Revue Musicale de Lyon 1903-12-08/Chronique Lyonnaise

Chronique Lyonnaise

grand-théâtre

Mireille

Mireille succédant à la Bohème de Léoncavallo prête à de certaines considérations qui ne sont point dépourvues d’intérêt. Cette succession est une réhabilitation pour Gounod. Le gros défaut de la Bohème, en dehors de son manque absolu d’originalité, de son pillage scandaleux, c’est la disproportion entre les effets à obtenir et les moyens employés. Les plus précieuses ressources de l’orchestration sont mises en œuvre pour traduire la mièvrerie et la banalité de sentiments d’un monde essentiellement faux. L’intention dramatique évolue nettement dans la direction de la bouffissure et de l’emphase de mauvais goût. Mireille, au contraire, brille par d’exquises qualités de simplicité. C’est pourquoi le premier acte procure aux oreilles lassées par tant d’auditions précédentes, diversement pénibles, une sensation de repos qui n’est point à dédaigner. Par contre, et comme il est d’usage chez Gounod, l’intérêt et le charme suivent un descrescendo regrettable. Là, comme dans Roméo d’ailleurs, une bonne politique serait de quitter la salle dès le 2e acte fini. Ô la longue, longue et banale chanson du pâtre ! Ô la déplorable senteur de donizettisme de la grande cantilène harpe : « La Foi de son flambeau divin ! ». Ô la sinistre banalité du chœur des Saintes- Maries ! Avec tout cela on a grandement le temps d’oublier la finesse de la scène des magnanarelles au premier tableau, ou le duo gentil de Vincent et Mireille. L’ouverture m’a toujours paru schématiser l’œuvre entière avec ses qualités et ses défauts : simplicité des thèmes du début ; évocation de la calme campagne par le motif des bois coupés par l’appel des cors, chanson douce des altos, et par dessus tout l’adorable mélodie des premiers violons, celle-là même qui servira plus tard de thème aux paroles : Ô ce Vincent comme il sait gentiment tout dire, avec un contrechant de hautbois et de clarinettes, dont la dysharmonie délicatement, doucement ménagée, surpasse de cent coudées tout ce que Gounod a écrit avant ou après. Puis nous retombons dans la banalité avec des octaves de petite flûte, des trombones doublant le chant au grave, et tout fuit dans un tapage d’un classicisme navrant qu’Halévy lui-même ne renierait pas.

Quant à l’interprétation nous serons brefs : quand on monte une pièce, extrêmement connue, rabâchée, livrée en pâture aux orgues de barbarie, on ne peut la sauver que de deux façons : par le luxe de la mise en scène, ou par l’extraordinaire perfection des interprètes. Or, nous avons vu, ici même, Mireille joué intégralement, en cinq actes, avec des décors qui permettaient de moins écouter la musique, et cette année, on le reprend (ceci n’est point un blâme) sans luxe aucun et dans le petit format. Restait la ressource d’y employer des chanteurs hors ligne. Je n’aurai pas la cruauté d’insister.

Mireille était suivie de Coppélia. Ceci encore est de la musique bien française. Mais pour un ballet, il n’y a pas à se montrer difficile. Les danses étaient d’ailleurs suffisamment bien réglées. M. Archaimbault dirigeait. Et ici, une question nous angoisse : la partition d’orchestre de Coppélia n’a-t-elle pas été éditée ou M. Archaimbault a-t-il accompli un tour de force en conduisant avec la réduction pour piano ?

Au passif de cette semaine figurait encore Roméo et Juliette (c’est décidément une semaine de musique nationale). Cette représentation était donnée à l’occasion d’une fête de charité. Nous aurons celle de n’en rien dire.

Edmond Locard.

Nous empruntons à notre confrère Sapin, du Salut Public, les notes historiques suivantes sur Roméo et Juliette :

« Roméo et Juliette n’avait pas reparu sur l’affiche du Grand-Théâtre depuis le 21 décembre 1900, époque à laquelle le bel opéra de Gounod avait été interprété par Mme Tournié et l’excellent ténor Scaremberg, qui nous donna alors un Roméo de si belle allure qu’il sera bien difficile désormais d’effacer le souvenir de l’interprétation de ce rôle par l’excellent artiste dans la mémoire des Lyonnais.

« Représenté pour la première fois au Théâtre-Lyrique le 27 avril 1867, sous la direction Carvalho, Roméo et Juliette fut créée par MM. Michot, un Lyonnais (Roméo), Barré (Mercutio), Cazaux (frère Laurent), Troy (Capulet), Mmes Miolan-Carvalho (Juliette), et Daram (le page Stéphano).

« Le succès de l’œuvre fut immense à son apparition. Il ne devait pas cependant sauver M. Carvalho du désastre dans lequel il succombait l’année après. Les portes du Théâtre-Lyrique fermées en 1868, Roméo et Juliette passèrent, le 20 janvier 1873, avec armes et bagages, à l’Opéra-Comique. Mme Carvalho y reprit le rôle qu’elle avait créé, avec le ténor Duchesne pour partenaire, et, après elle, Mlles Adèle Isaac et Heilbron le chantèrent de façon remarquable, tandis que Talazac, avec son magnifique organe et son puissant talent dramatique, faisait un Roméo qu’on n’a pas encore remplacé à Paris.

« Il y avait longtemps que Gounod aspirait à voir sa Juliette venir prendre place, à l’Opéra, à côté de son illustre sœur Marguerite. Mais pas plus M. du Locle, qui avait monté l’œuvre à la salle Favart, après la faillite du Théâtre-Lyrique, que M. Carvalho, qui lui avait succédé, n’avaient consenti à priver leur répertoire de ce superbe joyau dont ils l’avaient enrichi, M. Paravey, successeur de M. Carvalho, fut plus coulant et céda Roméo à M. Gailhard, qui le représenta à l’Opéra le 28 novembre 1888, avec l’interprétation suivante : MM. Jean de Reszké (frère Laurent), Delmas (Capulet), Muratet (Tybalt) Melchisédec (Mercutio) ; Mmes Adelina Patti (Juliette) et Agussol (Stefano).

« C’est sous la direction d’Herblay que nous eûmes au Grand-Théâtre, le 3 avril 1868, la primeur de l’opéra de Gounod, qui fut créé, à Lyon, par Delabranche (Roméo), Juillia (Tybalt), Barbot (Benvolio), Darrois (Grégorio), Méric (Mercutio), Mathieu (frère Laurent), Barrielle (Capulet), Dubosc (le duc), Vincent (frère Jean), Mmes Meillet, la célèbre créatrice de l’Africaine sur notre scène lyonnaise, Douau (Stefano) et Gourdon (Gertrude) ».