maximus in toto regnat nunc Carolus orbe,
    Atque illi meri o machina tota subest. (Ibid.)
  18. Instruction secrète de l’empereur Charles V pour l’extermination de la secte luthérienne, tirée des archives de Cassel et publiée dans Rommel, Geschichte Philipps des Grossmüthigen, mil einem Urkundenbuche, t. III, p. 13.
  19. Lettre écrite de Séville, le 26 mars 1526, par Charles-Quint à Ferdinand ; dans Bucholtz, t. II, p. 369.
  20. « Sire, the emperour is merveilously altered sithens his marriage. He his ful of dompes and solitary, musing sometyme alone 3 or 4 hours togiders. There is no myrthe ne comfort with him. » Lettre du 15 avril 1526, citée dans la page 535, note 3 du tome VI des State Papers.
  21. Lettre de Nicolas Raince à François Ier, écrite de Rome le 9 juin 1526. N. Raince le tenait de Clément VII — Mss. Béthune, vol. 8509, l’original en chiffres f. 33, le déchiffrement f. 17. — Guicciardini, liv.- XVII.
  22. Guicciardini, Istoria d’Italia, lib. XVII.
  23. « Il n’est possible, sire, de veoir homme plus content ne délibéré qu’est le pape, qui s’est levé le masque tout et oultre et parle de présent sans nul respect, de quoy tant de gens sont esbays. » Lettre de Nic. Raince à François Ier, du 9 juin 1526. — Mss. Bé(hune, vol. 8509.
  24.  » Sa sainteté me dit, sire, lui avoir respondu, etc. » Même lettre de Nic. Raince, du 9 juin 1520, à François Ier.
  25. Même lettre, et lettre du dataire Giberto, du 10 juin 1526. — Lettere di principi, t. Ier, p. -194, V°.
  26. Lettre de Nic. Raince à François Ier, du 12 juin 1526. — Mss. Béthune, vol. 8509, fol. 1er. — Lettre de Giberto, du 10 juin, p. 196 V°
  27. Lettre de N. Raince à François Ier, du 17 juin 1526. — Ibid., f° 41.
  28. Dans Lanz, Correspondes des Kaisers Karl V, t. Ier, p. 217.
  29. « Che certo questo Francese e an terribil uomo. » Lettre du nonce Castiglione à l’archevêque de Capoue, écrite de Grenade le 8 septembre 1526 ; t. II, p. 69.
  30. « … E pregasse e assummasse S. Maestá che per beno de Christiani, lascoate le simulta fosse contenta di far una buona pace seco, e rendergli i flgliuoli, pagando honesta somma di denari per riscatto di essi, etc.. » Ibid., p. 76.
  31. « À laquai voce assumar dicono ch’é in Francese molto brava et insolente… dispiacque molto a cesare. » — Navagero, dépêche du 8 sept. 1526, p. 192.
  32. « … Che esso era come il cavallo di Balaam, che quanto più se gli davano spronante, tanto più si tirava in dietro. » Castiglione, p. 77.
  33. « Non avea fatto da buon cavagliero ne da buon gentiluome, ma mechantemente e malemente. » Castiglione, p. 77.
  34. Ibid. — Navagero, dans sa dépêche du 8 septembre, raconte cette scène dans des termes semblables, p. 190-192 et notes 188 et 189 de la p. 262.
  35. Lettre de Charles-Quint à Ugo de Moncada, du 11 juin 1526. — Lanz, t. Ier, p. 213-216.
  36. « Dar nos aviso con correo volante de todo que hallaredes. » Ibid., p. 213.
  37. Page 216. Le cardinal Pompeio Colonna lui avait fait dire, par son envoyé à sa cour, « que el tenia buena disposicion para echar el papa de Roma e resolver Sena y aun Florencia y algunas tierras di la yglesia contra sua santidad. » Charles-Quint avait répondu au sollicitador : « Agradascicndo al dicho cardenal su amo su buena voluntad con muy buenas palabras que os (Moncada) havemos ambiado alla con amplissima poder para qualquier cosa que succediese in todo erento. » Si Ugo de Moncada ne parvenait pas à gagner le pape, l’empereur ajoutait : « Sera bien que no olvidais de prevenir antes que ser prevenido, y que platicays en secreto con el dicho cardenal Colonna, para que como de si mismo, ponga en obra lo que, como ariba, su sollicitador nos ha dicho, y que en ello le hagais dar todo favor secreto. » Ibid., p. 216.
