Revue Musicale de Lyon 1903-12-08/Concert Mauvernay

concert mauvernay

(4 décembre 1903)

Contristerai-je l’aimable organisatrice du concert qui nous fut offert l’autre soir en comparant un tel régal de musique à une… salade russe ? Mme Marie Panthès « native d’Odessa », M. Wolff « violoniste de la cour de Russie » secondés par Mmes Mauvernay et Mirande, sans oublier Mlle Rabut, exécutèrent un programme copieux, ondulant de Bach à Reynaldo Hahn, de Beethoven à M. Mirande, tout en mettant à contribution les œuvres d’une dizaine d’autres compositeurs, seigneurs de grande ou de minime importance ! Disons vite pour ne désobliger personne que le régal fut fort honnête et que personne ne manquait au festin… La Sonate à Kreutzer une fois de plus résonna dans les murs de notre triste salle Philharmonique : se souvient-on bien que Beethoven en écrivit neuf autres pour piano et violon ? L’exécution fut satisfaisante bien que, par instants, elle me donnât l’impression d’un habile déchiffrage opéré par deux artistes de première force. Mme Panthès dont le jeu n’est pas empreint d’une élégance très féminine possède néanmoins d’indiscutables qualités qui furent très appréciées dans diverses pièces de Bach, Mozart et Chopin (Fantaisie chromatique et fugue, Pastorale variée, études sur les touches noires). En fin de compte après un Prélude d’un certain Rachmaninoff et l’exquise page « Au soir » de Schumann, l’Érard de la maison Béal, grâce aux doigts de cette fée slave, dut subit deux œuvrettes perpétrées par l’abbé Liszt et M. Théodore Dubois « la Clochette (!!), la Source enchantée (?) » qui me firent obstinément songer aux prouesses sonores des clowns musicaux du Casino et du Cirque Rancy. Rappelée, Mme Panthès joua une Danse norvégienne d’Ed. Grieg.

Quant à M. Wolff, il affronta avec une belle hardiesse, du reste victorieuse, la terrible Chaconne de Bach ; il fit apprécier son jeu sûr, empreint toutefois d’un peu de raideur, dans des pièces de Fauré et de Tchaikowsky : son succès fut très vif.

Mmes Mauvernay et Mirande se partageaient le programme vocal du concert accompagnées par Mlle Rabut et ce fut un charme exquis de les ouïr à tour de rôle. Avec quelle âme, avec quelle diction souveraine, Mme Mauvernay sur détailler les pages adorables du Cycle : La Vie et l’Amour d’une femme, où Schumann, sur les vers de Heine, exhala les tendresses de son âme rêveuse ; avec quel sentiment musical raffiné elle interpréta les frêles musiques de Reynaldho Hahn, sur des poèmes de Verlaine. Offrande, L’incrédule, Prison, L’heure exquise ! les Chansons matinales de M. H. Mirande, trouvèrent en Mme Mirande l’interprète rêvée sans aucun doute par l’auteur, interprète à la voix délicieusement fraiche à laquelle le public fit un accueil mérité. Les trois chansons C’est le mois des mois, Vole, mon cœur, vole le Printemps couronné m’ont également charmé et je ne sais à qui donner la préférence, au musicien qui les enveloppa de fines harmonies, ou au poète bressan, G. Vicaine, qui les créa avec la seule magie des mots et des rimes. Deux vieilles chansons françaises de Wekerlin, arrangées en duo par M. Mirande, terminèrent la soirée. L’hymne russe n’aurait-il pas été de circonstance ?

P. Leriche.