Revue pour les Français Août 1906/VIII


LE BON SENS, LES USAGES ET LA LOI
par Henry BRÉAL

LES VICTIMES DES JUGES D’INSTRUCTION



La toute-puissance du Juge d’Instruction en France a fréquemment soulevé des critiques justifiées : on sait que ce magistrat dispose, par sa seule signature, de la liberté des individus ; un « mandat d’amener » suffit pour faire écrouer n’importe quel citoyen ; nul n’est à l’abri d’une telle mesure qui entraîne toujours le déshonneur et trop souvent la ruine.

Si les erreurs judiciaires sont encore fréquentes, malgré tous les progrès de la justice contemporaine, les fausses inculpations, elles, sont innombrables : on ne peut évaluer la quantité de « non-lieu » rendus par les juges d’instruction après des poursuites trop hâtives ou trop passionnées. Or, pour les erreurs judiciaires les réparations publiques et pécuniaires existent : la publicité, en cas de révision, résulte du prononcé et de l’affichage de l’arrêt ; une indemnité en argent est allouée, sur leur demande, aux victimes des jugements injustes. Pour les erreurs d’instructions, il n’y a pas de réparations : l’homme qui a été arrêté brusquement, détenu pendant de longues semaines, signalé par la presse comme coupable d’un méfait, séparé des siens, mis dans l’impossibilité de sauvegarder ses intérêts, est renvoyé, après l’ordonnance de « non-lieu », sans excuses et sans compensation : le juge le relâche ; il doit s’estimer heureux de sortir de prison ; la main tâtonnante de la justice répressive s’est abattue lourdement sur lui, il en conservera la cicatrice douloureuse, mais il ne peut ni se plaindre, ni demander réparation.

Le pouvoir du juge d’instruction est nécessaire pour l’application énergique des lois… nous dira-t-on.

Soit ! Mais quand ce pouvoir maltraite un innocent, pourquoi ne pas lui accorder de compensation ? La réparation du préjudice moral et matériel devrait être due aussi bien aux victimes des inculpations inexactes qu’à celles des jugements erronés.


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