  38. « Desde baxar los montes hasta dentro de la casa del duque de Sesa donde me vine apear, me convino passar entre picas y escopetas con voz de que mueren los Espagnoles. » Dépêche du duc de Sessa et de Moncada à l’empereur, écrite de Rome le 24 juin. — Archives impériales et royales de Vienne.
  39. « … Antes se dispornia V. M. a perder todos sus estados y reynos palmo a palmo, con efusion de sangre de todos sus servidores y subditos, que por simil forma rreduzirse ha su voluntad. » Ibid.
  40. « Que no hallava modo para poder romper lo que tan poco avia que tenia asentado y en esto por ninguna forma perjudicaria a su honzra y palabra. » Archives de Vienne.
  41. « Nos ha echado la guerra en las manos. Despedimos nos de su santitad suplicandole nos tuviese por escusados si tomavamos las armas contra el en deffession de los estados de V. M., pues somos forcados y tirados a ello. » Ibid.
  42. « Y que todos juntos son deliverados de obviar y abazar la grandeza de V. M. y reducirle in terminos que sea ygual a ellos. » Ibid.
  43. No dudamos que sy esto se haze como se dize, y de alla V. M. haze lo que puede especialmente en embiar dineros aca… que el juego sera ganado y el papa arepentido. » Archives de Vienne.
  44. « Yo don Ugo me partire oy a ver los Coloneses y tratar con ellos lo que se ha de hazer em servicio de Va Mad. » Ibid.
  45. I popoli sono tutti sollevati in speranza… et ogni cosa va cosi bene inviata, che sperarei fra pochi di havessimo vittoria se di Francia fosse venuto ordine delli denari. » Lettre du dataire Giberto à messer Capino, nonce en France, le 9 juin. Lettere di principi, t. Ier, f° 189. — Le 15 juillet, le nonce Capino n’avait pas reçu les 25,000 écus du premier paiement et ne pouvait pas lever les Suisses. — Lettre de Lodovico Canossa, évêque de Bayeux, ambassadeur de France à Venise, à François Ier, du 22 juillet. Ibid., t. II, f° 1.
  46. Guicciardini, Istoria d’Italia, lib. XVII.
  47. « Et Iassò che la campana grossa non fosse sonata de ora nessuna, perchè temevano che la terra non se movesso in suo danno. » Storia de Burigozzo dans Archivio storico italiano, t. III, p. 449 ».
  48.  » Talmente que Milano staseva male in mano de lanzinechi et le ville nelle mane de Spagnoli. » Ibid.
  49. Storia, etc. Le Burigozzo était présent à tous les événemens qu’il raconte.
  50. « Se levò un cridar per la cittá dicendo : all’ arma ! all’ arma ! E a questo cridar se molse gran gente, all’ arma chi con sgiopi, chi con lanze, chi con una cosa, chi con un’ altra. » Ibid., p. 452.
  51. Ibid., p. 452.
  52. Ibid., p. 452, 453.
  53. « Li Spagnoli non lassaveno de for por Milano cose che so non se potre narrare, perché non gh’ è chi le credesse. » Archivio, p. 457.
  54. Guicciardini, lib. XVII.
  55. Charles de Bourbon à l’empereur, lettre écrite de Milan le 9 juillet. — Archives impériales et royales de Vienne.
  56. « Furouo in questo tempo dal luogotenente del pontefice intercette lettere che Antonio da Leva scriveva al duca di Susaa avvisandolo della mala disposizione del popolo di Milano e che le cose loro non avevano altro remedio que lagrazia d’Iddio. »
  57. Guicc, lib. XVII.
  58. Lettre du duc de Bourbon à l’empereur, du 27 juillet 1526. — Archives impériales et royales de Vienne.
  59. Lettre du dataire Giberto à l’évêque de Bayeux, du 1er août 1526. — Lettere di principi, t. II, f. 3, v°.
  60. « Ne questa è, sire, la via di metter l’imperatore in nécessita, come e in poter vostro di metterlo, ma si bene di farlo assai più grande che non é. » — Lettre du 22 juillet de l’évêque de Bayeux à François Ier. — Lettere di principi. — Dans sa lettre du 23 à la mère de François Ier, il ajoutait : « In luogo d’abassar l’imperatore, lo faremo più grande et vi perderete gli animi d’Italia per sempre. » — Ibid., f. 2, r°.
