Revue du Pays de Caux N°1 janvier 1903/I

RÉCAPITULATION



La Revue du Pays de Caux entre dans sa deuxième année. Il va bien falloir que ceux de ses lecteurs qui, malgré tout, s’attendent à se voir présenter par le facteur une quittance d’abonnement, se rendent à l’évidence ; la quittance ne viendra pas. La Revue du Pays de Caux est bel et bien une publication périodique à distribution gratuite, objet rare et inédit. Lisez-la donc, lecteurs, avec attention et assiduité ; lisez-la et faites-la lire autour de vous. C’est le meilleur moyen de vous acquitter de votre dette, si vous pensez devoir quelque reconnaissance à ceux qui l’ont fondée et la dirigent. Ont-ils bien tenu leurs promesses et rempli leur programme ? À vous de le dire ; rappelez-vous la devise inscrite il y a un an, en tête du premier numéro, et à laquelle ils prétendent ne rien changer : Voir loin parler franc, agir ferme.

C’est en nous inspirant de cette devise que nous avons abordé l’analyse des événements qui se déroulaient autour de nous. Qu’il s’agit de la querelle de frontières entre le Chili et la République Argentine ou de la dispute de tarifs entre agrariens et libéraux Allemands, qu’il s’agit de la maladie de la reine de Hollande ou du couronnement d’Édouard vii, de la mission Rochambeau ou du jubilé de Chipka, des grèves de Genève ou des troubles de Barcelone, de l’exploration du Fram ou des fouilles du Forum, du renouvellement de la Triple Alliance ou de la question des sucres, de l’inauguration de la république Cubaine ou des dissensions de la république d’Haïti, des énergies du président Roosevelt ou des audaces du ministre Chamberlain, de la crise Serbe ou de la crise Espagnole, de la Finlande ou de la Pologne, du Japon ou du Canada, nous nous sommes toujours efforcés d’écarter les idées préconçues, les données égoïstes, les points de vue étroits ; nous avons tâché surtout de nous mettre « dans la peau des gens » directement intéressés. Croyez-en notre expérience, lecteurs, c’est la seule manière de juger sainement et loyalement.

Mais les événements quotidiens n’ont pas monopolisé notre attention ; nous en avons donné une large part aux grands courants qui se dessinent à travers les sociétés et préparent leur orientation future. C’est l’objet des articles substantiels qui forment pour ainsi dire le centre de chaque numéro. Le premier était consacré au problème de l’Europe centrale, à cette redoutable question d’Autriche qui se présente, au seuil du xxe siècle, dans des conditions si complexes et si troublantes ; une carte spéciale accompagnait l’article indiquant à quel degré de chaos ethnographique l’empire de François-Joseph est aujourd’hui parvenu. Aussitôt après, nous avons abordé l’étude du drame Sud Africain ; nous ne le croyions pas alors aussi près de son dénouement ; mais ce dénouement, dont personne en France ne voulait admettre le caractère de fatalité, nous en indiquions d’avance le détail ; et en même temps, sans reculer devant les blâmes nécessaires, sans biaiser avec les critiques justifiées, nous avons été des premiers à rendre à la grande figure de Cecil Rhodes, qui venait de mourir, l’hommage dont la postérité sera prodigue. Le socialisme ensuite a fixé nos regards ; notre travail a eu les honneurs d’une reproduction intégrale dans un des premiers journaux du monde, l’Indépendance Belge. Nous nous demandions ce qu’il faut penser du socialisme ; car enfin, entre une adoration puérile et une répudiation haineuse, il y a certainement place pour de justes et impartiales appréciations. Nous sommes arrivés à cette conclusion que le socialisme est une doctrine belle et respectable qui pourra peut-être se réaliser un jour mais à laquelle, présentement, le monde tourne le dos. Un coup d’œil donné à la curieuse silhouette du premier des milliardaires Américains, Andrew Carnegie, nous a servi à préciser les particularités du capitalisme moderne. Notre numéro de Juillet a été consacré en majeure partie à l’éducation physique. Ce sujet a été traité au point de vue tout pratique du père de famille résidant dans une petite ville où les ressources sportives sont minimes et peu soucieux, d’ailleurs, de dépenser beaucoup pour entraîner les muscles de ses fils, quand la formation de leurs cerveaux coûte déjà passablement d’argent. Il paraît que nous avons rendu service à nombre de gens en publiant cet article ; nous en ressentons (qu’il nous soit permis de le dire) plus de satisfaction que d’étonnement. L’ouverture de l’exposition d’Hanoï nous a donné occasion de repasser brièvement la glorieuse histoire de la conquête de l’Indo-Chine et, en même temps, nous avons signalé le dilemme qui se pose devant la France appelée à choisir, une fois de plus, entre la politique coloniale et la politique continentale dont elle a connu, tour à tour, les fécondes réalités et les décevants mirages.

Nos projets ? Ils sont à la fois nets et imprécis. Nous allons faire comme le nègre. Nous allons continuer. Cela, c’est notre volonté bien définie. Quant aux questions qui feront, en 1903, l’objet de nos investigations, on ne saurait nous demander d’en donner une énumération anticipée. C’est notre intention d’étudier l’avenir de la Russie et, à-propos du voyage que le président de la République doit faire en Algérie ce printemps, l’œuvre accomplie par la France en Afrique. Nous ne reculerons pas d’autre part devant un sujet très délicat mais aussi très important : le rôle de la religion et du sentiment religieux dans le monde moderne. Nous souhaitons traiter encore de l’art et de ses manifestations démocratiques et vous parler de l’Espagne et de ses colonies ainsi que des légendes qui travestissent l’histoire de la France moderne et en faussent le sens. Ce n’est pas là un programme, mais un simple aperçu destiné à montrer que l’activité de la Revue du Pays de Caux ne se ralentira pas en 1903.

Que votre bienveillance, lecteurs, et votre zèle ne se ralentissent pas non plus.


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