  61. Guicc, lib. XVII.
  62. Cet accord fut négocié par don Ugo de Moncada, comme il l’annonçait lui-même dans une lettre écrite au marquis del Guasto, lettre dont le duc de Bourbon, qui ignorait le but de cet arrangement, envoya le double à l’empereur en lui disant : « Vous verres que le dict don Hugues a faict l’appointement du pape et des Colonnoys, laquelle chose si elle est bonne ou mauvaise pour vostre affaire de deçà, je le laisse considérer vostre majesté. J’ay heu advis d’aultre part que les gens du pape qui estoient pour résister aux Colonnoys sont partis pour venir au siège de Gènes. » Charles de Bourbon à l’empereur, 8 septembre 1526. Archives impériales et royales de Vienne.
  63. Lettre de Girolamo Negro, Lettere di principi, t. Ier, p. 234.
  64. Ibid.
  65. Guicc, lib. XVII.
  66. Lettre de Nicolas Raince au grand-maître maréchal de Montmorency, de Rome le 30 septembre 1526. — Mss. Béthune, vol. 8509, f. 75.
  67. Lettre de Girolamo Negro, Lettere di principi, t. Ier, p. 235, v°.
  68. Guicc., lib. XVII.
  69. « Asimesmo me paresce que V. Mad deve mostrar mucho sentimiento de lo acaescido a su santidad en esta jornada, y asi del saco del palatio, satisfaziendo en ello muy largamente a su nuntio y scriviendo a su santidad de manera que se le de alguna satisfattion a su travajo. Y asimesmo al colegio y tambyen seria bien aya de satisfazer y dar alguna rrazon a los principes christianos de lo acaescido aqui quan contrario ha sido de su yntencion y voluntad, y mostrado V. M. por si este sentimiento de tal manera que a todos sea publica. » — Lettre de Ugo de Moncada à l’empereur, de Rome le 24 septembre 1526. — Archives impériales et royales de Vienne.
  70. Cette réponse est du 18 septembre 1526. — Lanz, t. Ier, p. 219-221.
  71. « Nam enim ignorare potes, et intercessione mea auxilioque te factum esse pontificem. » Ibid., p. 219.
  72. « Hoc enim Ferdinandi Davali Piscarii litteris docere possum, quem in hoc fœdus sollicitasti, promisso regno neapolitano. » Lanz, p. 220.
  73. Ibid., p. 220.
  74. Lettre du nonce Bald. Castiglione, écrite de Grenade le 11 novembre à l’archevêque de Capoue, t. II, p. 98.
  75. «… Ricordando che mai più era stato cosi barbara nazione né cosi inimica del nome di Cristo, che avesse osato a far tanto obbrobriosa ingiuria alla sede appostolica, e a quella santa chiesa, capo della cristianità… E dissemi sua maestà che appresso Dio egli pensava d’essere escusato, giurando che mai non avea dato tal commissione, et gti pesava nell’ anima di quello che s’era fatto : pero vedendosi tutto il mondo contra e una guerra accesa senza sua colpa, e stando circondato da tanti inimici, non potea rifiutar quelli che si offerivano di voler servire, accennando i Colonesi. » Ibid., p. 98.
  76. Franc. Guicciardino al proveditor Pesaro, 12 d’ottobre 1526. — Lettere di principe t. II, p. 16 r°.
  77. « Nous renvoyons ledit seigneur de Langey devers nostre sainct père, afin de dire a icelle sa saincteté de nostre part tout ce qu’il nous semble qu’elle doibt faire maintenant pour s’y venger de la honte qui luy a esté faicte. » François Ier aux Florentins, dr Beaugency, le 5 octobre 1526. — Négociations de la France et de la Toscane, publiées dans la collection du ministère de l’instruction publique, t. II, p. 842.
  78.  » Aujourd’hui en consistoire a esté décerné le monitoire pour procéder à la condamnation et confiscation desdits cardinal et Colonnois. » Lettre du 7 novembre 1526, de Nic. Raince au grand-maître de France, maréchal de Montmorency. — Mss. Béthune, vol. 8509, f° 93.
  79. « Sa sainteté m’a dit qu’il est très content de la somme des cent mil escus qu’il a demandés et que tout le surplus de l’argent soit et demeure es mains du roy. » Le même au même, 15 novembre. — Ibid. f° 99.
  80. « Depuis ung moys, il y a bien eu troys mil hommes des vostres malades. » Charles de Bourbon à l’empereur, le 27 août 1526. — Archives impériales et royales de Vienne.
  81. Il ajoutait dans sa lettre du 8 septembre, en parlant à l’empereur des confédérés : « lesquels se confient en mon petit nombre et au grand nombre de malades que nous avons. » Ibid.